L’exclusion par la pollution électromagnétique

L’onde, la preuve et le militant

Le problème sanitaire vécu par les personnes électrosensibles ? Rien ne prouve – nous l’entendons régulièrement – qu’il ait un lien avec les technologies sans fil. Discussion autour de cette notion de « preuve scientifique » avec Nicolas Prignot, physicien et philosophe des sciences, auteur d’une thèse intitulée « L’onde, la preuve et le militant ».

Nicolas Prignot, philosophe des sciences.
Nicolas Prignot, philosophe des sciences.

Une véritable antienne existe, inlassablement rabâchée dès que sont évoquées la dangerosité des technologies sans fil et l’électrosensibilité : vu l’absence de « preuve scientifique » de la nocivité des rayonnements électromagnétiques, il est impossible d’intervenir, à quelque niveau que ce soit. L’organisation mondiale de la santé (OMS) a très précisément défini le « Syndrome des micro-ondes », et elle décrit l’électrohypersensibilité comme une « intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques ». Le terme « idiopathique » signifie que l’on ne connaît pas sa cause précise. Les électrosensibles sont donc coincés dans une situation dramatique : la souffrance est actée, l’électrosensibilité est réelle, mais on n’en reconnaît pas officiellement la cause, pourtant décrite clairement par les personnes en souffrance. Sans cette « preuve », en Belgique, les électrosensibles sont condamnés à l’attente, encore et encore, alors que la galère de leur quotidien relève de l’urgence sanitaire (1).

Nicolas Prignot, philosophe des sciences et physicien, est l’auteur d’une thèse défendue en 2016 à l’Université libre de Bruxelles (ULB), intitulée « L’onde, la preuve et le militant. L’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électrosensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques » (2). Nous insistons : Nicolas Prignot est bien un philosophe des sciences, pas un « voyant » ni un « magicien »… Soyons clair, il ne sortira pas de sa poche la « preuve » irréfutable que beaucoup semblent demander avec force : nous n’apprendrons donc pas ici quand, ni comment, nous sortirons de la situation de déni actuelle.

Dépasser la polémique

Dans sa thèse, Prignot a voulu aller au-delà de la polémique en observant les différentes interprétations et utilisations de cette notion de preuve scientifique, dans l’histoire des sciences en général, mais aussi, plus précisément, au sujet de l’électrosensibilité. « Mon travail est de regarder dans la polémique, et d’analyser comment cela se passe pour les ondes électromagnétiques. Il s’agit par exemple d’observer, simplement, qui on écoute et qui on n’écoute pas… D’un point de vue plus large, je me suis demandé pourquoi on oublie toutes les histoires exposant la relativité de ce qu’est une ‘‘maladie’’. Pourquoi, ici, la fragilité d’une maladie est invoquée contre elle, comme si elle ne pouvait pas exister, alors que l’Histoire montre justement l’existence de maladies extrêmement ‘‘fragiles’’, qui ont mis du temps à se ‘‘construire’’, à être connues et comprises… À être ‘’stabilisées’’, en quelque sorte. L’apparition d’une maladie se joue toujours dans des contextes socio-économiques et culturels bien précis. C’est très peu mis en avant, mais tous les historiens de la médecine le savent : il y a une énorme plasticité des maladies. Pourtant, avec une espèce de réification complète, aujourd’hui on fait ici comme si cette plasticité ne pouvait exister » (3).

Si son texte relève du statut de travail académique, il est cependant intimement connecté au concret des situations exposées dans nos différents dossiers. Ses réflexions tentent de sortir de la situation actuelle de blocage entre deux visions inconciliables – les personnes en souffrance versus les négateurs de la réalité de celle-ci. Dans l’introduction, son auteur décrit ses intentions : cette thèse « constitue certes et avant tout un travail universitaire. Néanmoins, pour nous, elle est également écrite pour les militants qui se battent contre les ondes électromagnétiques et ceux qui souffrent d’électrosensibilité. Comme l’écrivaient Deleuze et Guattari dans « Qu’est-ce que la philosophie », ‘‘penser pour’’ peut avoir plusieurs sens, et penser pour les militants n’est pas penser pour un jury. Penser pour ces militants, ce n’est ni penser à leur place ni penser pour dire une nouvelle fois ce qu’ils disent très bien sans nous. Ici, c’est penser ‘‘devant’’ eux au sens où nous nous sentons responsable de ce que nous disons d’eux devant eux. Cela ne veut pas dire accepter tout ce qu’ils disent, mais savoir que ce que nous produisons aura aussi à subir l’épreuve de leur intérêt. (…) Autre point consécutif à cette position particulière : les membres de collectifs qui liront ce texte n’y trouveront pas une confirmation ou une infirmation totale de ce qu’ils avancent, mais y trouveront, nous l’espérons, des propositions intéressantes » (4).

Vous avez dit : « Principe de précaution » ?

L’absence de « preuve scientifique » de la dangerosité des ondes électromagnétiques doit-elle nécessairement impliquer l’inertie des pouvoirs publics ? Devant la puissance de ces rayonnements, l’absence de preuve de leur innocuité, l’observation des symptômes du « Syndrome des micro-ondes » et la non-prise en compte, dans l’établissement des normes, des études sur leurs effets biologiques (lire ici), de nombreux scientifiques et médecins lancent régulièrement des appels à la prudence. Comment un philosophe des sciences observe-t-il la présence de cette notion du principe de précaution dans la thématique qui nous occupe ici ?

Nicolas Prignot : Dans la polémique sur les ondes électromagnétiques, nous sommes souvent aux prises avec un débat idéologique et une rhétorique anti-principe de précaution. Une série d’acteurs exposent la nécessité de ne mettre absolument aucun frein à l’industrie : toute mesure serait un frein à l’émancipation de la société. Certains le croient sans doute réellement : la marche vers le progrès ne peut être qu’une marche vers le mieux. Dans ce cadre de pensée, consciemment ou inconsciemment, il faut évidemment contrer la rhétorique de la précaution.

Dans le cas des ondes électromagnétiques, des arguments assez incroyables s’expriment ; je ne vois pas beaucoup d’autres cas dans lesquels les logiques à l’œuvre sont aussi perverses. Reprenons l’effet « nocebo » de James Rubin (lire ci-contre) : puisque les électrosensibles attribueraient souvent de façon erronée leurs symptômes à la proximité d’une antenne de téléphonie mobile, il stipule que les électrosensibles seraient aux prises avec un problème psychologique. Cet argument est utilisé par les opérateurs et les « pro-technologies » pour exclure le principe de précaution. Nous avons vu cela en France, lorsque l’ancienne députée française Laurence Abeille (Europe Écologie Les Verts) a voulu prendre des mesures, parmi lesquelles, par exemple, l’interdiction de placer le wifi dans les crèches(1). On peut déjà se demander s’il faut réellement légiférer à ce sujet… Les bébés ont-ils besoin du wifi ? Pourtant des communiqués de presse ont été publiés, notamment à l’initiative de membres de l’académie de médecine, affirmant ceci : « Si on applique le principe de précaution, on sous-entend un risque, et si on laisse penser ce risque, on va avoir de plus en plus de malades. » En d’autres mots : si vous appliquez le principe de précaution, vous créez une épidémie !

