Chômage

« Il ne faut pas adopter ce décret »

Le Collectif solidarité contre l’exclusion a été auditionné par le parlement wallon dans le cadre de la discussion sur le projet de réforme du Forem. Notre demande : « Rejetez ce néfaste projet ». Texto.

Le Collectif solidarité contre l’exclusion asbl a été l’une des dix organisations et associations à être retenue pour être auditionnée par la commission Emploi du parlement wallon dans le cadre de la discussion du projet de « décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » (lire ici). Ce fut chose faite le 21 septembre 2021.

Nous avons appelé les parlementaires à rejeter le projet de décret, en concluant que son adoption ferait du Forem : « une énorme usine à gaz bureaucratique qui ne produira pas d’emploi, mais bien une perte de sens de son action, une infantilisation et une humiliation d’une large partie des demandeurs d’emploi ainsi que, in fine, une explosion des sanctions ». Nous avons dit plus nettement ce que d’autres intervenants auditionnés avait déjà souvent, plus diplomatiquement, exprimé mezza voce et sans aller jusqu’à un appel explicite au rejet du projet. Notre prise de parole a donc manifestement été pénible à entendre sur les bancs de la majorité, qui aurait manifestement souhaité que nous taisions ce qu’elle ne voulait pas entendre, afin de pouvoir revendiquer publiquement un soutien global de toutes les parties concernées au projet de réforme. Le coup a manqué. Si in fine la majorité (PS-MR-ECOLO) a pu adopter le projet de décret sans modification, elle n’a pas pu prétendre l’avoir fait avec notre soutien explicite ou tacite. Les parlementaires de l’opposition, tant au cdH qu’au PTB, ont in fine tiré la même conclusion que nous, et voté contre le projet de décret.

Arnaud Lismond-Mertes (CSCE) : J’ai noté que je devais me présenter, vous remercier et m’excuser. Notre petite association, qui a été créée il y a vingt-cinq ans, rassemble un front progressiste pluraliste autour d’un objectif de lutte contre l’exclusion. Nous sommes reconnus en éducation permanente pour notre travail d’analyse et d’étude. La défense du droit au chômage est l’un de nos axes d’action, en particulier depuis 2004, date de l’introduction par le gouvernement Verhofstadt – Onkelinx – Vandenbroucke de l’activation du contrôle de recherche d’emploi, que nous avons d’emblée dénoncée comme étant une chasse aux chômeurs. (…) Je vous remercie pour ces auditions et cette invitation du parlement (…). Après ces remerciements viennent mes excuses, car ma présentation sera peut-être jugée caricaturale, abrupte ou clivante, mais j’essaierai qu’elle soit claire et qu’elle contribue au débat. Je partage de nombreuses positions des organisations syndicales qui ont été exprimées devant cette commission, mais j’avoue que, après leurs interventions, je n’ai pas très bien compris si elles étaient pour ou contre le projet de réforme et quels types d’amendements elles demandaient d’adopter.
Pour ma part, je vais essayer d’être clair sur ce sujet. Dans un premier temps, je vais vous expliquer pourquoi, selon nous, il serait souhaitable de voter contre ce projet de réforme dans son ensemble – ce qui aura peut-être peu d’écho sur les bancs de la majorité – et, dans un second temps, formuler une série de propositions d’amendements qui seraient susceptibles de limiter la casse sociale ou, pour le formuler plus positivement, « d’améliorer le projet ».

Mettre en place un système de maltraitance administrative des chômeurs

Inscrire pleinement le Forem dans le paradigme de l’État social actif

Pourquoi pensons-nous qu’il faut voter contre ce projet ? Oui, il faut réformer le Forem et l’accompagnement des demandeurs d’emploi, mais, non, il ne faut pas adopter ce projet de décret, car il constitue une nouvelle forme de chasse aux chômeurs qui s’ajoutera aux précédentes. C’est un projet qui a été mal conçu, qui vise à inscrire pleinement le Forem dans le paradigme de l’État social actif, qui va placer les demandeurs d’emploi dans une situation de subordination quasi totale par rapport au Forem, qui va mettre en place un système de maltraitance administrative de ceux-ci, qui va générer une explosion du nombre de sanctions et d’exclusions au titre du contrôle de la disponibilité passive et qui, in fine, prépare sans doute une catastrophique régionalisation des allocations de chômage de longue durée.

