Justice

La descente aux enfers d’un gosse du SPJ et de sa famille

Les services de l’aide et de la protection de la jeunesse ont été incapables de soutenir Jérémy et sa famille. En cause, sans doute, la gravité du « cas » de l’enfant, mal parti dès la naissance et un cadre familial pas toujours adéquat. Mais aussi – surtout ? – l’absence de moyens adaptés, de respect et d’écoute.

La prison pour adultes : c’est sûrement ce qui attend Jérémy lorsqu’il aura atteint l’âge de 18 ans. Une descente aux enfers qui aurait pourtant été évitable, avec un encadrement – et surtout des soins - appropriés.
La prison pour adultes : c’est sûrement ce qui attend Jérémy lorsqu’il aura atteint l’âge de 18 ans. Une descente aux enfers qui aurait pourtant été évitable, avec un encadrement – et surtout des soins - appropriés.

Pour Martine, tout commence à l’été 2005, au lendemain de la naissance de Jérémy (1) : l’accouchement est difficile, le bébé est pris en charge en néonatalogie. Quelques jours plus tard, les médecins rendent leur diagnostic : le bébé souffre d’un trouble du métabolisme qui serait la cause – dès le départ et pour des années – de troubles du développement, de la croissance, de l’évolution intellectuelle. Une maladie orpheline qui allait hypothéquer le développement physique et mental de l’enfant.

Un démarrage compliqué

Les jours passent, et l’attachement de la jeune mère pour ce tout-petit si fragile n’est pas spontané. Lorsque Martine et Jérémy quittent l’hôpital, l’assistante sociale de la maternité avertit le service d’aide à la jeunesse (SAJ) des difficultés qui risquent de se présenter.

Quelques mois plus tard, l’équipe qui a rendu visite à la mère et l’enfant s’inquiète : Jérémy pousserait mal. Elle ne semble pas au courant de la maladie orpheline dont souffre l’enfant, et conclut simplement que Jérémy ne serait pas suffisamment stimulé, éveillé. Le SAJ préconise alors le placement du bébé en pouponnière. Martine et son mari, Gabriel, refusent. « Après cela nous avons eu la paix pendant quelques années. » Quelques années durant lesquelles deux autres enfants viendront agrandir la famille. Quelques années, aussi, durant lesquelles Jérémy est suivi par un équipe pédiatrique namuroise spécialisée dans le type de problématique dont il souffre, et qui formule une série de recommandations de prise en charge et de suivi, notamment psychologique et scolaire. Martine et son mari tentent vaille que vaille – l’argent manque et les deux autres jeunes enfants prennent aussi du temps et de l’énergie – d’offrir à Jérémy l’accompagnement dont il a besoin.

La dérive de Jérémy

Mais un jour, Martine doit bien en faire le constat : Jérémy – il a alors 6 ans – ne souffre pas que de problèmes de croissance ; il présente aussi des troubles du comportement auxquels son mari et elle n’arrivent pas à faire face. « Jérémy dormait trois heures par nuit, puis se levait et déambulait dans toute la maison. Parfois, il piquait des crises d’agressivité. Son papa était obligé de se lever pour ne pas le laisser seul. La vie de couple et de famille a fort pâti de cette situation. Finalement, le papa des enfants et moi avons divorcé, explique Martine : je ne mets pas cela entièrement sur le compte de Jérémy, mais il y a quand même un lien évident. »

Elle consulte alors un neuropsychiatre, qui conseille le placement du gamin dans une institution plus propice à l’épanouissement de l’enfant, et qui permettra aussi à la famille de reprendre son souffle.

Un tel placement a un coût que Martine, précaire sur le plan socioéconomique, ne peut assumer. Elle prend alors l’initiative d’aller frapper à la porte du SAJ, qui propose une institution où, dit-on aux parents, Jérémy pourra mieux grandir, dans un cadre plus adapté. L’enfant revient en famille durant les week-end et les vacances scolaires, mais cela continue de se passer mal à la maison : « Il dormait toujours aussi peu et était agressif, on ne se sentait pas en sécurité avec lui. Manifestement, toutes ces années passées en institution n’ont pas permis à Jérémy d’évoluer positivement », constate Martine.

