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Créer son propre média digital, pour mieux se retrouver dans l’info

Veronica Rocha a créé sa web tv car elle ne trouvait pas les réponses à questions dans les médias traditionnel : question de prisme, de regard.Rencontre.

Veronica Rocha incarne ces visages de la diversité que l’on trouve plus facilement sur les médias digitaux que dans les médias traditionnels.
Veronica Rocha incarne ces visages de la diversité que l’on trouve plus facilement sur les médias digitaux que dans les médias traditionnels.

« Suite à quelques faits d’actualité marquants, on constate que certains médias donnent davantage la parole aux personnes de différentes origines moins, aujourd’hui, la télé donne la parole aux personnes de différentes origines qui sont censées ‘‘incarner’’ un sujet : si l’on parle de décolonisation, par exemple, on va – aussi – faire intervenir des Afro-descendants, et pas uniquement à des experts ‘‘blancs’’ et « élitistes ». Cela semble un minimum, mais c’est pourtant relativement récent », relève la journaliste et productrice Veronica Rocha.

En juin dernier, l’émission Ciné Le Mag (Canal + Afrique), présentée par l’animatrice Claire Diao, a fait l’objet d’un incident éloquent. L’invitée, la comédienne Annabelle Lengronne, venait d’évoquer Assa Traoré en tant que figure féminine inspirante. Cette intervention a mené à la suppression de l’invitée du montage. Suite à cette censure, l’équipe de présentation a démissionné. Pour rappel, Assa Traoré est une militante antiraciste française. Sœur aînée d’Adama Traoré, décédé en 2016 des suites de son interpellation pour le moins musclée par des gendarmes, elle a fondé le Comité vérité et justice pour Adama, et milite contre les violences policières. Une semaine après la mort de George Floyd, le collectif « Vérité pour Adama Traoré » a appelé à manifester et, à sa suite, au moins 20 000 personnes ont bravé, à Paris, l’interdiction de manifester pour cause de crise sanitaire. Depuis, dans le contexte du mouvement Black lives matter, plusieurs médias français se sont tournés vers Assa Traoré pour faire entendre sa voix : « C’est une première, se félicite Veronica Rocha : généralement, lorsque des médias se tournent vers des gens d’autres origines, ils choisissent de préférence des intervenants qui ne font pas trop de vagues. »

« Le Belge n’est pas encore un modèle d’ouverture. »

Veronica a choisi de créer son propre média digital en 2015, suite à un arrêt pour maladie qui lui a permis de s’interroger plus profondément sur ce qu’elle avait envie de faire de sa vie professionnelle, et parce qu’elle ne se retrouvait pas dans les médias existants. « Le problème n’est pas tant lié au fait que mes origines et ma couleur de peau n’étaient pas représentées dans les médias : nous sommes tous interdépendants et un peu métisses. Personnellement je me sens concernée par beaucoup de sujets. Mais je ne trouve pas toujours dans les médias ‘‘mainstream’’, de réponses constructives, c’est-à-dire qui ne s’arrêtent pas aux constats, qui soient plus complètes et tournées vers l’avenir,aux questions sur la vie de l’ensemble des citoyens. La plupart du temps, les sujets sont traités par le petit bout de la lorgnette. Fait-on un sujet sur les discriminations à l’embauche ? On va chercher le ‘‘gentil petit’’ étranger victime de discrimination de la part d’une ‘‘méchante’’ entreprise. On va l’instrumentaliser, le figer dans cette représentation de victime. Alors que le sujet de la discrimination à l’embauche est beaucoup plus complexe, qu’il touche à de multiples domaines et des personnes dans des situations très différentes. »

