numérisation
« Nous sommes fiers du chemin accompli ! »
L’association Lire & Écrire est à l’origine du mouvement d’opposition à l’Ordonnance Bruxelles numérique, qui a marqué la fin de la précédente législature régionale. Nous avons invité deux de ses chercheurs à tirer un bilan de la mobilisation, tout en évoquant les suites du mouvement.
Aujourd’hui, le constat est limpide : plus personne dans nos institutions ne peut prétendre que la numérisation forcée de notre société, au pas de charge, va de soi et ne pose aucun problème. Cette situation nouvelle, nous la devons pour une bonne part à nos deux interlocuteurs d’aujourd’hui, véritables chevilles ouvrières du mouvement d’opposition lancé en septembre 2022 contre l’Ordonnance Bruxelles numérique, alors à l’état de projet, et mené durant quasiment deux années complètes de la précédente législature. Un acquis fondamental.
Pour le grand public, même constat, l’écho médiatique donné à ce mouvement a posé la lumière sur une série de personnes – et pas seulement les plus démunies – en difficulté avec ce numérique, et a permis de prendre conscience d’une conséquence claire : le non-recours aux droits sociaux par une partie de la population. Faute de pouvoir utiliser les procédures en ligne, d’arriver à joindre quelqu’un au téléphone ou d’accéder physiquement aux administrations, certaines personnes laissent tomber, elles abandonnent de ce fait la jouissance de droits dont elles peuvent légalement bénéficier. Le mot « démocratie » revêt-il encore du sens, dans cette situation d’exclusion ?
Au-delà des questions liées à l’Ordonnance proprement dite, le mouvement a également ouvert une brèche dans l’unanimisme de façade lié aux technologies numériques. En général sommées de voir un progrès positif dans chaque nouvelle procédure numérique, de nombreuses associations se sont au contraire exprimées pour indiquer l’existence d’un ras-le bol face à ce tout numérique. Avec ce mouvement social, le débat de société fondamental et indispensable sur la place du numérique dans nos vies, est lancé. Nouvel acquis fondamental.
Un mouvement d’éducation permanente
Depuis 1983, l’association Lire & Écrire lutte en Belgique francophone pour le droit à l’alphabétisation pour tous. Elle dispose de huit régionales en Wallonie et de cinq centres d’alphabétisation à Bruxelles. Les trois objectifs annoncés de l’association sont : 1. Attirer l’attention de l’opinion publique et des pouvoirs publics sur la persistance de l’analphabétisme et sur l’urgence d’en combattre les causes et d’y apporter des solutions ; 2. Promouvoir le droit effectif à une alphabétisation de qualité pour tout adulte qui le souhaite et 3. Développer l’alphabétisation dans une perspective d’émancipation et de participation des personnes pour un changement social vers plus d’égalité. Sans aucun doute, les chemins de la mobilisation contre le « tout numérique » ont amené notre société à prendre en considération ces trois objectifs. Outre l’alphabétisation et la formation, l’association réalise également des campagnes de sensibilisation et d’interpellation politique (1), et mène des recherches et études. Depuis 2020, les campagnes portent sur les « Oubliés du numérique ».
Si vous avez participé à l’une des manifestations menées depuis septembre 2022, vous aurez sans aucun doute vu et entendu nos deux interlocuteurs : Iria Galván Castaño, responsable de projet à la mission recherche, et Daniel Flinker, coordinateur de cette mission recherche de Lire & Écrire Bruxelles. Ils nous décrivent en détail les différentes étapes d’un combat contre un texte législatif, et nous plongent dans le fonctionnement de nos institutions politiques, et dans la manière dont sont élaborés les textes législatifs qui régissent la vie en société. Au moment où nous démarrons une nouvelle législature, dans un pays politiquement « chamboulé » depuis les dernières élections, quelques enseignements sont indéniablement utiles pour entamer les nécessaires luttes politiques à venir.
Ensemble ! Le mouvement contre l’Ordonnance Bruxelles numérique a démarré publiquement à la rentrée de septembre 2022. Avant cela, des situations problématiques ont dû prendre de l’ampleur progressivement, pour mener à la nécessité de se mobiliser. Pouvez-vous décrire les prémices du mouvement ?
Iria Galván Castaño (IGC) : Nous observons en effet les difficultés liées au numérique depuis un moment. Concrètement, les formateurs nous ont fait part de leurs observations liées à leurs contacts avec notre public, et cela nous a décidé à réaliser un sondage en interne, suivi d’une étude plus approfondie. Les résultats étaient clairs : la numérisation des services publics pose de gros problèmes, empêche certaines personnes d’accéder à leurs droits. Nous le savions déjà, mais avec ces initiatives, nous avons pu mesurer la profondeur du problème. Et, si des barrières étaient déjà présentes, la situation s’est clairement aggravée depuis la crise sanitaire liée au Covid. À ce moment-là, en plus du non-accès aux droits, est apparue l’impossibilité de se former, puisque la formation en ligne s’est alors généralisée. Dans ce processus de prise de conscience du problème profond, nos formateurs ont expliqué leurs difficultés : « Je réalise énormément de choses à la place des gens, je prends des rendez-vous, j’envoie des e-mails… Des démarches auparavant ponctuelles deviennent aujourd’hui quasiment systématiques. » Il fallait agir.
