L’exclusion par la pollution électromagnétique

Fatima Ahallouch : « Nous avons fait avancer le débat ! »

L’électrosensibilité a été discutée au Sénat lors de la session 2020-2021, dans le but d’acter politiquement la situation, mais aussi de permettre d’éventuelles initiatives pour venir en aide aux personnes. La sénatrice Fatima Ahallouch (PS) a porté le texte de reconnaissance devant l’institution parlementaire belge : rencontre.

Fatima Ahallouch, sénatrice PS
Fatima Ahallouch, sénatrice PS

Prétendre que cela aurait fait la Une de l’actualité serait mensonger, comme d’ailleurs tout ce qui concerne la pollution électromagnétique dans notre pays… De nombreux Belges n’ont jamais entendu parler de cette question de santé publique. D’autres ont vaguement entendu des commentaires malveillants évoquer ces « farfelus technophobes », ou encore des considérations au sujet de ces « pauvres hères sacrifiés sur l’autel de la modernité ». Mais certains, plutôt rares, savent qu’une « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité » a bien failli être adoptée au Sénat. Le sujet a fait l’objet de discussions officielles et a été développé en profondeur avec des auditions d’experts internationaux, le tout suivi de votes des élus (1). Hélas, après un vote positif en commission, le vote serré en plénière n’a finalement pas débouché sur l’adoption du texte.

Une lueur au bout de la nuit

Lors de notre enquête auprès des électrosensibles, nous avons pu constater l’attente impatiente – c’est un euphémisme – de voir enfin discuté au Sénat ce texte portant sur la reconnaissance de leur situation. Ces personnes ne sont pas toutes intensément passionnées par le fonctionnement de nos institutions parlementaires, non. Ni avides de suivre en direct des joutes politiques, non plus. Cette perspective leur permettait simplement de garder espoir. De maintenir la tête hors de l’eau, en s’accrochant à cette bouée de sauvetage politique lancée en leur direction. Le jour de notre rencontre, une de nos témoins posait cette question : « Faut-il vraiment passer par le Sénat pour reconnaître notre existence ? » La question est plus que légitime lorsqu’on constate les approches différentes dans d’autres États, pour lesquels l’électrosensibilité est une « maladie professionnelle » ou un « handicap fonctionnel ». Ce constat charrie également une question de simple bon sens : pour quelle raison des êtres humains s’inventeraient-ils des problèmes de santé qu’ils savent, en plus, impossibles à résoudre ?

Force est de le constater : la médecine ne s’apparente pas toujours à un « long fleuve tranquille ». Les problèmes sanitaires, outre les enjeux médicaux, sont également parfois imbriqués dans des enjeux économiques, idéologiques et… politiques. Des précédents relativement récents existent. Nous l’avons signalé dans les dossiers déjà parus : certaines personnes électrosensibles sont aujourd’hui classées parmi les personnes en burn-out ou touchées par la fatigue chronique ou la fibromyalgie par la Sécurité sociale et les mutualités belges (2). Vus longtemps comme des affabulateurs, les fibromyalgiques ont vu leur situation entérinée dans notre pays par le vote, au Parlement fédéral, d’une résolution assortie d’un plan d’action visant à faire reconnaître ce problème de santé très invalidant. Nous étions alors en 2011. Notons que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de son côté, avait reconnu la fibromyalgie depuis 1992, soit presque vingt ans plus tôt (3). Notons également que, depuis ce vote au Parlement fédéral, des « changements sont toujours attendus en matière d’enseignement, de la reconnaissance du handicap invisible et des moyens pour poursuivre les soins et la recherche en faveur des patients » (4). En outre, hélas, en Belgique comme en France, aujourd’hui encore, « les professionnels de santé sont classés en ‘‘fibro-sceptiques’’, ‘‘fibro-conscients’’ ou ‘‘fibro-bienveillants’’ par les associations de patients » (5).

Cette chronologie n’est pas de nature à rassurer les électrosensibles de Belgique, car un vote positif en mai 2021 sur la situation des électrosensibles aurait peut-être sonné le début d’un parcours – qui promettait d’être long – vers des recherches de solutions. Par ailleurs, la fibromyalgie, elle, ne pointait nullement les responsabilités d’une industrie aux bénéfices colossaux, une situation spécifique impliquant des freins puissants à toute reconnaissance. Un vote positif aurait cependant été la condition sine qua non pour ouvrir une brèche dans une situation bloquée, marquée d’un funeste déni envers les électrosensibles.

Un texte porteur d’espoir

Le texte de la résolution soumis au vote des sénateurs commence par une série de « Développements », résumant la situation et les connaissances au niveau des rayonnements électromagnétiques. Tous les éléments sont bien entendu référencés, nous renvoyons donc les lecteurs vers les documents sénatoriaux. Soulignons cependant le début du document : « Dès les années 50, certains pays de l’Europe de l’Est observèrent de nombreux troubles de santé tels que des maux de tête ou des insomnies parmi le personnel militaire affecté à l’utilisation, l’inspection ou la réparation d’équipements émetteurs de micro-ondes, à l’époque principalement des radars. L’ensemble des symptômes fut regroupé et désigné sous l’appellation de syndrome des micro-ondes ou syndrome asthénique. Le syndrome fut étudié par les scientifiques locaux et fit l’objet de nombreuses publications. L’existence d’effets sanitaires ne résultant pas de l’échauffement des tissus resta dans ces pays un sujet d’étude durant les années 60 et 70. » Différentes étapes et moments-clefs du problème sanitaire des électrosensibles, en Belgique, en Europe et dans le monde, sont ensuite résumés, ainsi que l’état des débats scientifiques.

