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L’engagement de Lailuma

En tant que femme et journaliste, il est impossible à Lailuma de vivre dans son pays, l’Afghanistan. Réfugiée en Belgique, elle milite inlassablement pour la cause des femmes afghanes et soutient la diaspora établie en Europe.

Lailuma milite inlassablement pour la défense des droits des femmes afghanes, et offre soutien et réseau à la diaspora afghane en Europe, via son association Nadoe. Crédit photo : Photo En-GAJE
Lailuma milite inlassablement pour la défense des droits des femmes afghanes, et offre soutien et réseau à la diaspora afghane en Europe, via son association Nadoe. Crédit photo : Photo En-GAJE

Pas facile, quand on est journaliste, d’exercer son métier en Afghanistan. Encore moins quand on est une femme. Et encore moins quand on est journaliste politique et qu’on milite en faveur de la liberté. Lailuma Sadiden sait quelque chose. Au début des années 2000, après ses études en journalisme à Kaboul, la jeune femme travaille comme journaliste dans une chaîne de télé, et elle apparaît sans voile à l’écran : cela lui vaut immédiatement des menaces de mort.(1) « Dès que je sortais dans la rue, on me regardait de travers, et cela même durant toute la période où les Talibans ne détenaient pas les leviers du pouvoir. L’émancipation des femmes ne figure pas dans les priorités des mentalités en Afghanistan, loin s’en faut. Il est profondément ancré dans les esprits que la place des femmes est à la maison, à moins qu’elles soient actives dans les soins de santé ou dans l’enseignement. Bien sûr, chez les intégristes, c’est pire encore… »

La diplomatie et l’exil en Belgique

En 2009, résignée à changer de métier, elle se lance dans la diplomatie, et vient travailler à l’ambassade afghane à Bruxelles.Accréditée auprès de l’Union européenne et de l’Otan, elle mène des entretiens sur les pourparlers de paix avec l’envoyé spécial européen pour l’Afghanistan et les députés européens. Elle couvre aussi des réunions de très haut niveau à Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg, ainsi que divers sommets de chefs d’État à Varsovie, Londres et Bruxelles. Elle est, là encore, la première femme à exercer ce type de fonction « sensible ». De quoi se faire encore plus mal voir par les Talibans, qui la considèrent comme une espionne à la solde des puissances occidentales. A son retour au pays, en 2012, la voilà donc à nouveau aux prises avec des menaces de mort.
Elle ne tarde donc pas à revenir en Belgique – à Namur d’abord, à Molenbeek (Bruxelles) ensuite -, avec ses deux enfants et son mari.

En 2020, après avoir décroché un Master en Sciences politiques à l’ULB ( !), Lailuma apprend l’existence de l’ASBL En-GAJE, et cette rencontre constitue pour elle un nouveau tournant. « Grâce à cette association, j’ai pu renouer avec mon identité de journaliste, via le média en ligne Latitudes, pour lequel je couvre la situation en Afghanistan et, plus largement, la situation des femmes dans le monde. C’est vraiment une belle plateforme pour les journalistes exilés en Belgique : elle leur redonne un peu de lumière. Elle permet aussi des rencontres avec les autres journalistes exilés en Belgique : on se parle, on se passe des infos, on se soutient, et ça fait du bien. » L’association – dont elle est depuis devenue membre du Conseil d’Administration – l’aidera également à décrocher un poste d’assistante de recherche dans la section de Journalisme de l’ULB, un rôle qu’elle assume en plus d’un job de pigiste chez Brussels Morning Newspaper, un quotidien en ligne de langue anglaise. Comme tous les journalistes exilés, son rêve le plus cher est de trouver du boulot en tant que journaliste professionnelle dans un média belge, « mais c’est très difficile, les médias sont frileux, et même avec des diplômes, de l’expérience, la connaissance de plusieurs langes, on n’arrive pas à se faire reconnaître. »

L’engagement dans le sang

« Je suis arrivée en Belgique sans rien connaître sur ce pays, sans rien connaître de mes droits, et sans amis, se souvient-elle, mais ce pays est désormais mon chez moi ». Bien sûr, l’Afghanistan – ses racines – lui manque, mais elle n’envisage pas d’y retourner. « La situation y est désormais totalement intenable pour les femmes, ainsi que pour les journalistes, quel que soit leur genre. Sortir, faire des reportages, émettre des analyses critiques : tout cela est impossible. Les médias ne bénéficient plus d’aucune aide financière ; ils sont soit en faillite, soit totalement muselés. »

Mais Lailuma a l’engagement chevillé au corps : elle a donc décidé de se mobiliser pour aider les femmes de son pays, en faveur desquelles elle organise des manifestations, des événements, des conférences, des séminaires, afin de sensibiliser la population et les autorités politiques belges. Elle aide aussi les Afghanes qui, comme elles, sont réfugiées en Belgique : « Elles ont besoin de soutien pour apprendre une des langues nationales, pour chercher du boulot, comprendre leurs droits, mettre leur dossier en ordre, etc. »

Son engagement ne se limite pas aux femmes, même si elle leur consacre la plus grande part de son énergie. C’est ainsi qu’elle a créé l’association Nadoe(Network of Afghan Diaspora Organisations in Europe), qui apporte son soutien à la diaspora afghane en Europe.A ce titre, Lailuma a été primée en 2020, au Forum international du leadership des femmes dans l’Union européenne. Et, le 21 septembre dernier, elle a été récompensée du prix international Henri Lafontaine pour l’Humanisme. Une belle reconnaissance.

(1) L’Afghanistan occupe le 152è place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par Reporters sans frontières.

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