Extrême droite

Antivax et No Evras, des convergences au cœur du complot

Après le reflux de la mouvance antivax, les conspirationnistes sont repartis à l’assaut de l’opinion publique pour dénoncer le programme scolaire Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras), en s’alliant cette fois avec des musulmans conservateurs. Une enquête du blog RésistanceS.(1)

NO EVRAS Militant d'extrème droite Bruxelles, 17 septembre 2023, un activiste d’extrême droite de longue date au rassemblement « No Evras ». © Photo RésistanceS / Alexandre Vick
Bruxelles, 17 septembre 2023, un activiste d'etrême droite d elongue date au rassemblement "No Evras" @Photo RésistanceS - Alexandre Vick

Une vague conspirationniste importante a frappé la Belgique, en même temps que celle de la Covid-19. Cette dernière aurait été un élément de destruction et de soumission massives d’un « complot mondialiste ». S’arc-boutant sur de vieilles fake news, issues des rumeurs antisémites de jadis, les nouveaux croyants ont été royalement manipulés par des groupes et micro-partis d’extrême droite. Après le reflux de la mouvance antivax, ils sont repartis à l’assaut de l’opinion publique pour dénoncer le programme scolaire Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras). En parallèle à des attaques par incendies criminels d’écoles à Charleroi et à Liège, les « fachos » en question se sont directement alliés à des musulmans conservateurs pour mener leur combat « No Evras » . Ces nouvelles alliances objectives et convergences idéologiques renforceront le bloc des disciples de théocraties et autres régimes autoritaires.

Dans le monde politique « mainstream », les convergences sont régulières. Selon les résultats électoraux, les formules possibles pour composer les équipes gouvernementales sont multiples, entre les libéraux (MR et Open VLD), les sociaux-démocrates (PS et Vooruit), les chrétiens démocrates identitaire (CD&V), les cathos centristes (anciens PSC et ex-CDH, désormais Engagés), les écologistes institutionnalisés (Ecolo et Groen) et les nationalistes ultra-libéraux (N-VA). Ce qui produit des programmes de gouvernement proposant quasi systématiquement des convergences entre les partis qui montent au 16 rue de la Loi et ceux qui composent aussi des majorités communales. Il existe également d’autres synergies. Tour récemment, celles-ci ont été observées dans le cas des contestations multiformes de mesures de gouvernance, à tous les échelons de la lasagne institutionnelle du Royaume de Belgique, du fédéral au local, en passant par le régional, le communautaire et le provincial.

Mouvance antivax

Lors de la crise de la Covid-19, grosso modo de mars 2020 à septembre 2022, les différentes autorités politiques concernées ont mis en place des mesures sanitaires : confinement, gestes barrières, port du masque, campagne de vaccination, obligation de se faire vacciner pour les professionnels de la santé, achats dans les magasins assortis de contraintes, imposition d’un couvre-feu, du travail à domicile, fermeture du secteur de la culture, interdiction de se rendre à l’étranger, limitation du nombre de personnes aux fêtes de famille et aux enterrements… Avec pour seul objectif : contrecarrer cette nouvelle pandémie des Temps Modernes. Dans l’ensemble, les directives gouvernementales de restrictions de nos habitudes de la vie quotidienne ont été acceptées par la population, en Belgique comme ailleurs dans le monde. Il était question de survie. Ici et là, des opposants se sont néanmoins levés d’abord, se sont organisés en réseaux ensuite, se sont manifestés bruyamment enfin, pour contester les décisions du pouvoir public. Une mouvance « antivax » allait prendre forme.

