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Thierry Bodson (FGTB) : « Il y a une une menace sérieuse d’une limitation à deux ans des allocations de chômage »

Selon le président de la FGTB, la limitation des allocations de chômage dans le temps sera mise sur la table des négociations du futur gouvernement fédéral. Un projet qui, annonce-t-il, devrait donner lieu à une mobilisation de son organisation syndicale sans attendre les élections.

Thierry Bodson : « Notre cap est clair : il n’est pas question d’accepter une limitation dans le temps des allocations de chômage ou des mesures qui y conduisent ».
Thierry Bodson : « Notre cap est clair : il n’est pas question d’accepter une limitation dans le temps des allocations de chômage ou des mesures qui y conduisent ».

Le président de la FGTB nous le confirme : après les élections de 2024, l’exclusion des dits « chômeurs de plus de deux ans » sera sur la table des négociations pour la formation du futur gouvernement fédéral et pourrait bien être reprise dans l’accord de majorité. Il craint «  un grand troc entre une limitation des allocations de chômage dans le temps (même si elle est liée à une proposition et à refus d’emploi, à la sauce de Vooruit) et la garantie donnée à des partis dits progressistes que d’autres droits sociaux seront conservés ».

Pour la FGTB, martèle-t-il, « au nord, au sud et au centre du pays » c’est une chose «  que nous ne pourrions pas accepter ». Précisant qu’il a communiqué au PS et à Ecolo que « si demain ils devaient négocier cela, les ponts avec la FGTB seront définitivement rompus » et que l’aile flamande de la FGTB a également signalé que ce serait « un point de rupture » par rapport à Vooruit. Le président de la FGTB annonce qu’il va, dès cet été, travailler sur l’information et la mobilisation de ses affilié.e.s sur ce thème. Enfin, interrogé sur l’idée de « garantie d’emploi » en réflexion au sein du PS pour l’élaboration de son futur programme électoral, il nous a indiqué qu’il partage notre perplexité par rapport à celle-ci, relevant qu’il ne voit pas en quoi ces « emplois garantis » se distinguent fondamentalement des basisbanen proposés par Vooruit. (Lire ici) Dans la réalité, le refus d’un « emploi garanti » au salaire minimum serait sanctionné par la perte des allocations de chômage.

« La FGTB informera largement et mobilisera sur cette question. »
« La FGTB informera largement et mobilisera sur cette question. »

Ensemble ! : Vu l’évolution récente des positions politiques sur l’introduction d’une limitation dans le temps des allocations de chômage à deux ans, l’exclusion de 155.000 chômeur.euse.s après les élections de 2024, est-ce une menace que vous prenez au sérieux ?

Thierry Bodson (FGTB) : Je voudrais d’abord apporter une précision sur ce que l’on entend par « chômeur de longue durée » ou « au chômage depuis plus de deux ans ». Dans l’ensemble des personnes que l’on décrit comme telles, combien ont eu des prestations de travail dans les douze mois qui précèdent ? Il y en a plus de la moitié ! Et souvent, plus que un ou deux jours plic-ploc, mais dans le cadre de contrats de deux ou trois semaines, qui n’ont pas été prolongés. Il ne s’agit pas de personnes inactives ou profiteuses, qui ne cherchent pas du travail… puisqu’elles en trouvent ! Mais elles ne trouvent pas de contrats de travail suffisamment longs et sont victimes de la réglementation du chômage, durcie au cours des dernières années, qui les maintient dans la catégorie des chômeurs de longue durée et à un niveau d’indemnisation du chômage extrêmement bas. En Wallonie, comme l’a indiqué la FGTB wallonne, parmi les demandeurs d’emploi de « longue durée » ,près de 70% ont travaillé durant leur période de chômage. Ce qui montre bien qu’ils ne sont pas inactifs. Mais ils ont travaillé durant une période trop courte pour sortir des statistiques et du niveau d’allocation des chômeurs de « longue durée». En effet, lorsque le ou la travailleuse n’a pas repris le travail à temps plein pendant au moins trois mois consécutifs, on ne remet pas à zéro la comptabilisation de sa durée de chômage. Pour rétablir le niveau de ses allocations, c’est plus long encore ! (Lire l’encadré)

