chasse aux chômeurs
« Ce n’est pas en supprimant les allocations de chômage qu’on incite les gens à retrouver le chemin du travail »
La présidente du CPAS de Jette est fière du travail d’insertion socioprofessionnelle réalisé par ses équipes. Mais elle s’inquiète de la possibilité de poursuivre ce processus si le nombre de bénéficiaires devait exploser.
Nathalie Vandenbrande (LBJ, Liste de la Bourgmestre de Jette) est présidente du CPAS de Jette. Ce dernier, comme beaucoup, a vu son nombre de bénéficiaires augmenter au fil des crises successives. Cette croissance devient difficile à gérer tant en termes de personnel à recruter que de locaux et d’organisation. Rajouter encore un nombre important de bénéficiaires serait ingérable et menacerait directement l’insertion socioprofessionnelle actuellement menée par le CPAS.
Quel est le panorama actuel du CPAS de Jette en matière de retour à l’emploi des demandeurs d’emploi de longue durée ?
Il faut battre le fer tant qu’il est chaud ! Par exemple, une partie du jeune public (18 à 25 ans) a une envie de travailler et un certain dynamisme, donc on va essayer de les mettre à l’emploi dès que possible. Une autre partie est constituée de jeunes qui ne savent pas ce qu’ils veulent dans la vie, qui sont plutôt attentistes ou qui ont besoin d’étapes préalables à l’emploi. La priorité n’est pas tant de les remettre à l’emploi ni même de leur trouver une formation qualifiante, c’est plutôt de les aider à trouver ce qu’ils veulent faire de leur vie professionnelle. Il faut vraiment départager ces deux types de public. Des jeunes pour lesquels les études ne se sont pas bien passées et qui souvent n’ont pas leur CESS mais qui souhaitent faire quelque chose, même s’ils ne savent pas (encore) quoi précisément. Pour eux, le suivi « classique » par la cellule jeune n’est pas suffisant. Il ne suffit pas de leur dire : « Dis-moi ce que tu aimes et je pourrai t’aider ». En outre, suivre des cours tout en ayant un job étudiant, c’est se mobiliser mais de manière classique et plutôt théorique.
Dès lors notre service PEF (Pôle Emploi Formation) a mis en place une nouvelle façon d’aborder le bénéficiaire (qui est utilisée non seulement pour les jeunes mais aussi pour les autres personnes en demande d’orientation) : « l’explorama ». L’explorama existe depuis une petite année. Le bénéficiaire vient pour une séquence de deux jours et demi et est confronté à des photos. Celles-ci font appel à l’imagination et au vécu. Le bénéficiaire peut se projeter en regardant des photos qui lui parlent. Il y a quelque trois cents photos qui vont dans tous les sens : la poterie, le football, etc. Le bénéficiaire choisit les images qui lui font écho, qui lui parlent, et, à partir de là, on peut commencer à établir une recherche plus structurée avec lui. Avec ces indications, l’agent d’insertion va pouvoirl’orienter. Et pas seulement en théorie : faire du bénévolat ou un service citoyen peut permettre de tester une activité, voir si elle répond aux attentes, à ce qui a été imaginé. Puis on ira vers la (re)mise à l’emploi par le biais d’une formation qualifiante ou par le biais d’un emploi en article 60.
L’autre approche qui est aussi innovante et qui a commencé également il y a une petite année, c’est ce que l’on appelle le « Reboost ego ». C’est redonner une confiance en soi. On a une collaboration avec Brumenta (1) pour divers projets visant les jeunes, les seniors, etc.Il s’agit d’un groupe de parole qui réunit douze personnes durant une heure et demie pendant cinq semaines. L’approche est différente, c’est se dire « Voilà, je suis à une étape de ma vie et j’ai perdu confiance pour telle ou telle raison (indépendamment de l’âge). Comment puis-je retrouver une certaine confiance en moi qui me permettrait d’accéder au marché de l’emploi ou en tout cas à une activité comme le bénévolat ? ».
Parmi nos outils plus classiques, il y a bien sûr la RAE (recherche active d’emploi), encadrée par nos agents d’insertion. Il y a aussi « Kiss to a job » qui est une formation intensive en recherche d’emploi (comment réaliser un CV, comment se vendre) et en préparation à l’entretien d’embauche. Et enfin la formation des personnes en article 60 qui est un classique pour les personnes qui sont prêtes et qui savent ce qu’elles veulent. Tout ceci se fait dans une collaboration très rapprochée avec la maison de l’emploi. Le CPAS de Jette est « pilote » au niveau du nord-ouest de Bruxelles. En général ce sont les communes qui sont pilotes mais, ici, notre CPAS est tellement volontaire que nous avons pris les rênes et emmenons avec nous cinq communes : Jette, Ganshoren, Koekelberg, Berchem et Molenbeek. L’idée est de créer un pôle fort d’insertion socioprofessionnelle dans le nord-ouest de Bruxelles en facilitant des échanges entre les communes et les CPAS de la zone qui connaissent une réalité quasi identique au niveau des possibilités professionnelles. Nous construisons des ponts entre les administrations pour voir comment on peut réinsérer au mieux les personnes.