Les « fachos » actifs durant la crise sanitaire se sont désormais alliés à des musulmans conservateurs pour mener leur combat «No Evras»

En France, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie ou encore en Belgique, les antivax défilèrent par milliers – parfois jusqu’à 30.000 à 50.000 manifestants – dans les rues des capitales de ces pays. La foule qui composait leurs cortèges était bigarrée. Toutes les générations d’âge (de 7 à 77 ans en gros) et les milieux professionnels différents (de « prolos » à de « gros bourg’ ») y étaient bien représentés. Sans lutte des classes ni aucune fracture religieuse. La composante politique sera elle, moins visible. Plus diffuse. Exprimée de façon fluide et discrète. Évidemment aucun parti mainstream et de la gauche authentique (PTB, Gauche anticapitaliste, PSL, JOC…) n’y ont participé (seuls peut-être quelques-uns de leurs sympathisants, à titre individuel). En revanche, l’extrême droite, certes discrètement, via parfois des prête-noms (sous la couverture d’associations fondées pour l’occasion et afin de masquer une identité idéologique trop marquée), était puissamment présente dans les « marches pour la liberté » (sic).

Le feu pour expression. Trois nervis d’extrême droite (ex-Nation) à l’œuvre à la « Marche pour la liberté » contre les mesures sanitaires du 23 février 2022 © Photo RS
Le feu pour expression. Trois nervis d’extrême droite (ex-Nation) à l’œuvre à la « Marche pour la liberté » contre les mesures sanitaires du 23 février 2022 © Photo RS

Identitaires blancs

Cette réalité diffuse – souvent donc difficile à identifier – a été observée et révélée dans des enquêtes journalistiques d’investigation. Des reporters de terrain de RésistanceS, le journal de l’Observatoire belge de l’extrême droite, se sont rendus incognito chez les antivax, pour y identifier la présence d’activistes et de groupes d’extrême droite. Non seulement présents au cœur de la foule protestataire, ces derniers étaient même à la tête des marches et autres rassemblements contre les mesures sanitaires. Leurs directives, orientations et slogans principaux provenaient directement des rangs de ceux qui veulent pourtant, à terme, supprimer les libertés individuelles et collectives des citoyens. Ce qui constitue un paradoxe surréaliste. Avec pour oxymore : liberté (de ne pas se faire vacciner) et extrême droite (favorable à un État fort, autoritaire ou dictatorial).

Ainsi, RésistanceS a identifié dans les défilés antivax, en plus de quelques « personnalités » du Vlaams Belang, la présence importante de petits partis, mouvements, groupes et collectifs nationalistes belges, identitaires blancs, néopaïens et intégristes catholiques qui composent actuellement encore l’extrême droite. Accompagnés de leurs quelques militants les plus actifs, y étaient présents les dirigeants de Civitas (nationaux-catholiques maurrassiens actifs depuis 1999 en France et en Belgique), du collectif En Colère (fondé en juillet 2020 par deux activistes issus de la mouvance néonazie), du micro-parti Éveil (dirigé par un ex-naziskin namurois depuis sa création en octobre 2021), de La Meute (composée de « barakis » nationalistes belgicains, en action depuis octobre 2016), du Mouvement Nation (apparu en septembre 1999 autour de l’ancien chef des nazillons francophones de l’époque), du réseau semi-clandestin Les Bourguignons (branche belge issue, en avril 2020, de la secte politico-raciale Les Braves, réservée uniquement aux « Blancs européens »), du groupe Feniks (rassemblant, à partir d’août 2021, des activistes provenant de Schild &Vrienden, à l’origine un groupe composé d’étudiants nationalistes flamands de l’Université de Gand, fondé en mai 2017 pour protéger sur leur campus une conférence de Theo Francken, le leader du courant d’extrême droite de la N-VA), le groupe d’action nationaliste Voorpost (l’un des piliers fondateurs en 1978 du Vlaams Blok, devenu « Belang » en 2004), la bande de motards de Thule Project (groupuscule paramilitaire néonazi actif sous ce nom, à partir de juin 2020, en Flandre) …

L’extrême droite, certes discrètement et via parfois des prête-noms, était puissamment présente dans les « marches pour la liberté ».