S’ensuit l’énumération des motivations à porter ce texte au vote, dont des appels de scientifiques tel celui-ci : « (…) Vu l’appel international ‘‘EMF International Appeal’’ signé en mai 2015 par deux cents scientifiques pour demander une protection efficace des humains, de la faune et de la flore contre les expositions à des champs électromagnétiques d’ondes non-ionisantes » ou encore « Considérant qu’un nombre croissant d’études et d’appels médicaux insistent sur la nécessaire prudence à adopter vis-à-vis des champs électromagnétiques accusés d’être responsables d’effets sanitaires non thermiques dont, entre autres, l’électrosensibilité.» (Au niveau belge, lire l’encadré)

Le texte énumère ensuite les articles portés au vote. La résolution demande au gouvernement, en collaboration avec les entités fédérées :

1) de reconnaître officiellement l’existence de l’électrohypersensibilité et de porter une attention toute particulière aux personnes qui en souffrent et à leurs besoins ; 2) de développer et encourager des recherches indépendantes visant à dégager un diagnostic objectif de l’électrohypersensibilité et à définir son impact sur le plan sanitaire en Belgique ; 3) de sensibiliser les professionnels de santé et les gestionnaires d’établissements publics (hôpitaux, écoles, etc.) à l’existence de l’électrohypersensibilité et de les encourager à prendre les mesures nécessaires afin d’accueillir dans les meilleures conditions les personnes qui s’en plaignent ; 4) d’envisager un certain nombre d’adaptations en milieu urbain et l’existence dans les lieux publics des zones exemptes de réseaux sans fil afin de protéger les personnes électrohypersensibles et leur donner accès aux services sociaux, publics, de santé et d’éducation ; 5) d’encourager la construction de logements adaptés, équipés de protections contre les ondes électromagnétiques, permettant aux personnes électrohypersensibles de continuer à habiter, vivre et travailler dans des localités pourvues de nombreux réseaux numériques mobiles, wifi, etc. ; 6) de prendre en compte l’existence d’une intolérance à l’énergie électromagnétique chez une partie de la population lors de l’élaboration de politiques gouvernementales qui ont une incidence directe ou indirecte sur les niveaux d’exposition de la population aux rayonnements électromagnétiques de hautes fréquences ; 7) d’accorder une attention particulière aux besoins spécifiques exprimés par les personnes souffrant d’électrohypersensibilité et 8) d’encourager le développement d’alternatives nouvelles dans les lieux publics, susceptibles de toucher les personnes les plus fragilisées par les rayonnements électromagnétiques de hautes fréquences (on pense notamment aux crèches) ».

Le 18 juillet 2019, André Frédéric, Fatima Ahallouch, Philippe Courard, Jean-Frédéric Eerdekens, Nadia El Yousfi, Latifa Gahouchi, Julien Uyttendaele.

Le texte proposé au vote était résumé en huit points : un vote positif aurait représenté une avancée significative dans la reconnaissance des souffrances des personnes électrosensibles.
Le texte proposé au vote était résumé en huit points : un vote positif aurait représenté une avancée significative dans la reconnaissance des souffrances des personnes électrosensibles.

Après la déception, la lutte doit se poursuivre

Dans notre état des lieux sur « L’exclusion par la pollution électromagnétique », nous annoncions être à la recherche de responsables politiques désireux d’agir, de casser l’inertie et de briser le tabou. Puisqu’une parlementaire courageuse a décidé de prendre les choses en main, il nous semble logique, pour rester fidèle à notre objectif, de lui donner la parole. Au cours de notre rencontre au Parlement, Fatima Ahallouch (PS) est revenue sur les différentes étapes du processus et l’ambiance de travail qui y régnait. Elle a également confié sa grande déception face au vote final négatif. Mais elle a aussi insisté, plus positivement, sur l’avancée relative qu’ont permis ces débats. Personne, en effet, ne peut prétendre que rien ne s’est passé sur le sujet cette année-là au Parlement belge. Mais pour que ce texte, rejeté, puisse déboucher sur des avancées concrètes, il faudrait de la cohérence de la part de ceux qui avaient voté en faveur de la reconnaissance en mai 2021. C’est ce que nous attendons d’eux : de la cohérence, et des initiatives de leurs partis respectifs face aux développements technologiques futurs.

Pour les électrosensibles de Belgique, le 21 mai 2021 représente un vendredi noir. La bouée de sauvetage s’est éloignée ; elle flotte désormais au large…. Les témoins de notre enquête – et toutes les personnes électrosensibles – continuent à agiter les bras dans le vide, ils crient au secours. Dans les flots, ils croisent de nouveaux compagnons de noyade, attirés comme eux vers les fonds marins…
Cependant, après ce vote négatif, les électrosensibles réaffirment plus que jamais la nécessité de se battre à tous les niveaux – médical, social, politique et journalistique – pour faire avancer la reconnaissance des effets, sur leur vie, de la pollution électromagnétique. Une motivation renforcée par ce commentaire de Fatima Ahallouch, lancé à ses collègues en introduction de la séance plénière du 21 mai 2021 : « Bien sûr le sujet est controversé, la communauté scientifique est divisée mais le simple fait qu’une partie très importante de celle-ci lance des avertissements ne devrait-il pas suffire pour que l’on adopte une attitude prudente ? Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’industrie qu’une telle situation se produit et l’Agence européenne de l’environnement s’est elle-même interrogée pour savoir s’il avait déjà existé une situation où des médecins et scientifiques avaient averti d’un danger pendant des années sans qu’il n’y ait un danger… Hé bien on n’a trouvé aucune situation qui correspondait à cela » (6). Aucun parallèle possible dans l’Histoire, étrange : comment s’attaquer, dès lors, à cette pollution environnementale ?

La polémique, jusque dans les travées parlementaires

La problématique de la reconnaissance de l’électrosensibilité constitue l’exemple type du « manque de consensus scientifique ». Impossible de détailler les discussions scientifiques entre personnes auditionnées ; leur teneur a cependant ressemblé à celles qui agitent la société belge dans son ensemble. Certains appelant à la prise en compte des personnes électrosensibles, d’autres poussant à l’attentisme, faute de « preuve irréfutable ». En Belgique cette dynamique a pour conséquence l’inertie totale des autorités sociales et sanitaires. Une polémique spécifique est apparue dans l’enceinte parlementaire, provoquée par le neurochirurgien belge Jacques Brotchi, attaquant et discréditant les prises de position du cancérologue français Dominique Belpomme, partisan d’une reconnaissance de l’électrosensibilité par le Sénat.

