Chômage

M-K. Vanbockestal (Forem): « Depuis des mois, nous essayons de convaincre »

L’administratrice générale du Forem a défendu son projet de réforme devant le parlement : novlangue, confiance aveugle dans l’informatisation et aveu d’échec.

En 2020, l’Union des classes moyennes présentait l’administratrice générale du Forem en ces termes : « Entrée au Forem en 1986 comme formatrice en langues germaniques, la Liégeoise Marie-Kristine Vanbockestal a travaillé à partir de 1999 pour plusieurs ministres socialistes, de Michel Daerden à Jean-Claude Marcourt, comme cheffe de cabinet. En 2011, elle a pris les rênes de l’organisme public wallon de placement et de formation des demandeurs d’emploi. À 62 ans, elle va certainement obtenir un troisième mandat. Malgré son franc-parler, elle n’a guère de détracteurs. ». Force est de constater, à voir son audition et la façon dont elle a été accueillie au parlement wallon, que l’administratrice générale du Forem ose beaucoup et que peu semblent prêts à la confronter directement. « Rock’n’roll », au sens de « situation mouvementée, rocambolesque » c’est la façon dont on pourrait qualifier son intervention devant le parlement.

Novlangue pseudo-managériale

Licenciée en philologie germanique, l’administratrice générale tient déjà par son langage à faire entendre qu’elle ne se situe pas sur le plan du commun. Avec elle, on ne parle pas seulement « d’accompagnement coaching et solutions », mais encore de « faire un storytelling », d’un premier accompagnement « full digital », du « scan des compétences », d’un « autre outil hyper important, l’outil de matching », de « la data qui est devenue un outil hyper important pour faire du business », de données « exploitées via le machine learning », d’interagir « à distance via une chatbox », de « l’option de se déclarer digital first », d’une mobilisation « dans des projets challenging », de « huit nouveaux jobdays », du personnel que « nous avons screené », des EPN qui sont « ces fameux smart corners », d’être « upgradés en niveau B », des applications mises à disposition « dans tous les stores », de « l’organisation d’un hackathon » ou encore du « coup de boost » qui est une méthode d’accompagnement qui a fait ses preuves ainsi que de la « user experience du Forem » (1).

« Quels sont les moyens ? Jusqu'il y a quelques années d'ici, c'était les moyens humains ».

Foi aveugle dans l’informatisation à outrance

Ce déluge de novlangue pseudo-managériale a apparemment fait grosse impression sur les députés wallons. Pour achever son travail de conviction, l’administratrice générale du Forem s’est livrée à une grande tirade, avec l’enthousiasme un peu naïf des nouveaux convertis, sur les vertus de l’informatisation à outrance du Forem prévue par sa réforme : « Qu’y a-t-il d’indispensable dans cette réforme ? Si l’on dit qu’il faut accompagner tout le monde plus souvent, il faut plus de moyens. Quels sont les moyens ? Jusqu’il y a quelques années d’ici, c’étaient les moyens humains. Ils sont toujours là. (…) Mais c’est aussi, acceptons- le (…) des moyens technologiques qui permettent de soulager une partie des services rendus aujourd’hui en face à face par exemple. Donc c’est vrai que le digital est une chance pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi, aujourd’hui. ». (2) Mais encore ? Comment ? A quels moyens technologiques fait-elle référence ? La patronne du Forem se plaît à les évoquer au parlement : « le QPM qui est un questionnement métier désormais automatisé », les « outils de matching » qui se sont affinés et l’acquisition « d’un tout nouvel outil avec un moteur de recherche puissant qui s’appelle Elise, qui fonctionne sur base de référentiels de compétences que l’on appelle ROM V3 Competent » et qui opère notamment « un classement par score de certitude quant à la pertinence des CV trouvés », sans omettre, car « technologiquement, c’est le plus puissant », « l’outil de gestion de parcours » qui est l’interface du conseiller qui va agréger toute une série d’applicatifs disponibles au Forem, et lui « faciliter la vie ». On va, indique l’administratrice générale, « y trouver des alerteurs, par exemple si le demandeur d’emploi n’a plus ouvert son espace personnel ou n’a plus mis à jour son CV depuis un certain temps, le conseiller en est informé, il reprend contact avec la personne. Dès que le contact a été pris, l’alerteur disparaît. (…) Après avoir injecté une série de données, c’est l’outil qui va rédiger ou faire une proposition de rédaction de rapport d’entretien. Vous savez qu’à l’issue d’un entretien de suivi, un rapport d’entretien doit être élaboré et communiqué au demandeur d’emploi ». Le tout étant couronné par « l’outil d’intelligence artificielle » qui permet aussi de positionner un demandeur d’emploi par rapport à sa proximité. ». (3)

