Forem 2021

Forem : non à un accompagnement orienté flicage et sanctions

Le gouvernement wallon prépare une réforme de l’accompagnement des chômeurs qui casserait la relation de confiance entre le chômeur et le Forem et augmenterait le nombre de sanctions. Il faut s’y opposer.

Nouvel épisode dans la série des chasses aux chômeurs.chômeuses, qui avait été lancée en 2004 par le gouvernement Verhofstadt – Onkelinx : ce 25 juin, le gouvernement wallon (PS – MR – Ecolo) a adopté en première lecture, sur présentation de la ministre de l’Emploi Christine Morreale (PS), un avant-projet de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » (sic) (1). Une réforme de l’accompagnement des chômeurs.chômeuses était prévue dans la déclaration de politique régionale wallonne (2019 – 2024) du gouvernement, qui annonçait une « refonte des missions du Forem (…) lequel priorisera ses moyens vers le conseil, l’accompagnement et l’orientation des demandeurs d’emploi, à l’instar de ce qui a été mis en place à Bruxelles et en Flandre (…). ». Hélas, la réforme contenue dans ce projet de décret est d’une toute autre nature. L’exposé des motifs de l’avant-projet de décret stipule explicitement que « la refonte des règles et pratiques d’accompagnement des chercheurs.es d’emploi pour les rendre plus efficientes » est nécessaire pour atteindre l’objectif du gouvernement wallon d’une croissance de 5 % du taux d’emploi d’ici 2025. En outre, la ministre de l’Emploi mentionne dans sa note au gouvernement qui présente la réforme qu’elle est « convaincue que le fait de multiplier les contacts entre les conseillers [du Forem] (…) et le chercheur d’emploi, dans le cadre d’un plan d’action sur mesure, mobilisera ce dernier et générera chez lui (…) un comportement susceptible d’accélérer son insertion ». La vision libérale du marché de l’emploi et du chômage sur laquelle repose cette réforme est donc clairement assumée (lire les encadrés ici et ici). Selon celle-ci, « l’accompagnement » des chômeurs (avec sa dimension de contrainte) aurait la vertu d’être créateur d’emploi, son extension et son intensification étant censés augmenter le taux d’emploi. Si l’activation est conçue comme permettant de créer de l’emploi, c’est que, selon cette conception, les offres d’emploi nécessaires pour mettre fin au chômage seraient déjà là dans les « nombreux postes vacants non satisfaits ».

Cette adhésion à l’idéologie de l’activation des chômeurs se marque également dans le changement de terminologie porté par l’avant-projet. Pour désigner les personnes qui s’adressent au Forem, l’avant-projet remplace les termes « demandeurs d’emploi » par ceux de « chercheurs d’emploi ». Il n’y a là rien d’anodin. Désigner les chômeurs comme « demandeurs » revenait à positionner le Forem en tant qu’organisme qui a pour mission de répondre à leurs demandes. Les désigner comme « chercheurs » revient à d’emblée considérer que leur statut n’est pas lié à leur manque d’emploi mais bien à leurs « efforts de recherche ». A partir de là, il devient logique que le Forem évalue ces efforts pour s’assurer que le chômeur mérite d’être reconnu dans ce statut de « chercheur ». Concrètement, cette réforme porte essentiellement sur trois axes : elle supprimerait au sein du Forem le cloisonnement entre l’aide et le contrôle des chômeurs, elle étendrait l’accompagnement à l’ensemble des demandeurs d’emploi et elle « numériserait » ( « intelligence artificielle » en ligne, mails, chat, vidéo-conférences, etc.) l’organisation des accompagnements. L’adoption de ce décret donnerait tout pouvoir au Forem sur les chômeurs, déshumaniserait les accompagnements et ferait de la traque des chômeurs une mission englobante pour l’institution, générant ainsi un important surcroît de pression, de sanctions et d’exclusions pour les allocataires aussi bien qu’une perte de sens de leur travail pour les membres de son personnel. A noter, la participation à cette réforme (y compris dans ses aspects de contrôle) devrait également être imposée aux partenaires du Forem (organismes d’enseignement, de formation professionnelle, d’insertion sociale, maisons de l’Emploi…) via la transmission d’informations rendue obligatoire à travers le décret et de nouvelles conventions conclues avec ceux-ci.