Ces marches antivax resteront historiques dans l’Histoire de l’extrême droite en Belgique francophone. Marginalisée, folklorisée et minorisée sur le plan politique, cette dernière a réussi un tour de passe-passe inédit. Après une infiltration structurelle, elle réussira finalement à diriger un véritable mouvement social populaire, pourtant composé de plusieurs de ses cibles de prédilection : des insoumis à toutes autorités, des gauchistes à la dérive, des musulmans se méfiant de tout, des travailleurs étrangers inquiets, des jeunes indisciplinés, etc etc.

Penasse dans un « nid de fascistes »

Pour en arriver à cette situation exceptionnelle, il fallut établir des synergies. C’est un versant confusionniste et complotiste qui va servir de liant. Permettant ainsi à la revue écologiste radicale Kairos de se retrouver en alliance objective avec l’institut national-catholique d’extrême droite Civitas (la branche politique de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, la communauté religieuse sectaire anti-Vatican II fondée en 1970 par Monseigneur Lefebvre), ainsi que l’a révélé l’enquête d’investigation d’Ensemble ! et du blog RésistanceS (webjournal de l’Observatoire belge de l’extrême droite), en décembre 2022 (2).

Ainsi, par des informations confidentielles reçues après la publication de cette enquête exclusive, nous avons appris qu’Alexandre Penasse, le rédacteur en chef de Kairos, s’est retrouvé à des réunions avec plusieurs cadres de l’extrême droite antivax. Celles-ci se sont déroulées dans un café voisin de son domicile, sur la place Eugène Keym, dans la commune bruxello-bourgeoise de Watermael-Boitsfort. Plus qu’un moment informel autour de verres de bière, il s’agissait carrément de « la permanence » de la section belge du parti français d’extrême droite Les Patriotes, organisée chaque dernier dimanche du mois. Cette minuscule formation politique a été fondée, en septembre 2017, par des dissidents du Front national de Marine Le Pen. Elle est dirigée par son ancien numéro deux, Florian Philippot. Durant la pandémie de la Covid-19, Les Patriotes ont conduit des défilés antivax presque tous les samedis, à Paris. Grâce à cet acharnement, Florian Philippot, leur président, est devenu petit à petit une des principales têtes de gondole des antivax.

La permanence mensuelle bruxelloise des Patriotes belges – surnommés « les Résistants » – est organisée par Anne Lejeune, leur cheffe septuagénaire (lire l’encadré). Y vient qui veut. Mais ses participants sont presque toujours les mêmes. Alain Escada, le président de Civitas, l’a fréquentée quelques fois. Mais soutenir un parti dont le président est un homosexuel reconnu lui est difficile. Le traditionaliste catholique – « obsédé par les gays et les francs-maçons », nous dira une proche – s’est dès lors fait plus rare à la réunion mensuelle des Patriotes. D’autres têtes connues de l’extrême droite belge y sont allées. C’est le cas de Jean-Pierre Demol. Chef de la sécurité du Mouvement social nationaliste (MSN), un groupuscule néorexiste du début des années 1980, il participe ensuite à la création du Front national belge en 1985. De nos jours, Demol reste le président d’honneur du Mouvement Nation, dont le programme « national-solidariste » lui sert à camoufler ses racines « national-socialistes » (nazies). Grégory Bourguignon, ancien cadre-fondateur de Nation, fait lui aussi partie des participants des rendez-vous des Patriotes au café bruxellois de la place Keym. Après Nation, il passa à l’éphémère Parti national européen (PNE), aujourd’hui fusionné dans la formation wallonne « Chez Nous », tout en dirigeant le collectif En Colère. Très actif dans la mouvance antivax, Bourguignon dirige maintenant l’association Valeurs saines.

À leurs côtés, dans le café de Watermael-Boitsfort qui sert de QG aux Patriotes belges, il y avait également les dirigeants de l’association Artémus, dont Anne Lejeune est aussi la responsable (lire l’encadré). La présence d’Alexandre Penasse en personne dans ce « nid de fascistes » devrait désormais convaincre ceux et celles qui le croyaient lorsqu’il niait avec vigueur, en regardant son interlocuteur droit dans les yeux, être devenu un compagnon de route de l’extrême droite. Sur ce point, Penasse ment terriblement.

