Forem 2021

Vers une explosion sociale prévisible

La CGSP-Forem a remis initialement un avis négatif par rapport au projet de réforme de l’accompagnent des chômeurs. Selon elle, la direction et le gouvernement vont droit dans le mur.

Sous le précédent gouvernement wallon, les travailleurs avaient défendu le rôle du Forem face aux projets du ministre Jeholet. Une nouvelle explosion sociale pourrait survenir...
Sous le précédent gouvernement wallon, les travailleurs avaient défendu le rôle du Forem face aux projets du ministre Jeholet. Une nouvelle explosion sociale pourrait survenir...

Au Forem, le projet de réforme de l’accompagnement des chômeurs (lire ici) a été présenté aux représentants syndicaux par la direction fin juin 2019, c’est-à-dire après les élections mais avant même la formation du nouveau gouvernement régional présidé par Elio Di Rupo. En décembre 2019, le projet de réforme a été soumis à l’avis des organisations syndicales au sein de l’organe ad hoc, le  Comité intermédiaire de concertation du Forem. Après consultation de ses membres à travers l’organisation d’assemblées régionales, la CGSP-Forem a formellement remis un avis défavorable sur le projet, pointant notamment que « l’intégration de l’évaluation-contrôle à l’accompagnement induira pour les conseillers une perte de sens de leur mission et altérera la relation de confiance établie avec les usagers, ce qui affectera la charge psychosociale des travailleurs ainsi que leur sentiment de sécurité » et encore qu’il est « impensable de considérer qu’un accompagnement d’un nombre de demandeurs d’emploi démultiplié à ressources humaines constantes en interne, et à budget constant pour les partenaires externes, soit réaliste » (1). Cet avis n’a nullement été pris en considération par la direction du Forem, qui a pu s’appuyer sur le soutien d’autres organisations syndicales.

L’avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi ayant été adopté en premier lecture par le gouvernement wallon le 25 juin 2020, les membres du Bureau et permanents de la CGSP-Forem ont élaboré une analyse détaillée de ce projet, largement diffusée auprès des affiliés, qui est à notre connaissance l’analyse la plus lucide et réaliste actuellement disponible (2). La lecture que ceux et celles qui devraient l’appliquer font de ce projet de réforme est très éloignée de l’image bienveillante qu’essaient d’en donner la direction du Forem et la ministre de l’Emploi, ainsi que de celle qui circule au Conseil économique, social et environnemental de la Wallonie. Que contient ce document ? Sans prétendre aborder ici l’ensemble des problèmes qu’il aborde, il nous semble important d’en publier quelques extraits significatifs.

Un processus de déshumanisation

La CGSP-Forem ne tourne pas autour du pot et indique noir sur blanc que : « la réforme proposée est clairement d’inspiration libérale et plusieurs des modèles dont elle s’inspire se soldent actuellement par des échecs. Ses objectifs sont inatteignables et il y a un flagrant déséquilibre entre les droits, les devoirs et les obligations impartis aux employeurs et ceux octroyés aux autres parties prenantes de cette réforme (demandeurs d’emploi, travailleurs et partenaires du Forem). En outre, la « responsabilisation » des demandeurs d’emploi s’inscrit en total décalage avec le contexte socio-économique actuel et va générer un processus de déshumanisation de la relation usager versus personnel du service public de l’emploi. Enfin, la disparition du caractère librement choisi de l’orientation professionnelle, la hausse conséquente et parallèle de la charge de travail et des compétences à maîtriser par les membres du personnel du Forem, ainsi que la mise au ban de tous les rangs subalternes de travailleurs, constituent autant de points inacceptables aux yeux de notre organisation syndicale. ».

Cette dernière ne mâche pas non plus ses mots concernant l’effet véritablement recherché de l’intégration, prévue par la réforme, de l’accompagnement et du contrôle de la disponibilité active : « l’intégration de la dimension évaluative du comportement de recherche d’emploi dans l’accompagnement ne vise qu’à obliger les demandeurs d’emploi à accepter n’importe quel emploi à n’importe quelles conditions, sous peine de se retrouver dépourvus de tout moyen de survie (…) soumettre chacun de ceux-ci à un suivi permanent s’assimile à du flicage dès lors que ce système ne permet pas de les rapprocher de l’emploi et alourdit le travail des différentes parties en présence ».