L’adoption de ce décret donnerait tout pouvoir au Forem sur les chômeurs

Fusionner l’aide et le contrôle

Pour comprendre la portée de cette réforme fondamentale pour les chômeurs wallons, il faut se remémorer l’organisation actuelle du suivi des chômeurs. Outre l’organisation de formations professionnelles, le Forem (c’est-à-dire l’Office wallon de la Formation professionnelle et de l’Emploi)  a pour l’essentiel deux missions. La première est sa mission traditionnelle d’aide aux demandeurs d’emploi (dite de « placement ») : collecter des offres d’emplois, aider les chômeurs dans leurs démarches de recherche d’emploi, etc. Sa seconde mission, antérieurement assurée par l’ONEm, lui a été transférée en 2012 (pour la décision, en 2016 pour l’application effective) dans le cadre de la VIe réforme de l’État. Il s’agit du contrôle de la « disponibilité active » (c’est-à-dire des efforts de recherche d’emploi) des chômeurs, dans le cadre d’une réglementation qui reste fédérale mais qui laisse d’importantes marges de manœuvres aux régions pour son application. Si les efforts de recherche d’emploi du chômeur sont jugés insuffisants, le Forem le sanctionne, d’abord par un « avertissement » puis financièrement par une suspension ou diminution des allocations pendant treize semaines et in fine par l’exclusion du droit aux allocations de chômage. Jusqu’à présent, la région wallonne avait, comme la région bruxelloise, fait le choix de maintenir la distinction entre ces deux missions au sein du Forem. L’aide et le contrôle y sont donc actuellement assurés par des personnes différentes, dans le cadre de processus distincts. Ainsi, lorsqu’il est convoqué par le Forem, le chômeur peut aujourd’hui bien identifier s’il s’agit d’une convocation dans le cadre d’une aide ou d’un contrôle de sa « disponibilité active ».

« Une personne qui le secoue quand il baisse les bras ou ne s’investit pas suffisamment »

Le projet de réforme prétend simplifier le fonctionnement du Forem en rassemblant l’ensemble des informations relatives à chaque chômeur dans un « dossier unique » et en supprimant la distinction entre l’aide et le contrôle, pour confier l’accompagnement de chaque chômeur à un seul « conseiller unique » (dit « conseiller attitré ») ainsi qu’à une « équipe pluridisciplinaire » assumant les deux rôles. Il s’ensuit que le contrôle du chômeur par le Forem serait désormais « constructif et permanent » (sic) et que certaines informations confiées au « conseiller unique » dans le cadre de l’aide pour sa recherche d’emploi (par exemple, concernant les limites que les contraintes familiales imposeraient à sa recherche d’emploi) seraient susceptibles d’être retournées contre le demandeur d’emploi et de donner lieu à une sanction. Selon les termes allusifs utilisés par la ministre de l’Emploi, le conseiller référent du Forem devrait devenir à la fois pour le chômeur « un allié dans sa recherche d’emploi, qui l’aide » mais aussi une personne qui « le secoue quand il baisse les bras ou ne s’investit pas suffisamment » (2). Le service de l’emploi flamand (le VDAB), plus explicite, indique que ce type d’approche repose sur des conseillers « solides psychologiquement » qui « ne doivent pas avoir peur de se salir les mains » (3). Une telle confusion de l’aide et du contrôle aurait pour effet de démolir l’identité professionnelle des conseillers du Forem et de ruiner la confiance entre les demandeurs d’emploi et ceux-ci. A ce titre, les conseillers du Forem y sont massivement opposés (lire l’encadré ici).

Un projet impulsé par le MR et la direction du Forem

Entre juillet 2017 et septembre 2019, la Wallonie a connu un gouvernement MR-CdH, qui a vu le libéral Pierre-Yves Jeholet (MR) assumer la charge de Ministre de l’Emploi. C’est durant cette période que la direction du Forem a (discrètement) élaboré le projet de réforme actuellement présenté. Dès 2018, le ministre Jeholet avait commencé à promouvoir l’idée d’un « dossier unique » du demandeur d’emploi, qui remettait en cause la séparation au sein du Forem entre l’accompagnent des chômeurs et le contrôle. Ce qui a donné lieu à une réaction de l’Interfédé des Centre d’Insertion Socioprofessionnelle (organisation partenaire du Forem pour l’insertion des publics éloignés de l’emploi) qui a notamment conduit celle-ci à explicitement mentionner dans son Mémorandum 2018 la demande que le futur gouvernement veille à «Dissocier l’accompagnement des demandeurs d’emploi et le contrôle de la disponibilité, en évitant la transmission d’informations préjudiciables d’un service à l’autre du Forem, afin de permettre l’installation d’une relation de confiance entre le stagiaire et le CISP » (a).

Les CISP ont ainsi été amenées, en juin 2019, à refuser, la signature d’une convention par laquelle le ministre Jeholet voulait leur imposer, sous la menace de la coupure de leurs subventions, cette transmission d’informations relatives à leurs stagiaires sans aucune garantie par rapport à l’utilisation possible de ces données dans le cadre du contrôle des chômeurs (b). Le ministre rejetant explicitement, quant-à lui, «l’exigence d’une étanchéité des fonctions de contrôle et d’accompagnement exercées par le FOREM », estimant que celle-ci irait « à l’encontre de la réglementation chômage » (c). Finalement, les CISP ont eu (provisoirement) gain de cause face au ministre, après un rassemblement organisé le 26 juin devant le parlement wallon. Toutefois, deux jours plus tard, la presse révélait que Marie-Kristine Vanbockestal, l’administratrice générale du Forem, remettait avait au nom du Comité de direction du Forem remis le jour même aux formateurs wallons PS et Ecolo un document intitulé « Vision 2020-2025 » qui contient les grandes lignes de la réforme aujourd’hui défendue par la ministre Morréale (PS). Selon les déclarations à la presse de l’époque : « C’est un modèle où les fonctions de contrôle et d’accompagnement disparaissent au profit d’une seule fonction, celle de l’évaluation du demandeur d’emploi. Les conseillers du Forem auront la capacité de contrôler le demandeur d’emploi par rapport à son comportement de recherche d’emploi et donner un avertissement si la personne ne fait pas ce qu’il faut. Dans le cas où cet avertissement se transforme en carton rouge, le dossier sera transmis aux quelques contrôleurs qui seront restés en place. » (d).