Réduire des sujets en objets

Il est revenu à M. Timmermans, président de la Mission régionale pour l’emploi de Charleroi, de mettre en évidence lors de son audition ce qui se jouait à travers ces développements informatiques en termes de rapports de pouvoir et de négation par le Forem du statut de personnes et « sujets » des demandeurs d’emploi. Je trouve, a-t-il indiqué , « incroyable qu’on confie [la posture de l’accompagnateur] à un logiciel – fut-il aussi cher et fabriqué par des gens compétents avec trente algorithmes. Comment peut-on imaginer la robustesse d’un métier à partir d’un logiciel qui a scanné un certain nombre de gens ?’ Je pense, dit-il, « que c’est un savoir mort. (…) Les compétences relationnelles, cela ne se mesure pas. De l’intelligence émotionnelle, cela ne se mesure pas. De l’estime de soi et de la confiance en soi, cela ne se mesure pas (…) lorsqu’on engage, volontairement ou non – c’est-à-dire avec son accord ou pas – quelqu’un de fragilisé dans un processus d’insertion, si on rate son coup, on ne le verra plus jamais. Son niveau d’estime de soi sera à ce point bas qu’il ne fera plus confiance à l’outil public (…). ». Et Paul Timmermans de résumer implicitement la transformation du regard posé sur le demandeur d’emploi que la réforme organise et d’appeler à faire machine arrière : « accompagnons les demandeurs d’emploi en considérant qu’ils sont des sujets, pas des objets » (4).

« Le conseiller va avoir une double posture à votre égard : du professeur et du parent »

Vers une posture paternaliste

Après la présentation par la numéro un du Forem de la panoplie des outils technologiques achetés par celui-ci le cadre du projet de réforme (c’est le poste qui consomme l’essentiel du budget affecté au projet), vient donc la question : est-ce que tout cela va fonctionner ? L’administratrice générale confesse « cela bugge encore ». Que pense le personnel de cette réforme imposée d’en haut et qui détruit son métier et son identité professionnelle ? Le discours de l’administratrice se fait plus noir encore : « J’imagine que vous connaissez des conseillers au Forem, et vous savez tous que ce n’est pas évident, que nous devons maîtriser cela, et avec beaucoup de travail de conviction, faire en sorte qu’un conseiller puisse, à certains moments, avoir une posture de reddition de compte (…) Depuis des mois, nous essayons de convaincre que cette dimension évaluative est compatible avec une dimension d’accompagnement. Finalement, je finis par utiliser une référence, une analogie à la posture du professeur. On est tous d’accord pour dire qu’un prof inculque de la connaissance. Un prof développe les compétences, les qualifications lorsqu’il s’agit d’une formation à un métier, c’est quelqu’un qui prépare un citoyen à l’insertion dans la société. C’est aussi quelqu’un qui, à certains moments, doit s’assurer que les compétences, les qualifications sont acquises à travers des devoirs, selon le niveau d’enseignement, des interros, des examens, tout cela suivi d’une sanction positive quand tout va bien, négative quand cela ne va pas. Je ne vais pas aller plus loin dans l’analogie par rapport à la remédiation, etc. ». (5) Mme Vanbockestal n’hésitera pas, dans une interview donnée à l’Essor, à aller plus avant dans la description de la posture paternaliste que la réforme prévoit de demander aux conseillers du Forem d’adopter vis-à-vis des demandeurs d’emploi, qui devraient apparemment être désormais considérés comme de grands enfants : « Le conseiller va avoir une double posture à votre égard : c’est la posture du prof, celle aussi du parent quelque part. Le prof, par définition, il va vous faire grandir en savoir, en savoir-faire, en savoir-être. Mais il y a aussi des évaluations, il y a des examens à la fin de l’année. Et si vous ne travaillez pas, vous êtes en échec. ». (6)

En guerre contre le personnel du Forem

On s’en doute, ça « ne passe pas » dans le personnel. Mais qu’à cela ne tienne, la direction du Forem est sur le pied de guerre face à son personnel pour imposer sa réforme à toute force. Les accompagnateurs.trices devront l’appliquer ou partir. En effet l’administratrice déléguée poursuit : « Vous avez peut-être des échos qui vous reviennent et l’on sait que le personnel doit être embarqué dans cette réforme. Tout changement fait peur et doit être géré, quelle que soit l’activité d’une entreprise publique ou privée. (…)une équipe multidisciplinaire est sur pied depuis des mois : du personnel venant de la direction RH, des conseillers RH, du personnel venant de la direction de la communication et des agents de terrain, des convaincus, des ambassadeurs de la réforme qui s’organisent autour d’une série d’outils. L’intranet. Toute l’information est sur l’intranet. On a même désormais des vidéos qui disent : « J’ai entendu dire que… », qui cassent toutes les rumeurs qui circulent. Nous avons aussi un baromètre du changement. Tous les trois mois, nous mesurons si le personnel avance vers la conviction et l’adhésion. (…) ». (7)