Un appel à la responsabilité
Le 27 novembre 2020 le Pr. Belpomme attirait l’attention sur un élément qui nous intéresse particulièrement ici : « Il est impératif que les femmes et hommes politiques prennent leurs responsabilités, vu qu’il s’agit d’une pathologie émergente à extension pandémique, que les malades qui en sont atteints subissent une très grande souffrance physique et mentale, et qu’il faut prévenir et traiter cette nouvelle affection au niveau mondial. La prévention devrait, dans la mesure du possible, reposer sur un sevrage électromagnétique maximal. Or, nous sommes les témoins d’une course effrénée au développement des technologies sans fil et ce, sans tenir compte des problèmes de santé occasionnés par cette technologie et sans mettre en place des mesures préventives de santé publique. Cette attitude est hautement critiquable et constitue une entorse au principe de précaution » (1).

Attaques en-dessous de la ceinture
Le 4 février 2021, soit un peu plus de deux mois plus tard, en l’absence de l’intéressé, le neurochirurgien belge Jacques Brotchi a exposé que « ce sont les patients eux-mêmes qui attribuent leurs plaintes à la présence d’antennes GSM ou wifi. Cela pose un problème sur le plan scientifique dans la mesure où l’on ne dispose pas d’éléments qui permettent d’établir un rapport de cause à effet. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas prendre les plaintes en considération. Il faut tout faire pour aider ceux qui souffrent de ce problème » (2). Au cours de son parcours professionnel, l’orateur, dit-il, n’a pas eu à rapporter « le moindre lien entre l’utilisation du GSM et l’apparition d’une tumeur cérébrale. Cependant, il est toujours possible que l’on découvre, dans vingt, trente ou quarante ans, chez les enfants nés au début des années 2000 et qui ont utilisé à outrance le GSM, des conséquences qui auront mis trente, quarante ou cinquante ans à apparaître ». En guise de conclusion, « M. Brotchi insiste sur l’application du principe de précaution, surtout chez les jeunes (plus particulièrement chez les moins de quinze ans) dont le cerveau n’est pas encore arrivé à maturité. Il faut les encourager à ne pas abuser du GSM et à l’utiliser de façon rationnelle » (3).
Jusque-là, on peut le suivre, malgré l’absence de correspondance des propos avec la réalité observable au quotidien. Mais, ensuite, il va tenter de discréditer Dominique Belpomme, en le traitant de « menteur » et en déclarant que « le professeur Belpomme a fait l’objet de plaintes auprès du Conseil de l’Ordre des médecins français et a encouru des sanctions à la suite de son attitude concernant l’électrohypersensibilité » (4).

De quoi s’agit-il, en réalité ? Le cancérologue français a réagi et envoyé un droit de réponse qui, après un vote des sénateurs, a dû être intégré au rapport final des débats. En réalité, les « problèmes » avec l’Ordre des médecins émanent d’une démarche des industriels. « Le Conseil national de l’Ordre des médecins en France a été saisi par la société Enedis, chargée de la pose des compteurs Linky au motif que certains certificats que j’avais rédigés contre indiquaient la pose de tels compteurs chez des malades électrohypersensibles. Or il s’avère en fait que, selon la législation française, la pose de tels compteurs n’est pas obligatoire (…) Ces arguments et d’autres expliquent que la sanction retenue par le Conseil de l’Ordre à mon égard n’ait été qu’un simple avertissement. » (5). Considérant avoir fait son devoir de médecin au nom du Serment d’Hippocrate, un recours est déposé. Signalons en outre que le ministère français de la santé autorise explicitement l’établissement de tels certificats, en ces termes : « Des patients indiquant être hypersensibles aux champs électromagnétiques sollicitent occasionnellement des certificats médicaux attestant de leur hypersensibilité. En référence à la circulaire DSS/MCGR/DGS n°2011-331 du 27 septembre 2011 relative à la rationalisation des certificats médicaux, les médecins seront à même d’apprécier au cas par cas l’opportunité de rédiger un certificat médical et de décider du contenu approprié » (6).

Brotchi : entre militantisme et ignorance
Militantisme anti-électrosensibles de la part de Monsieur Brotchi ? Ignorance ? Un peu des deux ? Dans tous les cas, cet épisode est emblématique de l’état du débat scientifique sur l’électrosensibilité et, plus largement, sur la dangerosité ou l’innocuité des rayonnements électromagnétiques. Voilà à quelles mésaventures lamentables on est confronté lorsque, comme le Professeur Belpomme, on tient compte de la réalité vécue par les électrosensibles. Notons que, concernant Dominique Belpomme, le rapport des auditions signale que « force est de constater qu’en Europe, très peu d’équipes travaillent sur ce sujet. Depuis 2009, l’orateur et son équipe constituent une base de données qui contient déjà plus de trois mille personnes atteintes d’EHS (NDLR : Électrohypersensibles) Il s’agit du plus grand recensement à l’échelle mondiale, ce qui explique que l’orateur soit internationalement connu dans ce domaine » (7). Monsieur Brotchi, lui, déclare n’avoir jamais rencontré de personnes électrosensibles… Il exerce par ailleurs depuis 2004 différents mandats au nom du Mouvement Réformateur (MR), un parti qui votera finalement contre la résolution.

(1) Exposé du professeur Dominique Belpomme, président de l’ARTAC (Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse) à Paris et directeur exécutif de l’ECERI (European Cancer and Environment Research Institute), Audition du 27 novembre 2020, « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité. Auditions, Sénat de Belgique, Document 7-88/5, Session 2020-2021, 17 mai 2021, p.69

(2) « Exposé introductif du professeur Jacques Brotchi, neurochirurgien », Audition du 4 février 2021, idem, p.79.

(3) Idem p.83.

(4) Idem p.80

(5) Droit de réponse en annexe, « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité. Auditions, Sénat de Belgique, Document 7-88/5, Session 2020-2021, 17 mai 2021, à partir de la page 111.

(6) Point « C.3 Certificats médicaux » de la « Note d’information DGS/EA1 n° 014-171 relative à la gestion des risques liés aux radiofréquences », Date d’application : immédiate, Ministère des Affaires sociales et de la Santé (France), 26 mai 2014.

(7) Idem note 1, pp. 68-69.

Ensemble ! Quelles étaient vos motivations à porter le sujet de l’électrosensibilité devant l’institution parlementaire ?