(a) Interfédé, Memorandum 2019 du secteur des CISP, in l’Essor octobre 2018.
(b) Interfédé, Communiqué de presse, Les Centres d’insertion socioprofessionnelle (CISP) menacés et mis au chantage par leur ministre de tutelle…, 17.06.19
(c) Réponse à la question écrite du 25/06/2019 de Hélène Ryckmans (Ecolo) au Ministre de l’Emploi concernant les subventions aux CISP.
(d) François-Xavier Lefèvre, Le Forem prépare sa refonte pour mieux encadrer les chômeurs, in L’Echo, 28 juin 2019.

Infantiliser les demandeurs d’emplois

Dans le processus actuel de contrôle de la disponibilité, le chômeur dispose d’un certain nombre de balises qui lui permettent (théoriquement) d’organiser ses relations avec le Forem pour la préservation de son droit aux allocations. Les convocations faites dans ce cadre ont un objectif de contrôle explicite et se déroulent selon un rythme convenu et précis (généralement une ou deux fois par an). En principe, le chômeur peut donc prévoir les attentes du Forem en matière de contrôle et gérer ces exigences d’une façon responsable, tout en conservant la maîtrise de son existence.

Dans le cadre du « coaching orienté solution » projeté, la disponibilité active du chômeur semble pouvoir être contrôlée à tout moment dans la cadre de sa relation avec le Forem et avec les partenaires du Forem, selon le rythme et la décision fixés unilatéralement par le Forem. Le Forem pourra imposer au chômeur un « bilan des compétences », au besoin redéfinir son « positionnement métier » (c’est-à-dire le type d’emploi à rechercher), lui imposer les « plans d’actions » que le chômeur devra suivre sous peine de sanction et in fine proposer une sanction s’il estime que la plan d’action n’a pas été suivi. Le Forem pourra à la fois faire définir ce que le chômeur « est » du point de vue du marché du travail (bilan des compétences et positionnement métier), ce qu’il doit être et faire (plan d’action), en assortissant le tout de sanctions en cas de non- conformité. Cette vison est activement promue par la direction du Forem qui entend que le décret reconnaisse sans aucune ambiguïté à l’Office seul (et non au demandeur d’emploi lui-même) la compétence de « définir vraiment », et « d’objectiver » le positionnement métier du demandeur d’emploi, de décider seul du plan d’action que le demandeur d’emploi devra suivre (mais à la rédaction duquel il aura été « étroitement associé »), de décider seul de la façon dont le demandeur d’emploi doit être accompagné, etc.

Le chômeur serait ainsi privé d’une grande partie de sa marge de liberté dans ses recherches d’emploi et complètement infantilisé dans sa relation au Forem. Dans cette perspective, ce n’est plus le Forem qui est au service du chômeur et tâche de l’aider à partir des demandes qu’il exprime, mais l’Office de l’emploi qui commande les actions du chômeur à partir de sa propre conception de ce qui doit être fait. Par exemple, si cette réforme est adoptée, le chômeur pourrait ne plus avoir la possibilité de se faire aider par le Forem pour réaliser des recherches d’emplois qui seraient placées en dehors du cadre des compétences et « positionnement métier » définis pour le chômeur par le Forem et en dehors du « plan d’action » imposé par le conseiller chargé de l’aider.

Cette vision dirigiste de l’accompagnement des chômeurs est manifestement à mettre en relation avec le diagnostic que, dans le cadre de cette réforme, la ministre de l’Emploi pose sur le chômage wallon, en reprenant pleinement à son compte la propagande patronale selon laquelle il y aurait pléthore d’emplois disponibles dans les « métiers en pénurie » : « Faute d’une orientation professionnelle réfléchie et encadrée, beaucoup trop de jeunes et de moins jeunes entreprennent des parcours d’insertion chaotiques et un écart trop important entre les compétences recherchées par les employeurs et celles développées par les chercheurs d’emploi conduit à de nombreux postes vacants non satisfaits ou qui le sont dans des délais largement supérieurs à la moyenne. » (4)

Les chiffres du 1er semestre 2020

Le Forem réalise, tous les six mois, un rapport détaillé du contrôle de la disponibilité. Nous avons pris l’habitude de présenter et d’analyser les données du 1er semestre de l’année en cours comparées avec celles du 1er semestre de l’année précédente. En raison de la crise sanitaire, le contrôle de la disponibilité active par le FOREM a été en grande partie suspendu, ce qui rend les comparaisons avec l’année précédente peu pertinentes. On peut cependant noter que, pour les entretiens qui ont eu lieu avant la crise, il y a eu un durcissement par rapport aux entretiens menés à la même période l’année d’avant.