Pour en venir à la discussion plus politique, ce qui est étonnant, c’est que certains mettent aujourd’hui en avant l’idée d’une limitation dans le temps des allocations de chômage. On ne peut pas prétendre que l’on soit dans une situation d’augmentation du nombre de chômeurs indemnisés. Au contraire, la Belgique a un nombre de chômeurs indemnisés qui est au plus bas. En pourcentage de la population active, le chômage est en diminution constante, tandis que le taux d’emploi est en augmentation constante, même si la qualité de ces emplois n’est pas toujours là. On n’est plus du tout dans la situation où, à l’échelle belge, le taux de chômage était important et était un vrai défi pour les politiques de l’emploi, comme il y a vingt-cinq ans. Le chômage n’est plus, comme c’était peut-être le cas il y a vingt ou trente ans, un véritable enjeu budgétaire. Les allocations de chômage ne représentent plus qu’une infime partie, entre 3 et 4 %, du budget de la Sécurité sociale. Certes, le budget de l’ONEm, c’est 7 ou 8 % du budget de la Sécurité sociale, mais dans celui-ci il y a aussi toutes les interruptions de carrière, les prépensions et autres. (Lire le graphique)

« Les allocations de chômage ne représentent plus qu’environ 4 % du budget de la Sécurité sociale »

Et puis, autre élément essentiel, qui a aussi été mis en avant par la FGTB wallonne, c’est la totale inefficacité de ces mesures à remplir les objectifs officiellement annoncés. On nous parlait de remise à l’emploi, de réinsertion… c’est tout le contraire qui se passe. La limitation dans le temps, la menace de l’exclusion et l’exclusion elle-même n’ont aucun effet sur le taux d’emploi. Elles accentuent la précarité et l’éloignement de l’emploi. Et, ici, on n’est pas dans l’idéologie, ce sont des faits concrets démontrés par des études indépendantes de l’UCL, de l’ONEm, du FOREM, de l’IRES ou de l’OCDE. Alors pourquoi vouloir s’entêter dans ce qui ne marche pas ? En réalité, on sait bien que le véritable objectif, c’est la flexibilisation et la précarisation du marché de l’emploi. Mais il faut quand même le répéter : on nous annonce vouloir remettre les gens à l’emploi et ça ne fonctionne pas avec ce type de mesure ! Quant au nombre de personnes qui sont au chômage depuis plus de dix ans, sur lesquelles M. Bouchez se plaît à taper, il en y a seulement 28.000 sur l’ensemble de la Belgique. Les partis de droite caricaturent les chômeurs, qui seraient « vautrés dans leurs divans », d’une façon qui est inadmissible et ne correspond pas aux faits. C’est une stigmatisation populiste de droite envers des personnes en situation de pauvreté, ce qui constitue un vrai problème de démocratie. La droite travaille, avec un certain succès, à opposer les pauvres aux très pauvres. Elle a réussi à entraîner à sa suite une série de partis centristes, tant et si bien qu’il y a aujourd’hui une majorité de partis qui proposent de limiter les allocations de chômage dans le temps.

« Le véritable objectif, c’est la flexibilisation et la précarisation du marché de l’emploi ».

Oui, il y a certains problèmes de pénurie de main-d’œuvre, mais les réponses ne sont pas du côté de la suppression des allocations des chômeurs, mais plutôt du côté de la formation, voire de l’immigration. Quand on dit qu’il faut atteindre un taux d’emploi de 85 % en Belgique, il faut se demander ce que ça signifie. Pour atteindre cet objectif, il faudrait créer ou pourvoir 650.000 postes de travail en Belgique, alors qu’il reste moins de 300.000 chômeurs indemnisés dans ce pays. Comment y arriver ? En excluant les chômeurs et renvoyant les malades au travail, comme M. Vandenbroucke le souhaite ? C’est inacceptable ! Au niveau politique, partout où des politiques de ce type ont été menées, c’est l’extrême droite qui a remporté le match. On risque de le vivre aux prochaines élections présidentielles en France, où le PS a commis des erreurs monstrueuses en la matière. Résultat : il n’existe plus. Ça a ouvert une voie royale pour Macron. Après plus de vingt-cinq années d’abandon des politiques sociales, durant lesquelles les gouvernements ont fait des chômeurs, des malades et des pensionnés des boucs émissaires, on pourrait en arriver, aux prochaines élections présidentielles, à l’accession au pouvoir de l’extrême droite.