Par la suite, tout en nous documentant, nous avons discuté avec des collègues d’autres associations, pour constater un problème partagé, et très étendu. Parallèlement, des groupes ont commencé à travailler sur ce type de questions, comme « Travail social en lutte » (2), mobilisé contre les freins à l’obtention des bourses d’études, dans une procédure devenue disponible uniquement en ligne, ou encore contre la Centrale des syndicats chrétiens (CSC), dont les bureaux inaccessibles physiquement entraînaient des retards colossaux de paiement des allocations de chômage. (3) Il faut également savoir que, depuis 2020, la journée annuelle de l’alphabétisation – le 8 septembre – est dédiée aux « oubliés du numérique ». En 2020 et 2021, lors de cette journée nous avons mené des actions culturelles de sensibilisation, mais pour 2022, devant l’ampleur du problème, nous avons décidé d’organiser une manifestation. C’était la première fois, et il s’agissait d’une double manifestation, un premier rassemblement devant la Tour des Finances, car il y a des problèmes avec les déclarations d’impôts et l’inaccessibilité des fonctionnaires des finances, et un autre devant la commune de Schaerbeek, où le ministre Clerfayt, initiateur de l’Ordonnance Bruxelles numérique, est bourgmestre, à ce moment-là cependant « empêché » par ses fonctions de ministre de la Transition numérique.
Daniel Flinker (DF) : J’ajouterai qu’en outre, nous avons remarqué un processus allant dans les deux sens : de plus en plus de numérique et de moins en moins de guichets physiques, où l’on peut se rendre pour régler les questions administratives. Durant la prise de conscience de l’ampleur du problème, nous avons eu connaissance d’une ordonnance en préparation, dont le but serait de rendre disponible en ligne la totalité des procédures des administrations locales et régionales. Alors que nous constations sur le terrain la nécessité de plus de guichets physiques, ce que nous nous préparions à affirmer publiquement, nous apprenions que les autorités avaient plutôt en projet d’accélérer encore le processus de numérisation… Dès lors, nous avons décidé de sortir publiquement pour affirmer la nécessité d’un processus inverse : nous n’avons pas besoin de plus de numérique, mais de plus de guichets pour les gens.
Dans le brouillon du texte d’ordonnance, aucune alternative au numérique n’était évoquée, ça a motivé une mobilisation précisément contre ce texte, car il s’agissait d’en faire un exemple symptomatique pour poser le débat sur la place et l’ampleur du numérique, versus la place de l’humain dans le contact avec les administrations. Combiné à ça, nous le sentions mais ça s’est largement confirmé à notre premier rassemblement, le double mouvement « plus de numérique – moins de guichets », comme Iria l’a signalé, crée un « effet de dépendance » : nous devons réaliser les démarches pour les personnes qui fréquentent notre association ou, pire, certaines personnes n’accèdent simplement jamais à leurs droits. La conclusion est claire : nous réalisons le travail à la place des fonctionnaires des administrations. Pour des questions vitales, notre public devrait avoir un contact humain avec les administrations, faute de celui-ci ce sont tous les travailleurs des associations, et pas uniquement celles d’alphabétisation, dont le travail se trouve totalement dénaturé. Ils deviennent clairement, sans que ce soit prévu et sans aucun moyen, des intermédiaires entre les administrations et les administrés.
Ces convergences d’intérêts ont fait de ce premier rendez-vous, le 8 septembre 2022, un large succès. Dès lors, cela nous a motivé à continuer au-delà de la journée de l’alphabétisation car les questions soulevées sont d’une importance capitale, et cette première manifestation augurait d’un mouvement vivant. Nous nous sommes donc lancés à long terme dans cette campagne contre l’Ordonnance Bruxelles numérique.
Vous parlez d’un brouillon de l’ordonnance, comment vous parvient ce texte
IGC : Lire & Écrire Bruxelles fait partie d’un groupe de travail sur l’inclusion numérique, coordonné par Paradigme, le service informatique de la Région bruxelloise (4), car nous sommes considérés par les autorités comme un acteur de l’inclusion numérique. Dans ce cadre, nous avons été invités à une journée d’information et de participation citoyenne sur une nouvelle ordonnance à venir, lors de laquelle tout était encore très vague… Si nous ne recevons ce jour-là ni le texte, ni des informations très précises sur son contenu, nous comprenons cependant l’intention de généraliser la numérisation de la communication entre les citoyens et les administrations, sans aucune alternative évoquée.
Je me souviens très clairement qu’avec plusieurs autres travailleurs d’associations nous nous sommes inquiétés immédiatement : quel sera l’espace pour les personnes en difficulté ? Y aura-t-il un article prévoyant une option de contact par courrier postal ? Et si oui, comment ? Faudra-t-il demander cette option de manière électronique… ? La personne qui gérait cet atelier n’avait pas de réponse à ces questions spontanées. Tout donnait à penser que personne n’y avait même pensé ! L’éventualité de l’existence de personnes ayant besoin du courrier postal ne semblait donc même pas avoir été réfléchie. Lors de cette séance nous étions déjà plutôt gravement étonnés, mais lorsque nous avons reçu un peu plus tard le brouillon du texte, nos craintes se sont confirmées : rien n’était prévu en termes d’alternatives. Tout au plus apparaissait l’évocation vague d’un « accompagnement vers le numérique », ce qui n’équivaut bien entendu en rien à une alternative physique.
