dossier justice de la jeunesse

Ce qu’ils proposent

Les parlementaires qui suivent de près les dossiers de l’aide à la jeunesse ne sont pas légion : c’est que la matière est complexe et pas nécessairement porteuse sur le plan électoral. Mais, lorsqu’on tâte du sujet, on se passionne : ce sont donc des personnes engagées qui nous livrent ici leurs pistes de solutions pour améliorer le système.

PS - Eddy Fontaine, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

PS – Eddy Fontaine, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

• Tout à la prévention

Une aide efficace aux jeunes et à leur famille passe par la lutte, en amont, contre les causes de l’exclusion sociale et familiale : la prévention doit donc être la priorité absolue des politiques publiques. Et pas seulement dans les grandes villes, mais aussi dans les petites villes, y compris en milieu rural, où les jeunes en danger sont moins visibles mais où le phénomène existe pourtant bel et bien.

• Des aides sur mesure et disponibles partout

Chaque enfant qui subit des négligences ou des maltraitances, chaque jeune qui traverse des difficultés graves qui ne peuvent être résolues au sein du secteur associatif, doit pouvoir bénéficier d’une aide spécifique et adaptée à sa situation. Il faut donc que les services proposés soient diversifiés et disponibles sur l’ensemble du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Il faut aussi des aides appropriées aux jeunes qui vivent de multiples problématiques (santé mentale, délinquance, situation de danger, etc.), et davantage de services résidentiels d’urgence. Les institutions publiques de protection de la jeunesse/IPPJ (ouverts, et encore plus fermés) devraient être les solutions de dernier recours.
Enfin : ma compagne travaille dans une institution qui accueille, 365 jours sur 365, des jeunes éloignés de leur famille. Il n’y a aucun budget pour amener les pensionnaires à une activité, une visite, etc. Les membres du personnel ont dû créer une ASBL pour réunir les fonds nécessaires à l’acquisition d’un mini-bus. Ce n’est pas normal !

• Une formation plus poussée des éducateurs

Les travailleurs de l’aide à la jeunesse font un boulot formidable avec peu de moyens. Mais travailler en IPPJ ou travailler dans une maison de jeunes, par exemple, ce n’est pas du tout pareil. Il faudrait donc instaurer une certification supplémentaire, à l’issue des études d’éducateur, qui ouvre la possibilité de travailler en IPPJ, pour que les jeunes qui entament leur parcours professionnel soient mieux outillés pour gérer des situations complexes.

Ecolo – Pierre-Yves Lux, député bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Ecolo – Pierre-Yves Lux, député bruxellois et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

• Une action fédérale et régionale pour davantage de justice sociale

Il serait malhonnête de rejeter les failles de l’aide à la jeunesse sur les services de l’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse alors qu’ils se trouvent quasiment en bout de chaîne, et que le travail de prévention doit se réaliser bien en amont, et prioritairement au niveau de la lutte pour une plus grande justice sociale. A Bruxelles, plus d’une famille sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Or le lien est établi entre, d’une part, les signalements de situations de mineurs en danger et les placements d’enfants et, de l’autre, la précarité des familles concernées. Il faut donc que le fédéral et les Régions poursuivent leur action en amont, sur la politique des logements, les mesures énergétiques, l’individualisation des droits sociaux ou encore l’accessibilité des jeunes fragilisés à leurs droits.

• Davantage de collaboration entre les différents intervenants

Une meilleure connaissance mutuelle pour de meilleures collaborations entre l’ensemble des lieux de vie des jeunes (écoles, maisons de jeunes, services d’action en milieu ouvert, clubs de sport, etc.) et la diversité des acteurs de l’aide à la jeunesse est indispensable. Il existe des lieux de coordination qui doivent être évolués et éventuellement revus et ce, afin de viser une réduction des délais de traitement et des solutions les plus adéquates au bénéfice du jeune et de sa famille. 

• Lutter contre toutes les violences institutionnelles

Les dispositifs de l’aide à la jeunesse présentent régulièrement un caractère violent à l’égard des jeunes et des familles, ce qui explique notamment une difficulté à recourir à ceux-ci dès que les signes d’un danger apparaissent. C’est particulièrement le cas pour les mères dont la parole est trop souvent remise en cause par un système encore largement construit sur des réflexes patriarcaux

• Plus de moyens et de formations

Le turn-over dans les SAJ et SPJ est très grand, ce qui est dommage car ils auraient besoin de gens d’expérience. Il faudrait donc pouvoir consacrer davantage de moyens à la formation des travailleurs et travailleuses de l’aide à la jeunesse aux dynamiques familiales et aux mécanismes de violences intrafamiliales, et aussi diminuer le nombre de dossiers dont ils ont la charge. Ce qui exige des moyens, humains et budgétaires.