Fatima Ahallouch :  À titre personnel, je suis très interpellée par les questions de santé publique de manière générale mais aussi, plus particulièrement, par le flou persistant qui entoure certaines pathologies, notamment les douleurs chroniques. Des souffrances physiques telle la fibromyalgie n’existaient pas officiellement, il y a peu, et restent encore abordées dans une sorte de « fourre-tout ». Maintenant que la reconnaissance de la fibromyalgie est avancée, dès qu’on ne sait pas où placer certaines affections, on les range dans le « fourre-tout fibromyalgie ». C’est très interpellant. C’est surtout très problématique pour les personnes en souffrance, qui restent sans aucune réponse à leur situation. Plus pragmatiquement : ce dossier était resté en suspens durant la législature précédente ; en partant de ces préoccupations personnelles, j’ai donc décidé de défendre ce texte avec la plus grande motivation. Il faut savoir qu’il était au départ porté par Philippe Mahoux, docteur en médecine, un élément indiquant indéniablement la consistance du dossier.

Pour être honnête, ça n’a pas toujours été simple : le premier défi a parfois été d’être prise au sérieux… Même en tant que parlementaire, il m’est arrivé d’être stigmatisée publiquement, par des propos dénigrants. Le sujet n’est pas neuf et beaucoup d’éléments se sont accumulés avec le temps, de sorte qu’un « flou » est maintenu au sujet de l’électrosensibilité. J’ai assez vite constaté que beaucoup s’en lavent les mains, sur le mode « Il y a tellement d’informations contradictoires sur ce sujet ! » Oui, et alors ? Une fois ces mots prononcés, en fait, qu’a-t-on dit ? Rien. Au début de mon travail, certains maintenaient les électrosensibles dans une caricature de « fous furieux », qui ennuient le monde, sont contre le progrès technologique, et vivent comme des ermites au milieu des forêts… En bout de course, lors des auditions au Sénat, les avis étaient unanimes sur la réalité des plaintes de ces personnes. Nous pensons donc qu’un chemin utile a tout de même pu se dessiner dans tout ce processus dont l’issue, hélas, s’est avérée négative lors du vote en séance plénière.

Quelles ont été les principales étapes du processus ?

Les discussions ont pris place dans la Commission des Matières transversales (7). Le problème à traiter y est exposé et détaillé le plus précisément possible, notamment à l’aide de différentes auditions de personnages-clefs. Chaque groupe politique peut proposer les personnes qu’il souhaite entendre, ensuite un programme d’auditions est établi sur la base du consensus. Personne n’a été refusé. Un premier vote est intervenu en Commission, sur le texte proposé à l’adoption (lire ici), ensuite on est passé au vote en séance plénière.

Il est bien entendu impossible de tout évoquer ici (8), mais nous avons entendu différents acteurs scientifiques, ainsi bien sûr que les représentants associatifs de personnes électrosensibles. Un scientifique suédois, notamment, nous a éclairé sur la situation spécifique dans son pays (lire ici). Nous avons également entendu le professeur Belpomme, très impliqué en France dans la recherche de solutions pour les électrosensibles. Celui-ci a d’ailleurs subi des attaques en règle de la part du neuro-chirurgien belge Jacques Brotchi, qui l’a littéralement vilipendé. Cet incident m’a mise très mal à l’aise, car cela s’est déroulé en son absence, lors de la séance d’audition suivante, sans qu’il puisse se défendre… (lire ici) Je ne suis pas médecin, évidemment, et certains éléments techniques m’échappent, mais le professeur Belpomme a rencontré des milliers d’électrosensibles. J’ai posé cette question à son attaquant : « Combien d’électrohypersensibles avez-vous rencontrés ? » Réponse : zéro. Donc, en fait, à quel titre Jacques Brotchi était-il auditionné dans cette affaire ? Finalement, le professeur Belpomme a eu le droit de répondre à ces attaques, et sa réponse a été intégrée aux rapports d’auditions.

Aborder dans une enceinte parlementaire des débats animés entre scientifiques n’est pas simple, et le temps n’est pas extensible à l’infini. L’un va dire « Il n’y a aucun marqueur biologique pour l’électrosensibilité », un autre « Il y a suffisamment d’études qui démontrent les effets biologiques des rayonnements pour qu’on agisse autrement ». C’est donc très complexe, mais je tiens cependant à préciser que les échanges en commission ont globalement toujours été constructifs. Notre but n’était évidemment pas de déployer là les polémiques en vigueur sur ce sujet. Que ces débats scientifiques aient lieu, nous sommes pour, et nous comptions les promotionner, mais notre texte ne portait pas du tout sur ce sujet. Notre objectif, décrit dans notre texte, visait une prise en considération de la souffrance des personnes électrohypersensibles, pour ouvrir la porte à une prise en charge.

L’électrosensibilité reconnue comme handicap en Suède

Dans son introduction, le texte sénatorial élargit le débat belgo-belge en présentant des situations existant dans d’autres États européens. Il y a plus de vingt ans, en décembre 2000, « L’intolérance électromagnétique intégra la liste des maladies professionnelles des pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège, Suède) et fut classée sous la rubrique R68.8. Dès 2002, la Suède reconnut l’électrosensibilité comme handicap fonctionnel. À ce titre, les personnes souffrant de ce syndrome sont protégées par la résolution 48/96 du 20 décembre 1993 des Nations unies concernant l’égalisation des chances des handicapés et bénéficient des aides prévues par le plan national d’action en faveur des personnes handicapées » (1). Face à cette information, le vote négatif au Sénat le 21 mai 2021 est incompréhensible. Quelles différences entre les situations en Belgique et en Suède, deux États membres d’une Union dont on vante en général la nécessaire harmonisation des politiques ?