DF : Dans ce brouillon, nous découvrons l’expression digital first, traduite par « digital par défaut » : le projet vise donc à placer le numérique comme canal privilégié de communication entre les administrations et les administrés. L’expression n’y est pas en grande évidence, mais dans un article prévoyant une possibilité pour le citoyen de dénoncer les administrations qui ne mettraient pas en place ce principe. Ensuite, cela s’est confirmé sur le site de Bernard Clerfayt, le ministre porteur du projet, en 2020 et 2021, annonçant en substance que « le principe de l’ordonnance est de s’ancrer dans le digital first, le ‘‘digital par défaut’’ ». C’est apparu à plusieurs reprises, mais durant le mouvement il a nié ça, en prétendant n’avoir jamais défendu le digital par défaut, ni lui ni le gouvernement. Signe de l’hypocrisie : face aux critiques, il a un moment prétendu envisager le digital par défaut, mais uniquement entre administrations, pas dans les contacts avec les citoyens, or son site internet, lui, évoquait un « accompagnement pour les citoyens », pour leur permettre de s’adapter. C’était parfaitement contradictoire.
De notre lutte, nous pouvons donc déjà tirer comme bilan positif que le ministre s’est tout de suite mis sur la défensive, il a totalement transformé son discours. Par la suite, il a prétendu défendre le principe de « l’humain d’abord », avec le numérique en complément. Peut-être était-ce un discours électoraliste, une autre manière de voir les choses est que, finalement, c’était un très mauvais ministre du numérique, puisqu’il n’a par la suite pas arrêté de défendre « l’humain d’abord ».
Vous l’avez évoqué, dans le chef du ministre – et du gouvernement -, il y a semble-t-il au départ une inconscience totale de l’existence de difficultés, ils semblent imaginer le numérique comme allant de soi. Clerfayt dit carrément que « le numérique se développe tout seul », comme s’il s’agissait d’une plante grimpante… Pensez-vous que lui et ses collaborateurs sont simplement à côté de la plaque, qu’ils pensent que tout le monde vit comme eux, ou alors il y a une volonté nette de forcer ces évolutions numériques ?
IGC : Personnellement, je les vois pris dans une « course économique », une espèce d’angoisse forçant à y aller, la crainte de « perdre la course si on prend une pause ». Derrière eux, nous voyons une réelle pression de l’Union européenne pour aller dans ce sens. Aussi, nous sommes face à une ambiance générale forçant ces évolutions. Le fait que les institutions publiques s’appuient souvent sur des entreprises privées dans leurs politiques, cela doit également influencer le climat général, avec des discours monothématiques, prônant plus de capitalisme, plus de numérique, etc… Souvent, par exemple lorsqu’il faut réaliser l’audit d’une administration – dont le rapport sera qualifié d’« indépendant » -, il s’agit en réalité d’entreprises de consultance privées, qui tiennent toutes le même discours. Nous sommes face à un climat général prônant le numérique, de nombreuses entreprises apparaissent dans ce sillon.
Cela dit, au début de la mobilisation, j’ai eu l’impression que le ministre pensait réellement que la formation et « l’accompagnement vers le numérique » allaient tout régler. Offrir une formation de trois après-midis, pour les « pauvres personnes qui n’y arrivent pas », était censé suffire. Mais de nombreuses personnes ont besoin de beaucoup plus de temps pour se former. D’ailleurs, certains ne vont probablement jamais arriver à réaliser les démarches administratives en ligne, même s’ils se forment pendant des années. Et puis, de nombreuses personnes ont, tout simplement, d’autres priorités.
DF : Selon moi ils n’y réfléchissent pas, en fait, parce que le projet tel qu’il est correspond à leur vision du monde. Si c’est éventuellement facile pour eux alors, simplement, « le numérique, c’est pratique ». Le ministre évoque toujours la possibilité de télécharger un document de la commune à 22h… Lui sait le faire, une part de la population sait le faire, mais il y a près de la moitié de la population qui éprouve des difficultés face à ce genre de procédure. (5) Et puis, en effet, le numérique prôné par l’Union européenne fait partie du système dans lequel nous vivons, au sein de cette « économie dynamique », où finalement le citoyen fait lui-même le travail des agents de service public, à leur place. C’est dans ce sens-là qu’ils n’y ont pas réfléchi. Si ça entrait un peu en contradiction avec leur vie et avec leur idéologie, ils y auraient sans doute réfléchi.
Un élément intéressant avec ce mouvement, c’est notre attaque du contenu de ce texte en amont, bien avant ce qui se passe en général pour les textes législatifs. Comme Iria le signalait, nous l’avons reçu déjà à l’état de brouillon, cela nous a permis de lutter contre un texte législatif avant qu’il ne soit rendu public. L’année située entre septembre 2022 et septembre 2023 représente la période de travail sur ce texte au sein du Gouvernement, or nous faisions déjà pression à ce moment-là ! En général, le public découvre le texte d’une ordonnance lorsqu’il arrive au Parlement. Par ailleurs, cela faisait partie des arguments des partis qui nous ont parfois dit : « Nous ne pouvons pas vraiment toucher à ce texte car le projet est dans l’accord de gouvernement ». Une fois dans cet accord, un texte est semble-t-il selon eux gravé dans le marbre. Une grande leçon apprise grâce à ce mouvement : si l’on a des revendications-phares, il faut les asséner dès avant la constitution du gouvernement et l’établissement du programme de la législature.
