Energie

Le tarif social de l’énergie : un outil fondamental à protéger

Le droit au tarif social de l’énergie a été retiré aux ménages bénéficiant du statut BIM en juillet dernier, ce qui fait à nouveau peser sur eux le risque de précarité énergétique. Parallèlement la ministre fédérale de l’énergie a présenté un projet de réforme du tarif social… qui risquerait fort de ne pas rencontrer les objectifs poursuivis.

Selon la proposition de la ministre, le tarif social serait désormais composé d'un tarif standard pour l'énergie traditionnelle, et d'une réduction pour l'énergie verte, financée par la vente d’électricité autoproduite à partir de sources d’énergie renouvelable installés sur les bâtiments fédéraux. Pas de quoi réduire l’inégalité du système.
Selon la proposition de la ministre, le tarif social serait désormais composé d'un tarif standard pour l'énergie traditionnelle, et d'une réduction pour l'énergie verte, financée par la vente d’électricité autoproduite à partir de sources d’énergie renouvelable installés sur les bâtiments fédéraux. Pas de quoi réduire l’inégalité du système.

L’accès à l’énergie est un droit fondamental mais, pour de nombreux ménages en Belgique, le coût de l’électricité et du gaz naturel représente un poids financier considérable. C’est là qu’entre en jeu le « tarif social de l’énergie, qui aide les ménages les plus précaires à payer leurs factures d’énergie». Ce tarif régulé est identique dans toutes les Régions du pays, et pour tous les fournisseurs. C’est la Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG) qui est chargée de son calcul – le tarif social doit toujours demeurer inférieur aux tarifs des nouveaux contrats proposés sur le marché par les fournisseurs -, et de sa publication trimestrielle.

Qui a droit à ce tarif social ? Les bénéficiaires du revenu d’intégration ou d’autres allocations du CPAS, des allocations du SPF Sécurité sociale liées au handicap, ainsi que des allocations régionales spécifiques offrant un soutien financier aux ménages en difficulté. Les personnes percevant des allocations du Service fédéral des Pensions en raison de l’âge ou du handicap, ainsi que les locataires d’appartements sociaux dont le chauffage dépend d’une installation collective sont également concernées par ce tarif social de l’énergie (1).

Faire face à la période Covid et à la flambée des prix

Depuis la fin de l’année 2021, nous traversons en Belgique une crise des prix du gaz et de l’électricité sans précédent. Même si, depuis le printemps 2023, les prix ont fortement diminué, ils restent toutefois bien supérieurs à leurs niveaux d’avant la crise (lire l’encadré), et rien ne dit qu’ils ne vont pas à nouveau augmenter à l’avenir.

Afin d’atténuer l’augmentation des montants des factures d’énergie pour les ménages et protéger tant bien que mal leur pouvoir d’achat, plusieurs outils et mesures ont été mis en place pendant cette crise. Différentes primes électricité et gaz ont été octroyées, le taux de TVA est passé de 21 à 6% (lire l’encadré) et, surtout, le tarif social avait été étendu aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM), c’est-à-dire à ceux qui obtiennent des remboursements préférentiels des soins de santé et des médicaments.

Cet octroi du droit au tarif social de l’énergie à davantage de citoyens a été décidé par le gouvernement fédéral au début de l’année 2021, pour limiter les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19. Avec cette mesure, les ayants droit ont plus que doublé : au début de l’année 2023, 452.910 ménages figuraient parmi les bénéficiaires « permanents » du tarif social de l’énergie, et 522.125 ménages dans la catégorie BIM (2).
Bien sûr, cette mesure a un coût. Le montant total prévu pour étendre les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz naturel aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) pour les années 2021 et 2022, ainsi que pour le premier semestre de 2023, a été estimé à 1,663 milliard d’euros : 609 millions d’euros pour l’électricité et 1,054 milliard d’euros pour le gaz naturel (3). Le tarif social « classique » est financé par l’ensemble des consommateurs d’énergie – il est en effet répercuté sur leurs factures d’énergie -, tandis que le tarif social octroyés aux BIM était, lui, financé par l’impôt.