Un mal invisible mais pas pour autant inexistant
Olle Johansson, professeur associé (à la retraite) du département des Neurosciences de l’Institut Karolinska à Stockholm, est venu éclairer les sénateurs lors des auditions (2). Les autorités de son pays ont choisi de suivre à la lettre les règles générales de 1993 des Nations unies et, depuis 2007, la convention mise à jour relative aux droits des personnes souffrant d’un handicap fonctionnel. Considérant que l’électrosensibilité provoque des incapacités, mais est une affection invisible à l’œil nu, les autorités font confiance au récit des personnes électrosensibles. La Belgique est membre des Nations unies et, selon le Professeur Johansson, la position susmentionnée doit s’appliquer automatiquement : « Les Nations unies ont pour objectif de traiter tout le monde de manière égale, non comme une faveur, mais parce que la discrimination est interdite en vertu du droit international. Malheureusement, certains médecins et fonctionnaires ont tendance à oublier le fait qu’un handicap ne doit pas être défini ou reconnu par un tiers ou prouvé par certains tests. Ces reconnaissances sont toujours privées et personnelles étant donné que le handicap est toujours privé et personnel, et se manifeste lorsque la personne est en contact avec un environnement inaccessible. »

Au nom de l’égalité
Les personnes souffrant d’un handicap fonctionnel causé par l’électrohypersensibilité ont le droit de vivre dans une société fondée sur l’égalité ; « En Suède, tous les handicaps sont pris en considération du point de vue de l’environnement. Aucun humain n’est handicapé en soi, ce sont des problèmes environnementaux qui engendrent le handicap. » Ces propos font écho à ceux de Véronique Ghesquière, cheffe du service « Handicap/Convention ONU » chez Unia, organisme officiel lié au gouvernement belge, exposant que les vécus décrits dans notre étude cadrent parfaitement avec la définition du handicap fixée par la Convention des Nations unies (3). Si l’on résume : en Belgique on commence à écouter les électrosensibles, notamment au sein d’Unia, mais cela n’entraîne aucune piste de solution, aucune attention de la part des autorités. On vous a écoutés, au revoir. En Suède, les personnes souffrant d’électrohypersensibilité sont organisées en association subventionnée annuellement par le gouvernement et membre de la Fédération suédoise du handicap. En conséquence, les mesures d’accessibilité impliquent « que chaque personne se présente et demande à sa commune ce dont elle a besoin, par exemple une voiture électrosaine, des maisons ou des lieux de travail électrosains, etc. Certains hôpitaux sont équipés d’unités électrosaines. (…) » Des mesures qui seraient grandement salutaires pour les personnes auditionnées au Sénat, et pour toutes celles qui se sont exprimées dans notre enquête.

Une reconnaissance qui réduit les coûts pour la société
Selon Olle Johansson, « obliger une personne à démissionner ou à déménager constitue une grave violation de la loi. (…) L’absence de preuves scientifiques ne peut jamais être retenue à l’encontre de personnes souffrant d’un handicap fonctionnel, conformément à la législation et à la réglementation internationales relatives au handicap. »Concernant les coûts de l’attentisme actuel, il signale que « la reconnaissance officielle en Suède, en 2000, a mis un terme aux discussions sur le sujet et les personnalités politiques et fonctionnaires suédois ont ensuite pu se pencher sur d’autres questions importantes. Déjà dans les années 1980, il a été démontré qu’une telle reconnaissance officielle de tout handicap entraînait une réduction par dix des coûts de la société pour ce groupe particulier de personnes. Après tout, l’audition d’aujourd’hui coûte beaucoup d’argent aux contribuables, de l’argent qui pourrait à la place être investi dans des mesures d’accessibilité immédiate pour les familles touchées par l’électrohypersensibilité. ».
Aujourd’hui, en Belgique, faute de prise en considération et de véritable investigation, personne n’est en mesure de chiffrer le coût de la pollution électromagnétique et de ses effets pour notre société.

(1) « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité », Déposée par M. André Frédéric et consorts, Document 7-88/1, Sénat de Belgique, 8 octobre 2023, page 5.

(2) Audition du professeur Olle Johansson, le 8 mars 2021. Les citations sont extraites de cette audition. « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité. Auditions, Sénat de Belgique, Document 7-88/5, Session 2020-2021, 17 mai 2021, pages 102 à 110.

(3) Lire l’interview de Véronique Ghesquière dans notre précédent numéro, « Faire obstacle à la pleine et effective participation à la société provoque des inégalités »

Après les auditions, le texte a donc été soumis à l’approbation des élus…

La séance du vote a commencé par une discussion autour de différents amendements déposés par le CD&V. Nous ne nous attendions pas vraiment à ces amendements, du moins pas à ce point, car les débats semblaient évoluer dans le bon sens… Au début, nous nous sommes demandé s’il fallait négocier leur contenu, mais assez vite nous avons compris que les accepter revenait à vider le texte de sa substance, car ils plaçaient du conditionnel partout. Par exemple au point 7 de la résolution, au lieu de « Accorder une attention particulière aux besoins spécifiques exprimés par les personnes souffrant d’électrohypersensibilité », un amendement voulait remplacer le mot « souffrant »par « qui estiment souffrir ». Le premier point de la résolution, la demande « de reconnaître officiellement l’existence de l’électrohypersensibilité et de porter une attention toute particulière aux personnes qui en souffrent et à leurs besoins » était purement supprimé ! La justification en était qu’« Il est souhaitable d’approfondir la recherche scientifique sur l’électrohypersensibilité. Il n’existe encore aucune preuve scientifique convaincante de l’existence d’un lien de causalité entre le rayonnement électromagnétique et les problèmes de santé de ces personnes. Cela n’exclut évidemment pas l’existence d’un lien » (9). On tournait donc en rond : si on avait accepté tous ces amendements, on revenait au point de départ. Nous avons dès lors décider de garder notre position, et de maintenir le vote sur le texte d’origine, portant sur une reconnaissance de la situation des électrosensibles.

Le jour du vote, certains représentants des partis flamands n’étaient pas présents, et grâce aux votes des membres du PTB, de Vooruit, du PS et d’Ecolo-Groen, tous les amendements ont été rejetés. Les représentants du MR ont voté contre certains d’entre eux, mais se sont abstenus sur l’ensemble, en prévenant qu’ils maintiendraient cette position en séance plénière. Le rapport de force, à ce moment-là en commission, a été à notre avantage, ça s’est joué à huit contre six. Nous étions contents, il faut bien le dire ! Et c’est donc le texte de base qui a ultérieurement été soumis à un vote en plénière, dont l’issue a, hélas, été différente.