La plupart des médias communautaires sont nés de ce constat-là : les sujets présentés par les médias traditionnels ne reflètent pas, ou reflètent mal, la réalité des Belges ayant d’autres racines ethniques. « Les médias communautaires – tels Bel’Afrika Media TV, VoxAfrica, Enjeux TV, Almouwatin TV, etc. -essaient donc d’avoir une autre approche dans le traitement de l’info. Mais aucun d’entre eux n’ont pour objectif de s’adresser à leur seule communauté : tous ont l’ambition de traiter des sujets qui intéressent tout le monde. C’est la manière de traiter l’info, davantage que le choix des sujets eux-mêmes, qui se veut différente. C’est une question de prisme, de regard. »

Veronica Rocha, experte, polyglotte, pétillante, positive

Native du Grand-Duché de Luxembourg et originaire des îles du Cap-Vert, cette cadette de sept enfants voue un amour inconditionnel au chant et à la danse, et se produit sur scène alors qu’elle n’est encore que haute comme trois pommes. Elle arrive à Bruxelles en 1997 pour suivre des études en journalisme et communication.
Tout juste diplômée et déjà polyglotte, elle accepte un poste dans le secteur automobile qu’elle combine avec différentes activités journalistiques comme la création d’un magazine musical (3R Magazine) en 2004, mais aussi l’animation de nombreux événements culturels. On pourra également la voir présenter le journal de l’Afrique (Télé Matonge) sur la télévision locale de Bruxelles (BX1) pendant 2 ans. En 2006, elle devient attachée de presse pour le CNCD-11.11.11, la « coupole » des ONG, avant dont elle coordonnera ensuite le département communication.
« Je ne suis pas une militante née mais le combat pour la solidarité internationale est tellement contagieux. J’avais le sentiment de me lever le matin pour un travail sensé et j’aimais l’idée de me laisser porter et enrichir par toutes ces personnes qui ont une véritable expertise des problématiques Nord-Sud. »
Mais fin 2013, après presque 15 ans d’expérience et de passion dans le secteur de la communication et des médias, Veronica se verra contrainte d’arrêter de travailler pour cause de maladie. En véritable « workaholic », elle vivra cet arrêt comme une épreuve, mais en profitera pour faire la lumière sur ses souhaits profonds.
C’est ainsi que lui vient l’envie de mettre son expérience et son « amour pour les gens » au service d’un projet d’intérêt général. Naîtra alors en octobre 2015, « la WebTV qui vous fait du bien ». Cette production entend valoriser et inspirer nos générations actuelles et futures. Cinq ans après sa création, la WebTV est suivie par une communauté active de plus de 10.000 personnes.
Aujourd’hui, Veronica est également administratrice déléguée adjointe de FedeWeb, la Fédération des WebTV francophones de Belgique, reconnues par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), et fait partie du comité fondateur de NEW6S, les acteurs de l’info constructive, un réseau de journalistes et de communicants qui mène un travail de sensibilisation au journalisme constructif.
« Ce que tu n’apprends pas par la sagesse, tu l’apprends par la douleur », aime à répéter cette femme pétillante et passionnée, qui croit à la puissance de la résilience.

(1) Portrait tiré de https://vero-tv.com/veronica-rocha/

 

« On devrait voir davantage le visage de Belges issus de la diversité sur les antennes de télévision, estime Veronica. Ce n’est manifestement pas encore entré dans les mœurs médiatiques et sociétales : voyez le tollé provoqué par la présence de Cécile Djunga, en tant que présentatrice météo, sur la RTBF, et le racisme auquel elle a été confrontée de la part des téléspectateurs en raison de la couleur de sa peau. Tout cela trouve sa cause dans l’éducation : le Belge n’est pas encore un modèle d’ouverture en matière d’accueil, d’accès au logement pour tous, à l’emploi pour tous, etc. Tant que les choses ne bougeront pas partout, de manière systémique, les médias traditionnels resteront le reflet de cette société-là.Heureusement, grâce notamment au pouvoir du digital, de nombreux acteurs se mobilisent pour faire évoluer les mentalités et cela finira forcément par rejaillir positivement. »

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