C’est très pervers car, en une phrase, on retourne l’argument : en voulant protéger les gens on créerait en fait des malades. Voilà une charge idéologique terrible contre le principe même de précaution. Un principe pourtant vanté dans le cadre d’autres problématiques, et parfois par les mêmes personnes. Ce serait par exemple au nom du principe de précaution que les normes sont « très sévères » en Belgique ! (lire ici) Sur base de l’effet thermique à 41,2 v/m, on choisit de rester plus bas, donc, on prend des « précautions ». Ensuite, lorsqu’on augmente la norme, et donc que l’on réduit la précaution, on nous dit encore que « par précaution on reste malgré tout très sévère, en dessous de cette norme de 41,2 v/m. » En revanche, baisser la norme, c’est impossible, car on créerait des malades et une épidémie d’électrosensibles ! Ces propos peuvent exister, être reproduits, se propager, car le terreau est fertile et propice à leur enracinement.

(1) Née en 1960, Laurence Abeille est élue à l’Assemblée nationale française en 2012, pour le parti Europe Écologie Les Verts. Elle restera parlementaire jusqu’en 2017. Durant son mandat, elle permet la promulgation de la « Loi française n° 2015-136 relative à la sobriété, la transparence, l’information et la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques », le 9 février 2015.

L’inertie, au nom de l’absence de preuve

Cette thèse et – modestement – cet entretien visent donc à ouvrir le champ de la réflexion pour toutes les lectrices et tous les lecteurs, mais aussi, plus spécifiquement, pour les personnes électrosensibles. Un problème comme celui de l’électrosensibilité, apparaissant dans un contexte de toute puissance industrielle et technologique, charrie forcément des éléments d’une ampleur colossale. Toutes les questions au centre de ce problème de santé publique sont appelées à évoluer dans le futur et, tel que Prignot le signale dans son travail, nul ne sait aujourd’hui dans quelle direction pourrait évoluer tel ou tel élément intrinsèque de la situation de blocage actuel. Une chose est cependant certaine : avec lui, nous observons que la polémique entretenue sur les preuves scientifiques, « non suffisantes » pour acter le problème de santé publique, permet de faire traîner en longueur cette situation dramatique pour les électrosensibles… Ouvrir le champ de vision, faire des pas de côté, et observer la réalité d’un autre œil semblent aujourd’hui plus que nécessaire.

Souvent, dans la vie de tous les jours ou dans un débat public, l’argument de l’absence de preuve sert à clore la discussion, comme s’il s’agissait d’une notion claire et nette, toujours appliquée de la même manière, et à la nécessité incontestable. Le profane, éventuellement inquiet de tous ces rayonnements et à l’écoute des personnes électrosensibles, peut alors simplement remiser ses inquiétudes. Et voilà l’électrosensible renvoyé à l’anonymat et la solitude. Parmi les personnes qui répètent cette ritournelle de l’« absence de preuve scientifique », combien ont-elles réellement réfléchi à cette notion de preuve en science ? Combien maîtrisent réellement les tenants et aboutissants de cet argumentaire ? Le plus souvent, cette phrase semble relever du «  réflexe ». Réflexe inconscient pour beaucoup, au sein du grand public, qui permet de conserver une utilisation enjouée et insouciante des engins technologiques. Réflexe d’inertie manifeste, dans le chef des pouvoirs publics, pourtant censés encadrer les enjeux sanitaires collectifs de notre société. Et réflexe motivé, enfin, parmi les représentants de l’industrie, par la défense de colossaux intérêts commerciaux et financiers.

Pour démarrer la seconde partie de ce dossier consacré aux réactions institutionnelles face aux constats de notre étude sur « L’exclusion par la pollution électromagnétique », place aux mots d’un interlocuteur qui a longuement réfléchi à cette notion de « preuve scientifique »…

Ensemble ! En quoi consiste précisément votre discipline de recherche, et quelles étaient vos motivations de départ pour cette thèse ?

Nicolas Prignot. J’ai réalisé un doctorat en philosophie, dans une orientation de « philosophie des sciences » car avant d’être philosophe, j’ai été formé comme physicien. Les questions environnementales m’ont toujours intéressé, déjà lors de mes études de physique, notamment par le biais des considérations autour des énergies renouvelables. J’ai toujours trouvé intéressant d’associer science et philosophie, une bonne manière selon moi de réfléchir aux enjeux sociaux et politiques des modes de vie qui sont les nôtres aujourd’hui. En démarrant ma thèse, j’étais préoccupé par des questions environnementales plus générales, je pensais par exemple travailler sur les dynamiques citoyennes autour du réchauffement climatique, ou contre les Organismes génétiquement modifiés (OGM), des matières « socio-techniques » de ce type-là.

Au sujet des OGM par exemple, et c’est intéressant dans le cadre de notre question des ondes électromagnétiques, mon intérêt portait sur les manières dont les mouvements citoyens ont réussi à faire émerger une parole abordant des préoccupations de santé publique, bien sûr, mais aussi des préoccupations scientifiques et sociétales. Or, je constatais de grosses tentatives de tout limiter aux questions sanitaires ; les tenants de ces évolutions rétorquaient : « Manger des OGM n’est pas dangereux pour la santé ! » La contestation était pourtant bien plus large et comportait des critiques très argumentées sur la techno-science, l’éthique et les modèles d’agriculture désirables, par exemple. Mais, clairement, on tentait de réduire les opposants à des personnes simplement soucieuses de leur santé… Ou à des personnes apeurées, sans raison, par « le progrès ».

Par la suite, je suis arrivé chez Inter-Environnement Bruxelles, pour travailler sur les questions de pollution et d’environnement, où j’ai repris le dossier des ondes électromagnétiques. J’y ai retrouvé des thématiques et des dynamiques semblables, il m’est alors apparu qu’une thèse pourrait porter uniquement sur ce sujet.

Les sentinelles

Nicolas Prignot expose, dans sa thèse, des arguments des électrosensibles qui se définissent comme des « sentinelles », des corps qui ont ressenti, avant les autres, une dangerosité d’actualité pour tout le monde. Des études inquiétantes existent, en nombre : pourquoi ne sont-elles pas prise en considération par les pouvoirs publics ? Dans notre état des lieux, nous avons pris l’exemple de Santé publique France, qui identifie la multiplication par quatre du nombre annuel de nouveaux cas de glioblastomes, des tumeurs au cerveau, entre 1990 et 2018. L’analyse démontre une augmentation dans toutes les classes d’âge et quel que soit le genre. Même si cette augmentation est probablement « multifactorielle », l’agence signale que « les dernières études épidémiologiques et les expérimentations animales seraient en faveur du rôle carcinogène des expositions aux champs électromagnétiques » (1). Personne ne semble s’émouvoir, en Belgique, de ce type de données. Qu’en pense le philosophe des sciences ?

Nicolas Prignot : Je ne me suis pas penché sur cette question des glioblastomes, précisément, mais cet exemple m’inspire des réflexions liées au passé d’autres polémiques sanitaires. Au sujet de l’épidémiologie (2), de manière générale, comme le dit cette agence, d’autres éléments peuvent avoir une influence. Des éléments polluants divers ont également augmenté en trente ans, d’autres molécules se sont multipliées dans l’environnement. Il est en effet difficile d’isoler l’effet des rayonnements électromagnétiques. Mais surtout, en épidémiologie, il faudra toujours deux groupes pour analyser la situation : un premier que l’on soumet au produit, et l’autre qui n’y est pas soumis. C’est très important dans ce qui nous occupe, et ça devrait inciter à la vigilance.