Appels à la prudence des professionnels de la santé : balayés !

Le 21 mai 2021, les sénateurs belges ont, à une majorité serrée, rejeté la « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité ». À cette occasion, ils ont également choisi d’ignorer les nombreux appels à la prudence et alertes lancés par des scientifiques et des professionnels de la santé. En Belgique, plus de mille médecins et acteurs professionnels du secteur para-médical ont lancé il y a quelques années l’Hippocrates Electrosmog Appeal. Il s’agit pour eux d’alerter les autorités belges sur l’avancement inquiétant du problème de santé publique causé par les nouvelles technologies. « Face au déploiement massif et inconsidéré des technologies sans fil, nous, professionnels de la santé, demandons au gouvernement de faire appliquer le principe de précaution afin de protéger la population et plus particulièrement les groupes les plus vulnérables dont font partie, notamment, les femmes enceintes et les enfants. »

Une innocuité jamais démontrée
Après avoir cité la multiplicité des engins sans fil commercialisés en masse, ils déclarent, avec bon sens : « Pourtant, l’innocuité de cette exposition omniprésente et prolongée n’a jamais été démontrée. Au contraire, les preuves de sa nocivité s’accumulent. (…) Le déploiement généralisé des technologies sans fil comporte des risques sanitaires connus depuis plusieurs décennies. Des milliers d’études (études sur des cellules, des animaux, études épidémiologiques) confirment l’existence d’effets biologiques non thermiques induits par l’exposition à des rayonnements électromagnétiques Radio Fréquence/Micro-ondes émis par les technologies sans fil. Pour les enfants, les risques peuvent être accrus en raison des effets cumulatifs d’une exposition prolongée. Leurs cerveaux, organes et tissus en développement et immatures peuvent être plus sensibles à l’exposition. (…) Nous rencontrons aussi de plus en plus de personnes souffrant de troubles physiques potentiellement liés à l’exposition aux rayonnements électromagnétiques. »

Au 30 avril 2023, la liste des signataires mise à jour contenait 539 médecins belges et 596 membres du personnel paramédical. Une question s’impose, absolument fondamentale : la parole de ces 1.135 personnes ne compte-t-elle donc pas, pour les partis politiques qui ont rejeté la résolution ? Un ministre de la Santé ne devrait-il se précipiter pour les auditionner, ces médecins ? Il n’en est rien. Frank Vandenbroucke, ministre fédéral de la Santé, appartient pourtant au parti Vooruit qui s’est prononcé en faveur de la reconnaissance de l’électrosensibilité. Mais, lors de notre enquête, les services du SPF Santé publique nous ont orienté vers des universités, en déclarant ingénument : « Nous n’avons pas d’expert au sein du SPF pouvant répondre à vos questions » ! (1)

Une vidéo de l’une des médecins initiatrices de cet appel est disponible en ligne, il reprend son exposé tenu lors d’un atelier au Parlement européen sur l’état des connaissances scientifiques au sujet de l’électrosensibilité. Voir la vidéo : « Présentation du Dr Magali Koelman à l’atelier ‘‘EHS : l’état de la Science’’ » (2).

Pour lire l’intégralité de l’appel des professionnels de la santé :
www.hippocrates-electrosmog-appeal.be

(1) Courrier électronique reçu du SPF Santé publique le 10 février 2023.

(2) Exposé lors du séminaire organisé par l’eurodéputée Michèle Rivasi, « Electro-Hyper-Sensitivity : The State of Science », 13 avril 2023.
https://www.youtube.com/watch?v=j0fHVEndxZk

Pourquoi ce retournement de situation ?

Le MR, qui avait annoncé s’abstenir, a fait volte-face, et a finalement décidé de voter contre. Sur les 53 sénateurs qui ont pris part au vote, 29 ont voté contre le texte – Vlaams Belang, N-VA, CD&V, OPEN-VLD et MR – et 24 ont voté pour – les représentants du PS, d’Ecolo-Groen, de Vooruit, du PTB et du CDH (devenu, depuis, Les Engagés). Pour justifier ce rejet du texte, ses opposants nous ont reproché de ne pas avoir accepté les amendements, qui auraient soi-disant pu déboucher sur un compromis. Mais nous aurions obtenu quoi ? Dans votre travail sur « L’exclusion par la pollution électromagnétique », toute la seconde partie concerne la situation des électrosensibles dans leur vie professionnelle et sur leur lieu de travail. Sans cette reconnaissance du point 1, l’arbitraire régnant actuellement serait resté d’actualité. Les associations d’électrosensibles nous ont confirmé qu’accepter un texte vidé de sa substance n’aurait eu aucun sens.

Un élément fondamental selon nous : parmi les experts auditionnés, de même que pour les parlementaires, aucun n’est revenu sur la réalité du vécu des personnes en souffrance, absolument personne n’a remis ça en question. La situation actuelle est en effet la suivante : de nombreuses personnes, qui ne se sont jamais vues, évoquent un peu partout un vécu identique… Le réflexe de rejet, selon nous, vient d’un unique point très dérangeant dans le discours des personnes électrosensibles : la cause qu’ils attribuent à leurs souffrances. La crainte existe qu’une reconnaissance de leur réalité agisse comme un frein au développement technologique. Nous ne l’avons pas encore évoqué, mais les auditions au Sénat et ce processus de reconnaissance, se sont déroulés parallèlement à l’installation de la 5G : ce fait a représenté un obstacle certain. Nous observions un antagonisme exacerbé, comme s’il fallait « choisir son camp ». Soit l’avenir technologique, soit la protection des personnes. Nous avons parfois entendu que nous devrions « nous calmer »… La 5G devait être installée. Sans cette correspondance des agendas, nous aurions peut-être pu agir plus facilement.

Un vote positif aurait permis quelles initiatives, selon vous ?