Chômage de longue durée et dégressivité

Comment s’applique la dégrisivité des allocations après un reprise de travail. Il faut une interruption du chômage de plus de trois mois pour que le compteur de la durée de chômage soit remis à zéro. Ce qui ne veut pas dire que le chômeur ne va pas tout de même subir les affres de la dégressivité et donc la diminution de ses allocations. Un emploi de minimum trois mois à temps plein permet de prolonger la période d’indemnisation du nombre de mois complets prestés (donc de ne pas passer au stade suivant de la dégressivité). (Lire ici et ici) Autrement dit, par exemple, quelqu’un qui travaille pendant quatre mois et demi pendant la première période d’indemnisation verra cette période prolongée de quatre mois (seuls les mois complets comptent).

Maisil faut bien plus pour revenir au montant journalier du début de chômage (remonter l’escalier de la dégressivité donc) et entamer dès lors un nouveau « cycle de dégressivité » (première période -> deuxième période -> troisième période). Il faut pour cela avoir travaillé :
– 12 mois à temps plein au cours des 18 derniers mois pour les chômeurs complets
– 24 mois à mi-temps au cours des 33 derniers mois pour les temps partiels avec maintien des droits sans allocation de garantie de revenus (AGR) ou avec AGR
– 36 mois à tiers-temps au cours des 45 derniers mois pour les temps partiels avec maintien des droits sans AGR.

Par ailleurs, le montant journalier de l’allocation ne diminue plus dans trois situations :

– le chômeur a un passé professionnel de 25 ans au moins ;
– le chômeur a une inaptitude permanente au travail d’au moins 33 % ;
– le chômeur a atteint l’âge de 55 ans.

Je reviens à ma question initiale : pensez-vous qu’il a une menace sérieuse d’une limitation à deux ans des allocations de chômage après les élections de 2024 ?

Oui, il y a une menace sérieuse qu’une limitation à deux ans soit imposée par le prochain gouvernement après les élections de 2024. Je le dis clairement : ce sera sur la table de négociation du prochain gouvernement fédéral. Je crains fort que, dans le cadre de la constitution de ce prochain gouvernement, à un moment donné, il y ait un grand troc entre une limitation des allocations de chômage dans le temps (même si elle est liée à une proposition et à refus d’emploi, à la sauce de Vooruit) et la garantie donnée à des partis dits progressistes que d’autres droits sociaux seront conservés. On me jure le contraire, mais les déclarations de Conner Rousseau (Vooruit) sont loin d’être rassurantes.

« Si le PS ou Ecolo devaient négocier cela, les ponts avec la FGTB seront définitivement rompus »

Le moteur de cette revendication de limitation dans le temps des allocations, c’est le patronat flamand du VOKA. La Fédération des Entreprises de Belgique (FEB) suit, mais elle n’est pas à l’initiative sur ce sujet. Ce qui est stupéfiant, c’est qu’en Wallonie et à Bruxelles également, non seulement la droite mais même le centre, rejoignent cette idée. Parce qu’en effet, on l’a vécu avec la limitation dans le temps des allocations d’insertion, ce sont les CPAS bruxellois et wallons, en particulier dans les anciens bastions industriels, qui seront les premiers exposés aux conséquences d’une telle mesure. Le MR s’en fiche apparemment d’une façon cynique, car ses électeurs et les communes où il se trouve au pouvoir sont beaucoup moins concernés.

Face au front des partis de droite, élargi à Vooruit, qui s’est constitué pour soutenir l’adoption d’une telle mesure, il reste un an, d’ici les prochaines élections, pour constituer un front de gauche pour s’y opposer. La FGTB compte-t-elle poser des actes en ce sens ? Quid d’une mobilisation de masse et notamment des chômeurs eux-mêmes ?