Rassemblement « No Evras » du 17 septembre 2023 à Bruxelles, de droite à gauche : ses organisateurs, la musulmane conservatrice Radya Oulebsir et le leader antivax Nicolas Lefevre (ASBL Bon sens Belgique), avec le national-catholique d’extrême droite Alain Escada (Civitas) © Photo RésistanceS / Alexandre Vick
Rassemblement « No Evras » du 17 septembre 2023 à Bruxelles, de droite à gauche : ses organisateurs, la musulmane conservatrice Radya Oulebsir et le leader antivax Nicolas Lefevre (ASBL Bon sens Belgique), avec le national-catholique d’extrême droite Alain Escada (Civitas) © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

Antivax contre Evras

Après les grandes vacances, à partir du début du mois de septembre 2023, une bonne partie de cette faune nationaliste belge et identitaire blanche, rêvant d’Ordre nouveau contre le« Nouvel Ordre Mondial », s’est remobilisée. Elle se retrouve alors à l’avant-poste des premiers opposants au cours à l’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras), destiné aux établissements scolaires de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Une mobilisation suscitée sur la base de très nombreuses fake news, qui pousse certains des « No Evras » à l’action directe terroriste. À Charleroi et à Liège, des écoles sont les cibles d’incendies criminels. Sur leurs murs, des inscriptions « No Evras » signent ces forfaits. Ces attaques seront considérées comme des actes de terrorisme par Paul Magnette,bourgmestre de Charleroi,et Caroline Désir, ministre de l’Enseignement en FWB (tous les deux sont PS). Les plus « pacifiques » du mouvement anti-Evras naissant se rassemblent, le jeudi 7 septembre dernier, pour une première manifestation devant le siège de la FWB. Le dimanche 17 septembre suivant, ils seront bien plus nombreux : plus de 2.000 personnes foulent le pavé de la place de l’Albertine, à deux pas de la gare Bruxelles-Centrale, dans le centre de la capitale.

Les conservateurs musulmans, comme les identitaires blancs, les nationalistes belges et les traditionalistes nationaux-catholiques, sont favorables à des États forts, autoritaires et mêmes dictatoriaux, théocratiques.

Ses participants sont, dans leur grande majorité, issus de diverses communautés religieuses musulmanes : maghrébine, sub-saharienne, albanaise, pakistanaise, proche-orientale… Un reporter du webjournal RésistanceS « infiltré » dans la foule apprend que la mobilisation en faveur de ce rassemblement s’est faite, les jours précédents, dans plusieurs mosquées radicales de la capitale et de Wallonie. L’organisatrice principale du rassemblement se dénomme Radya Oulebsir. Née à Paris en janvier 1979, cette Française expatriée à Bruxelles y est connue comme activiste musulmane. Radya Oulebsir est une youtubeuse populaire, une leader islamique du Net. Elle mène son combat contre une « dictature qui nous pend tous au nez » sous le règne du « politiquement correct ». Sa lutte contre l’Evras est imbibée de récits conspirationnistes. Les mots qu’utilise Oulebsir puisent d’ailleurs au même lexique idéologique que celui de l’extrême droite. Rien d’étonnant à cela. Cette musulmane conservatrice mène de concert son combat avec des dirigeants et des groupes nationalistes belges, identitaires blancs et nationaux-catholiques intégristes. Ce qui n’a pas toujours été le cas auparavant.