Premièrement – et cet élément est hyper-important -, ces personnes se seraient senties entendues et reconnues, alors qu’elles mènent un parcours du combattant depuis des années. Deuxièmement, nous aurions pu mener des campagnes d’information vers la première ligne, c’est-à-dire les instances médicales et de Sécurité sociale, pour tenter de supprimer l’arbitraire. L’errance médicale à laquelle sont réduites les personnes électrohypersensibles, et les nombreuses démarches personnelles auxquelles elles doivent se soumettre, sans certitude de leur issue… C’est absolument terrible à vivre, et désespérant. Troisièmement, nous aurions voulu favoriser des aménagements raisonnables en leur faveur. La Suède n’a pas davantage de données que nous, et pourtant l’électrohypersensibilité y est reconnue comme handicap fonctionnel. En conséquence de quoi les personnes sont accompagnées et entendues dans leurs difficultés. Cela fait plus de vingt ans, et ce pays ne s’est pas écroulé… Le principe, là-bas, est de considérer qu’on ne peut empêcher quelqu’un d’avoir accès à ses droits fondamentaux, parmi lesquels nous trouvons l’éducation, le logement, l’emploi… En fait, dans cette situation, le socle de tout est l’accès aux droits fondamentaux. Aujourd’hui, pour les membres des associations auditionnées au Sénat, ces droits sont bafoués.

Enfin, quatrièmement, nous aurions voulu encourager la recherche sur ces questions, et surtout favoriser un accès large à l’information scientifique. Nous voulions débloquer la situation avec un texte officiel. Aujourd’hui, on déclare l’absence de « consensus scientifique », et on arrête la discussion (10). Nous voulions tenter officiellement d’opérer un tri dans les études, car la littérature scientifique dit tout et son contraire, il y a des divisions… Nous désirions investiguer, étudier lesquelles sont dignes de confiance, lesquelles sont financées par qui, etc. Et établir un tableau des connaissances réelles sur les effets biologiques des rayonnements. Il est primordial pour notre société d’avancer, et d’avancer en toute transparence. En l’état, le flou reste maintenu.

Cela dit, il ne faudrait au fond même plus y prêter attention, à ce flou et à ces oppositions scientifiques, puisque tout le monde est d’accord sur les souffrances des électrosensibles… Que fait-on ? Faut-il attendre les études scientifiques, dans des processus parfois très longs, pour venir en aide à ces personnes et les prendre en considération ? Parfois, établir des parallèles peut être parlant. Prenons l’autisme. De nombreuses pistes existent pour expliquer les différentes formes d’autisme, et le monde scientifique est partagé. Si on n’arrive jamais à démontrer les éléments en jeu, on va faire quoi ? Ne jamais établir de prise en charge de l’autisme ? Le problème de l’électrosensibilité est que ça ne se « voit » pas, mais c’est une évidence : les gens n’aiment pas se trouver dans cette situation. Ça les plonge dans une galère folle de constater qu’ils sont électrosensibles, ça coupe de beaucoup de monde, d’un tas d’activités, ce n’est pas une volonté et ce n’est franchement pas confortable comme diagnostic. Il faut parfois rappeler des évidences : c’est difficile de devoir se battre pour être diagnostiqué malade, alors que la volonté n’est au fond pas celle-là, puisque les électrosensibles aspirent en fait à un environnement vivable.

Quel était votre état d’esprit à la fin du processus ?

Une grande déception, bien sûr, mais quand même le sentiment qu’un chemin avait été parcouru. Nous avions réussi à mettre le sujet à l’agenda politique. Ça ne règle évidemment rien sur le terrain, et la situation actuelle est toujours aussi inacceptable puisqu’elle crée de l’arbitraire. Cet élément nous pose vraiment problème: c’est l’arbitraire qui caractérise la prise en charge de cette problématique, ainsi que vous l’avez montré avec les médecins généralistes ou les médecins conseils de mutuelles. Certaines personnes reçoivent une oreille attentive, et d’autres pas. En outre, chez les personnes électrosensibles, les inégalités règnent en maître. Entre, par exemple, les personnes qui ont les moyens de s’isoler ou d’aller vivre loin de toute pollution électromagnétique, et celles qui n’ont pas le choix. Clairement, ce processus crée et accentue les inégalités.

Dans une perspective de plus long terme, mon travail a cependant permis une grande évolution du discours, même parmi celles et ceux qui ont voté contre la résolution. Tout au long du processus, j’ai constaté une évolution certaine. Personne, par exemple, n’y est allé frontalement contre les représentants des électrosensibles. L’occasion de le faire était pourtant rêvée, pour ceux qui nient cette pathologie. Rappelons que nous partions d’un point où l’on stigmatisait les électrohypersensibles comme  des « fous furieux ayant besoin d’un suivi psychologique ». Or, dans l’enceinte parlementaire, tous les gens auditionnés ont été écoutés dans le calme, et plus personne ne nie la réalité des électrosensibles. Honnêtement, nous avons fait un pas en avant en termes de reconnaissance du public électrosensible. Bien entendu, le rejet du texte est scandaleux pour les personnes en souffrance, et la déception est énorme, mais on a tout de même eu cet effet-là. Avec un vote 24-29, personne ne peut prétendre qu’il ne s’est rien passé. Tous les intervenants, absolument tous, ont évoqué la réalité des plaintes et la nécessité d’accompagner ces personnes. C’est d’ailleurs inscrit dans le rapport fait au nom de la Commission « Ces auditions auront permis de dégager l’existence d’un fil rouge incontestable : celui de la reconnaissance des plaintes des patients. Cet élément est essentiel en termes de santé publique et de respect du droit des patients. » (11). Voilà au moins un acquis, noté noir sur blanc dans le rapport.

Comment rebondir à présent ?

Nous travaillons à un texte sur la « santé mobile », pour intervenir au sein de l’évolution des soins de santé et de leur numérisation, en tenant compte de la spécificité des électrosensibles. Nous voulons voir reconnaître leurs particularités par toutes les mesures publiques qui pourraient les concerner. L’idée est de développer, à différents niveaux, le regard particulier dont ces personnes ont besoin, et à les inscrire dans les mesures de santé. Plus largement, l’idée est de réfléchir à comment inscrire des mesures à l’agenda politique, et éviter que ces personnes soient renvoyées dans l’ombre dans laquelle elles ont été maintenues jusqu’à aujourd’hui. Il faut se saisir de la question à tous les niveaux de pouvoir, et notamment à l’échelon communal. Après ce travail, pour ma part, je serai plus vigilante et impliquée au niveau local. Le PTB, Les Engagés, le PS et Ecolo ont voté pour la reconnaissance : il n’est plus possible de tout balayer d’un revers de la main. Avec ces partis, des initiatives doivent donc être possibles, au niveau wallon par exemple. Ça doit devenir un sujet de santé publique incontournable.