Nous multiplions les contacts à ce sujet avec les trois familles ou partis politiques avec lesquels on peut en discuter (PS, PTB, Ecolo). En leur disant, surtout au PS et à Ecolo, car au PTB ils ne sont pas au pouvoir, que si demain ils devaient négocier cela, les ponts avec la FGTB seront définitivement rompus. Je le leur ai dit, ils le savent. C’est quelque chose que nous ne pourrions pas accepter. Qu’ils ne viennent pas nous dire « on a échangé la limitation des allocations de chômage dans le temps contre la révision de la loi de 1996 qui bride les possibilités de négocier des augmentations de salaires ». Ça, ce ne serait pas un accord, mais du chantage à notre égard, et on ne l’acceptera pas. C’est une position que j’exprime au nom de l’ensemble de la FGTB-ABVV fédérale. Le type de pression que la FGTB peut mettre sur le PS est différent de ce qui peut être fait au niveau flamand vis-à-vis de Vooruit, mais je sais qu’au niveau de l’ABVV, ils ont également fait état du fait que la limitation dans le temps des allocations de chômage serait pour eux un point de rupture par rapport à Vooruit. La position pour nous est claire tant au nord, au centre qu’au sud du pays.

Le premier mai 2023 a été confisqué par Vooruit, qui a mis au cœur des débats de cette journée sa proposition d’emploi de base au rabais (basisbaan), à proposer systématiquement aux chômeurs de plus de deux ans et la suppression des allocations de chômage en cas de refus de ces emplois. L’ABVV a certes émis un communiqué de presse où elle critiquait la proposition de Conner Rousseau, mais dans le même communiqué elle indiquait qu’elle comptait sur « Vooruit pour indiquer le changement de cap que la Flandre doit prendre à l’occasion des élections de l’an prochain ». Et ce différend ne l’a pas empêchée de partager les tribunes avec Vooruit lors des rassemblements du 1er mai. Peut-on dès lors véritablement parler d’un point de rupture ? Et si rupture il y a, n’est-ce pas de facto le président de Vooruit qui la réalise ? La FGTB-ABVV avait-elle été concertée sur cette annonce de Conner Rousseau, ou ne fût-ce qu’été informée de celle-ci avant qu’elle ne soit publique ? Et le communiqué de l’ABVV exprime-t-il la position de la FGTB-ABVV fédérale, ou seulement celle de son aile flamande ?

Moi, en tout cas, je n’étais pas informé que Conner Rousseau allait faire cette annonce. Je pense sincèrement que mes collègues néerlandophones ne l’étaient pas non plus. Ils n’étaient pas prévenus de la sortie de Conner Rousseau sur ce sujet. Il faut reconnaître que, de son point de vue, Conner Rousseau a réussi, surtout en Flandre, à capter autour de sa proposition l’attention médiatique liée au premier mai. Quant au communiqué de presse de l’ABVV, c’est un peu plus subtil. Lorsque l’on est sur des matières fédérales, si l’ensemble de la famille socialiste ou écologiste fait une sortie, c’est la FGTB-ABVV fédérale qui réagit. Vu qu’en l’occurrence il s’agissait uniquement de la sortie d’un parti flamand, et non de l’ensemble de la famille socialiste, c’est la Vlaams ABVV qui a réagi. Toutefois, ce n’est pas seulement Caroline Copers, la Secrétaire générale de la Vlaams ABVV, c’est-à-dire l’homologue pour la Flandre de Jean-François Tamellini en Wallonie et d’Estelle Ceulemans à Bruxelles, qui a réagi. La communication était également endossée par Miranda Ulens, Secrétaire générale de la FTGB-ABVV fédérale. Dans le paysage politique flamand, on a bien compris le message. Il ne s’agissait pas seulement d’une réaction de l’ABVV flamande, mais bien d’une réaction de la FGTB fédérale portée par la Vlaams ABVV.