Ni « coaching » ni « solutions »

Le titre du décret indique que celui-ci est « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions », mais, le projet de décret n’explique pas en quoi l’accompagnement proposé serait plus « coaching » que l’accompagnement qui existe aujourd’hui. Il n’explique pas non plus quelles sont les « solutions » nouvelles qu’il va proposer aux demandeurs d’emploi et qui n’existeraient pas aujourd’hui. A moins de croire que le développement hypertrophié de l’informatisation du Forem et la multiplication des accompagnements soient une solution en soi. Le décret ne prévoit pas, par exemple, un seul euro pour une place de formation supplémentaire qui permettrait aux chômeurs de développer leurs compétences. Il ne prévoit pas d’interventions financières pour, par exemple, permettre aux chômeurs de se déplacer pour se rendre à une formation, alors que l’on sait que c’est un problème. L’ensemble des moyens financiers sont, pour l’essentiel, concentrés sur l’informatisation du Forem. Le titre du décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » ne nous éclaire donc pas sur sa nature. C’est un décret qui dit des choses qu’il ne fera pas mais organise des choses qu’il n’annonce pas. Selon nous, le décret va organiser une extension du paradigme de l’État social actif sur 100 % de l’activité d’accompagnement du Forem. Que voulons-nous dire par là ?

Une confusion entre l’aide et le contrôle

Premièrement, le décret va mettre fin à la distinction entre la mission d’aide à la recherche d’emploi et celle du contrôle de la disponibilité active. En 2004, le Gouvernement fédéral a décidé d’introduire une nouvelle condition pour bénéficier de l’allocation de chômage : apporter régulièrement la preuve de ses efforts de recherche d’emploi – qui doivent être pertinents, intenses et continus. Cela a donné lieu à des centaines de milliers de sanctions. En 2011, la sixième réforme de l’État a confié cette mission de contrôle de la disponibilité active, exercée jusque-là par l’ONEm, aux organismes régionaux de placement. Lorsque le Forem a repris cette mission en 2016, il fut décidé de maintenir la séparation entre le métier de base du Forem, c’est-à-dire l’aide apportée aux demandeurs d’emploi pour trouver un travail, et la nouvelle mission de contrôle de la disponibilité active des demandeurs d’emploi. La première mission étant prise en charge par des conseillers en charge de l’accompagnement, la seconde, par des évaluateurs en charge du contrôle travaillant dans un service séparé.

Ce que fait la réforme, c’est confier une large part de la mission de contrôle de la disponibilité active aux conseillers en charge de l’accompagnement, donc de supprimer ce cloisonnement entre la mission de contrôle et la mission d’aide. Cela signifie que le conseiller en charge de l’aide sera également celui qui sera en charge de contractualiser les efforts de recherche d’emploi, de prescrire des actions à réaliser et d’en vérifier l’application, sous peine d’un renvoi vers le service contrôle. Or, l’aide et le contrôle, ce n’est pas la même chose. La première est une relation de bienveillance qui prend place entre les personnes qui se situent sur un plan d’égalité ; la seconde est une relation de jugement qui suppose une relation de pouvoir entre des personnes inégales. Ce sont des conceptions de l’accompagnement très différentes et passer de l’une à l’autre traduit un véritable changement de paradigme qui transpose, dans le registre du placement, le passage d’une conception assurantielle de l’assurance chômage à une vision sociale-active de celle-ci selon laquelle l’octroi des allocations est la contrepartie d’une activité particulière du chômeur qui doit sans cesse être contrôlée. (…)