« Ces organisations syndicales qui jouent les courroies de transmission »

A noter que la CGSP-Forem avait d’emblée, dès décembre 2019, remis un avis négatif sur le projet de réforme. (8) L’administratrice générale du Forem avait décidé de n’en tenir aucun compte et de passer en force. C’est apparemment son mode de gestion des relations sociales internes au Forem, cherchant à chaque concertation obligatoire interne à obtenir par des voies diverses le soutien d’au moins l’une des organisations représentatives des travailleurs, pas toujours la même, afin de pouvoir ne tenir aucun compte des avis reçus. A la lumière de ces éléments, la vision qu’elle a esquissé de la concertation sociale devant le parlement apparaît d’un parfait cynisme : « c’est négocié avec les organisations syndicales ; cela doit absolument être nos alliés, ces organisations syndicales qui jouent les courroies de transmission. ». (9)

L’art de ne pas répondre

Pour défendre son projet de réforme, l’administrative générale du Forem n’aura pas davantage hésité à piétiner la vérité devant le parlement qu’elle n’hésite à le faire en interne avec son personnel. Après que le député Antoine Hermant (PTB) l’eut interpellée par rapport au risque d’augmentation des sanctions suite à la réforme et qu’elle a été invitée par celui-ci à donner son avis par rapport à l’opportunité d’introduire dans le décret une définition de « l’emploi de qualité » afin de permettre au Forem de s’y référer, Mme Vanbockestal a voulu éviter de lui répondre franchement qu’elle ne souhaitait pas que la qualité d’un emploi soit définie (et que le Forem devait continuer à promouvoir de la même façon les emplois d’une semaine et les emplois à durée indéterminée). Elle a donc, avec le culot qui lui est propre, préféré faire semblant de ne pas savoir ce qu’était un emploi de qualité (qui pourrait être défini à partir de critères de rémunération, de temps de travail, pénibilité, de type de contrat, etc.) en indiquant que cette question est déjà réglée par la réglementation fédérale qui définit la notion « d’emploi convenable » (qui n’a dans les faits rien à voir avec la question de la qualité du travail lui-même, mais renvoie à la distance par rapport au domicile du demandeur d’emploi, au lien par rapport à son niveau d’études, etc.). Idem, interpellée concernant les sanctions, l’administratrice a prétendu qu’il était faux de prétendre que le Forem sanctionnait plus que le VDAB (alors qu’en 2019 le Forem a sanctionné 80 fois plus que le VDAB au titre du contrôle de la disponibilité active). Le tour de passe-passe consistant à mettre sur le même pied et à baptiser « sanctions » de simples envois « de pré-avertissements » par le VDAB, et de mettre ceux-ci sur le même plan que des suspensions de paiement d’allocations. Mme Vanbockestal concluant, après avoir elle-même introduit la confusion, que « comme on dit souvent, on peut interpréter les chiffres ». (10) Nous voilà prévenus et avertis sur l’honnêteté avec laquelle, demain, celle-ci interprétera l’évolution des sanctions délivrées par le Forem avant et après la réforme, dont la ministre a signalé qu’elle avait « la conviction » que celles-ci diminueraient.

Accablant pour la personne

In fine, dans une récente interview à l’Essor, l’administratrice générale avait concédé : « L’arrêté chômage de 1991 parle de “demandeur d’emploi”. En 2004, petit tremblement de terre, on passe à l’Etat social actif et le niveau fédéral instaure le contrôle de la disponibilité active. Avec le terme “chercheur d’emploi”, on est dans l’état social actif, on dit à la personne “vous devez chercher et ainsi prouver que vous êtes actif”. “Demandeur d’emploi”, c’est différent. C’est une terminologie neutre, plus administrative, avec son pendant : l’offre du marché de l’emploi. Je plaide donc pour que l’on dise “demandeur d’emploi”, parce que “chercheur d’emploi” est accablant pour la personne. » (11). La responsable du Forem s’est toutefois bien gardée de refaire cette remarque devant le parlement, c’est donc bien un décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi », utilisant dans son titre même cette dénomination « accablante pour la personne » qui a été voté, ce 10 novembre par les députés de majorité wallonne PS-MR-Ecolo.

(1) PW – CRIC n° 33 (2021 – 2022), p. 8 à 35.

(2) ibid, p. 31.

(3) ibid, p. 9 à 10.

(4) PW – CRIC n° 20 (2021 – 2022), p. 14 à 15

(5) CRIC n° 33, ibid, p. 12.

(6) L’Essor n°97, p. 20.

(7) ibid, p. 13.

(8) Yves Martens et Arnaud Lismond-Mertes, « Vers une explosion sociale prévisible », Ensemble ! n°103, octobre 2020, p. 18.

(9) CRIC n° 33, ibid, p. 33.

(10) ibid, 32.

(11) L’Essor n°97, p. 20.

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