Alexandre Penasse de Kairos chez Les « Patriotes » belges

Après le dossier « Kairos sur la vague complotiste » réalisé par Ensemble ! avec le blog RésistanceS, et publié en décembre 2022, nous avons reçu plusieurs témoignages confirmant la dérive de la revue « écologiste » Kairos vers l’extrême droite. Alexandre Penasse, son rédacteur en chef, a été vu à des permanences de la section belge de la formation Les Patriotes. Fondé en 2017 par Florian Philippot, ancien numéro deux du Front national français, ce micro-parti a été l’un des artisans de la mobilisation contre les mesures sanitaires gouvernementales pour contrer la Covid-19. En Belgique, il regrouperait 300 adhérents et sympathisants, selon sa responsable.

Lors de permanences bruxelloises des Patriotes, tenues chaque dernier dimanche du mois, Penasse y côtoie des dirigeants et des cadres d’extrême droite belges, français et suisses bien connus. Ces moments de convivialité militante se déroulent dans un café de la place Eugène Keym, à Watermael-Boisfort, à deux pas du domicile du rédacteur en chef de Kairos.

Nous avons contacté, le 27 septembre dernier, Anne Lejeune (74 ans), la responsable en Belgique du parti de Florian Philippot. Elle reconnait qu’elle connait très bien Alexandre Penasse. Lors des permanences mensuelles dans le café dont elle est l’administratrice responsable, elle dit « accueillir tous les résistants au Nouvel Ordre Mondial contrôlé par le sommet de Davos ».

Par téléphone, puis par courriel, Lejeune nous a confirmé la présence chez elle d’Alexandre Penasse, aux côtés de dirigeants de l’extrême droite belge. Le rédacteur en chef de Kairos s’est donc retrouvé attablé avec Alain Escada (Civitas), Jean-Pierre Demol (président d’honneur du Mouvement Nation), Grégory Bourguignon (ex-Nation, meneur de l’association Valeurs saines, et responsable des Patriotes dans le Hainaut), Bernard Van Damme, Ludovic Joubert et Nicolas D’Asseiva de l’association Artémus, ainsi que Nicolas Lefevre, coprésident de l’association Bon sens Belgique.

Via leurs liens avec les antivax, Les Patriotes belges sont aussi en relation avec les No Evras, dont Radya Oulebsir, la leader musulmane conservatrice initiatrice du rassemblement du dimanche 17 septembre 2023 à l’Albertine à Bruxelles. Le week-end suivant, une partie d’entre eux, dont Anne Lejeune, Grégory Bourguignon, Ludovic Joubert et Radya Oulebsir, se sont retrouvés à Bruxelles à la cinquième édition du « Sommet citoyen » organisé par l’association Bon sens Belgique de Nicolas Lefevre.

Nous avons contacté à plusieurs reprises, par messenger et téléphone, Alexandre Penasse pour connaître sa réaction à cette nouvelle preuve des liens étroits qu’il entretient avec l’extrême droite, établie par RésistanceS. Nous n’avons reçu aucune réponse à nos demandes de la part du rédacteur en chef de Kairos avant l’envoi à l’imprimerie de ce numéro. Dont acte.

M.AZ

Le « lobby LGBT+ »

Radya Oulebsir semble émerger du secteur « associatif socialo-écologiste ». Elle fit partie, en 2015, de la direction de la Maison du peuple d’Europe (MPE), une ASBL fondée deux ans auparavant sous l’impulsion du Centre d’action laïque (CAL) et avec l’appui de plusieurs personnalités du PS (Marie Arena, Marc Tarabella, Denis Stokkins, Jean Spinette, Alain Hutchinson…) et d’Ecolo (Zoé Genot). Par la suite, la MPE sera reprise en main par des militants associatifs tel le laïque tunisien Raouf Ben Ammar, ou des activistes musulmans, dont Radya Oulebsir.