Le décret donnerait au Forem le pouvoir de décider en dernier ressort

Une subordination quasi totale

Deuxièmement, le projet de décret organise également une subordination quasi totale du demandeur d’emploi vis-à-vis du Forem. Un aspect en est cette levée de cloisonnement. Mais cette subordination se décline dans toute l’organisation de la relation entre le Forem et le demandeur d’emploi prévue par le décret. Selon celui-ci, le Forem ne sera plus dans la position d’un organisme qui apporte une aide à un demandeur d’emploi en ayant pour point de départ le jugement de celui-ci sur ses propres compétences, les métiers qu’il souhaite exercer, les emplois qu’il souhaite rechercher, la façon dont il souhaite mener sa recherche d’emploi, les formations qu’il souhaite poursuivre et les démarches qu’il souhaite entreprendre…
À tous les niveaux, le projet de décret donnerait au Forem le pouvoir de décider là-dessus en dernier ressort.

Certes, le demandeur d’emploi pourra donner son avis, mais le pouvoir de décision reviendra au Forem. Que ce soit quant au fait de faire « objectiver » les compétences du demandeur d’emploi, de fixer à un certain moment le type d’emploi qu’il devra rechercher, la façon dont il devra les rechercher, les formations qu’il devra suivre. Tout cela avec des possibilités de recours qui sont inexistantes (ou très difficilement praticables dans le dispositif qui est prévu) et également sans plus la possibilité d’être accompagné par un représentant de son syndicat au moment où il y aura une contractualisation des efforts de recherche d’emploi. Les organisations syndicales l’ont rappelé de façon unanime : actuellement, lorsque le contrat est convenu entre la personne qui contrôle le chômeur en matière de disponibilité active et le demandeur d’emploi, il y a une défense syndicale qui est possible. Dans le dispositif qui est prévu, cette défense syndicale ne sera possible qu’une fois que leur contrat aura été conclu, dans un second temps, quand le dossier sera transmis au service de contrôle. Cette subordination du chômeur par rapport au Forem, qui se fait à tous les niveaux, est un point marquant du décret. À chaque moment, le Forem est reconnu comme étant une institution qui sait mieux que le demandeur d’emploi ce qui est bon pour lui. En bonne logique, à partir du moment où elle sait mieux ce qui est bon pour lui, elle a aussi le pouvoir de le lui imposer, au besoin.

Le Forem va donc devenir le gestionnaire d’une énorme base de données

Informatisation et déshumanisation

Troisièmement, cette subordination quasi totale des demandeurs d’emploi passe par une informatisation et une digitalisation à outrance. Je crois que cela a déjà été évoqué à peu près par toutes les personnes qui ont été invitées à cette tribune. Ce que fait le décret, c’est notamment : mettre fin à la séparation entre l’aide et le contrôle, donner plus de pouvoir au Forem à tous les niveaux de sa relation aux demandeurs d’emploi et, enfin, permettre au Forem de développer une énorme base de données sur les demandeurs d’emploi. Cette base de données va suivre le demandeur d’emploi depuis sa première inscription au Forem jusqu’à, à peu près, sa pension et va intégrer dans un dossier unique l’ensemble des informations qui seront collectées par le Forem, que ce soit à travers les accompagnements du demandeur d’emploi, les consultations des bases de données d’autorités officielles, celles issues des partenaires du Forem, ainsi que des informations qui viendront des entreprises. Le Forem va donc devenir le gestionnaire d’une énorme base de données. C’est ce qui va permettre au Forem aussi de prétendre « mieux savoir » que le demandeur d’emploi « ce qui est bon pour lui ».

On l’a vu, il y avait dans la première version du décret, des formulations qui étaient particulièrement éloquentes sur le fait de vouloir absolument privilégier la digitalisation dans les relations avec le demandeur d’emploi. Elles ont été un peu atténuées, mais elles sont encore là. On peut y revenir. Cette volonté d’informatiser et de digitaliser à outrance l’accompagnement aura une conséquence : la déshumanisation de la relation entre le Forem et ses usagers.