Dans ce combat, vous faisiez donc face à un problème à double facette, avec d’abord un problème de fond – le fait d’imposer le numérique sans se soucier des problèmes d’une grande part du public -, mais également un problème de forme, puisque, comme vous le signalez, en général la société ne peut découvrir les projets qu’une fois terminés et soumis au vote.
IGC : Oui, ici nous avons eu la chance de recevoir le texte, d’abord en brouillon, mais aussi après la première lecture du gouvernement, ensuite après la deuxième lecture, après la troisième…
DF : Le texte n’était normalement pas public, mais par la pression exercée nous en avons reçu les différentes versions. Lorsqu’une première carte blanche est signée par environ deux cents associations contre le texte (6), en réalité celui-ci n’existe pas encore. Les avant-projets d’ordonnances, d’habitude, restent au sein du gouvernement. Au passage, les transmissions des textes vers nous sont sans aucun doute le signe de tensions entre les composantes de la majorité à la Région bruxelloise durant la précédente législature, aux côtés de tensions entre majorité et opposition.
IGC : Bien entendu, cela démontre également un problème grave de cette démocratie parlementaire, dans laquelle tout le travail se fait avant la publication du projet. Dans une configuration classique, nous aurions donc disposé de deux semaines entre le moment où le texte est rendu public et le vote. Tout ce que nous avons réalisé aurait simplement été impossible dans un tel délai. En suivant l’agenda classique, il aurait été impossible de réfléchir et de poser nos revendications, de rassembler les gens parmi notre public, de faire l’union avec d’autres associations, de recueillir les informations sur la situation, d’organiser des manifestations… Pour nous, c’est très clair : il devrait être fondamental de permettre à la population de participer à un débat de cette importance-là, or l’agenda rend impossible toute réflexion et tout débat de fond.
La remarque vaut également pour les élus : il est impossible d’avoir un débat parlementaire intéressant en deux semaines, c’est évident. Dans un tel délai, comment les élus pourraient-ils prendre connaissance du texte, en comprendre et mesurer les différentes dimensions et conséquences, et consulter la société civile ? C’est beaucoup trop court pour les parlementaires eux-mêmes, qui représentent pourtant le pouvoir Législatif.
DF : En réalité, c’est nous qui avons informé les parlementaires sur le texte, pendant l’année de préparation de celui-ci au sein du gouvernement. Nous les avons interpellés, pour trouver éventuellement des alliances. Leur réponse était très claire : « Ce que vous dites est vraiment choquant, nous sommes d’accord avec vous, mais nous n’avons pas le texte ». Le travail se fait à l’envers.
C’est un problème démocratique crucial, d’une manière globale dans notre société, le pouvoir exécutif prend clairement le dessus sur le législatif. Ce sont de plus en plus les ministres et les gouvernements qui créent notre cadre politique et juridique, au détriment du pouvoir législatif, en outre en ne diffusant donc même pas les projets aux parlementaires…
DF : En effet, certains ont pu découvrir cette situation à l’occasion de notre mobilisation, mais c’est la forme habituelle. Normalement, le gouvernement diffuse le texte aux parlementaires à la troisième lecture. En plus du problème du temps trop court, nous sommes face à un accord de principe de la majorité gouvernementale de ne plus faire évoluer le texte. Au final, les parlementaires de la majorité, opposés ou pas sur le fond au contenu du texte, ont appliqué les décisions du gouvernement et ont voté. Ils se sont bien battus un peu avec l’exécutif, dans la rhétorique, mais finalement ils ont dû l’accepter. La seule chose obtenue de leur part est l’organisation d’une audition d’un représentant de la société civile. Le texte, lui, n’a pas du tout été modifié au Parlement. Les deux amendements adoptés émanent du gouvernement, c’est lui qui a lâché un peu de lest. L’opposition a déposé une vingtaine d’amendements, aucun n’est passé. Nous avions pourtant fait des propositions très détaillées, en exposant les changements nécessaires pour éviter les problèmes et respecter tous les publics. (7)
Au-delà de ça, au niveau des possibilités de dialogue avec le monde politique, au tout début du mouvement nous avons demandé à rencontrer le ministre. Nous sommes restés un moment sans nouvelles, puis nous avons commencé à nous mobiliser et il a décidé de nous rencontrer… Nous avons même rencontré l’ensemble du gouvernement bruxellois, en janvier 2023. Ils nous ont écoutés, mais jamais nous n’avons été réellement entendus. Les parlementaires, c’est la même chose, ils disaient être d’accord avec nous : « Ne vous inquiétez pas, nous allons déposer des amendements, nous sommes d’accord avec vous, l’humain d’abord. » Ils ont tous félicité le travail des associations au parlement, mais dans les faits ça n’a rien changé. L’issue finale du vote repose sur des discussions menées au sein du gouvernement, liées aux accords de majorité. Si Untel est trop critique par rapport à ce texte, alors tel autre ne nous soutiendra pas sur un autre texte qu’on défend. C’est de la politique politicienne, dans l’opacité, des marchandages et du « donnant-donnant ».
Au sujet des différentes versions du texte du ministre, des formulations changent, mais restent ambiguës, floues, alors qu’un texte législatif est évidemment censé être le plus précis possible. (Lire Qu’est-ce qu’un bon texte juridique ?) Selon vous, c’est de l’incompétence ? Une volonté de noyer le poisson dans ces rédactions approximatives ?