En disponibilité passive aussi, le FOREM avait manifestement durci le ton avant le 13 mars. La vaste majorité des décisions a concerné l’absence aux convocations en accompagnement par le FOREM. Le fait que le litige pour défaut de présentation au FOREM soit si représenté est inquiétant dans le cadre de la mise en place du nouvel accompagnement par le FOREM. Celui-ci se caractérisera par une intensification de l’accompagnement et des sollicitations pour les demandeurs d’emploi les plus fragilisés. Dans la mesure où il s’agirait de les soutenir davantage, cela pourrait être une bonne chose. Mais cela impliquera surtout la multiplication des situations pouvant mener à l’ouverture d’un litige et, partant, des sanctions pour ce public.

Une digitalisation déshumanisante des accompagnements

Aujourd’hui « l’accompagnement individualisé » du Forem est assumé par environ 540 conseillers dédiés à l’accompagnement (ETP), tandis que 120 « évaluateurs » sont en charge du contrôle de la disponibilité active et passive. Selon la note au gouvernement de la ministre, chacun des conseillers référents suivrait 199 nouveaux demandeurs d’emploi par an. Cet « accompagnement individualisé », ne porte actuellement que sur 30 à 45 % des demandeurs d’emploi (les promoteurs de la réforme se gardent de donner des chiffres précis). Suivant la logique de l’instauration de « conseillers uniques », le projet de décret prévoit que tous les demandeurs d’emplois seraient soumis au nouvel « accompagnement coaching et solutions » qui le remplacerait… mais le gouvernement ne prévoit cependant pas un seul engagement supplémentaire au Forem. Même en recyclant une partie des évaluateurs vers l’accompagnement, il apparaît manifeste que pour « accompagner » deux (ou trois) fois plus de chômeurs, la productivité des accompagnateurs devrait être doublée (ou triplée). Réaliste ?

Pour  accompagner  deux fois plus de chômeurs, la productivité des accompagnateurs devrait être doublée

C’est ici qu’intervient une autre dimension de ce projet de réforme : le développement de l’informatisation de l’accompagnement et surtout la mise en place d’une approche dite « digital first » (sic), c’est-à-dire le basculement de l’organisation des accompagnements de la forme présentielle (accueil physique dans les antennes du Forem) vers la forme digitale (à distance, via « l’intelligence artificielle » en ligne, mail, téléphone, vidéo-conférence, etc.). L’examen du budget prévu par le gouvernement pour la mis en œuvre du décret en dit long sur la conception qu’il se fait de cet accompagnement : malgré le doublement prévu des accompagnements, pas un euro n’est prévu pour la mise en place de nouvelles « solutions » pour les chômeurs (places disponibles dans des formations professionnelles, dans des crèches accessibles aux enfants de demandeuses d’emploi, dispositifs d’insertion sociale, etc.) ni pour l’engagement de personnel au Forem, à peine deux millions d’euros sont prévus (en trois ans) pour la formation du personnel, mais plus de vingt millions sont dégagés pour des dépenses liées à l’informatique et aux technologies de communication.

Le projet de décret stipule en effet que « le Forem privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction (…) avec le chercheur d’emploi ». Au-delà de l’adaptation à la situation de crise sanitaire (que l’on espère temporaire), une telle dématérialisation et déshumanisation de la relation entre le demandeur d’emploi et le Forem constituerait une réforme structurelle majeure n’allant pas dans le sens d’une meilleure prise en compte par l’institution de la situation réelle des chômeurs, de leurs besoins, de leurs attentes, etc.

L’informatisation à outrance de l’accompagnement à la recherche d’emploi annoncée risque de le déconnecter de la réalité, en favorisant les classifications des situations des chômeurs et des démarches à suivre dans des catégories préétablies ne prenant pas en compte les spécificités de chaque individu, en multipliant les contrôles (et les sanctions), en transformant le travail du conseiller en un travail d’encodage et en renvoyant ultimement au système informatique la responsabilité des actions imposées, dont la maîtrise échapperait in fine tant aux chômeurs qu’aux conseillers, censés « appliquer les procédures », même si elles sont inadéquates. En 2018, la FGTB wallonne demandait que le Forem n’oriente pas « systématiquement en entretien les femmes avec peu de qualification vers les secteurs du nettoyage, de la vente… »… il ne paraît guère raisonnable d’espérer qu’un accompagnement largement informatisé et basé sur des données sommaires pré-encodées pourra être plus subtil pour identifier les compétences mobilisables par les personnes « peu qualifiées » et les orienter vers des offres d’emplois qui les valorisent. Par ailleurs, si la ministre de l’Emploi n’évoque encore que vaguement le développement « d’outils d’intelligence artificielle qui soutiendront l’analyse des conseillers », l’annonce aurait été déjà faite au sein du Forem que le système informatique détecterait lui-même qu’un certain nombre d’indicateurs liés à un demandeur d’emploi sont « au rouge » et suggérerait automatiquement l’adoption de sanctions pour non disponibilité active. A noter également, l’informatisation et la digitalisation des accompagnements aurait pour effet de permettre un contrôle des chômeurs potentiellement sans limite (obligation de répondre à un rendez-vous digital fixé par le conseiller du Forem, sanctions prononcées à distance, etc.).