100 % (mal) accompagnés

Quatrième volet important de la réforme : elle prévoit d’accompagner 100 % des demandeurs d’emploi et que l’accompagnement sera d’autant plus intensif que le demandeur d’emploi sera plus éloigné de l’emploi. Actuellement, l’accompagnement est limité à des groupes de demandeurs d’emploi spécifiques et pour une durée limitée dans le temps – un an, deux ans. Selon nos calculs propres, le Forem accompagne actuellement 38 % des demandeurs d’emploi et le projet prévoit de passer à un accompagnement de 100 % des demandeurs d’emploi.

Cette extension de l’accompagnement peut paraître comme une idée généreuse. C’est néanmoins, selon nous, trompeur. En effet, cela part de la présupposition que plus vous accompagnez les demandeurs d’emploi, plus vous augmentez leurs chances de retrouver un emploi et plus vous augmentez le nombre d’emplois occupés. Oui, l’accompagnement peut aider les demandeurs d’emploi dans une certaine mesure, mais il est illusoire d’en attendre trop, sauf à adhérer à l’idée que les emplois sont déjà là, qu’il suffit que les demandeurs d’emploi soient suffisamment activés pour être mis à l’emploi. C’est, selon nous, une idée qui ne correspond pas aux faits.

Lorsque vous avez des demandeurs d’emploi qui sont peu qualifiés, âgés, qui n’ont plus été au travail depuis un certain temps, qui ont peu de moyens de transport, ce n’est pas en multipliant les accompagnements, les plans d’action, les évaluations de plans d’action que ces personnes pourront retrouver une place sur le marché de l’emploi. Ce qu’il faut, c’est qu’il y ait des offres d’emploi adaptées et en nombre suffisant ou que ces personnes puissent accéder à une formation pertinente.

L’accompagnement pour l’accompagnement ne mènera à rien

Plus de sanctions au titre du contrôle de la disponibilité passive

L’accompagnement pour l’accompagnement ne mènera à rien, sauf à une humiliation des personnes accompagnées et à des sanctions. En effet, le taux d’absentéisme est élevé, et les absences injustifiées aux rendez-vous fixés par un conseiller chargé de l’accompagnement donnent lieu à de lourdes sanctions au nom du contrôle de la disponibilité passive des demandeurs d’emploi. 1.510 sanctions à ce titre ont été infligées par le Forem en 2019. Ce sont des sanctions entre 4 et 52 semaines, en général 13 semaines. Imaginez treize semaines sans allocation de chômage parce que vous avez loupé un rendez-vous au Forem, c’est extrêmement lourd.

Je crois que l’Union wallonne des entreprises était invitée ici à la première réunion, et je ne l’ai pas vue en vidéoconférence en tous les cas. Je ne sais pas si la personne qui n’était pas là à son rendez-vous va avoir trois mois de suspension de salaire parce qu’elle n’était pas là. Je le dis peut-être sous forme de boutade, mais ce sont des sanctions extrêmement lourdes. 1.500 personnes sanctionnées qui sont renvoyées soit vers le CPAS, soit vers la solidarité familiale pendant trois mois, c’est quelque chose qui mérite une certaine attention. Si on passe d’un accompagnement appliqué à 38 % des demandeurs d’emploi, susceptible de donner lieu à ce type de sanction pour absence à un rendez-vous à un accompagnement beaucoup plus large, on va étendre le nombre de personnes soumises à sanctions. Il est donc à craindre que ce nombre de sanctions augmente, d’une part du fait de l’augmentation des convocations, d’autre part du fait que l’intensification de l’accompagnement risque de lui faire perdre son sens et de diminuer le taux de présence des demandeurs d’emploi.