Prenons un exemple-type : les fumeurs. La comparaison est très pertinente d’un point de vue historique, car durant un temps on a observé l’état de santé respectif des fumeurs et des non-fumeurs. Gros problème : dans un premier temps, on a inclus les fumeurs passifs – les conjoints ou collègues des fumeurs, par exemple – dans le groupe des non-fumeurs. La thèse de la cigarette responsable des cancers du poumon perdait dès lors de sa pertinence. C’est très pervers. En outre, parallèlement, est apparu aux États-Unis ce qu’on a appelé le « Sick building syndrome », c’est-à-dire le syndrome des bâtiments malsains. Des individus développaient une série de symptômes non-spécifiques – maux de tête, saignements de nez, etc -, qu’ils attribuaient aux bâtiments nouvellement rénovés, tout en béton et plastique, avec des moquettes industrielles partout, accompagnés de tous les polluants chimiques nécessaires à leur fabrication. L’industrie du tabac a décidé de mettre de l’argent dans cette recherche qui, précisions-le, est par ailleurs tout à fait légitime. Dans ce moment historique précis, il y avait moyen d’insister sur ce Sick building syndrome pour dévier l’attention du collègue fumant toute la journée dans le même bureau. On fait exister la possibilité de causes multiples, pour exposer une « affection multifactorielle ». Ces questions charrient des éléments très complexes et très problématiques.

Mais surtout : pour les rayonnements électromagnétiques, aujourd’hui, il n’existe plus de groupe témoin « neutre », plus de population non soumise aux rayonnements, sinon à la marge… Plus aucune comparaison n’est possible. Nous sommes sans doute face à une situation inédite dans l’Histoire. Il y a une vingtaine d’années, on pouvait encore parler de « gros usagers », et de moins gros… Mais aujourd’hui ? Les normes ont été élaborées, entre autres choses, en considérant comme « gros utilisateurs » les personnes qui téléphonent une demi-heure par jour. Aujourd’hui, énormément de gens dépassent allègrement cette durée : les gens sont en permanence sur leur téléphone, pour tout faire, et par ailleurs ils sont le plus souvent en wifi. Aujourd’hui, un « gros usager », est-ce quelqu’un qui utilise son téléphone trois heures par jour ? Six heures ? Douze heures ?

Nous sommes dans une période où les savoirs sont encore en négociation et, dans ce contexte, des angles idéologiques et politiques viennent, en permanence, perturber le débat. Évidemment, c’est très grave pour les personnes électrosensibles.

(1) « Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018. Volume1 », Agence nationale de santé publique française, juillet 2019, édition scientifique.
www.santepubliquefrance.fr/content/ download/190597/2335082

(2) L’épidémiologie étudie les rapports entre les maladies et les facteurs susceptibles d’exercer une influence sur leur fréquence, leur distribution, leur évolution. En matière d’ondes électromagnétiques, elle est parfois invoquée comme un élément dont tenir compte avant d’acter la preuve de la nocivité d’un produit. C’est à dire, principalement, lorsque les ravages sanitaires auront été observés dans toute leur ampleur. Trop tard pour agir, donc, sauf éventuellement pour réduire les victimes d’un futur plus lointain.

Comment avez-vous abordé la thématique, au départ ?

Assez vite, j’ai lié mes observations du terrain avec les réflexions de Félix Guattari (5), un auteur que j’apprécie particulièrement. Dans la thèse, pour éclairer mon analyse au sujet des ondes électromagnétiques, je m’y réfère d’un point de vue théorique. Sa préoccupation porte sur la nécessité de considérer les problèmes écologiques sur tous leurs registres. Si on porte l’attention uniquement sur les dimensions naturelles, techniques ou scientifiques, sans aborder les registres sociaux, alors en réalité on ne comprend simplement pas les problèmes écologiques. Il est selon lui nécessaire de porter son attention également sur les registres personnels, individuels, y compris dans les dimensions de notre psyché, les effets sur notre mental. Toujours, il faut se poser cette question : ces problèmes écologiques, quels effets ont-ils sur nous ?

Illustrons par un problème contemporain. Aujourd’hui, nous devons changer les modes de fabrication des voitures à moteurs thermiques, pour aller vers des moteurs électriques. Aborder cet enjeu de mobilité par le seul niveau technique n’a aucun sens. On passe à côté du sujet si on ne se penche pas sur les enjeux contemporains d’aménagement du territoire, sur les raisons pour lesquelles nous habitons si loin des lieux où l’on doit se rendre, ou encore sur les rythmes que cela nous impose… Il faut également réfléchir aux inégalités de revenus, aux impossibilités pour certains de se payer un nouveau véhicule, etc. Sans cela, nous ne changerons rien au problème ! Remplacer les véhicules n’est pas une réponse aux problèmes écologiques, mais une simple réponse technique qui, après coup, explique et justifie la relance des centrales nucléaires. Au final, nous sommes donc face à l’inverse d’une solution écologique.

Selon moi, l’alerte que lance Félix Guattari à la fin des années 1980 est déjà une clef d’attention par rapport à ce problème des ondes électromagnétiques. Si on aborde le problème des ondes uniquement par le seul biais de la santé – l’aspect dont les opérateurs veulent bien parler -, on perd une bonne partie des dimensions dont il faut tenir compte. Le conglomérat des opérateurs et des industriels, se retranchant derrière l’absence de preuve qui lui permet de nier l’existence d’un problème, veut bien discuter de cet aspect-là. Cela occulte tous les autres problèmes, toutes les autres discussions à prendre en compte. Parfois, les opérateurs diront : « Nous, les modes de vie, et les choix dans ce domaine, ils ne dépendent pas de nous. Ce sont les gens qui décident d’avoir un téléphone ou pas ». En occultant bien sûr, au passage, l’intense lobbying visant à susciter le désir auprès du public et rendre la possession de ces produits incontournable. Mon idée de départ part donc aussi de ce constat, de cette surprise-là : ces technologies sont en train de bouleverser de manière fondamentale toutes les dimensions de nos vies, la manière dont on se renseigne, dont on vit nos loisirs, dont on vit notre vie de couple, dont on travaille, et tout le monde se focalise sur cette seule question de la nocivité, ou non, du produit pour la santé physique.

A ce stade, je tiens à préciser ceci : les personnes désireuses d’avancer sur les questions de santé le font à juste titre, bien sûr. On doit bien entendu travailler – et travailler autrement – sur ces éléments. Mais en l’état actuel du débat, cette approche invisibilise toutes les autres questions. Voilà mon point de départ.

Sous ce titre interpellant, « L’onde, la preuve et le militant », qu’avez-vous voulu montrer dans votre thèse ?

Une thèse, c’est d’abord un processus de recherche, davantage que des éléments à démontrer : nous sommes avant tout dirigés par des questions… Dans le domaine de la philosophie des sciences, ma démarche était d’explorer comment, scientifiquement, cette polémique autour des dangers des ondes électromagnétiques s’est construite. Dans un premier temps, au début du lancement des technologies sans fil, la polémique semble tourner autour de la question des différents types de dangers sanitaires pour la population, sous l’angle de l’augmentation du nombre de cancers, par exemple. Dans un second temps, tout se cristallise autour des personnes électrosensibles, elles-mêmes devenant la preuve d’un danger. Si on résume en un schéma : A (les opérateurs) affirme l’impossibilité d’effet et B (les associations de patients) affirme l’inverse, puisque des gens en souffrent déjà aujourd’hui. Cette figure de l’électrosensible, réelle, est également symbolique dans les discours, elle agit comme un « levier », pour tenter de changer l’avis de l’interlocuteur.