DF : Entre le brouillon et le texte final, il y a en effet beaucoup d’évolutions. Première version, on ne parle pas des alternatives, c’est le « digital par défaut ». Deuxième texte, après nos premières mobilisations, il dit qu’ « il faut une alternative au numérique ». Ce n’est pas suffisant, nous demandons des précisions. Le texte suivant dit qu’« il faut des guichets et/ou des services téléphoniques ». Logiquement, nous signalons que ce « ou » ne garantit pas les guichets, il faut l’enlever. Troisième version, le texte envoyé au parlement : « Il faut des guichets, des services téléphoniques, ou d’autres mesures ». En fait ils ont déplacé le « ou », sans le supprimer. Il y a encore une autre version où il est dit qu’« il faut des guichets physiques, des services téléphoniques. D’autres mesures peuvent être mises en place, pour autant qu’elles aient la même valeur que les guichets ». En fait, ça correspond au « ou », mais ils ont ajouté une notion de qualité. On voit donc qu’entre la première version, sans alternative au numérique, et la dernière où ils évoquent les guichets et le téléphone, il y a une évolution. C’est un impact positif de nos mobilisations et débats.
IGC : Finalement, même si on a réussi à ce que le texte cite les « guichets, téléphones et voies postales », il reste malgré tout flou car il laisse la porte ouverte à des échappatoires (Voir aux pages précédentes). L’article 13 de l’Ordonnance, évoquant les procédures physiques, a également un huitième paragraphe dans lequel nous pouvons lire que : « Les autorités publiques ne sont pas tenues de satisfaire aux exigences visées lorsque ces exigences ont pour effet d’imposer une charge disproportionnée aux autorités publiques. » Donc pour répondre à votre question, selon moi il doit en effet s’agir d’une façon de noyer le poisson. C’est à plusieurs reprises, avec des formulations différentes, qu’ils ont soumis un texte flou !
DF : Nous avons obtenu des évolutions par notre mouvement mais nos revendications n’ont pas été totalement rencontrées. Force est de constater que dans le texte, aujourd’hui, les guichets ne sont pas garantis. Pourtant, au parlement, les discours minimisaient ce huitième paragraphe et cette porte de sortie de la « charge disproportionnée », ils assuraient une prise en compte sans restriction des guichets, même si dans le texte ce n’est pas explicite. Dans les faits, malgré les discours rassurants, ça reste effectivement flou. Et si Clerfayt a pu prétendre encadrer le numérique, positivement, pour le rendre totalement inclusif, si nous revenons aux mots, son texte accélère bien le numérique puisqu’on passe d’un moment où tout n’est pas numérisé à un moment où tout doit l’être. Même s’il ne prévoit pas QUE le numérique, il veut malgré tout une numérisation de toutes les procédures… Dans les faits, le texte accélère donc la numérisation.
IGC : Dans le chef du gouvernement, c’est manifestement intentionnel de laisser une porte ouverte vers une fuite… Pourquoi cet entêtement à laisser cette porte ouverte ? Fondamentalement, j’y vois une volonté d’imposer le numérique pour limiter le personnel, faire des économies en n’engageant pas et en affectant le personnel existant à d’autres tâches que l’accueil des personnes. Il y a donc également un réel mépris des agents de première ligne, une déconsidération du rôle d’un agent d’accueil. Il s’agit tout de même d’être en quelque sorte agent de médiation entre une administration très complexe et un citoyen qui ne comprend pas bien ce qu’il doit faire et comment. Être agent d’accueil, c’est recevoir les gens, leur expliquer tranquillement, maîtriser les procédures… En résumé, rien moins que d’assurer le service public. Cette fonction-là est méprisée, or c’est pourtant ça qui fait société, ça doit faire partie des services au public, indéniablement.
Le monde politique s’est-il expliqué sur les travailleurs sociaux et leur travail dénaturé, rendu impossible, accaparés qu’ils sont par les demandes d’accompagnement numérique des différents publics avec lesquels ils sont en contact ?
DF : Clerfayt et le gouvernement, évidemment, ne vont pas entrer en confrontation directe avec le monde associatif, celui-là même qui a pallié les manques des administrations. Le ministre, de manière générale, n’était pas quelqu’un prompt à se placer en opposition. Il ne disait pas « Je ne suis pas d’accord », mais plutôt « Nous sommes d’accord, tous ensemble. Vous me comprenez mal ! Je suis totalement d’accord avec les associations, je suis pour l’humain d’abord ». Les parlementaires ont également évoqué les travailleurs sociaux, dans le cadre de la Commission et en séance plénière : « Nous félicitons les associations, quel formidable travail elles ont fait. » Une manière de souligner leurs qualités et mérites, mais au final, le texte est resté en l’état. Il risque de ne rien changer aux nombreuses sollicitations portées par les travailleurs sociaux.