La ministre n’a, à ce stade, donné aucun chiffre précis sur l’accroissement du volume prévu des accompagnements, ni sur le personnel nécessaire pour y faire face. On a entendu les préoccupations des organisations syndicales en la matière. Elle a mentionné le fait qu’il y a un renfort de cent ETP venus du service contrôle, mais elle ne montre pas en quoi ce sera suffisant pour permettre le maintien de la qualité des accompagnements. Nous ne pouvons donc qu’être inquiets à cet égard. Notre crainte est que ce sera la qualité de l’accompagnement des demandeurs d’emploi qui sera la variable d’ajustement du système, que le manque de moyens humains pour atteindre des objectifs déraisonnables qui sont fixés conduira à une digitalisation déshumanisante et dangereuse pour les demandeurs d’emploi, en particulier pour les plus fragiles. À ce niveau-là, ce qui nous inquiète, c’est que jusqu’à présent, si on a vu qu’il y avait un début de conscientisation par rapport aux dangers de la digitalisation, par contre, par rapport à l’explosion des sanctions en matière de disponibilité passive, je n’ai pas encore vu une prise en compte de ces dangers.

Si vous conjuguez les caractéristiques susmentionnées de la réforme (confusion de l’aide et du contrôle, subordination quasi totale du demandeur d’emploi au Forem, informatisation et digitalisation à outrance, accompagnement de 100 % des demandeurs d’emploi) : vous arrivez au résultat suivant : une énorme usine à gaz bureaucratique qui ne produira pas d’emploi, mais bien une perte de sens de l’action du Forem, une infantilisation, une humiliation d’une large partie des demandeurs d’emploi et, in fine, une explosion des sanctions.
Je sais que j’ai l’air un peu d’un oiseau de mauvais augure en disant cela, mais cela fait dix-sept ans en fait, depuis 2004, que l’on ne se trompe pas trop dans l’évaluation des mesures successives qui ont touché les demandeurs d’emploi, qui en général ont toujours été présentées comme positives pour ceux-ci et qui, dans les faits, ne l’ont pas été. Notre cœur saigne depuis dix-sept ans. Cela fait dix-sept ans que l’on entend les souffrances des demandeurs d’emploi. Nous avons, par ailleurs, toute une série de propositions, d’amendements, dont certains sont très légers et « raisonnables », mais qui pourraient être positifs pour les demandeurs d’emploi. Je suis prêt à en discuter, mais ce sera en réponse aux questions, puisque mon temps imparti est à peu près épuisé. Je vous remercie pour votre patience. (…)

Réponse aux questions :

J’ai noté que Mme Greoli et d’autres demandaient « Que peut-on faire pour améliorer le décret ? » Comme je l’ai dit, le premier volet consiste à éviter l’explosion des sanctions en matière de disponibilité passive. On va augmenter de manière importante les convocations qui sont susceptibles de donner lieu à ces sanctions, qui sont extrêmement lourdes, treize semaines de suspension de chômage, c’est-à-dire le renvoi vers le CPAS, vers la solidarité familiale.

Fixer les rendez-vous de commun accord pour diminuer les absences et les sanctions

Pour l’éviter, il est possible de mettre un tas de choses en place, parfois toutes simples. Par exemple, au moment où l’on convoque les demandeurs d’emploi pour un accompagnement, on pourrait prévoir que le Forem essaie de contacter ces personnes – par exemple, par téléphone, par mail ou encore lors du rendez-vous précédent – pour fixer la date et l’heure de rendez-vous de façon concertée, pas juste en envoyant un courrier indiquant « tel jour, telle heure, vous êtes prié d’être là ». Quand j’ai un rendez-vous à l’hôpital, avec un dentiste, un médecin, je fixe mon rendez-vous avec lui. Si le Forem est là pour m’aider – je ne suis pas convoqué en justice – je trouve que je devrais aussi pouvoir participer à la fixation de cette date. Cela aiderait à ce qu’il y ait un taux de présence plus important et, par conséquent, à diminuer ces sanctions qui sont nombreuses et démesurées.