Un retour « à la normale » très dommageable

Initialement, cette mesure n’était censée s’appliquer que durant quelques mois, jusqu’en octobre 2021. Mais elle a été prolongée une première fois en 2022 en raison de la flambée des prix de l’énergie, puis à nouveau durant la première moitié de l’année 2023, pour prendre fin au 1er juillet 2023. Depuis le début de l’année 2023, les prix du gaz et de l’électricité ont fortement diminué – même s’ils restent plus élevés que leurs niveaux d’avant crise : le gouvernement fédéral a donc saisi l’occasion pour mettre un terme à la mesure.

Depuis l’été dernier, les BIM ont donc perdu le bénéfice du tarif social et ont été versés dans l’offre commerciale équivalente la moins chère proposée par leurs fournisseurs. Le basculement vers cette offre commerciale entraîne une forte augmentation de leurs factures. Ce sont donc plus de 500.000 ménages qui sont à nouveau aux prises avec la précarité énergétique, et qui risquent le surendettement. Ils ont été exclus du tarif social sur la base de leur statut – il s’agit d’une mesure administrative -, et ce alors même que nombre de bénéficiaires du statut BIM se débattent dans les mêmes difficultés financières que les ayants droit classiques du tarif social. Si les responsables politiques veulent lutter efficacement contre la précarité énergétique, il est impératif qu’ils pérennisent l’extension du tarif social aux BIM.

Le nécessaire plafonnement du tarif social

Nous irons même plus loin : pour être réellement efficace, le tarif social devrait être amélioré et mieux protégé des augmentations. Son prix a fortement augmenté au cours de ces deux dernières années, et ce malgré un mécanisme de plafonnement qui l’empêche d’augmenter trop rapidement. Il était de 2,4 centimes d’euro le kWh au troisième trimestre 2021, pour 4,47 centimes le kWh aujourd’hui. La facture annuelle totale de gaz et électricité, au tarif social, s’élevait, pour une consommation annuelle médiane de 2036 kWh en électricité et de 12728 kWh en gaz, à 779 euros en 2021, pour 1.100 euros en septembre 2023. Soit une augmentation de 86 % !

Afin de limiter son augmentation, un plafond maximal devrait être instauré. De plus, l’extension de l’octroi du tarif social au BIM doit être pérennisé : le tarif social doit être envisagé comme une aide durable ; pas comme un pansement. Mieux encore : il faudrait également réfléchir à un tarif intermédiaire qui pourrait être octroyé aux ménages dont les revenus dépassent le plafond du statut BIM, mais qui ne peuvent toutefois pas payer les prix commerciaux sans risquer de tomber dans la précarité.

Une perte sonnante et trébuchante

Il s’agit ici d’une facture annuelle pour une consommation médiane, c’est-à-dire 2036 kWh d’électricité et 12728 kWh de gaz. Nous constatons que, malgré la diminution importante de la facture intervenue entre 2022 et 2023, celle-ci reste élevée. Et qu’en 2023, ladifférence entrela facture au tarif social et celle avec le contrat le commercial le moins cher atteint toujours 556 euros, ce qui n’est pas négligeable.
Il s’agit ici d’une facture annuelle pour une consommation médiane, c’est-à-dire 2036 kWh d’électricité et 12728 kWh de gaz. Nous constatons que, malgré la diminution importante de la facture intervenue entre 2022 et 2023, celle-ci reste élevée. Et qu’en 2023, ladifférence entrela facture au tarif social et celle avec le contrat le commercial le moins cher atteint toujours 556 euros, ce qui n’est pas négligeable. On le voit donc de façon très concrète : la perte du droit au tarif social représente une perte de pouvoir d’achat importante et risque de fragiliser les ménages concernés.

Pour illustrer concrètement le bénéfice du tarif social pour ceux qui en bénéficient et, a contrario, le choc financier que représente le fait, pour certains ménages (1), d’en être exclus depuis juillet dernier, nous avons comparé le montant de la facture annuelle au tarif social au contrat commercial le moins cher pour une consommation annuelle médiane (2).
Sur la base des prix en vigueur en septembre 2023, la facture annuelle s’élève à 1.656 euros pour le contrat le moins cher en électricité et gaz. Avec le tarif social pour les deux énergies, la facture annuelle est de 1.110 euros, ce qui représente556 euros – ou 34% – de moins par rapport au contrat le moins cher sur le marché.
Le graphique suivant montre les prix du kWh de gaz des différents contrats « tout compris », c’est-à-dire qui incluent les différentes composantes des factures d’énergie, soit la partie énergie auxquels s’ajoutent les frais de réseaux, les taxes et la TVA. L’écart entre le tarif social et le contrat le moins cher était, en septembre dernier, d’environ 3 centimes et de plus de 5 centimes par kWh pour le contrat fixe Easy d’engie. Il faut garder à l’esprit que la plupart des contrats proposés sont des contrats à prix variable : leurs prix risquent d’augmenter pendant l’hiver, et la facture annuelle finale pourrait donc être bien plus importante que celle illustrée dans nos simulations.