Énormément d’articles scientifiques tentent d’explorer tout ça ! Il est impossible de tout lire mais, méthodologiquement, j’ai observé les possibilités d’établir un panel des arguments utilisés. Les militants, les associations de patients électrosensibles et les militants pour des zones blanches – ou contre les ondes, si on veut dire « contre » – connaissent très bien cette littérature scientifique, et mettent certains articles en avant. Mais les rapports officiels des autorités travaillent sur cette même littérature, ainsi que les opérateurs et les industriels. Ce qui est frappant, c’est qu’à partir de la même littérature, chacun va faire des coupes, avec des logiques différentes, pour montrer certaines choses plutôt que d’autres, chacun avec son prisme. Dans les faits, si l’on estime probable l’existence d’un phénomène, et que l’on veut en trouver des traces, on n’interroge pas la littérature scientifique de la même manière que si on se demande : « Est-ce prouvé ? ». La démarche n’est pas identique, et ce n’est pas le même type de questionnement. Or, dans cette polémique, on oppose souvent les visions, en les mettant sur un même plan. C’est très interpellant. Pour le dire autrement, au sujet des ondes, un chercheur qui aborde sa matière avec la question « Des interrogations demeurent-elles ? », ne cherchera pas de la même manière si la question est « Où se trouve la preuve de la dangerosité ? »

On accuse souvent les associations d’électrosensibles de faire du cherry picking (NDLR : littéralement, « cueillette de cerises ») : dans cette abondante littérature, ils chercheraient ce qui les arrange, les quelques articles démontrant des effets néfastes possibles. En d’autres mots, ils monteraient en épingle certains éléments, parmi des tas d’autres études ne montrant aucun effet. Cette accusation est selon moi très étrange. Normalement, si on veut tenter de comprendre comment un phénomène fonctionne, et si sur dix études une seule démontre un effet, il faudrait se pencher sérieusement sur cette étude-là, et se poser les questions de la suite à y donner. Mais dans cette polémique sur les ondes électromagnétiques, ça ne fonctionne pas comme ça : l’existence d’autres études enterre l’étude positive. Et donc, effet corollaire, ça élude toute précaution pour des produits nouveaux, à l’innocuité non prouvée et déployés dans une ampleur phénoménale.

On applique en fait des réflexions statistiques, mais une étude, seule, est toujours une indication d’une piste, vers des pistes qu’il faudrait continuer d’investiguer. Aucune étude n’est définitive, pourtant ici des arguments statistiques servent souvent à stopper toute recherche ou toute piste… C’est très problématique. Logiquement, que des articles ne trouvent rien ne devrait pas entraîner l’enterrement, l’invisibilisation de celui qui démontre quelque chose. Or c’est ce qu’il se passe en permanence sur cette question ! Pourquoi ?

Nouer des alliances

Dans son travail, outre les réflexions sur la notion de preuve et son utilisation, Nicolas Prignot a voulu « expliquer qu’il valait mieux ne pas tomber dans le « piège » de la preuve et élargir le débat. » Durant notre entretien, il est plusieurs fois revenu sur le fait que cette préoccupation sanitaire occulte les autres considérations, d’ordre sociétal, liées au déploiement massif des nouvelles technologies. Avec le temps, cependant, face à la présence toujours plus envahissante de produits connectés, on constate une évolution des comportements. La « préparation » du public à l’imposition de la 5G, par exemple, a été moins simple qu’auparavant pour les opérateurs ; on a pu observer de plus grandes alliances dans des champs de réflexion différents (1). « Pour la 5G, cela s’est en partie réalisé, plus que ce qu’on a pu observer à l’arrivée de la 4G. Les associations d’électrosensibles, ou les opposants à l’étendue des rayonnements, ont noué des alliances avec des gens travaillant sur les questions de protection des données, ou les personnes qui réfléchissent à la reconnaissance faciale dans l’espace public, la Ligue des droits humains par exemple. Certaines personnes, qui ne se sont jamais intéressées aux questions des ondes, comprennent tout à coup les agglomérats techno-scientifiques dans lesquels est prise la 5G. La situation montre plus clairement aujourd’hui l’ampleur des enjeux autres que la santé publique. »

Pour avancer positivement, les électrosensibles ont tout intérêt à élargir le champ d’action. Des alliances sont indéniablement à tisser, « même si cela se fait par alliances temporaires. Dans la problématique écologique, il faut faire exister toutes les dimensions du problème. Sur certains aspects, je suis convaincu que les réflexions se renforcent en s’articulant. En sortant de la preuve de la dangerosité et des questions sanitaires, on renforce également les préoccupations pour les électrosensibles et leur prise en considération. »

(1) À ce sujet, plusieurs experts auditionnés par les autorités avant l’implantation de la 5G ont exposé l’impossibilité de mener un travail serein et indépendant sur ce sujet. Les recommandations ont par exemple commencé à être rédigées avant la sortie de leur rapport d’expertise, et certains évoquaient des entraves systématiques à leur mission. Lire l’encadré « La « base d’acceptation » de la 5G passe d’abord par les « experts » », au sein de l’article « Sous le bitume, les pavés »

Aujourd’hui, invoquer l’« absence de preuve », en permanence, équivaut à totalement décrédibiliser les électrosensibles et leur vécu.

Oui, or on ne prouve pas en physique mathématique de la même manière qu’en physique des particules nucléaires ni, a fortiori, en économie ou en sociologie. Tous les savoirs et toutes les pratiques de construction du savoir prouvent les choses de manière différente. Il n’existe aucune épistémologie (6) générale qui dirait : « Voilà ce que la science dit ! » Chaque science doit expliquer comment elle prouve un phénomène. En médecine, par exemple, les traitements font l’objet d’une preuve statistique. Si un peu plus de gens guérissent grâce à une nouvelle molécule qu’avec une ancienne ou un placebo, alors cette nouvelle molécule peut être qualifiée de « médicament ». L’observation prouve une efficacité, mais c’est une efficacité statistique. En réalité, on ne sait pas très bien pourquoi ces gens guérissent mieux, ni pourquoi d’autres, malgré la même molécule, ne réagissent pas… Statistiquement, ça fonctionne mieux, c’est tout. Ces logiques statistiques sont transposées telles quelles à la thématique des ondes électromagnétiques alors que rien n’y oblige : on pourrait parfaitement décider de fonctionner avec d’autres logiques.

Karl Popper, philosophe des sciences, a beaucoup travaillé sur les difficultés de montrer l’inexistence d’un phénomène. On ne peut en effet pas se rendre à chaque endroit du monde pour montrer que tel élément ne s’y trouve pas. Prenons un exemple imagé : si les licornes n’existent pas, c’est compliqué à prouver. Par contre, pour démontrer leur existence, cela serait relativement simple : il suffirait d’en montrer une. Oui, il suffit d’en avoir une ! Alors on est obligé d’accepter qu’elles existent. Pour les ondes électromagnétiques et leurs effets, ça ne fonctionne pas comme ça, pourquoi ? Voilà une des questions de ma thèse.

Au sujet de l’électrosensibilité, les chercheurs ne cessent de travailler sur des tests « en double aveugle » (7) : on soumet, ou non, les personnes à des rayonnements, qu’elles devraient identifier avec certitude pour donner des résultats statistiquement signifiants. Le grand public semble considérer cette approche comme légitime, comme susceptible d’apporter cette fameuse preuve…

L’idée de faire subir ces tests aux personnes se présentant comme électrosensibles, pour voir s’ils arrivent à discriminer un signal ou pas, est sans doute inspirée par les récits des électrosensibles eux-mêmes. Pour appuyer leur situation, certaines personnes disent en effet : « J’ai testé avec mon épouse avec un téléphone, je devais lui dire si c’était allumé ou pas, je l’ai convaincue ». Assez logiquement, certains ont dit en retour « Ok, on va le faire, mais dans un laboratoire. » Dans une situation très difficile, les électrosensibles cherchent à argumenter, mais ils peuvent être « démunis », tout autant que n’importe qui, devant cette question de la preuve pour une affection relativement récente, au contact de produits nouveaux.