Le dimanche 17 septembre dernier, dans son discours tenu devant une foule déchainée, Radya Oulebsir s’est attaquée au programme Evras en pointant du doigt ses « auteurs cachés » : le pouvoir politique, le lobby LGBT+… L’ombre de la franc-maçonnerie sera encore citée à demi-mots. Pour cette conservatrice musulmane, Evras est un véritable complot contre les familles, son but étant leur « destruction par la perversion sexuelle ». Un discours qui, ainsi que le constata le journaliste de RésistanceS présent sur place, a su séduire les manifestants – dont quelques-uns provenaient du mouvement des Gilets jaunes -, conduits par le conspirationniste Nicolas Lefevre de l’association Bon sens Belgique (co-organisateur du rassemblement) et certains issus du courant radical de la mouvance antivax..

À la tribune, auprès de Radya Oulebsir et des autres membres organisateurs, il y avait le gilet jaune antivax Nicolas Lefevre, mais également Alain Escada. Ce dernier s’est attaqué aux « transexuels » et a dénoncé le « projet mondialiste qui veut imposer un nouvel ordre mondial sexuel », totalement « orchestré comme un piège pour organiser la dépopulation ».

Le jour de ce rassemblement, siégeaient donc, à la même tribune, une activiste musulmane conservatrice et un catholique traditionnaliste, « compagnon de route » de la direction du Front national belge, connaissance personnelle du raciste Jean-Marie Le Pen et engagé depuis les années 1990 dans la lutte contre ladite « islamisation » de nos pays. Escada fut un pilier du mouvement contre les mesures sanitaires entre 2020 et 2022 pour contrer la pandémie de la Covid-19. Après l’essoufflement de ce mouvement, il a embrayé dans l’opposition à l’Evras. Il n’est pas le seul, à l’extrême droite.

L’extrémiste de droite Gregory Bourguignon (ancien néonazi de Nation et du Parti national européen), meneur de l’association Valeurs Saines, avec des activistes musulmans, le 17 septembre 2023 au rassemblement « No Evras ». © Photo RésistanceS / Alexandre Vick
L’extrémiste de droite Gregory Bourguignon (ancien néonazi de Nation et du Parti national européen), meneur de l’association Valeurs Saines, avec des activistes musulmans, le 17 septembre 2023 au rassemblement « No Evras ». © Photo RésistanceS / Alexandre Vick

Propagande antisémite d’antan

Dans la foule de la manifestation essentiellement musulmane « No Evras » du 17 septembre, d’autres activistes d’extrême droite ont encore été identifiés par le webjournal RésistanceS. C’est le cas de Noël-Camille Mortier, un ancien du Parti des forces nouvelles (PFN), du FN belge, qui passa ensuite au Mouvement Nation de Jean-Pierre Demol. À côté de la tribune, toujours contrôlée par Radya Oulebsir, ses bras droits et Escada, on pouvait voir une petite délégation de « Valeurs saines », « en compagnie d’amis musulmans dont le dress code était celui des salafistes », observe RésistanceS durant son reportage.

« Valeurs saines » est une petite association wallonne, récemment apparue en Wallonie à la faveur de diverses protestations anti-pédophiles et contre le « lobby LGBT+ ». Elle est conduite par le Mouscronnois Grégory Bourguignon, déjà cité dans cet article. Ce pur et dur formé au sein d’un groupuscule néonazi a d’abord exercé ses talents chez les antivax, comme Escada. Il se dépense désormais sans compter chez les No Evras. Lors du rassemblement du 17 septembre, proches de Bourguignon, on pouvait également identifier Lucien Coppens et Geoffrey Botton. A l’instar de Bourguignon et de Noël-Camille Mortier, ils proviennent eux aussi du Mouvement Nation. Coppens en a été le président de la section juvénile, Jeune Nation (JN). En 2019, il figure sur la liste des candidats de Nation pour les élections du Parlement wallon. Dans sa « profession de foi », il mentionne être engagé pour défendre les « valeurs de la famille traditionnelle » et s’opposer au « lobby LGBT et à leurs amis gauchistes ». Proche de Civitas, Coppens s’attaque dans sa missive aux « mondialistes » et aux « sociétés secrètes » (sont visées ici uniquement les loges maçonniques). Coppens est lié désormais au parti wallon « Chez Nous », parrainé par Marine Le Pen et le Vlaams Belang. Quant à Geoffrey Botton, originaire de la scène nazie-skinheads, celui-ci est le leader de l’« Éveil ». Fondé en octobre 2021 avec d’autres ex-Nation, ce micro-parti d’extrême droite, dont le siège se trouve à Namur, a été fort présent dans les marches antivax de 2021-2022, dont il assurait notamment le service d’ordre.