(1) Les bénéficiaires du statut BIM – Bénéficiaires de l’intervention Majorée, à qui ce statut permet d’obtenir de meilleurs remboursements des soins de santé et des médicaments – ont perdu le droit au tarif social en juillet dernier.
(2) La consommation médiane est de 2036 kWh d’électricité et 12728 kWh de gaz.

Une refonte complète, et complexe, du tarif social…

Fin juin le cabinet de Tinne Van der Straeten, ministre fédérale de l’Energie (Groen), a présenté un projet de réforme du tarif social, mais ce projet de réforme ne semble pas de nature à répondre aux attentes.

Tout n’est pas à jeter, bien sûr. Afin de lutter contre l’exclusion numérique, la facturation et l’accès au service clientèle des fournisseurs devrait être possible par téléphone. C’est positif. Par ailleurs : ceux qui travaillent à la révision du mécanisme du tarif social estiment qu’il est actuellement discriminatoire, puisque son octroi est restreint à des catégories spécifiques de ménages et en exclut d’autres, pourtant aussi à faibles revenus. Ils regrettent qu’il n’y ait qu’un tarif social unique, non modulé en fonction du niveau de revenus des bénéficiaires. Jusqu’ici, nous pouvons les suivre.

Nous les suivons, aussi, sur les objectifs qu’ils poursuivent. D’une part, il s’agit de réduire les risques de précarité énergétique en ciblant plus efficacement les bénéficiaires en fonction de leur revenu, leur garantissant ainsi un revenu mensuel suffisant après les dépenses énergétiques. De l’autre, le projet de réforme présenté cherche à orienter davantage le tarif social vers des solutions durables : les personnes en situation de précarité énergétique pourraient ainsi profiter des avantages des énergies renouvelables au travers d’investissements fédéraux.

Le reste du raisonnement nous semble beaucoup moins pertinent. Pour atteindre ces objectifs, le tarif social serait désormais composé d’un tarif standard pour l’énergie traditionnelle, et d’une réduction pour l’énergie verte. Les bénéficiaires de cette réduction se classeraient en trois catégories. Un : les bénéficiaires actuels du tarif social de l’énergie – les bénéficiaires du revenu d’intégration, les pensionnés, les personnes en situation de handicap, etc. -, qui représentent grosso modo la moitié des ménages concernés aujourd’hui par le tarif social. Deux : les ménages qui ne bénéficient pas du statut social, mais dont le revenu annuel ne dépasse pas 17.500 euros, ce qui représente environ un quart des ménages concernés. Trois : les ménages dont le revenu annuel est compris entre 17.500 et 25.200 euros, ce qui représente un autre quart des ménages concernés.

En outre, le nouveau tarif social imaginé pour l’électricité, le gaz et le chauffage ne serait plus un tarif « tout compris ». Explications. Tout d’abord, seule la composante « énergie » de la facture s’alignerait sur le tarif le plus bas disponible sur le marché. Ce tarif s’appliquerait à tous les ménages des trois catégories recensées ci-dessus, et serait mis à jour trimestriellement, sans être soumis à un plafond.

Ensuite, les ménages que le tarif social standard ne suffirait pas à protéger de la précarité énergétique pourraient bénéficier d’une réduction « énergie verte » supplémentaire, financée par la vente d’électricité autoproduite à partir de sources d’énergie renouvelable installés sur les bâtiments fédéraux. Notons qu’un certain flou entoure encore le niveau précis de la prime, et ses fluctuations éventuelles en fonction des gouvernements et des contraintes budgétaires.

En l’état actuel des projections, les bénéficiaires actuels du tarif social de l’énergie bénéficieraient (sur la base des prix de 2023 et d’une consommation annuelle moyenne) d’une prime annuelle de 2.150 euros, et ceux – qui ne bénéficient pas du tarif social de l’énergie – dont le revenu annuel ne dépasse pas 17.500 euros recevraient pour leur part une prime de 50 euros.

Baisse de la TVA : miroir aux alouettes ?