Ensuite, après les tests, la question doit être « Si l’expérience échoue en laboratoire, ça signifie quoi ? » Cela veut-il dire, vraiment, que la personne ne souffre pas ? Cela signifie-t-il que le cadre expérimental est mal conçu ? Qu’il ne correspond pas exactement dans les faits à ce qui est en train de se passer ? Aujourd’hui, l’échec est utilisé pour disqualifier le discours des électrosensibles, alors qu’on pourrait l’utiliser à l’inverse, en se disant : « L’expérience de ces personnes est sans doute plus complexe, en fait il n’est pas simple de traduire un vécu personnel, des sensations, etc, dans un laboratoire… » De nombreuses disciplines reconnaissent parfaitement les difficultés de passer d’un milieu social, réel, à un milieu de laboratoire. C’est extrêmement complexe.

Dans la thèse, j’évoque à ce sujet la dispute entre deux auteurs, Andrew Marino et James Rubin. Marino dit « J’ai une patiente pour laquelle, dans 100 % des cas, on observe des effets sur son rythme cardiaque » : selon lui, il est donc impossible de prétendre à l’inexistence de l’électrosensibilité. Rubin répond en substance qu’« Un cas ne veut rien dire, ce n’est pas statistiquement signifiant. Dans l’immense majorité des cas, les gens se déclarent électrosensibles et ne le sont en fait pas, car ils ne peuvent discriminer entre un signal factice ou réel… ». Je le répète, cette exigence statistique n’est pas obligatoire. Dans mon travail, j’ai porté mon attention sur ce type de controverses. Bien évidemment, ça ne veut pas dire que l’électrosensibilité est prouvée, ce n’est pas mon rôle. Par contre, montrer la présence d’éléments abusifs dans les logiques de disqualification de l’électrosensibilité me semble nécessaire : certains processus de conclusions sont beaucoup trop hâtifs. Et ils se font à charge, contre l’électrosensibilité, au lieu de s’intéresser aux manières d’étudier un phénomène. Mon rôle de philosophe des sciences est de réfléchir à ce genre de processus.

Si certains électrosensibles revendiquent la possibilité de réussir ce genre de tests, d’autres leur opposent que la réalité est bien plus complexe. La réalité de leur vécu et de leur corps, agressé sans répit par les rayonnements depuis des années, leur prouve à suffisance que ce genre de tests n’est pas pertinent (8).

Oui, les positionnements et les ressentis sont différents. Certains se décrivent comme totalement « chargés », pleins de « quelque chose » ressenti tout le temps, depuis des années. Selon eux, pour réussir les tests, il faudrait d’abord revenir à un état stable, ce qui prendrait peut-être quelques jours, quelques semaines, voire quelques mois sans aucune exposition. Les gens sont usés par cette « maladie » depuis longtemps déjà, et revenir à un « corps neutre » pour aborder ce genre de tests est impossible. Pour résumer, je dirais qu’il est normal, dans le processus de cette polémique sur les ondes électromagnétiques, d’essayer à un moment d’isoler le signal « onde électromagnétique » dans un laboratoire. Mais il doit être normal, également, de comprendre que dans la vie de tous les jours un « signal pur » n’existe pas.

Les individus sont tous, tout le temps, aux prises avec des phénomènes et éléments divers ; il en va de même dans toute l’histoire de toutes les maladies. J’ai mal au pied : est-ce parce que mon boulot me fatigue, en raison de douleurs musculaires chroniques, ou est-ce lié à ma santé pour d’autres raisons ? Tout ça se mélange dans les symptômes ressentis dans notre vie quotidienne, et c’est pour cette raison, en général, qu’on va tenter d’objectiver la situation chez le médecin. On lui donne tous les éléments, et lui va tenter d’en extraire les éléments pertinents. Et parfois on ira, juste après, voir un autre médecin, et sur la base des mêmes éléments, ce dernier proposera peut-être d’autres types de traitements, pour d’autres types de raisons. La complexité des maladies est tout à fait normale, elles dépendent d’énormément de facteurs. Le problème est que, bien souvent, et notamment au sujet de l’électrosensibilité, on fait comme s’il était simple d’en identifier un seul.

Les électrosensibles sont parfois versés dans le registre des gens qui présentent des « problèmes psychologiques »…

Mais tout le monde, chaque individu, est aux prises avec ces facteurs complexes. Que l’état psychologique influence la manière dont on perçoit nos propres symptômes, c’est une évidence ! Pourquoi insiste-t-on là-dessus en ce qui concerne les électrosensibles ? Cette évidence ne doit pas servir à prétendre que les gens sont malades uniquement psychologiquement. Prenons par exemple une migraine tenace : si on se trouve dans une période difficile de sa vie, ou si on vit des événements heureux, on répondra différemment à la question « Comment ça va ? » On ne conclut pas pour autant que la migraine est uniquement psychologique. Un autre exemple : l’asthme. Il s’agit d’une maladie biologique reconnue, avec des lésions dans les poumons. Pourtant, il est possible de déclencher des crises d’asthme en induisant de la crainte chez les individus atteints. Des expériences ont été réalisées en ce sens. On demande aux gens de renifler des tubes emplis d’air, tout en suggérant la possibilité du déclenchement d’une crise d’asthme. Résultat, chez certains – pas tous – ça déclenche une crise. Ensuite, on réalise le même test, avec un tube d’une couleur différente mais avec le même air, et l’information est que le tube contient un médicament : la crise s’arrête. Personne n’utilise ça pour dire que l’asthme n’existe pas ! Entre le corps et l’esprit, on sait parfaitement que tout est en interaction. Vouloir séparer les éléments et n’observer qu’un seul facteur équivaut à nier le fonctionnement du corps humain. Pourquoi toutes ces évidences sont-elles niées pour les électrosensibles ?

Et si la situation est si caricaturale des deux côtés, c’est avant tout également parce que les électrosensibles sont placés dans cette situation-là. En étant présenté comme « fous », que faire d’autre que revendiquer la maladie ? Et nous sommes alors dans la situation actuelle : deux camps, avec un dialogue quasi impossible.

Sommes-nous tous accros ?

« La Californie. C’est d’ici qu’une armée d’ingénieurs, tous très cools, changent nos vies. Pourtant, vous allez le voir, ce monde ultra-connecté qu’ils nous ont façonné, ils n’en veulent pas pour leurs enfants. Ils payent même des fortunes pour les protéger des écrans. Ça se passe ici, à la Waldorf School, une école très privée dirigée par un ex-ingénieur de chez Microsoft. Il s’appelle Pierre Laurent, il est français » (1). Voilà comment débute le reportage d’Envoyé Spécial, « Les repentis des applis », diffusé le 10 septembre 2020 sur France 2.