Artémus, pour poursuivre le combat avec Kairos

L’association belge confidentielle Artémus provient en droite ligne du mouvement antivax. Elle a été mise en place en mars 2023, après l’essoufflement du mouvement contre les mesures sanitaires anti-Covid-19, dans le but de proposer un programme de conférences et de renforcer une base militante d’activistes. Cette association a déjà organisé plusieurs« rencontres – discussions » dans la commune bruxelloise de Berchem-Sainte-Agathe, mais aussi une dans la commune wallonne d’Ittre (Brabant wallon). Épinglons notamment les conférences d’Étienne Chouard (« De l’illusion démocratique à la souveraineté retrouvée », le 13 mars 2023, de Marion Sigaut (« Enfance & sexualité : la dérive du système », le 10 mai, d’Alexis Poulin (« La place de l’Europe face à la montée des Brics », le 13 juin, de Lofti Hadjiat(« Modernisme & Tradition », le 2 juillet, de Salim Laïbi(« Chantage sur ordonnance », également le 2 juillet, et de Salsa Bertin (« L’autonomie pour tous », le 29 septembre dernier).

Ses orateurs sont,dans leur grande majorité, liés à des organisations radicales telles Civitas,du traditionaliste national-catholique Alain Escada,et Égalité & Réconciliation (E&R) de l’antisémite, national et socialiste Alain Soral, ou encore au milieu « survivaliste ». À chaque fois, ils alimentent et exploitent les théories du complot vivaces au temps de la Covid-19, et les recyclent dans l’argumentaire anti-Evras. Baignée dans les thèses conspirationnistes et le grand confusionnisme, l’association Artémus vogue aussi vers d’autres rives. Le 12 octobre dernier est-elle cependant carrément passée à l’extrême gauche ? À cette date, elle invite ses membres à une conférence sur « les enjeux au Moyen-Orient : omerta médiatique », notamment donnée par le journaliste Michel Collon. Ancien militant de l’Union des communistes marxistes-léninistes de Belgique (UCMLB, communistes pro-albanais), puis d’Amada-TPO (l’ancêtre du PTB-PVDA, communistes pro-chinois) et du Comité Joseph Staline, il est depuis un spécialiste des « médias mensonges ». Invité à Manifiesta, la fête annuelle du Parti du Travail de Belgique, il est aussi devenu une vedette dans les rangs de l’extrême droite conspirationniste. Comme le conspirationniste libertaire louvaniste Jean Bricmont, Michel Collon reste une personnalité provenant de la gauche radicale exceptionnellement acceptée à la droite de droite.

Les quatre responsables principaux de l’association Artémus sont Nicolas d’Asseiva, Ludovic Joubert, Anne Lejeune Bernard Van Damme. D’Asseiva est originaire de Suisse, mais il est installé à Bruxelles où il exerce officiellement le métier de romancier. Il a publié « Pas Dystopia », un pamphlet conspirationniste de science-fiction qui recevra les louanges de l’Institut Civitas. Rien d’étonnant à cela, puisque Nicolas d’Asseiva est l’un des intellectuels proches de ce bras politique de la Fraternité Saint-Pie X de feu Monseigneur Lefebvre. Le 19 novembre 2022, il fait partie des auteurs en tête d’affiche de la quatrième « Fête du Pays Réel », organisée chaque année par Civitas à Rungis, au sud de Paris. On peut découvrir un article de d’Asseiva dans le numéro d’avril 2023 de la revue Civitas, l’organe de presse de l’institut lefebvriste. Quelques mois plus tard, à Bruxelles, il figure parmi les orateurs de la quatrième édition du « Sommet citoyen » de l’association antivax Bon sens Belgique de Nicolas Lefevre, pour y présenter Artémus.