Ce sont des choses qui seraient déjà faites actuellement dans certaines régionales du Forem, mais pas dans d’autres. Il y a donc des pratiques locales différentes. Il paraît que cela permet d’engranger de meilleurs résultats lorsque cela est mis en place. Cependant, il semble qu’il n’y ait pas de souhait de le généraliser parce que certains diront que c’est beaucoup de travail administratif de prendre son téléphone et de dire à la personne que l’on peut discuter du moment du rendez-vous qui l’arrange parce que certaines personnes ont des contraintes, comme le fait d’amener les enfants à l’école ou ce genre de choses. Donc, oui, cela représente peut-être un peu de travail administratif, mais finalement est-ce tellement plus de travail administratif que de reconvoquer des personnes qui ne sont pas venues, d’enclencher des procédures de sanction vis-à-vis de ces personnes, d’envoyer des recommandés, etc. ? Si l’on veut éviter ces exclusions, cela pourrait avoir un impact. Ce n’est pas une mesure « révolutionnaires » de demander que l’on généralise des choses qui se font déjà localement. Si ce n’est pas imposé par le décret, cela ne se fera pas naturellement puisque certaines régionales du Forem le font et d’autres pas. Apparemment, il n’y a pas de consensus pour le généraliser aujourd’hui.

Il y a plein d’autres actions qui peuvent être faites pour diminuer ces sanctions en matière de disponibilité passive. Je ne vais pas les détailler parce que je l’ai fait en partie dans les articles qui ont été transmis à tous. (…). Concernant le niveau de la sanction, le Fédéral prévoit que ces sanctions sont entre 4 et 52 semaines. On me dit que, en général, ces sanctions sont plutôt de 13 semaines au Forem. Le niveau de ces sanctions est pour le moment laissé à l’appréciation du Forem dans le cadre tracé par le fédéral. Le parlement pourrait mettre ce niveau de sanction sur le bas du curseur, tout en respectant la législation fédérale. Perdre ses allocations de chômage pendant 4 semaines est moins grave que de les perdre pendant 13 semaines. Bref, il y a différentes possibilités à ce niveau. Le premier volet au niveau de l’amélioration possible du décret possible, c’est donc de travailler sur des mécanismes qui diminuent les sanctions. Pour le moment, ce travail n’est pas entamé.

Respecter le libre choix du demandeur d’emploi

Le deuxième registre d’améliorations possibles, c’est de garantir le respect du libre choix du demandeur d’emploi, que l’on a déjà évoqué sur la question du positionnement métier. Si c’est le souhait de permettre réellement au demandeur d’emploi de choisir son positionnement métier, reconnaissons-le lui de façon claire dans le texte du décret. C’est également le cas concernant les plans d’action. Le CESEW a, dans l’avis sur le projet de décret qu’il a approuvé à l’unanimité, demandé que le demandeur d’emploi puisse avoir un droit de « veto » sur les actions qui figurent dans son plan d’action. Force est de constater que le gouvernement a retenu l’avis favorable du CESEW, mais que la partie de cet avis unanime qui comporte sur cette demande n’a pas été suivie dans la version du projet de décret qui a été adoptée en deuxième lecture. Ceux qui ont émis un avis favorable sur le projet de décret en croyant que cette demande serait prise en compte se sont trompés. (…). On ne demande pas que le demandeur d’emploi puisse dire qu’il ne veut faire aucune action dans son plan d’action. Ce n’est pas cela notre demande. Notre demande, c’est qu’il y ait un respect de la liberté du demandeur d’emploi sur le choix de la façon dont il est disponible sur le marché du travail.

En matière de formation, on pourrait prévoir que, si le demandeur d’emploi est absent de manière répétée à des formations et que cela risque de donner lieu à une sanction, il y ait une concertation avec ce demandeur d’emploi pour lui demander si cette formation lui convient et lui permettre de l’arrêter sans nécessairement être sanctionné. Bref, il y a différents amendements possible si l’on souhaite réduire le nombre de sanctions.

Présentiel et phygital ?

On a déjà pas mal parlé du présentiel et du digital. Pour ne pas être trop long, j’ai une question à ce niveau : lors de sa présentation du décret devant le parlement, la ministre a indiqué que « l’accompagnement présentiel pourrait aussi être digital ». Elle avait déjà préalablement déclaré que « l’accompagnement présentiel peut aussi être phygital». Il faudrait avoir les idées claires en la matière. Dans le présent décret, il est prévu un droit à l’accompagnement présentiel. Cela doit être un droit à un vrai accompagnement physiquement accompagné dans un bureau du Forem par quelqu’un que l’on a en face de soi. Ça ne peut être le droit à avoir juste une présence humaine au bout du téléphone ou une présence humaine en ligne via un ordinateur. Une clarification devrait être apportée, car on sait que derrière cela il y a la volonté du Forem d’avoir une certaine confusion en la matière.