Dans ses propos, Nicolas Prignot nous explique pourquoi, lorsqu’on se focalise sur les effets sanitaires des ondes, cela permet d’éviter, entre autres, les dimensions sociétales et les effets addictifs des nouvelles technologies sur les populations, bref, que cela agit comme « un arbre qui cache la forêt ». Le reportage de France 2 complète ces réflexions, en nous permettant de mesurer le niveau de cynisme des industriels.
Le reportage nous fait visiter la Silicon Valley ; Apple se situe à vingt minutes de l’école Waldorf, Facebook à une demi-heure, et Google à quinze minutes. Tous les travailleurs de ces entreprises sont là, dans les parages. Nous sommes là où se trouve « la plus grande concentration de richesse, probablement physique, mais aussi intellectuelle », nous indique le directeur de l’école. « Et cette élite-là, elle inscrit ses mômes chez vous ? », demande le journaliste… Oui ! La fille de Steve Jobs, par exemple, ancien patron d’Apple, a fréquenté la Waldorf School…Une école pour les privilégiés de la Silicon Valley où les tarifs par année oscillent entre 18.000 et 42.000 dollars par enfant. Ce que veulent ces privilégiés ? Un enseignement garanti sans tablette, ni écran…

Dans la suite du reportage, le journaliste rencontre des repentis de l’industrie des nouvelles technologies. Tony Fadell, l’inventeur de l’I-Phone, explique comment, dès les essais en interne et donc avant toute commercialisation, les rapports humains ont changé : tout le monde dans l’entreprise passait son temps à chipoter à la machine. Un peu plus tard, il a compris avoir inventé « le monstre ». « J’ai compris qu’il fallait que j’arrive à le tenir à distance si je veux parler avec les gens, parce que ça me détourne de mes conversations ». Aujourd’hui, il se sent mal en voyant les membres d’une famille, durant un repas, le nez plongé sur leur machine.
Guillaume Chaslot, lui, a travaillé chez Google, et il le dit face à la caméra : « J’ai contribué à vous rendre dépendants ». Il a participé à l’élaboration des algorithmes identifiant les vidéos à suggérer aux utilisateurs, pour les pousser à passer un maximum de temps en ligne, et donc assurer un maximum de revenus publicitaires. « La vidéo idéale était celle qui fait passer le plus de temps en ligne, qu’elle soit vraie ou fausse. Or, c’est plus facile de faire passer du temps en ligne avec des trucs faux qu’avec des trucs vrais. » Les informations les plus farfelues deviennent virales : voici aussi ce qui explique, au moins en partie, l’état déplorable du débat politique aujourd’hui.
AzaRaskin, l’inventeur de l’« infini scroll », compare son invention à un verre de vin qui se remplirait sans cesse, sans que l’alcoolique ne s’en rende compte. « Il y a un an, j’ai calculé combien de temps mon invention avait fait perdre à l’humanité. Et c’est effrayant, en durée, c’est l’équivalent de 200.000 vies par jour. »
Un ancien de Facebook, Tavis McGinn, nous explique comment, selon lui, son ancienne entreprise « détruit notre société ». Son travail consistait en la réalisation d’enquêtes d’opinions sur l’image de Mark Zuckerberg ; pour l’émission, il a enquêté auprès des utilisateurs sur leur niveau d’addiction à Facebook. Nous laissons les lectrices et lecteurs prendre connaissance des (édifiants) résultats en ligne…

Aujourd’hui, certains dorment mal et endossent le rôle de lanceurs d’alerte. D’autres continuent le business en développant des « contre-applis », censées nous encourager à nous déconnecter des applis. Certains ont même créé l’« anti-smartphone », le Lightphone, un objet qui permet de… téléphoner. Prix ? 350 dollars ! Dans le même ordre d’idée, plus loin dans ce dossier, nous évoquons le double discours de Proximus, avec ses « conseils malins » de prudence à adopter par les utilisateurs de ses propres produits : une attitude d’un incroyable cynisme vis-à-vis des électrosensibles de notre enquête. Avec ces repentis, nous mesurons tout le poids du mot « cynisme ». Et toute l’ampleur de la tâche à mettre en œuvre pour « aller en arrière », c’est-à-dire pour récupérer la vie et le temps de nos contemporains, comme l’évoque Nicolas Prignot dans son interview. Ainsi qu’un peu d’air sain pour les électrosensibles…

(1) Émission Envoyé spécial « Les repentis des applis », Yvan Martinet, Yann Moine, Matthieu Rénier, Gaëtan Ricciutu, Karim Annette, France 2, 10 septembre 2020. Disponible en ligne.
https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/video-les-repentis-des-applis_4097283.html

Pour terminer sur cette question des tests en double aveugle, centrale et inlassablement invoquée : pourquoi, selon vous, sont-ils présentés pour l’électrosensibilité comme la seule preuve valable ? Sommes-nous face à de la mauvaise foi ?

Je ne peux bien sûr pas interpréter toutes les intentions, de tous les chercheurs. Il y a des enjeux universitaires, au sein d’une polémique existante, et parmi celles et ceux utilisant ces tests, énormément sont de très bonne foi. Ils désirent justement constater l’efficacité, tenter un nouvel élément, aller plus loin que les études précédentes, etc. La bonne foi est observable lorsque les chercheurs concluent qu’ils ont essayé avec douze, trente ou cinquante patients, mais que « C’est compliqué, les recherches sont longues… » Si les chercheurs ajoutent par exemple que « L’échec, ici, ne signifie pas qu’il n’y a rien ; les recherches doivent continuer », c’est en général un bon indice de travail honnête. Bien entendu, ça ne fait pas pour autant l’affaire des électrosensibles, qui ont grandement besoin d’une réponse rapide.

D’autres chercheurs ont des postures de recherche très différentes. J’ai déjà cité James Rubin, présenté dans la thèse, dont le travail est délicat à différents niveaux. Impossible de tout détailler ici, mais relevons par exemple qu’ il a montré à ses étudiants un film alarmiste sur les ondes, et qu’il les a ensuite soumis à un rayonnement électromagnétique, qui s’avérera au final fictif. Ces étudiants ont dû répondre à un questionnaire sur leurs ressentis. Tous ont déclaré avoir senti quelque chose, malgré l’absence de rayonnement… Conclusion ? Tout se passerait dans la tête des gens. Nous nous trouvons ici face à un summum de mauvaise foi : n’importe quel psychologue expérimental y verrait une très mauvaise expérience. Évidemment, les étudiants connaissent l’intérêt de leur professeur pour ce sujet, et tout le dispositif les engagent à réagir comme ça. Le problème, de taille, dans cette polémique actuelle, est qu’au final on en profite pour conclure à l’« effet nocebo » : le patient, croyant au préalable à un effet possible, va développer cet effet, même sans la prise du produit. Or, tout cela ne veut strictement rien dire.

Pour accentuer ses conclusions, Rubin évoque les thérapies cognitivo-comportementales, qui visent à modifier positivement les croyances et pensées négatives que le patient cultive sur lui-même. Brièvement, on peut dire que lorsqu’ils sont traîtés de la sorte, les gens déclarent un peu moins de symptômes, ils vont globalement un peu mieux. Ces thérapies peuvent être utiles et pertinentes, bien entendu : les gens vont mieux, sont pris en charge par une thérapie. Mais cela n’autorise pas à conclure à une maladie psychologique. Même les malades atteints d’un cancer iront peut-être mieux si quelqu’un les suit, si on les aide au quotidien. Personne ne va pour autant prétendre que le cancer est psychologique. C’est d’une mauvaise foi manifeste.