Nous venions de très loin : je pense sincèrement que tout ce processus a fait avancer la situation. Nous avons été très contents en commission, très déçus en plénière, mais on a réussi à rendre ce sujet crédible politiquement, dans la suite des mobilisations de la société civile et du travail des associations. Nous ne comptons pas en rester là, et nous allons analyser sereinement comment pouvoir avancer dans le futur.

Nier un problème de santé ne le fait pas disparaître

Un texte de reconnaissance de l’électrosensibilité a été discuté au Sénat, sanctionné négativement par une – courte – majorité d’élus. Les polémiques scientifiques sur la dangerosité des rayonnements électromagnétiques, invoquées par certains sénateurs, maintiendront donc le flou régnant depuis des décennies à ce sujet. Pourtant, le texte ne visait bien entendu pas à régler ces polémiques, comme le signale Fatima Ahallouch dans notre entretien, mais visait à ouvrir la porte à une prise en charge des personnes électrosensibles.

Et si elle n’arrivait jamais, cette « preuve scientifique » ? Puisque tout le monde reconnaît la souffrance, le projet est-il de laisser ces êtres humains souffrir sans fin ? Nous l’avons signalé en introduction de cette rencontre : cette initiative parlementaire représentait une bouée de sauvetage pour ces personnes… L’espoir était grand de voir la tendance s’inverser, et émerger un début de considération. Par ce vote négatif, la Belgique a choisi de ne pas les écouter. Les élus doivent se rendre compte de ce fait : ce rejet renvoie les personnes électrosensibles dans l’anonymat de l’agression électromagnétique, sans aucune piste de solution. Cela équivaut à donner un grand coup de pied dans la bouée de sauvetage, la mettant hors de portée des naufragés qui agitent les bras en vain pour appeler à l’aide. Lorsqu’en plus, leurs collègues d’autres niveaux de pouvoir votent pour augmenter une nouvelle fois les normes de rayonnements, tout est fait pour leur pousser la tête sous l’eau, et précipiter leur noyade. Mais discréditer et invisibiliser socialement un problème de santé ne l’a jamais fait disparaître…

Une lectrice nous signale un ouvrage en allemand : puisqu’il s’agit de notre troisième langue nationale, nous signalons son existence (1). Comme nous l’avons fait en nos pages avec nos différents dossiers, son autrice a recueilli de nombreux témoignages de personnes électrosensibles et, comme nous, elle a voulu documenter leur compagnonnage douloureux avec les ondes. Une cinquantaine de personnes racontent les conséquences sur leur famille, leur cadre de vie, leur travail et tout ce qui leur reste d’existence… Parmi les motivations de l’autrice, le suicide de sa sœur qui souffrait d’électrosensibilité. Implacable et tragique constat : la seule possibilité d’« apaisement » physique, sur cette planète ultraconnectée, n’était plus envisageable pour elle que… sous terre. Parmi les personnes qui ont pris contact avec nous, une lectrice signale une amie qui, elle non plus, n’a plus trouvé la force de continuer à agiter vainement les bras. Son suicide a signé l’épilogue de cette aventure moderne de « progrès » technologique…


(1) Le titre peut être traduit par « La maladie non-autorisiée. Quand les ondes radio affectent lavie ». « Die unerlaubteKrankheit. Wenn Funk das Leben beeinträchtigt », Renate Haidlauf, Diagnose-Funk, 368 pages, 2022.

(1) « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité », Déposée par M. André Frédéric et consorts, Document 7-88/1, Sénat de Belgique, Session 2019-2020, 8 octobre 2019.

(2) La fibromyalgie est une maladie chronique encore mal connue, et se traite difficilement. Elle représente une association de douleurs chroniques durant des années, une fatigue injustifiée et des troubles du sommeil, et développe certains traits symptomatologiques identiques à l’électrosensibilité. Elle est également appelée fibrosite, syndrome polyalgique idiopathique diffus (SPID) ou polyenthésopathie (Source : Société française de rhumatologie).

(3) D’abord classée à l’OMS comme maladie rhumatismale (M79.0), elle est depuis janvier 2006 reconnue comme maladie à part entière (M79.7). Association nationale française Fybromialgie SOS, « Proposals ratified by HoC/WHO at HoC Meeting in Tunis », Octobre 2006.
www.fibromyalgiesos.fr

(4) « La fibromyalgie, reconnaissance à travers l’histoire. Les douleurs diffuses chroniques concernent l’homme depuis la nuit des temps. Pourtant, elles ne seront seulement étudiées qu’au siècle dernier », www.focusfibromyalgie.be

(5) « Fibromyalgie. Synthèse et recommandations », Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), 2020.

(6) La séance est visible sur internet en tapant « Séance plénière du Sénat de Belgique – 21/05/2021 », le rapport est disponible sur le site de l’institution, « 7-20. Séances plénières. Vendredi 21 mai 2021. Séance du matin », Session ordinaire 2020-2021, Sénat de Belgique.
www.senate.be

(7) Comme son nom l’indique, cette commission traite les matières transversales, qui concernent toutes les entités du pays. Elle résulte de la fusion de la commission transversale communautaire et de la commission transversale régionale.

(8) Les débats ont été riches, nous renvoyons les lectrices et lecteurs intéressés aux comptes-rendus des séances renseignés en note, disponibles sur le site du Sénat.

(9) Amendement de Mmes de Béthune et Brouwers, Doc. 7-88/2, Sénat de Belgique, session 2020-2021, 7 mai 2021.

(10) Concernant cet argument éternellement répété du manque de consensus scientifique, nous en discutons ailleurs avec un philosophe des sciences. Lire « L’onde, la preuve et le militant »

(11) Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité, Rapport fait au nom de la commission des Matières transversales par Mme Ryckmans, Sénat de Belgique, Document 7-88/3, Session 2020-2021, 7 mai 2021, p.5.

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