Le processus autour de ce texte est symptomatique des difficultés des parlementaires à s’emparer des textes. Le débat au parlement s’est en fait focalisé sur nos critiques, sans particulièrement aborder la situation des travailleurs sociaux dans le futur. Notre positionnement est resté : « Nous sommes contre cette Ordonnance, cependant, si vous la faites : il faut au minimum garantir des guichets ». Car progressivement, une focalisation s’est imposée sur l’article 13 de l’Ordonnance, évoquant les alternatives au numérique. Nous voulions garantir les guichets, mais beaucoup d’autres articles posaient en fait problèmes. Sur le contrôle des données personnelles, par exemple, le mouvement social aurait voulu une analyse d’impact. Il est également possible d’analyser ces évolutions numériques par le prisme de la discrimination… Tous ces sujets-là, puisqu’on ne leur a pas demandé d’en parler, ils n’en ont juste pas parlé. Alors qu’ils auraient dû s’en emparer, normalement c’est leur travail de faire tout ça. D’autant, je l’ai déjà évoqué, que nous leur avions transmis un long texte de propositions, de 22 pages (8), où leur travail était en quelque sorte prémâché, il décrivait tous les problèmes du projet. Une fois citée l’importance prépondérante de l’article 13, ils n’ont plus évoqué que ça, tous les autres aspects problématiques ont été évacués.
Pour le mouvement social, en matière de bilan, nous pouvons affirmer avoir mis nos revendications et discours à l’agenda, mais une fois le processus parlementaire lancé, la focalisation sur un aspect a évacué les autres dimensions concernant la démocratie, les questions environnementales du numérique, etc. Ces débats de société importants, ils n’ont pas eu lieu.
Clerfayt, en plus de poser un discours pacifié, se présentait quasiment en « sauveur », sur le mode « Le numérique se développe, je suis le seul en Europe à cadrer ça ».
DF : C’est un combat sur les termes. Clerfayt, à chaque étape, a récupéré notre discours. Au début, c’était le discours des gagnants, « Le numérique c’est facile, vous êtes chez vous, vous rentrez du travail, vous pouvez facilement commander un document sur internet ». Ensuite il a vu une série de personnes porter des critiques, et il a transformé son discours, « Cette Ordonnance, ce sont de nouveaux droits, le droit au numérique », que personne ne demandait, mais « C’est aussi le droit aux alternatives, on va vous proposer un accompagnement, des guichets, etc. » Sauf qu’au final les guichets ne sont pas garantis, l’accompagnement n’est pas financé. Dans ses discours, il était toujours avenant, comme s’il rencontrait nos revendications. Mais dès qu’on creusait, c’était vide… Au fédéral, Vanessa Matz (Les Engagés) a déposé une proposition pour assurer des alternatives au numérique. Sur internet, Clerfayt a alors affirmé « C’est grâce à moi, c’est moi qui ai ouvert le débat ». Incroyable ! À la limite, c’est grâce à lui qu’on a évoqué des alternatives, alors qu’au départ son texte portait sur la seule numérisation forcée des services publics. Dès qu’il en avait l’occasion, il récupérait le discours.
Le ministre a clamé l’importance de son texte, une première en Europe disait-il, pour « encadrer » le numérique, en quelque sorte totalement sauvage, il parlait d’un « Far West du numérique » ou de la « Jungle »… L’image du Far West charrie l’idée d’un shérif, salutaire pour faire régner la loi. Nous répondions toujours que non, toutes ces discussions, nous voulons les tenir ensemble. Il est resté fermé à ça : pourquoi, fondamentalement ? Iria a évoqué la raison économique de dégraissage du personnel, mais je crains que le projet soit également d’ouvrir malgré tout la porte au digital par défaut. Ce texte est une première étape, grâce à la mobilisation il n’a pas atteint son objectif initial, mais je pense que les autorités vont continuer dans cette logique, il va falloir rester vigilants. L’idée, notamment au niveau européen, reste une imposition du numérique dans les services publics… Dans les discours, si on décode, c’est horrible : ils attendent que les vieux meurent, puisque dans leur esprit les autres générations s’en sortiront. Ce qui est faux !
L’acquis indéniable de votre mouvement est que plus personne ne peut prétendre, comme le fait le ministre, que le numérique va de soi. On peut imaginer que les familles politiques vont devoir se saisir de cette question, à plus ou moins court terme. Quelles sont vos impressions à ce sujet ?
DF : Quand on a rencontré le Parti Socialiste, ils nous ont dit en substance « Mais nous, l’humain c’est le plus important. La place du numérique, on va la définir dans notre programme. L’ordonnance, on ne va plus pouvoir la changer – c’était avant le vote – mais ne vous en faites pas, dès la prochaine législature on va proposer une commission délibérative au parlement, on va inviter des citoyens… » Ok, on vérifiera. Au niveau d’Ecolo, Farida Tahar a déposé au Sénat un projet de résolution qui invite le gouvernement fédéral à maintenir les guichets et à réfléchir aux impacts du numérique. Des choses ont semble-t-il été tentées…
Mais de manière générale, les élus devraient s’en saisir, ce devrait être incontournable, car le numérique traverse toute notre société. Des gens nous disaient « Nous ne sommes pas contre le numérique mais nous ne parvenons pas à y entrer », aujourd’hui des gens nous ont rejoint en apportant par exemple ce discours : « Le numérique, c’est hyper-polluant ». À la faveur de ce mouvement, des éléments primordiaux ont été mis en avant, car il y a d’évidentes contradictions du système, notamment sur l’impact environnemental colossal du numérique, alors qu’on doit prendre des mesures écologiques urgentes. Pour que ce soit soutenable au niveau des richesses naturelles, il va falloir réfléchir à quelle place notre société accorde au numérique, un secteur qui exploite des gens dans des pays lointains pour extraire les minéraux nécessaires à la fabrication. Jusqu’où va-t-on aller ?