• Une remise en question de la réponse à la délinquance

Face au phénomène de la délinquance juvénile, il faudrait que la société se pose la question de la pertinence de sa réponse. Un jeune perturbé, en proie à des problèmes psychiques, ne sera pas adéquatement pris en charge en IPPJ. De la même manière, la réponse « prison » pour les adultes a depuis longtemps fait la preuve de son inadéquation.

MR – Nicolas Tzanetatos, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

MR – Nicolas Tzanetatos, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

• Une vraie évaluation de la déjudiciarisation

Une évaluation du décret Madrane se trouve, certes, sur le bureau de la ministre, mais je crains qu’elle ait été contrariée par la crise sanitaire : à mon avis, elle ne sera pas vraiment éloquente. Pour ma part, j’estime qu’il est utile que plusieurs professionnels, issus les uns de l’administration, les autres du monde judiciaire, se penchent sur la situation d’un jeune et de sa famille : des regards divers, avec une grille de lecture différente, c’est toujours sain, et c’est ce qui permet de faire émerger les meilleures solutions. Je suis donc très réticent vis-à-vis du processus de déjudiciarisation, car j’ai l’impression qu’il s’agit d’une prise de pouvoir des uns sur les autres. Mais pour ne pas tenir des propos purement idéologiques, il faudrait pouvoir se baser sur une vraie évaluation, avec des retours du terrain.

Claire Hugon, députée à la Chambre des représentants

Claire Hugon, députée à la Chambre des représentants

• Une remise à plat des institutions actives dans le secteur

La crise sanitaire a modifié les caractéristiques du public de l’aide à – et de la justice de – la jeunesse : de plus en plus de jeunes et de familles sont en proie à des difficultés psychiques. Du coup, les institutions de l’aide à la jeunesse oeuvrent souvent dans le même registre que l’Aviq, par exemple (NDLR : agence wallonne pour une vie de qualité, active notamment dans l’accompagnement du handicap) : différents services, qui font de plus en plus le même boulot mais ont des sources de financement différentes, se superposent, et l’efficacité n’est pas optimale. Le personnel de l’aide à la jeunesse n’est pas suffisamment formé, ni suffisamment nombreux, pour gérer convenablement les problèmes de santé mentale : d’où beaucoup de cas de burn-out et un grand turn-over dans le secteur. Il faudrait remettre tout à plat et envisager des transferts de moyens budgétaires et humains d’un niveau de pouvoir vers un autre : mais on sait que, dans notre pays, c’est extrêmement compliqué.

Défi - Sadik Koksal, député bruxellois et à la Fédération Wallonie-Bruxelles

Défi – Sadik Koksal, député bruxellois et à la Fédération Wallonie-Bruxelles

• Une implication politique plus grande

La matière de l’aide et de la protection de la jeunesse est très complexe et très délicate. Quand on commence à s’y intéresser, on découvre une boîte de Pandore. Du coup, peu de parlementaires s’y plongent, et c’est dommage car cette matière est évidemment essentielle. 

• Plus de moyens et de formations 

La souffrance des enfants et la fragilité des familles sont difficiles à supporter, au quotidien, par ceux et celles qui les accompagnent, au sein des autorités administratives et judiciaires. Les collaborateurs des services de l’aide et de la protection de la jeunesse (SAJ et SPJ) ont trop de dossiers à traiter, et trop peu d’outils pour y faire face. Ils sont encore bien souvent trop peu formés pour détecter et traiter la question de l’inceste, par exemple.

• Un audit externe 

Cela fait plusieurs années que l’on augmente le budget de l’aide à la jeunesse, et c’est certainement nécessaire et insuffisant. Je pense qu’un audit externe, entrepris au sein des autorités administratives et du monde judiciaire, et qui recueille aussi les témoignages des jeunes et des familles, permettrait de se faire une image plus objective de la situation. Du coup, les moyens pourraient être affectés à meilleur escient, car assortis d’objectifs précis. Un organe de contrôle indépendant doit pouvoir ausculter le système.