Une réforme clairement d’inspiration libérale

Plus de risques de sanctions

L’idée d’intensifier l’accompagnement des demandeurs d’emplois en fonction de leur « degré de proximité du marché du travail » (selon le principe « plus les perspectives d’emploi sont faibles, au plus l’accompagnement est intense », ouvertement mentionné dans le commentaire de l’article 7 du projet) laisse également la CGSP-Forem perplexe : « en forçant le trait : un quart d’usagers de plus de 50 an, ainsi que 50% d’inscrits au Forem qui sont sans diplôme de fin d’études secondaires supérieures, cela représente beaucoup de demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail. D’où un suivi plus intense de ceux-ci, d’où des interactions plus nombreuses, d’où un surcroît de convocations, et donc au final plus de risques d’être sanctionné. ». Elle s’interroge par ailleurs : « mais que fera-t-on quand il n’existera pas de solutions pour insérer professionnellement ceux qui ne relèvent pas de la catégorie des dits « MMPP » [Ndlr : c’est-à-dire des demandeurs d’emploi reconnus comme souffrant de problèmes d’ordre médical, mental, psychologique ou psychiatrique, qui relèvent d’une réglementation spécifique] ? Va-t-on les obliger à faire de l’occupationnel dans des formations diverses et variées, avec menace de sanction à la clé s’ils ne bougent pas ? Pour ce qui relève des conseillers du Forem, il apparaît de plus en plus qu’une majorité de ceux-ci n’auront pas d’autres choix que de se positionner sur la fonction-mission qui consiste à s’occuper des demandeurs d’emploi éloignés du marché du travail. Cette évolution forcée du métier de conseiller présage d’une croissance du nombre de comportements limites (burn-out, maladies, attitude systématiquement sanctionnatrice…) allant de pair avec la pression qui sera exercée sur les agents pour qu’ils fassent bouger des demandeurs d’emploi pour lesquels il n’existe pas de solutions. ».

Enfin, commentant la possibilité qui serait donnée par le projet de décret au Forem d’imposer « sauf motif valable objectivé » à ses partenaires (organismes de formation professionnelle, d’insertion sociale, etc.) l’obligation de prendre en charge tout chômeur qui lui serait adressé par le Forem (mentionnée dans le commentaire de l’article 2), l’organisation syndicale relève qu’il « sera donc attendu des opérateurs externes qu’ils fassent désormais des miracles, dans une situation où l’organisme qui commandite leur mission s’en sera lui-même révélé incapable ! En effet, jusqu’à présent, chaque opérateur reçoit, à l’instar de ce qui se pratique en interne avec les centres de formation, les usagers qui lui sont adressés à une séance d’informations et au terme de celle-ci, sélectionne le public avec lequel il pense avoir une chance de succès. Demain, cela ne sera plus possible, sauf à parvenir à s’accorder avec le Forem sur une erreur d’orientation de l’un ou l’autre demandeur d’emploi. Il convient donc de tirer le regrettable constat qu’en adoptant le rôle de régisseur, le Forem s’arrogera la tutelle sur l’ensemble de ses partenaires et s’autorisera des jugements qu’il ne pourrait lui-même s’appliquer. ».

La fusion du contrôle et de l’accompagnement vise à obliger les demandeurs d’emploi à accepter n'importe quoi

Not in my name

Malgré cette analyse décapante du projet de décret et l’avis négatif sur la réforme qu’elle a remis dans l’instance de concertation, la CGSP-Forem a été contrainte de reprendre la voie de la concertation avec la direction du Forem pour participer aux négociations de ses conditions d’application, dans le souci de pouvoir défendre les intérêts immédiats de ses affiliés. Face à l’inflexibilité de la direction, qui invoque la volonté du gouvernement wallon auquel le Forem doit se soumettre, l’organisation syndicale semble avoir décidé de ne pas aller plus loin pour le moment dans la confrontation sur ce plan. A ce stade, les effets de la réforme ne sont pas encore prégnants sur le quotidien des travailleurs.

 En outre, dans un contexte où seulement 22 % d’entre eux sont statutaires (contre 48 % de statutaires au VDAB, l’homologue flamand du Forem), certains peuvent craindre pour leur emploi ou encore d’être réaffectés vers les nouvelles fonctions les plus éprouvantes. Ça ne signifie toutefois nullement que le personnel du Forem adhère à la réforme. La direction a, pour sa part, déjà fait évoluer les profils d’engagement des conseillers, des profils plus tournés vers le commerce ou issus du monde de l’intérim remplaçant les anciens plus orientés vers le social. Parallèlement, les réserves de recrutement se multiplient pour pallier d’éventuels départs. Quoiqu’il en soit, le climat social pourrait se dégrader très rapidement lorsqu’il s’agira d’opérationnaliser la réforme. L’explosion sociale est prévisible, tant pour les demandeurs d’emploi wallons que pour le personnel de l’institution. A la CGSP-Forem, on regrette de ne pas avoir été écoutée et on dit déjà « not in my name ». Si la direction du Forem et le gouvernement wallon plongent l’institution et son personnel dans le chaos, il faudra qu’ils en assument politiquement les conséquences. Ils mènent l’institution et son personnel dans le mur, les cœurs vont « saigner », qu’ils ne prétendent pas qu’ils ne le « savaient pas ».

(1) Avis de la CGSP-Forem sur le modèle d’accompagnement adapté, décembre 2019.

(2) Membres du Bureau et permanents de la CGSP-Forem, « Analyse syndicale de l’avant-projet de décret sur l’accompagnement orienté coaching et solutions », août 2020.

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