Quels sont les freins à la réinsertion socioprofessionnelle ?
Le premier frein, c’est, pour les parents qui ont par exemple un enfant en bas âge ou qui en attendent un, ne pas trouver de crèche ou ne pas avoir les moyens de la payer. Quand les enfants sont en âge scolaire, donc à partir des maternelles, on pense adapter le temps de travail par exemple pour les parents seuls, un article 60 à mi-temps par exemple. Mais évidemment pour obtenir le droit au chômage c’est plus compliqué. Le deuxième frein, c’est la langue. Si la personne ne maîtrise aucune des langues nationales, ce n’est pas possible de la mettre au travail. Le troisième frein, c’est toute une série de gens que l’on essaie de remettre à l’emploi mais pour qui, pour des raisons de non-adaptabilité en collectivité ou de troubles assez importants, cela ne fonctionne pas. Il y a aussi les problèmes d’assuétude… L’âge aussi, beaucoup d’utilisateurs sont assez réticents à accepter quelqu’un de plus de cinquante ans…
Si on imagine une limitation à deux ans des allocations de chômage, cela signifierait un afflux d’environ mille personnes en plus vers votre CPAS. Comment pensez-vous amortir l’impact que cela aura sur les bénéficiaires, les finances et l’organisation de votre CPAS ?
Cela serait intenable ! C’est déjà intenable maintenant car nous n’avons pas les finances ni la structure ni le personnel pour gérer autant de dossiers au niveau local. Nous n’arrivons déjà pas aujourd’hui à engager le personnel nécessaire pour gérer la masse actuelle de dossiers. On devrait doubler les effectifs en assistantes sociales, en comptabilité, au service des ressources humaines, etc. Au niveau des finances et de l’infrastructure, c’est impossible ! De facto, ça va mal se passer pour les bénéficiaires. Ce serait une mesure absurde qui ne ferait que faire passer les gens d’une caisse à l’autre. Et ça ne coûtera certainement pas moins cher !
Dans la supernote de Bart de Wever, la compensation aurait été d’augmenter de 5 % le remboursement du revenu d’intégration. Cela vous semble t-il suffisant ?
Non, ce n’est pas assez ! Sans même parler de l’infrastructure, si je dois doubler mon personnel avec seulement 5 % de remboursement de RI en plus, c’est impossible.
Comme mandataire locale, faites-vous remonter ces inquiétudes aux négociateurs ?
C’est le cas pour Brulocalis car ils sont très pro-actifs mais on doit faire remonter une voix pour dix-neuf réalités différentes, donc c’est compliqué. Les conséquences et l’impact sont différents pour chaque commune, les réalités et les besoins en moyens ne sont pas les mêmes. Woluwé ne sera pas concerné comme Molenbeek, Anderlecht, Jette ou Berchem.
Vous êtes la seule présidente de CPAS représentant les Engagé.e.s en région bruxelloise…
Je ne suis pas membre des Engagé.e.s, je suis indépendante sur une liste LBJette majoritairement et surtout citoyenne en présence de quelques personnalités des Engagé.e.s, c’est important à souligner ! Lorsque je participe au bureau de Brulocalis, c’est en tant qu’indépendante, en tant que citoyenne, sur le quota de la LBJette. J’ai donc peu de contacts au niveau du parti. Et le niveau local n’a pas beaucoup de pouvoir sur ce genre de mesure…
Quelles mesures faudrait-il prendre selon vous ?
L’idée est de pousser les gens à trouver du travail et arrêter d’être à la charge de la société. Je ne crois pas que ce soit en supprimant les allocations de chômage qu’on incite les gens à retrouver le chemin du travail. Le souci, c’est que la différence entre le revenu d’intégration et les bas salaires est tellement infime que ce n’est pas une incitation à reprendre le chemin du travail et c’est là qu’il faudrait agir en revalorisant les salaires. Il n’est pas normal que des gens qui ne bougent pas de leur canapé touchent peut être 300 ou 400 euros de différence en n’ayant pas les contraintes et certains frais liés au fait de travailler comme la crèche ou la garderie d’école… Le problème n’est pas de supprimer les allocations de chômage, c’est de revaloriser les salaires ou au moins revoir les charges patronales qui sont énormes. La personne qui participe à la vie de la collectivité en payant des impôts doit être valorisée et on doit pouvoir diminuer les taxations sur son salaire afin de pouvoir augmenter son net en poche.
- Par Yves Martens (CSCE)
(1) Réseau développé sur la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la Réforme « vers de meilleurs soins en santé mentale».