Pour conclure : prétendre aujourd’hui, sur ces bases, qu’il n’existe pas de preuve de l’électrosensibilité, est aller beaucoup trop vite en besogne. Hélas, bien entendu cet exemple-là sera énormément repris et cité. Pour une série d’acteurs, ce sera mis en épingle car, pour eux, l’électrosensibilité ne peut tout simplement pas exister. Ça va dans le sens attendu ? Ok, on prend. Ici, certains perdent tout appareil critique. Par ailleurs – c’est arrivé dans l’histoire -, même si les tests en double aveugle donnaient des résultats significatifs, il y aurait encore des gens pour nier la validité des résultats, même après avoir accordé un statut de légitimité à ce type de test. Fondamentalement, je pense que nous serons toujours face à des « non-convaincus » : on aura beau leur mettre le nez dessus, avancer la preuve, ils noieront toujours le poisson. Certains chercheurs ne cherchent pas à comprendre le phénomène, mais à le mettre à l’épreuve de critères qu’ils ont décrétés au préalable. C’est une position très différente de ceux qui veulent mieux comprendre et qualifier ce qui arrive, même s’ils échouent parfois, malheureusement. Mais l’échec est normal, car dans ces sciences-là, la réussite ne se décrète pas, elle doit se fabriquer.

Des raisons d’espérer ?

Dès l’introduction de sa thèse, Prignot insiste sur l’attention qu’il faut porter aux derniers chapitres de son travail, qui se clôture sur des propositions concrètes. « La dernière chose qui nous a frappé en travaillant avec ces collectifs (NDLR : des collectifs d’électrosensibles ou de militants contre les ondes) était le grand décalage entre la force argumentative dont ils se sont montrés capables d’une part, et de l’autre, la tristesse et le découragement qui émanent de leur travail. La polémique a pris une tournure qui ne laisse plus s’exprimer que des passions tristes, forçant les membres de ces collectifs (et plus encore les électrosensibles) à se positionner comme des victimes. Les propositions que nous faisons en fin de travail visent à mettre en avant les puissances de ces collectifs, et à proposer quelques pistes pour pouvoir les aider à agir autrement » (1).

Tout au long de notre enquête, qui a fait l’objet de six dossiers bien fournis, nous aurions aimé laisser une plus grande à l’optimisme. Cet objectif a été bien difficile à atteindre. Que reste-t-il en effet comme perspective positive, alors que tout notre environnement est saturé de rayonnements entraînant le développement et l’approfondissement de symptômes qui créent un état de souffrance permanent ? La notion de victime, précisée dans nos dossiers, vise justement à sortir d’une vision de « malade » : elle souligne surtout une situation résultant d’une agression physique extérieure, par nature réversible… Nous y voyons de l’optimisme car, même si toute la société envoie aujourd’hui des signaux contraires, cette agression physique n’est pas une fatalité. Là, sans doute, réside l’espoir.

Mais aujourd’hui la personne électrosensible, sans téléphone portable, est également le témoin vivant du monde d’avant cette pollution moderne et d’avant, également, ces modes de vie qu’elle impose. Les dénonciations de la situation faites par les électrosensibles « ont un revers affirmatif caché, qui est affirmation encore par négativité : les électrotrohypersensibles (EHS) sont potentiellement des experts dans ces modes de vie « alternatifs », « sans-fil ». Ils le sont contraints et forcés, mais ils sont ceux qui témoignent de ce que les ondes nous ont fait, ils savent à quel point il est devenu difficile de faire « sans ». Ils sont dans une situation encore un peu ambiguë, d’un monde qu’ils dénoncent mais par rapport auquel leur proposition est toujours négative, car portée par la maladie. Pourtant, ils sont bien porteurs d’une proposition différente : celle d’une vie qui n’exigerait pas cette disponibilité du portable, ces rapports au temps modifiés, etc. Ils sont les porteurs d’un monde autre, mais dont ils ne déploient pas la potentialité positive. Il ne s’agit pas ici d’une injonction à la positivité, d’une injonction à « proposer quelque chose » plutôt que ‘‘d’être critique’’, mais de souligner le fait que cette potentialité positive est bel et bien présente » (2).

Nous l’avons déjà signalé, nous ne prônons nullement ici l’installation d’un monde où seraient nécessaires la création de « zones ghettos », où seraient obligées de se réfugier les personnes électrosensibles. Nous devons cependant en faire le constat : d’ici à ce qu’on ait engrangé des résultats tangibles dans la lutte contre cette pollution électromagnétique et ses effets dévastateurs, il est urgent de trouver une solution qui permette aux personnes électrosensibles de survivre quelque part…À ce sujet, nous avons donné la parole, dans notre précédent numéro, à un bourgmestre qui à son niveau local s’est engagé sur une petite zone, miraculeusement préservée, à ne plus installer aucune source de rayonnements électromagnétiques artificiels (3). Notre philosophe des sciences a réfléchi aux enjeux immédiats de ces « lieux sains ». Si la revendication des zones blanches, exemptes de rayonnements, est en effet en l’état une revendication « négative », porteuse pour les électrosensibles d’exclusion et d’exil, elle pourrait être envisagée, pour notre philosophe des sciences, comme porteuse de positivité. Les électrosensibles, en quelque sorte porteurs d’un futur autre, peuvent l’envisager dès aujourd’hui comme un « territoire libéré ». La question est : « Comment redonner de la joie à ces propositions ? ». Aujourd’hui, tout cela peut être vu comme incongru, « Tomber malade est toujours quelque chose de négatif. Nous sommes bien conscient qu’il peut y avoir quelque chose d’inacceptable dans l’idée de promouvoir d’autres modes de vie alors que ceux-ci ne sont pas choisis, mais aussi (et surtout) parce qu’ils semblent imposés et qu’il suffirait d’enlever les ondes pour que la nécessité de ce mode de vie disparaisse. (…) Mais ces zones blanches pourraient être le début d’une fabrication de communauté porteuse d’un autre mode de vie, une proposition positive et non une réserve de malades. Même si la proposition n’est pas choisie, elle peut être embrassée sur un mode affirmatif » (4).

Aussi, cette proposition positive pourrait également être porteuse d’un diagnostic sur « ce que sont devenus les accros, ces capturés et transformés par les technologies sans fil. Le diagnostic aujourd’hui est dénonciateur, mais peut-il devenir un vrai diagnostic, accompagné de ses tentatives de solutions ? Si vraiment les téléphones portables ont capturé tous ceux qui sont figés devant leur smartphone, ces adolescents au « regard perdu », pourquoi les collectifs d’EHS ne pourraient-ils pas les aider, les soigner, devenir eux-mêmes spécialistes-thérapeutes de ces captures d’âmes ? » (5) Notre interlocuteur a précisé les pensées qui l’ont mené à cette conclusion : « Bien entendu, c’est purement spéculatif. Ce n’est pas moi qui porte cette réponse. Mais pourquoi ne pas voir ces zones blanches comme des propositions de vie alternatives, et pas seulement comme des lieux où on se réfugierait car on est malade. Plus largement, pourquoi n’a-t-on pas le droit, aujourd’hui, d’avoir des modes de vie alternatifs, où on peut expérimenter d’autres choses, d’autres rapports à l’argent, d’autres rapports aux ondes, d’autres rapports au couple… ? Pourquoi, s’il y a des ondes quelque part, faut-il couvrir 100 % du territoire ? Pourquoi ne laisser aucun choix ? »

(1) « L’onde, la preuve et le militant. L’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électrosensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques », Université libre de Bruxelles, 2016, p. 12.

(2) « L’onde, la preuve et le militant », op.cit., page 378.

(3) Ce bourgmestre reste cependant fidèle à un parti qui a voté au Sénat contre la reconnaissance de l’électrosensibilité. Lire la rencontre avec Benoît Piedbœuf (MR), bourgmestre de la commune de Tintigny, « Un petit havre de paix électromagnétique en Gaume ».