Certes, le projet de décret stipule que « le Forem garantit les services visés dans le présent décret, en présentiel, pour les chercheurs d’emploi qui n’y accèdent pas par la voie digitale ou qui nécessitent ou sollicitent un accompagnement en présentiel ». On peut toutefois s’interroger sur le degré de liberté effective qui sera celui du conseiller pour effectuer le choix d’entretiens présentiels, à partir du moment où l’accompagnement digital est promu par sa direction et où cette modalité (dont on escompte manifestement qu’elle sera plus expéditive) sera nécessaire pour qu’il réalise le nombre d’accompagnement attendus. Idem, quelle sera la liberté réelle du chômeur de refuser un accompagnement à distance, à partir du moment où ce choix lui sera présenté par le Forem comme une simple conséquence de sa « situation objective » et où la personne vis-à-vis de laquelle il devrait faire valoir ce droit à l’accompagnement physique serait éventuellement la même qui pourrait proposer de le sanctionner dans le cadre du contrôle de sa « disponibilité active » ?

Le projet de décret stipule que le Forem privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction avec le chercheur d’emploi

Il nous revient d’ailleurs que la direction du Forem combat vigoureusement l’idée que le décret puisse reconnaître formellement le droit aux demandeurs d’emplois de bénéficier des accompagnements sous une forme présentielle. Selon elle, seuls le Forem et ses outils informatiques sont capables de faire « une analyse objective » de la situation des demandeurs d’emploi et de la « façon la plus adaptée » de les accompagner… et dès lors ils devraient être les seuls habilités à décider en la matière. Idem, elle propose de distinguer l’accompagnement « en vis-à-vis » qui correspondrait à « la présence physique simultanée en un même endroit », et « l’accompagnement en présentiel à distance » (sic) qui correspondrait à une « intervention humaine à distance (téléphone, chat, etc.) ». Sous-entendu : s’il faut concéder au demandeur d’emploi un droit à choisir un accompagnement présentiel, ce devrait être seulement à un « accompagnement présentiel à distance » ! Idem la direction du Forem insiste pour que le demandeur d’emploi ne puisse s’inscrire en tant que tel auprès du Forem qu’en ligne, quitte à ce que ce soit dans les locaux du Forem et avec l’aide du personnel du Forem mais qu’en aucun cas le demandeur d’emploi ne puisse demander à son personnel de réaliser lui-même cette inscription et de lui délivrer l’attestation au guichet. On l’aura compris, sans une refonte totale de cette réforme du Forem, le demandeur d’emploi se verra imposer la dématérialisation de son accompagnement autant que la direction du Forem le jugera bon.

Une vision idéologique 100 % libérale

Une réforme de l’accompagnement était bienvenue en Wallonie. En effet, si le Forem est nettement moins prompt que ses homologues flamand (VDAB) et bruxellois (Actiris) à sanctionner des demandeurs d’emploi dans le cadre du contrôle de leur « disponibilité passive » (obligation de répondre aux convocations, d’accepter un emploi…), en ne délivrant « que » 1.883 sanctions financières en 2019, alors que le VDAB en délivrait 8.920 dans ce cadre et Actiris 2.849 (i), le Forem se distingue néanmoins par le nombre démesurément élevé de sanctions qu’il inflige aux chômeurs wallons au titre du contrôle de leur « disponibilité active » (c’est-à-dire de leurs efforts de recherche d’emploi). Ainsi, en 2019, le Forem a délivré 5.239 sanctions dans le cadre du contrôle de la « disponibilité active classique », contre seulement 262 au VDAB et 367 à Actiris (ii). Le Forem peut donc faire mieux en la matière. Malheureusement, la réforme proposée va dans le sens inverse à celui qui aurait été souhaitable.

A aucun moment, tant dans sa note au gouvernement que dans l’exposé des motifs du projet de décret, la ministre de l’Emploi wallonne n’évoque l’objectif de diminuer le nombre de sanctions prononcées par le Forem. Par contre, la présentation de la motivation de la réforme use et abuse d’une novlangue de bois technocratique dépourvue de toute signification réelle (comme la formule titre « accompagnement orienté coaching et solution ») et d’affirmations non fondées, complètement déconnectées du réel, comme celle selon laquelle la réforme proposée serait indispensable pour « renouer avec l’augmentation du taux d’emploi, en amortissant le choc de la crise économique autant que sanitaire, et atteindre un taux d’emploi de 68,7% à l’horizon 2025, soit un objectif de croissance de 5% du taux d’emploi. ». Et ce en pleine crise sanitaire, alors que le Bureau du plan prévoit que le taux de chômage passerait de 8,9% en 2019 à 10,7% en 2021.