« Je n’étais pas informé que Conner Rousseau allait faire cette annonce »

Lorsqu’on a objecté à Conner Rousseau que, vu le blocage du PS, il aurait des difficultés à mettre en œuvre sa proposition au niveau fédéral, il a répondu que sa proposition pouvait déjà être appliquée au niveau flamand, sur base des compétences dévolues aux régions. Est-ce que vous pensez qu’il est réaliste que cette proposition soit mise en place seulement en Flandre sans que ça ne remette en cause le financement ou les conditions d’octroi, au niveau fédéral, des allocations de chômage pour les chômeurs « de longue durée » ?

Cette vision régionale flamande des basisbanen me paraît paradoxale. Tout d’abord, parce que cela signifierait que Conner Rousseau s’en prendrait principalement à la politique régionale flamande de mise à l’emploi et au fonctionnement actuel du service de l’emploi flamand, le VDAB. Ma collègue de l’interrégionale flamande de la FGTB m’indique que la prise en charge des chômeurs par le VDAB est particulièrement rapide et qu’elle voit mal comment il pourrait être plus efficace. Par ailleurs, s’agissant d’emplois dans les services publics et notamment dans les communes, ça reviendrait à ce que de « mauvais emplois chassent les bons ». Enfin, si on veut aller au bout de cette approche, c’est la régionalisation des allocations de chômage de longue durée.

Régionaliser les allocations de chômage après deux ans, c’est précisément la revendication que la FEB avance en la matière…

C’est exact, mais c’est une proposition inacceptable pour le monde syndical, que ce soit à la FGTB, mais aussi à la CSC ou même à la CGSLB. Elle est combattue par les organisations syndicales dans l’ensemble du pays. La proposition de Conner Rousseau rencontrerait beaucoup d’obstacles pour être mise en œuvre. Elle serait en opposition frontale avec les principes de la FGTB et de la CSC, qui revendiquent haut et fort le maintien du caractère fédéral de la Sécurité sociale. Mais, en disant ceci, je ne retire rien à ce que je viens de dire à propos du risque de la mise en œuvre d’une limitation dans le temps des allocations de chômage par le prochain gouvernement fédéral. Les positions de principe et de congrès des organisations syndicales n’empêcheront pas qu’il y ait des discussions sur ce sujet lors de l’élaboration du prochain accord de gouvernement fédéral. Je crains le pire en la matière : un troc politique dans le dos des syndicats.

« Si on veut aller au bout de cette approche, c’est la régionalisation des allocations de chômage de longue durée »

Il reste un an pour faire obstacle à l’inscription de cette mesure dans un accord de gouvernement fédéral. Au-delà des contacts que vous avez dans les partis politiques, comptez-vous prendre des initiatives pour mobiliser les travailleurs avec et sans emploi pour s’y opposer ? Il y a 155.000 familles directement concernées et tous les travailleurs à bas salaires qui en subiraient le contrecoup sur leurs conditions de travail et de rémunération, s’ils se mobilisent ça peut avoir un poids politique… Y-a-t-il des contacts en ce sens avec l’ACV et avec le monde associatif ? Le front politique et social de droite mobilisé sur ce sujet est bien visible, mais à ce stade on n’aperçoit guère de front de gauche sur le sujet…

Notre cap est très clair : il n’est pas question d’accepter une limitation dans le temps des allocations de chômage ou des mesures qui y conduisent. Nous combattrons les projets d’instauration d’une telle mesure. Il entre bien dans les intentions de la FGTB d’informer largement et de mobiliser sur cette question. C’est en cours et c’est un sujet sur lequel je dois encore travailler avant l’été. Pour mobiliser efficacement, il faut mobiliser et conscientiser les travailleurs actifs. C’est important de mettre en avant l’idée de la solidarité entre les travailleurs avec et sans emploi et, vis-à-vis des responsables politiques, que ce ne soient pas uniquement des sans-emploi qui soient mobilisés pour la défense de leurs droits. Les travailleurs actifs sont les plus nombreux et mieux organisés syndicalement. Il faut mobiliser les chômeurs, mais la mobilisation de masse, c’est d’abord dans les grandes entreprises qu’on peut la réaliser.