Nous avons évoqué tout à l’heure la question démocratique et les discriminations, mais il y a également des questions intergénérationnelles, le renforcement des stéréotypes de races, de genres… Tous les sujets de société peuvent être vus sous le prisme du numérique. La Ligue des Droits humains aura tendance à attirer l’attention sur le contrôle des données. D’autres attirent l’attention sur les aspects sanitaires des rayonnements des engins de cette ère numérique, d’autres sur la santé mentale, notamment vis-à-vis des jeunes, une question plus qu’importante… Nous avons en fait également créé un momentum pour tenter de faire se rejoindre les différentes dimensions du débat. Il va falloir indéniablement politiser durablement le débat sur le numérique, et ne plus le réduire à une question technique du type « C’est un progrès technique, on le met en place »… Jusqu’il n’y a pas si longtemps, seuls des spécialistes politisaient publiquement ces questions. D’une certaine manière, nous avons posé une pierre dans la diffusion plus large de ces questions sociétales, nous avons en quelque sorte pu démocratiser le débat en mettant en avant, pour notre part, les critiques sociales. Tout cela est clairement à poursuivre.
Avant de terminer, abordons un élément très concret, et absolument remarquable dans ce mouvement : le public mobilisé. Quel bilan tirer de toutes ces manifestations ? Certaines personnes, peut-être, devaient manifester pour la première fois… Quel a été l’état d’esprit après le vote de l’ordonnance ?
DF : Nous maintiendrons bien entendu les liens avec les associations et les centres d’alphabétisation, pour voir les gens, réaliser avec eux en permanence l’analyse de la situation sur le long terme. Les premières impressions, suite au vote, laissaient apparaître deux facettes : une relative déception, couplée à la fierté du chemin accompli. À la fois les gens sont tristes, dégoûtés de ne pas avoir obtenu clairement les guichets alors qu’ils se sont tellement battus, mais en même temps ils sont fiers de ce qu’ils ont fait. Ils étaient contents d’être aux manifestations. Nous sommes face à la double réalité d’une lutte qui n’est pas simple, une lutte qui paie, mais qui est longue et demande des efforts, est fatigante… Logiquement, les gens s’interrogent : « Mais pourquoi ils ne nous écoutent pas ? » Cependant, la leçon est claire : si on ne lâche pas l’affaire, on obtient des avancées.
Sans aucun doute, une de nos plus grandes fiertés est d’avoir mobilisé des gens, présents dans nos centres d’alphabétisation, qui pour certains ont manifesté pour la première fois, notamment parce qu’ils sont originaires de pays où la répression est très forte. Ils avaient peur de manifester, mais ils ont organisé les manifestations, distribué des tracts, réalisé des pancartes, ils ont pris la parole. Ça, en fait, c’est vraiment notre travail, de réussir à faire ça. Et ce qui a fait l’originalité du mouvement est la présence de toutes ces personnes, mêlées à tous les travailleurs des associations. Cette réalité a prouvé que la question du numérique touche de larges pans de la population, ce ne sont pas juste les exclus du numérique, ou juste les intellectuels, mais un savant mélange. Des professeurs d’université, par exemple, côtoyaient des personnes en manque d’alphabétisation. Ils étaient dans les mêmes manifestations, voilà une des grandes richesses de ce mouvement.
IGC : Pour moi, la mobilisation a été une des choses les plus belles et les plus motivantes. Nous pouvons constater, si on a un sujet d’importance pour lequel les gens sont concernés – chez nous les personnes en difficulté avec l’écrit -, qu’une mobilisation est possible. Ça peut se faire et on peut modifier les politiques publiques. Ça, c’est génial. Une fois l’ordonnance votée, pas mal de gens nous ont contactés, des universités ou des institutions publiques, car ils s’intéressent à la question, ils voudraient y donner des suites… Nous avons clairement contribué à l’ouverture du débat sur la place du numérique et le non-recours aux droits en Belgique. À plus long terme, nous pouvons espérer que les partis s’emparent des nécessaires débats, mais il faut le constater, ce qui les fait vivre et bouger, ce sont les mobilisations de la société civile, les débats, les colloques… Une fois l’ordonnance passée, notre position est de prôner une pause sur la numérisation des services d’intérêt général. Voilà où nous en sommes pour le moment : nous voulons que l’on enfonce la touche « pause », afin de lancer un grand débat de société sur la place à accorder au numérique.
Le futur du mouvement
Daniel Flinker a répondu à notre question : l’ordonnance aujourd’hui votée, comment poursuivre ?