En raison de la crise des prix que nous avons traversée en 2021-2022, le gouvernement fédéral a décidé de modifier certains éléments des factures de gaz et d’électricité afin d’alléger le montant de la facture pour les ménages. Parmi ces mesures, la réduction du taux de TVA de 21 % à 6% pour le gaz et l’électricité. D’abord prévue de manière temporaire, cette mesure a ensuite été pérennisée par le gouvernement fédéral.

Toutefois, afin de compenser l’impact financier de cette mesure sur le budget de l’Etat, les surcharges fédérales ont été transformées en « accises spéciales ». Une opération qui, si l’on en croit la ministre fédérale de l’Énergie, allait certes augmenter quelque peu la facture pour les consommateurs, mais bien moins que si l’on revenait au taux de TVA de 21%.

Les simulations que nous avons effectuées à InforGazElec (IGE) montrent que le nouveau système est certes plus intéressant financièrement pendant les périodes où le prix de l’énergie est élevé, mais qu’au contraire, dès que le prix se rapproche de 4,5 centimes par kWh pour le gaz, et de 20 centimes par kWh pour l’électricité, l’ancien système est plus intéressant. Au plus le prix diminue, au plus la différence est patente, toujours au bénéfice de l’ancien système. La baisse de la TVA de l’énergie de 21 à 6% n’est donc, par certains égards, qu’un miroir aux alouettes…

… qui ne réduit pas les inégalités

Autrement dit : seuls les ayants droits classiques actuels seraient aidés de manière substantielle. La proposition de réforme n’atteint donc pas l’objectif annoncé de réduire les inégalités entre les bénéficiaires. En effet : alors même que les différences entre les niveaux de revenus des bénéficiaires « classiques » du tarif social et ceux des ménages dont les revenus annuels ne dépassent pas 17.500 euros sont le plus souvent très ténues, voire inexistantes, les ayants-droits « classiques » bénéficieraient d’une réduction « énergie verte » significativement plus élevée, sur la seule base de leur statut social.
Beaucoup de changements proposés, donc, pour une efficacité qui nous paraît limitée.

A nos yeux, le tarif social reste la mesure sociale la plus efficace pour lutter contre la précarité énergétique. Sa force repose principalement sur la régulation des prix qu’il garantit : c’est cela qui protège les ménages les plus précaires des risques de fluctuations des prix, inhérentes aux lois du marché.
Cette régulation des prix garantie par le tarif social constitue un solide amortisseur de crise des prix du gaz et de l’électricité. Elle doit donc impérativement être maintenue, et il faudrait en plus fixer un plafonnement des prix. En outre, les bénéficiaires du statut BIM et les ménages ayant des revenus d’un niveau comparable doivent pouvoir bénéficier de manière permanente du tarif social. Pour les classes moyennes non éligibles au statut BIM, mais dont les revenus ne permettent pas d’éviter la précarité énergétique, il faudrait établir des prix régulés dégressifs en fonction du niveau de revenus.

Lors des négociations sur le budget au sein du gouvernement fédéral de ce mois d’octobre, le budget supplémentaire inhérent à la proposition de réforme du tarif social de la ministre Van der Straeten n’a pas été validé. Son cabinet indique que « ses principes n’ont pas pour autant été recalés et les travaux continuent au sein du gouvernement afin de la voir aboutir ou qu’elle soit intégrée le prochain accord de gouvernement ». Il signale également que le gouvernement a validé une prime annuelle pour les ayants droit au tarif social se chauffant via une installation collective.

Le débat est donc ouvert. Selon nous, une réforme efficace du mécanisme du tarif social passe par l’élargissement structurel du nombre de bénéficiaires afin d’éliminer les inégalités existantes, plutôt que par la refonte complète et complexe d’un mécanisme qui a régulièrement prouvé son efficacité.

(1) Pour retrouver les catégories sur le site du SPF Economie : https://economie.fgov.be/fr/themes/energie/prix-de-lenergie/tarif-social-pour-lenergie

(2) Tous les chiffres rapportés ici sont tirés de la CREG, « Rapport (RA) 2256 », 15 mai 2023, p6. Vu à : https://www.creg.be/sites/default/files/assets/Publications/Reports/RA2556FR.pdf

(3) Pour une consommation annuelle médiane, c’est-à-dire 2.036 kWh en électricité et 12.728 kWh en gaz.

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