(4) et (5) « L’onde, la preuve et le militant », op.cit., pp. 378-379.

Une émission de télévision de France 3 évoque, document à l’appui, une stratégie de communication des industriels, élaborée dès le début de la téléphonie mobile pour contrer les alertes sanitaires (9). Ce type d’investigation journalistique, révélant des éléments plus qu’inquiétants, ne semble avoir aucun effet sur le grand public.

Les premiers combats contre les ondes ont d’abord porté sur les antennes, pour des raisons paysagères mais aussi de dangerosité. Dans les années 1990, la plupart des gens n’avaient pas de téléphone portable, c’était encore une « niche », on pouvait facilement le refuser. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. Mon fils de dix ans n’a quasiment jamais vu un téléphone filaire, par contre il voit des téléphones portables partout, tout le temps : pour lui, c’est la norme. Il en va de même pour le grand public. Or instaurer une « nouvelle » norme, c’est très complexe. Voilà le but de l’industrie : élargir les marchés. Ils n’ont même peut-être pas la volonté de cacher quelque chose mais, plus prosaïquement, ils veulent rendre toute marche arrière impossible. Nous trouvons d’autres situations similaires dans l’Histoire. Imaginer deux fois moins de voitures en Belgique, par exemple, représente pour certains un retour à l’âge de pierre ; ce serait impossible de changer ça… Dans la question qui nous occupe ici, la volonté est clairement d’installer une technologie le plus vite possible afin qu’elle transforme nos vies, en imposant l’idée de l’impossibilité de revenir en arrière. En revanche, aller « en avant » n’a pas été difficile, alors qu’il s’agit d’une transformation tout aussi énorme, et extrêmement rapide.

Dans les années 1960, le philosophe Ivan Illitch alertait sur l’argument voulant nous convaincre du gain de temps possible, par exemple, en allant au travail en voiture. On allait gagner du temps pour vivre et s’épanouir, mais lui calculait le temps qu’on allait perdre à gagner suffisamment d’argent pour payer la voiture, les infrastructures, etc. Aujourd’hui, on sait parfaitement qu’on en perd, du temps. Ces technologies sans fil détruisent, sur certains aspects, notre société et notre mode de vie. On pense gagner du temps ; en réalité c’est l’inverse. Les employeurs et les collègues exigent qu’on travaille plus vite, de chez soi ; ils veulent avoir une réponse à tout, immédiatement… On se prend également des décharges de dopamine avec des « like » et des algorithmes ultra-performants, par exemple, mais on ne discute de rien en amont. Ensuite, a posteriori, naïvement on s’interroge : « Mais enfin, comment se fait-il que les gens soient accros à ces sites ? » Les exemples seraient innombrables : nous sommes envahis par la technologie, et tout se passe comme s’il était impossible d’avoir une discussion démocratique sur ces changements majeurs. Les industriels ne veulent pas d’une discussion sur le mode de vie souhaitable. Lorsqu’un nouvel engin est mis sur le marché, il faut simplement affirmer qu’il ne pose pas de problème pour la santé. Voilà pourquoi, pour le dire rapidement, la focalisation sur la santé me semble agir comme un arbre qui cache la forêt.

Pourtant, les questions de l’influence sur les rapports de travail, sur la manière dont on communique entre nous, sur les relations sociales, sur nos capacités d’attention, ce sont des questions démocratiques et sociales majeures. En outre, n’est-il pas possible de permettre la cohabitation de différents modes de vie ? Une société démocratique est censée pouvoir mener ces débats. Aujourd’hui la tendance lourde est d’imposer au public de se laisser faire… Chaque nouveauté technologique doit être acceptée par tous. Mais, en fait : pourquoi ?

(1) Nous avons pourtant vu que cela n’empêche pas d’autres approches. La Suède par exemple, à situation de preuve identique, considère l’électrosensibilité comme un « handicap fonctionnel ». Des démarches et des procédures de soutien existent dans ce pays, pour les électrosensibles. (Lire l’encadréen p.XXX). Concernant l’OMS et la manière dont sont gérées les questions sanitaires liées aux nouvelles technologies, lire « Des normes de rayonnements sévères en Belgique : la fake news du siècle! », en p.XXX.

(2) « L’onde, la preuve et le militant. L’écosophie de Félix Guattari à l’épreuve de l’électrosensibilité et de la polémique sur les dangers des ondes électromagnétiques », Université libre de Bruxelles (ULB), thèse défendue en 2016. Disponible en ligne sur le site de l’ULB « DI-fusion »
https://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/226172/Holdings

(3) Propos recueillis le 23 février 2023. Dans notre interview, nous maintiendrons son vocabulaire, notamment au sujet du terme de « maladie », plaçant le débat dans la perspective d’une « maladie émergente ». Nous ne perdons cependant pas de vue les divergences de conceptions parmi les personnes électrosensibles. Si toutes sont en recherche d’une solution à leur situation d’extrême exclusion, certaines réclament pragmatiquement un statut de malade, là où d’autres le rejettent totalement, se considérant avant tout comme victimes d’une agression industrielle, sans laquelle jamais leur vie n’aurait été perturbée. Lire à ce sujet l’encadré « Allergie ? Intoxication ? » pages 100-101, au sein de l’article « Faire obstacle à la pleine et effective participation à la société provoque des inégalités » pages 96 à 102, Ensemble ! n°110. www.ensemble.be, onglet « archives »..

(4) « L’onde, la preuve et le militant », op.cit., pp. 11-12.

(5) Félix Guattari (1930-1992) est un psychanalyste et philosophe français, il a travaillé à la célèbre clinique de La Borde. Parmi de nombreuses activités, il était très impliqué dans les champs sociaux et politiques en France.

(6) L’épistémologie est la discipline qui prend la connaissance scientifique pour objet.

(7) L’expression « en double aveugle » signifie que, ni la personne testée, ni celle qui la soumet aux tests, n’est au courant de la présence de rayonnements. Ce système est censé éviter la présence éventuelle d’attitude chez le scientifique qui pourrait influencer la situation en laboratoire, et les réponses de la personne participante.

(8) Dans un dossier précédent, nous avons tenté une métaphore, en imaginant un corps piqué d’un million d’aiguilles, avec les douleurs y afférentes : qui, en laboratoire, pourrait être certain de discriminer l’effet de l’aiguille numéro 1.000.001 ? Par ailleurs, le phénomène de latence est parfaitement connu des électrosensibles, le corps est soumis aux rayonnements nocifs pour eux, mais ceux-ci mettent du temps à imprimer leurs effets, le corps peut développer des mécanismes de résistance dans un premier temps. Les témoins de notre enquête nous l’ont dit : ils subissent les effets d’une exposition massive bien après l’arrêt de celle-ci.

(9) Un compte rendu de réunion, tenue en 1994 à la Fédération des industries électriques et électroniques (FIEE), est montré à l’écran. Il porte sur une stratégie de communication visant à éviter les alertes sanitaires. Un participant à cette réunion, près de vingt ans plus tard, révèle la tenue d’une vingtaine de réunions de ce type, durant trois ans, et confirme le contenu du compte-rendu : « Le marché a été plus vite que la recherche. La recherche c’est long. Quand vous mettez une recherche en marche, vous en avez pour trois ans. En trois ans, le téléphone portable a été multiplié par dix. » Voir l’émission « Mauvaises Ondes », de Sophie Le Gall, réalisée pour France 3. Disponible en ligne.

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