Le décret ne prévoit rien sur le droit à un accompagnement adapté des personnes qui ont un handicap

Egalité des chances, discriminations, connaît pas ?

En matière de gestion des données, il y aurait aussi beaucoup de choses à faire. J’en viens à un dernier volet. Il y a des choses qui n’ont pas été abordées dans le décret et sur lesquelles il y aurait moyen de faire des avancées, notamment concernant les personnes handicapées. Je suis étonné que le décret ne prévoie rien sur le droit à un accompagnement adapté par rapport aux personnes qui ont un handicap. On ne profite pas de cette réforme pour donner une mission explicite à ce niveau-là au Forem. Il y a des souffrances, il y a des problèmes à ce niveau-là, mais pour le moment, il n’y a pas de mission à ma connaissance légalement reconnue dans le cadre d’un dispositif sur ce sujet. Que le parlement donne une mission en la matière, qu’il y ait au Forem quelqu’un qui ait en charge cette problématique, qu’il puisse y avoir un contrôle pour savoir ce qui est fait, etc. Ce serait l’occasion de tirer quelque chose de positif de ce dispositif.

Il en va de même en matière d’intégration de la lutte contre les stéréotypes de genres, notamment dans le placement et dans l’accompagnement. On sait que, bien souvent, des femmes rentrantes peuvent vite être renvoyées, parce qu’elles sont femmes, vers les titres-services ou ce genre de choses. Je suis étonné qu’il n’y ait pas un article dans le décret qui aborde les discriminations liées au genre. Il en va de même sur les questions des discriminations à l’emploi qui sont également importantes. Il y a là des choses positives qui pourraient être ajoutées (…)

Une étape en vue d’une régionalisation et d’une limitation dans le temps des allocations

J’en arrive à deux derniers points. Concernant la régionalisation, j’ai signalé que cela pourrait préparer une régionalisation des allocations de chômage. Pour faire court, le FMI, l’OCDE, l’Union européenne demandent à la Belgique une chose concernant son marché du travail, outre la suppression de l’indexation des salaires, c’est que l’on mette fin à l’octroi des allocations de chômage à durée indéterminée. Une pression qui est également forte en ce sens du côté de la N-VA et de l’Open VLD en Flandre. Il y a une demande de la droite néerlandophone qui est claire : régionaliser les allocations de chômage de longue durée, au minimum.

On ne peut pas faire semblant que tout le monde s’entend bien ou que cela n’existe pas. Mais on a vu, par exemple, qu’en avril 2020 M. Bayenet – qui, maintenant, je crois, a accédé à d’importantes fonctions – a sorti une note sur ce sujet intitulée « Scénarios de défédéralisation portant sur les chômeurs complets indemnisés et les chômeurs à temps partiel volontaires ». Le fait que cela se discute est clair. S’il y a une future grande réforme de l’État avec des avancées en matière de régionalisation, c’est un débat qui sera mis sur la table. Nous craignons que, à travers cette réforme du Forem, l’on prépare cette régionalisation. Si l’on régionalise, il va être politiquement très difficile, du côté francophone, de couper tout simplement les allocations de chômage après deux ans, comme ils veulent le faire du côté flamand. Mais cela coûterait très cher si cette « charge » était renvoyée à la Wallonie, et qu’il alors faudrait pouvoir se « débarrasser » rapidement de ces demandeurs d’emploi. À ce niveau-là, vu tout ce que l’on a dit sur cette réforme du Forem, celle-ci transformera le Forem en une machine qui permettra de produire ces exclusions d’une façon extrêmement facile et extrêmement « douce ». J’en reste là.

(1) PW – CRIC n° 20 – (2021 – 2022) p. 3 et suiv.

Partager cet article

Facebook
Twitter