Apparemment la ministre ne se préoccupe pas plus des déterminants macro-économiques pour penser l’emploi et le chômage (dont le niveau de la consommation) qu’elle ne prend en compte, pour concevoir leur accompagnement, l’analyse des caractéristiques des chômeurs de longue durée et le fait, par exemple, que leurs possibilités et probabilités de retour à l’emploi sont fortement conditionnées par leur niveau de formation initiale et par leur âge. Elle ne prend pas non plus en considération le fait que, dans le contexte actuel du marché de l’emploi wallon, intensifier l’accompagnement sous contrainte des chômeurs (en particulier pour les chômeurs de longue durée) ne créera pas plus d’emplois mais seulement plus de démarches dépourvues de sens et de sanctions. Par contre, la motivation de la réforme reprend pleinement à son compte l’antienne patronale sur la soi-disant abondance d’offres d’emplois dans les « fonctions critiques » et les « emplois en pénurie » qui resteraient insatisfaits faute d’une « une orientation professionnelle réfléchie et encadrée » des chômeurs.

Enfin, la ministre évoque également sa volonté de suivre l’exemple des fusions du placement et du contrôle mises en place par le VDAB (en 2012, en Flandre, sous l’impulsion du ministre de l’Emploi Philippe Muyters, N-VA) et par Pôle emploi (en 2008, en France, sous l’impulsion du Président Sarkozy). Elle se garde toutefois d’expliquer précisément en quoi ces fusions auraient eu un résultat positif et/ou correspondrait aux spécificités actuelles du marché de l’emploi wallon.

(i) Yves Martens, « A chaque région sa façon de chasser les chômeurs » , in Ensemble !, n°102, juin 2020, p. 111, tableau 5.
(ii) ibid, p. 110, tableau 4.

Promouvoir l’emploi précaire et sous-payé

Enfin, l’exposé des motifs de l’avant-projet indique qu’il conviendrait de « responsabiliser » les conseillers du Forem par rapport à « l’augmentation du nombre d’offres d’emploi satisfaites ». Ce qui signifie que la responsabilité du chômage serait mise aussi à charge des travailleurs du Forem… comme si dans les faits la décision d’engager – ou non – ne revenait pas aux employeurs. Aucun critère de qualité n’est évoqué pour juger du travail des conseillers au niveau des emplois visés par ces offres. Or, outre que c’est déjà inacceptable dans son principe, juger ce travail en se fondant sur le simple nombre d’offres d’emploi ou d’insertions des chômeurs accompagnés, revient à mettre sur le même pied une mise à l’emploi dans un CDI bien rémunéré et une mise à l’emploi dans un job sous qualifié par rapport au chômeur, précaire (intérim…), flexible et/ou sous-payé (stages…). Cela reviendrait à inciter les conseillers à pousser (sous peine de sanctions) les chômeurs à candidater pour les postes sous-qualifiés, sous-payés, précaires, etc. Déjà aujourd’hui, le rapport de la Cour des comptes relève que : « Les emplois durables (contrats à durée indéterminée) ne concernent que 33 % (110.847) des opportunités diffusées [par le Forem] en 2018. Le solde est majoritairement constitué d’emplois plus précaires, dont les contrats intérimaires représentent la plus grande partie. La prépondérance des emplois de courte durée a pour effet de créer un enchaînement de sorties vers l’emploi et de réinscriptions (…) » (5). Le risque qu’une telle réforme pousse les chômeurs à renoncer à chercher un emploi de qualité, gage d’une réelle émancipation économique et d’une insertion durable sur le marché du travail, au profit de l’acceptation d’offres d’emplois jetables n’a donc rien de théorique.

Il faut toutefois reconnaître une certaine cohérence dans l’articulation des différents pans de la réforme prévue. La fusion de l’aide et du contrôle risque de « démotiver » une bonne partie des conseillers du Forem, qui le vivront comme une perte de sens qu’ils mettaient dans leur travail. L’institution prévoit dès lors d’emblée de les « remotiver » en les soumettant à des indicateurs de productivité imposés de l’extérieur. Par ailleurs, le développement de l’informatisation et la digitalisation de l’accompagnement offriront le moyen de réaliser cet objectif en permettant un contrôle accru de la hiérarchie sur les conseillers.

L’informatisation et la digitalisation des accompagnements aurait pour effet de permettre un contrôle des chômeurs potentiellement sans limite

La protection des chômeurs, un objectif périphérique

Pour nous, il ne fait guère de doute que la conjugaison des différents éléments de la réforme précités (extension du contrôle à tous les accompagnements, extension des accompagnements à tous les demandeurs d’emplois, informatisation et numérisation déshumanisante des accompagnements, renforcement de leur caractère contraignant, octroi au Forem du plein pouvoir sur les recherches d’emploi du chômeur et sur le maintien de son droit aux allocations, etc.) conduira à une forte augmentation des sanctions et des exclusions. En particulier, l’intensification prévue par le décret de l’accompagnement des chômeurs les plus difficiles à intégrer sur le marché du travail (âgés, faiblement qualifiés…) risque de tourner en un harcèlement délétère. Cependant, à plusieurs endroits, l’avant-projet de décret évoque des possibilités de recours pour les chômeurs concernant le contrôle de leur disponibilité active. Il convient toutefois de noter, tout d’abord, qu’il est prévu que ces recours et cette possibilité de défense n’interviennent qu’à un second stade de la procédure, quand la contractualisation de l’octroi des allocations sera déjà réalisée et quand un dossier justifiant des sanctions aura déjà été constitué. Bref, cette possibilité de défense risque bien souvent d’intervenir « trop tard » pour le chômeur. Ensuite, dans le cadre de l’accompagnement organisé par le projet de décret, la relation entre le Forem et le chômeur est tellement déséquilibrée (celui-ci pouvant à tout moment se voir imposer des obligations supplémentaires par son conseiller) qu’il paraît peu crédible que cette procédure de recours puisse rééquilibrer les relations et s’avérer effective.