Ludovic Joubert vient de France, et est lui aussi installé à Bruxelles. Depuis 1995, il est professeur de français indépendant. Joubert a donné des cours au SPF Finances et à la Commission européenne, ainsi que pour le compte de sociétés commerciales tels Colruyt, Siemens, Nestlé, Bayer… Il est l’auteur du récent livre « Toxicologie du langage », publié en autoédition. Un serpent symbolisant la dangerosité de l’État en orne la couverture. Il ressemble à s’y méprendre au logo des Libertariens, ce courant ultra-libéral venu des USA dont le but est la destruction des structures étatiques. Plusieurs personnes de son entourage dont nous avons recueilli les confidences nous ont relaté des propos conspirationnistes, antisémites et négationnistes du dirigeant d’Artémus.

Anne Lejeune s’occupe des convocations envoyées par courriel aux affiliés et autres contacts d’Artémus pour assister à ses conférences. Son quartier général se situe dans un café de la place Keym, dans la commune bruxelloise de Watermael-Boitsfort. Lejeune y organise également, une fois par mois, la permanence de la branche belge du micro-parti français Les Patriotes, qui se réclame du souverainisme (nationalisme d’extrême droite). Elle en est d’ailleurs sa responsable officielle en Belgique avec, pour second, un dénommé Grégory Bourguignon, de l’association Valeurs saines. Le numéro deux des Patriotes belges est déjà connu pour avoir été cadre de divers groupuscules d’extrême droite belges francophones : Mouvement Nation, AGIR, mouvement REF, à nouveau Nation, Parti national européen (PNE), Comité pour la fermeture des centres pour réfugiés (CFCR), Mouscron en colère, collectif En colère

Le Belge Bernard Van Damme est pour sa part installé à Tubize. Il débute son activisme politique à gauche : membre des Jeunes gardes socialistes (JGS), il sera même un temps attaché au sein d’un cabinet ministériel PS et travaillera au GSARA (Groupe socialiste d’action et de réflexion sur l’audiovisuel). Plus tard, Van Damme passe à la droite de l’échiquier politique : il s’affilie à la très éphémère Union pour le Progrès et la Liberté (UPL) avant de passer au Parti populaire (PP) de l’avocat d’affaires carolo-bruxellois Mischaël Modrikamen, puis de cofonder, avec d’autres exclus et dissidents du PP, le parti La Droite. « Garçon très intelligent, il est tombé dans le complotiste d’abord anti-Covid et ensuite anti-vaccin. C’est la raison pour laquelle il a été viré de La Droite au début 2020 », se souvient un de ses anciens amis politiques qui s’est confié à RésistanceS. Éditeur responsable des visuels de promotion d’Artémus jusqu’il y a peu, Van Damme se serait, depuis lors, distancié de l’association à la suite de conflits internes.

Fortement actifs dans la mouvance antivax et contre l’Evras, ces quatre dirigeants-fondateurs de cette association d’extrême droite sont par ailleurs directement liés au journal Kairos d’Alexandre Penasse, en tant qu’auteurs d’articles, conférenciers ou compagnon de route. Les preuves des convergences combattives de Kairos avec le milieu conspirationniste, antisémite, identitaire blanc, nationaliste belge, traditionaliste catholique et antivax sont plus que jamais établies. Désormais, c’est contre le programme scolaire d’Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) que le voici obsessionnellement mobilisé…

M.AZ

(1) Le blog RésistanceS est webjournal de l’Observatoire belge de l’extrême droite : http://resistances-infos.blogspot.com

(2) Kairos sur la vague complotiste, Ensemble ! n° 109, décembre 2022

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