• Une meilleure prise en charge des troubles mentaux 

Beaucoup de jeunes délinquants sont affectés de troubles psychiques. Soit on les place en IPPJ, et leurs troubles ne seront pas bien pris en charge ; soit on les place dans un centre de jour spécialisé, mais alors c’est leur dangerosité qui n’est pas travaillée. Il faudrait un encadrement spécifique et davantage de lieux capables de traiter et mieux accompagner ces jeunes dans toutes leurs dimensions.

Les Engagés (ex-CDH) - René Collin, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

Les Engagés (ex-CDH) – René Collin, député wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles

• Un refinancement indispensable

Le secteur de l’aide à la jeunesse souffre d’un sous-financement chronique, alors que les situations de mineurs en danger sont de plus en plus nombreuses et se complexifient. Les parquets – surtout dans les villes – n’ont pas les moyens d’étudier les dossiers de manière approfondie, et il en va de même des travailleurs des SAJ et des SPJ. La composante « santé mentale » est de plus en plus déterminante dans nombre de situations, et si on n’aborde pas de front cette problématique – ce qui est très difficile, vu le manque de structures et d’outils adéquats ainsi que la logique de silo qui prévaut entre les secteurs -, tout autre aide est inopérante. Par ailleurs, le suivi des familles est aussi important que le suivi individuel du jeune : il faut donc renforcer les moyens des équipes qui en ont la charge, et mettre au point un vrai monitoring de ce suivi.

• Lutter en amont contre la pauvreté et la précarité

Si on pouvait isoler les problèmes liés à la pauvreté des problématiques « mineurs en danger », il y aurait moitié moins de dossiers. Ce n’est pas le secteur de l’aide à la jeunesse qui peut pallier à ce dysfonctionnement sociétal : il faut que tous les moyens soient mobilisés, à tous les niveaux de pouvoir, pour lutter contre l’exclusion.

• Prendre de la hauteur et considérer l’aide à la jeunesse dans sa dimension globale

On ne peut traiter de l’aide à la jeunesse indépendamment de l’enseignement, de la pauvreté, de la justice, du contexte institutionnel, etc. Prenons le paysage institutionnel : on a communautarisé l’aide à la jeunesse (c’était logique), et les tensions entre les magistrats de l’aide à la jeunesse (restés à l’échelon fédéral), et les autorités administratives (communautaires) ont été la conséquence de cette modification institutionnelle. Du coup, les uns et les autres travaillent en silo, au lieu de collaborer de façon efficace. Prenons l’enseignement : un jeune en danger décroche assez vite de la scolarité ; l’école est donc le premier lieu où peuvent se repérer des situations inquiétantes, tout en ne pouvant y pallier. Il faudrait davantage de liens, de collaboration, entre les différents secteurs impliqués dans la jeunesse.

• L’évaluation du code Madrane

L’évaluation des nouvelles dispositions décrétales était annoncée pour la mi-législature ; elle ne devrait donc pas tarder. Il est important de recueillir la parole des juges, du Parquet, des SAJ et SPJ, des éducateurs, etc., de manière à évaluer les choses globalement, tant du point de vue du financement, de la formation, des moyens humains, et de l’(in)efficacité de certaines dispositions comme le renforcement du champ de la prévention lors de l’adoption de ce nouveau code.

PTB – Nabil Boukili, député à la Chambre des représentants

PTB – Nabil Boukili, député à la Chambre des représentants

• La lutte contre la précarité et la pauvreté

Tout problème sociétal cache un problème social : la vérité de cette conviction marxiste est particulièrement criante dans le secteur de l’aide à la jeunesse. Des familles menacées de pauvreté, ou qui vivent déjà dans la pauvreté, ne peuvent prendre correctement en mains l’éducation de leurs enfants, ni accorder toute l’attention requise à leurs besoins. C’est d’abord la précarité et l’exclusion sociale qui crée des situations de mineurs en danger et de mineurs délinquants : détacher cette problématique de la problématique de l’aide à la jeunesse n’a aucun sens, et conduit à de mauvaises réponses qui, toutes, se résument finalement à davantage de contraintes, de répression. La vraie question est donc de savoir ce que l’on met en place, au niveau fédéral et dans les Régions, pour lutter efficacement contre la pauvreté.

• Un refinancement et des moyens supplémentaires

Dans l’urgence, cependant, il faut octroyer davantage de moyens humains et financiers au secteur de l’aide à la jeunesse, tant aux juges qu’aux autorités administratives et aux services qui travaillent sur le terrain auprès des jeunes. Tous sont chroniquement sous-financés et débordés. Mais ne perdons pas de vue qu’une hémorragie ne s’arrête pas avec des pansements : une réflexion plus globale est indispensable.

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