En outre, les limitations au pouvoir de sanction et possibilités de recours annoncées par le décret sont renvoyées à l’adoption d’arrêtés de gouvernement. Cela signifie que les dispositions éventuellement favorables aux chômeurs qui y seraient contenues ne pourront pas remettre en cause l’architecture générale de l’accompagnement et qu’elles seront plus facilement modifiables que les dispositions qui organisent celle-ci. Enfin, cela signifie également que les organisations syndicales pourront être soumises au chantage : soit elles acceptent de soutenir cet avant-projet, même sans avoir aucune garantie ferme quant aux droits octroyés aux chômeurs, soit elles décident de s’y opposer, mais elles s’exposent alors à être mises hors jeu par le gouvernement lors de la rédaction des arrêtés d’application, qui pourraient dès lors être plus défavorables encore pour les chômeurs. On l’a compris, le Ministre-Président wallon, expert dans l’art de manier le bâton et la carotte, dispose là d’une arme redoutable pour défendre sa ministre de l’Emploi et son projet de réforme. L’avis favorable sur l’avant-projet donné ce 14 septembre par le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (composé des organisations patronales et syndicales) tend à établir l’efficacité de cette stratégie, même si ce soutien est assorti d’un grand nombre de réserves et de vœux pieux (6).

Les conseillers du Forem opposés à cette réforme

Deux récents rapports sur l’accompagnement des chômeurs par le Forem (l’un de la Cour des comptes, l’autre du Dulbéa-ULB) ne laissent aucun doute sur l’opposition fondamentale des conseillers du Forem au principe de cette réforme, qui détruirait leur relation de confiance avec les chômeurs et la nature même de leur métier.

Le rapport de la Cour des comptes est limpide sur ce point : « Les résultats de l’enquête et des entretiens ont également mis en évidence une certaine ambivalence des conseillers référents à l’égard du contrôle et, plus particulièrement, de la part de contrôle qu’ils accepteraient d’assumer. Cette ambivalence s’explique par le fait qu’une majorité de conseillers ne souhaite pas assumer la responsabilité d’une sanction qui pourrait être infligée à un demandeur d’emploi qui ne remplit pas ses obligations. Par ailleurs, les conseillers estiment que la relation de confiance avec les demandeurs d’emploi se dégraderait s’ils devaient également les contrôler. Il n’est donc pas surprenant que 80 % des conseillers se disent opposés à une fusion des métiers de conseiller et d’évaluateur (60 % totalement opposés et 20,2 % plutôt opposés).(…) » (a).

L’étude commandée par le Forem au Dulbéa -ULB pour évaluer son dispositif de contrôle de la disponibilité des chômeurs confirme cette opposition : « (…) sur la base de nos échanges avec diverses parties prenantes du Forem, il y a beaucoup de réticences au niveau des conseillers référents à évoluer vers un métier de référent unique dans le sens où le contrôle ne constitue pas l’essence même de leur métier (perte de valeur du métier), à savoir venir en aide aux demandeurs d’emploi et répondre à leurs besoins individuels (distanciation des démarches entreprises avec les demandeurs d’emploi par rapport à la réglementation chômage). L’un des dangers d’évoluer (trop vite) vers une « fonction unique » serait un départ massif des conseillers référents du Forem, en tout cas, pour ceux qui se trouvent dans une tranche d’âge qui permet encore un départ. Cela pourrait entraîner une diminution importante des effectifs à disposition (déficits en capital humain). Pour les conseillers référents plus âgés qui n’auront pas la possibilité de partir du Forem, un risque de burn-out et/ou de départ en invalidité, voire une hausse de l’absentéisme, est à prévoir, ce qui pourrait également provoquer des déficits au niveau des ressources humaines. De manière plus générale, le risque de confusion des rôles (accompagnement/contrôle/aide) pourrait entraîner une perte de confiance au niveau des demandeurs d’emploi avec le risque que ceux-ci n’apportent plus tous les éléments pertinents à l’élaboration d’un plan d’action individualisé (perte de confiance des demandeurs d’emploi en l’organisme public). En pratique, en cas d’absence de balise professionnelle de travail pour les référents uniques, l’une des deux fonctions pourrait se renforcer au détriment de l’autre. (…) » (b).