« Nous continuerons d’encourager les associations à interpeller les politiciens, élus aux différents niveaux de pouvoir, sur toutes les questions soulevées lors de nos mobilisations. L’enjeu principal, finalement, est l’existence de guichets physiques en plus grand nombre, pour que celles et ceux qui en ont besoin, ou simplement le désirent, puissent jouir de services publics assurés d’humain à humain. Nous allons donc mener à la fois un combat de principe, mais aussi des actions pragmatiques au regard de cette ordonnance et de ses conséquences. (1)
Pour le « combat de principe », nous comptons rencontrer des juristes afin d’évaluer le sens et la pertinence d’attaquer ce texte devant la Cour constitutionnelle. Il s’agit d’évaluer le non-respect d’une série de principes constitutionnels, tels par exemple le respect de l’égalité d’accès aux services publics. Il s’agirait de démontrer en quoi ce texte est discriminatoire puisque, dans les faits, les guichets ne sont pas garantis dans celui-ci. Ensuite, le ministre déclarait que le prétexte de la « charge disproportionnée » (lire par ailleurs) ne pourrait être utilisée que très exceptionnellement, il a évoqué un « service minimum » garanti, mais ça n’apparaît pas explicitement dans le texte de l’ordonnance. Ecolo et PS, ses partenaires de majorité durant la précédente législature, ont tenu un discours différent : pour eux, la « charge disproportionnée » pourrait s’attaquer au principe général de l’accessibilité hors ligne, mais ils assuraient qu’à leurs yeux, les guichets constituent une base minimale inattaquable. Au sein du même gouvernement, les différents partis coalisés interprétaient donc cet article de façon différente, ça démontre un sérieux problème. Nous interrogerons donc les juristes également sur cette question, afin d’évaluer la valeur et le poids réel de ces discours entourant le texte proprement dit, tenus au sein du Parlement. Les juristes nous diront si le texte seul prime, ou si ces prises de position publiques pourraient intervenir dans les faits et avoir une influence réelle. En fonction des réponses, à nouveau, nous évaluerons le bien-fondé d’une action en justice.
Pour les « actions pragmatiques », nous prendrons les parlementaires au mot. Ils promettaient le respect de l’« humain d’abord » et des guichets garantis, nous irons donc auprès des administrations où les guichets sont fermés, en leur demandant quand ils comptent mettre en œuvre les promesses. Nous continuerons à faire pression, en exigeant que le principe de l’humain d’abord soit au cœur des politiques publiques, nous voulons que le développement de guichets physiques et de services téléphoniques accessibles et de qualité dans les administrations soient au centre des préoccupations au cours de cette nouvelle législature. Nous continuerons le combat pour des textes de loi les plus précis possible en la matière. Cela dit, notre vie ne tourne pas autour de l’Ordonnance Bruxelles numérique : la question des guichets et de la numérisation de la société dépassent bien entendu cette ordonnance, donc le mouvement doit continuer à s’élargir…
Des contacts sont en outre établis pour coaliser des associations et acteurs sociaux à l’échelle de l’Union européenne, car ces programmes de numérisation sont également le résultat des politiques menées à ce niveau de pouvoir. Il y a des pressions de l’Union sur les États à ce sujet. Des initiatives collectives internationales sont à prévoir vers les élus européens, il y a notamment un projet de lettre ouverte avec des chercheurs et responsables associatifs de différents États.
Plus largement, le débat de société fondamental sur la place du numérique dans notre société, dans toutes ses dimensions (sociales, écologiques, sanitaires…) n’a été qu’esquissé dans ce combat. Avec tous les acteurs mobilisés, nous tenterons de le poursuivre, pour qu’il prenne l’ampleur qu’il mérite.
(1) Le 20 février 2024 s’est tenue une assemblée associative des acteurs de ce mouvement social. Dans le compte-rendu de cette assemblée, chacune et chacun trouvera des idées d’actions possibles, qui restent d’actualité après les élections du 9 juin 2024. Lire le document « Le PV des trois groupes de travail », à cette adresse :
https://lire-et-ecrire.be/Participez-a-la-campagne-l-humain-d-abord-en-2024
- Par Gérald Hanotiaux (CSCE)
(1) Les campagnes de l’association sont consultables sur son site. https://lire-et-ecrire.be/Campagnes
(2) « Travail social en lutte » est un collectif de travailleuses sociales et sociaux (éducateurs, assistantes sociales, infirmières sociales, agentes de guidance,…) en lutte contre les difficultés croissantes de leur secteur. https://travailsocialenlutte.collectifs.net/
(3) Lire à ce sujet « CSC Bruxelles : chômeurs sans allocations et services inaccessibles »
(4) Paradigm s’auto-définit de cette manière : « Paradigm est l’organisme d’intérêt public acteur de la transformation numérique en Région de Bruxelles-Capitale. À ce titre, il agit en tant qu’orchestrateur des capacités numériques en développant plus de cohérence, de mutualisation et de transversalité, tout en accélérant la transition au bénéfice de tous. » https://be.brussels/fr/propos-de-la-region/structure-et-organisation/apercu-des-administrations-et-institutions-de-la-region/paradigm
(5) Selon une enquête co-réalisée par la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et l’Université catholique de Louvain pour la Fondation Roi Baudouin, 46 % des individus âgés entre 16 et 74 ans sont exposés à des situations de vulnérabilité numérique pour l’année 2021. « Près d’un Belge sur deux demeure en situation de vulnérabilité », Baromètre de l’inclusion numérique 2022. Soulignons que les plus de 74 ans ont, eux, tout simplement été effacés de la réalité.
https://kbs-frb.be/fr/barometre-inclusion-numerique-2022
(6) « Le projet ‘‘Bruxelles numérique’’ du gouvernement Vervoort mettra en difficulté un Bruxellois sur deux », La Libre, 14 novembre 2022. Disponible sur le site de Lire & Écrire Bruxelles
https://lire-et-ecrire.be/Non-a-l-ordonnance-Bruxelles-numerique
(7) Un texte actualisé en janvier 2024, après le vote en Commission. « Projet d’ordonnance Bruxelles numérique : critiques et propositions pour garantir l’accès aux droits de tous les Bruxellois ».
https://lire-et-ecrire.be/IMG/pdf/pobn_critiques_et_propositions_janvier_2024_vf.pdf
(9) Idem.