Vous évoquez des « trocs politiques possibles » qui pourraient être faits sur le dos des chômeurs de longue durée. Est-ce que, dans le contexte politique réel de 2024, la revendication d’une suppression du statut cohabitant dans l’assurance chômage, mise en avant par certains, a une quelconque chance de se réaliser sans donner lieu à un tel troc ?

Je peux me tromper, mais je ne pense pas, pour des tas de raisons, qu’il y a aura un troc politique entre la limitation des allocations de chômage et la suppression du statut cohabitant. Je crains plutôt un troc plus global, sur l’ensemble de la Sécurité sociale et pas seulement à l’intérieur du secteur de l’assurance chômage.

Pour le moment le Parti socialiste est en réflexion sur son programme pour 2024. Est-ce que la FTGB est associée à cette réflexion concernant l’emploi, la Sécurité sociale et l’assurance chômage ? En particulier, le PS semble se préparer à avancer l’idée de garantie d’emploi et « d’emplois garantis » et au salaire minimal pour les chômeurs de longue durée. Or cette idée ressemble furieusement aux basisbanen de Conner Rousseau. Si ce n’est que les socialistes semblent plus ambigus sur l’obligation d’accepter ces emplois. Tantôt le président du PS indique que les chômeurs seraient libres de les refuser, tantôt que la législation actuelle resterait en vigueur en la matière, ce qui signifie que le chômeur qui les refuse serait exclu du droit aux allocations. Est-ce une idée élaborée avec la FGTB ou qu’elle soutient ?

Je suis d’accord avec vous. Je ne parviens pas à comprendre où se trouve la différence entre la proposition de basisbaan de Conner Rousseau et l’idée de « garantie d’emploi » qui semble faire son chemin dans le programme du PS. La nuance que je vois, c’est que le PS évoque, de mémoire, l’idée de créer une obligation pour les pouvoirs locaux de proposer des « emplois garantis » alors que dans la proposition de Conner Rousseau, l’accent n’est pas mis sur l’obligation pour les pouvoirs locaux de proposer ces emplois, mais sur l’exclusion des chômeurs du droit aux allocations en cas de refus de ceux-ci. Mais dans la réalité, en cas d’application de la proposition avancée par le PS, le chômeur de longue durée serait quand même obligé d’accepter l’emploi « garanti », au salaire minium, sous peine de perdre son droit aux allocations de chômage.

A cet égard, je trouve pertinente la récente réflexion de Philippe Defeyt, qui soulignait le caractère peu protecteur de la notion « d’emploi  convenable », qui définit le type d’emploi que les chômeurs sont obligés d’accepter pour conserver leur droit aux allocations. Quand ont dit que l’écart est faible entre le salaire et l’allocation de chômage, c’est seulement en prenant comme exemple d’une personne qui n’est pas chômeuse depuis longtemps, mais c’est également en comparant cette allocation avec un emploi qu’on lui propose à 2.000 euros bruts… et non par rapport à l’emploi à 4.000 euros bruts qu’il a peut-être perdu. C’est un problème essentiel pour les travailleurs. Avec toutes les mesures de traque des chômeurs qui ont été mises en place, de la dégressivité des allocations à la révision à la baisse de la définition de l’emploi convenable, on est aujourd’hui dans une société où, quand on perd un emploi avec un niveau de salaire confortable, on est très vite contraint, dans les deux, trois ou quatre mois qui suivent la mise en chômage, d’accepter un emploi au salaire minimum. Or, l’emploi au salaire minimum interprofessionnel est peu décent en général et pas du tout décent pour les travailleurs à temps partiel. Il ne leur permet pas de sortir de la pauvreté ou de la précarité. C’est ainsi que se constituent des cohortes de travailleurs et de travailleuses pauvres. C’est le fond du problème, qui est sous-jacent au conflit chez Delhaize. Il y a une pression continue qui est organisée pour la baisse des salaires, que ce soit pour les travailleuses et les travailleurs de Delhaize qui passent d’un magasin intégré à un franchisé ou d’un chômeur qui a perdu un emploi à 4.000 euros bruts et doit en accepter un à 2.000 bruts. Promouvoir ce type d’emploi et de perte de salaire, c’est le projet du patronat, pas celui de la FGTB.

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