Les auteurs de ce rapport ne remettent toutefois pas fondamentalement en cause ce projet de l’organisme qui avait commandité cette recherche. Cette perte de sens du métier et le départ des conseillers qui y sont le plus attachés est appréhendée comme une simple question de management interne à l’institution : « le remplacement de ces agents va entraîner des coûts pour l’organisme public et/ou des problèmes en matière de ressources humaines » (c). Les aménagements proposés sont essentiellement de cet ordre : les auteurs suggèrent ainsi que « pendant une période de transition professionnelle (…) pour les agents déjà présents au Forem, en vue d’obtenir une adhésion de tous au nouveau modèle, l’évolution vers le nouveau métier unique se ferait sur une base volontaire. (…) » mais aussi « d’envisager la constitution d’une réserve de recrutement au sein du Forem en vue de répondre plus rapidement au turn over et à la difficulté d’attractivité et de fidélisation du personnel ». (d).

Le rapport de la Cour des comptes détaille bien la façon dont actuellement un certain nombre de conseillers de référence (deux tiers, selon l’enquête de la Cour auprès de ceux-ci) ont modifié leur pratique pour maintenir une distance entre leur travail d’aide et celui des évaluateurs chargés du contrôle (par exemple, ne pas encoder certaines données relatives à l’accompagnement qui seraient transmises à ce service, etc.) dans le souci de préserver leur relation de confiance avec le chômeur aidé. Cette réforme anéantirait ces « résistances » internes au Forem, basées sur la conception déontologique que ces personnes ont de leur métier, apparemment considérées comme des comportements anormaux et à faire disparaître. En engageant le Forem sur cette voie, le gouvernement wallon organise donc la liquidation de l’identité professionnelle des spécialistes du placement des chômeurs du Forem, sous la contrainte de devoir quitter leur emploi s’ils refusent d’assumer une fonction de contrôle.

(a) Cour des Comptes (Chambre française), La mise au travail des demandeurs d’emploi par le Forem,18 mars 2020, p. 49.

(b) Malory Renoir et Illan Tojerow (Dulbéa-ULB), Évaluation de l’ensemble du dispositif de la disponibilité des chômeurs, tel que mis en œuvre au sein du Forem, Policy paper n°19.03, juin 2019.

(c) Ibid, p. 41.

(d) Ibid, p. 133 et 138.

(e) CDC (2020), p. 49.

Une réforme à rejeter dans son ensemble

A lire la note du gouvernement de la ministre et son exposé des motifs, aucune évaluation précise des effets prévisibles de ce projet de décret n’a apparemment été réalisée. Aucun examen approfondi des problèmes posés n’est fourni. Aucune consultation des premiers concernés (les chômeurs, les conseillers du Forem) n’a été menée. Tout comme la direction du Forem, le gouvernement wallon prétend savoir savoir mieux que les personnes concernées ce qui est « bon pour elles » et agit en la matière comme un apprenti sorcier.

Cet avant-projet ne paraît pas amendable et ne se transformera pas en un bon décret à travers ses arrêtés d’application. L’adopter conduirait à infantiliser plus encore les chômeurs.chômeuses wallon.ne.s dans leur relation au Forem, à ruiner la relation de confiance entre les chômeurs et leur conseiller du Forem, à démolir l’identité professionnelle de ces conseillers et à générer de nouvelles charretées de sanctions et d’exclusions.

Si le gouvernement wallon souhaite « réduire drastiquement la pauvreté et (…) garantir aux citoyens une vie décente », comme il l’a inscrit dans sa déclaration de politique régionale, il doit abandonner ce projet, consulter les premiers concernés et réécrire une nouvelle réforme avec des objectifs radicalement différents : sortir le Forem de la culture de la sanction, le remettre au service du demandeur d’emploi, veiller à préserver la protection sociale des chômeurs, en particulier dans le contexte social détérioré ouvert par la crise sanitaire, rendre à la relation d’aide et de confiance des chômeurs toute sa primauté, se recentrer sur l’offre de solutions réelles aux chômeurs et sur leur insertion véritable sur le marché du travail dans le cadre d’emplois de qualité.

Dans son programme électoral de mai 2019, le PS indiquait qu’il proposait de « veiller à dissocier les fonctions d’accompagnement et celle de contrôle des demandeurs d’emploi » (7). En abandonnant ce projet de réforme, le PS ne ferait donc que respecter les engagements qu’il avait explicitement pris devant ses électeurs et sur base desquels il a accédé au pouvoir en région wallonne. En sera-t-il capable ? Est-ce trop demander ?

(1) Christie Morreale, Note au gouvernement wallon, 9 juin 2020 ; Avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi, 25 juin 2020.

(2) Note au gouvernement, ibid.

(3) Cité in Renoir, Malory et Tojerow, Illan (Dulbéa-ULB), Évaluation de l’ensemble du dispositif de la disponibilité des chômeurs, tel que mis en œuvre au sein du Forem, Policy paper n°19.03, juin 2019, p. 132.

(4) Note au gouvernement, ibid.

(5) Cour des Comptes (Chambre française), La mise au travail des demandeurs d’emploi par le Forem, 18 mars 2020, p. 19.

(6) CESE Wallonie, Avis n° 1446 sur l’avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi.

(7) Programme PS pour les élections du 26 mai 2019, Union européenne, Fédéral, Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie, p. 205.

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