Au contraire, même : le suivi spécifique dont l’enfant avait besoin pour juguler les effets la maladie orpheline dont il souffre s’est arrêté dès la prise en charge de l’enfant par le SAJ. « Pourtant, lors de la réunion de contact avec sa directrice du centre d’hébergement, on nous y a promis monts et merveilles, le top du top des prises en charge, autant sur le plan psychique que physique. Au final, rien, nada ! Son retard de croissance n’a plus du tout été pris en charge, déplore la grand-mère de Jérémy. Aucun psychologue ne l’a accompagné pour gérer les frustrations, les complexes, et donc l’agressivité que ce trouble du développement provoquait chez lui. Et Jérémy a fort souffert, aussi, du fait d’être écarté de sa famille, alors que le reste de la fratrie vivait toujours dans la maison familiale. »

Mépris et menaces

« J’ai accompagné ma fille à une ou deux réunions au SAJ, poursuit la maman de Martine, où je me suis permise de leur rappeler l’importance d’un suivi pédiatrique et psychologique pour Jérémy : on m’a quasiment ri au nez et traitée avec un tel mépris que j’en ai été dégoûtée.

Sans compter le fait que Martine a été ouvertement menacée de cette façon : ‘‘Vous savez, Madame, si vous continuez à critiquer notre prise en charge, je vous avertis tout de suite qu’il ne dépend que de nous que vous ne récupériez jamais votre fils avant ses 18 ans !’’

Suite à ça, j’ai écrit deux fois au juge pour supplier qu’il y ait une prise en charge psychologique et physique. Tout ce que j’en ai récolté, c’est qu’il a suggéré, dans un des jugements annuels, que je me fasse suivre sur le plan psychologique ! »

De l’avis de la maman et de la grand-mère de Jérémy, les services censés apporter de l’aide aux familles ne tiennent absolument pas compte des difficultés financières des parents. « Tu ne sais pas payer le psy, l’internat, les trajets ? Non, tu ne veux pas ! Tu n’as pas de voiture ? On place ton gosse à 100 kilomètres de chez toi ! Tu ne viens pas le voir parce que tu ne sais pas ? Non, tu es une mauvaise mère ! Et le pire, c’est qu’ils laissent entendre aux gosses que leur mère est une mauvaise mère !!! »

L’engrenage

Le SAJ en fait le constat : la situation de Jérémy ne s’améliore pas, l’accompagnement éducatif en famille (« Quel accompagnement ? » , s’interrogent la mère et la grand-mère de Jérémy) ne porte pas ses fruits, l’ « aide consentie » laisse donc la place à l’ « aide contrainte » du service de protection de la jeunesse (SPJ), qui s’occupera aussi, désormais, des deux autres enfants de la fratrie. « A partir du cas de Jérémy, et aussi, il faut bien le dire, des troubles du comportement et du retard scolaire de mes deux autres enfants, j’étais désormais cataloguée comme une mauvaise mère, accuse Martine. Plus rien de ce que je pouvais faire, ou dire, n’était pris en considération. Ils m’ont chargée de tous les maux pour pouvoir s’emparer des enfants. »

Des rencontres régulières se déroulent au SPJ, pour faire le point sur les suivis d’ordre éducatif : « Ces suivis, je n’ai toujours pas très bien compris en quoi ils consistent exactement, énonce Martine. Tout ce que j’en vois, c’est que des gens viennent régulièrement à la maison, avec leur air réprobateur. Le frigo est toujours plein, les chambres sont en ordre, mais rien ne semble de nature à les contenter. Ils repartent avec, toujours, le même air réprobateur. »

« Les personnes qui sont en charge des dossiers des jeunes au SAJ et au SPJ sont parfois très jeunes et inexpérimentées, mais le pouvoir que leur confère leur fonction est énorme, dénonce la grand-mère : elles peuvent faire ou défaire les familles. Et si elles prennent les parents en grippe, c’est fichu, leur avis sera fatalement négatif. Et c’est quasiment sur ce seul avis que, une fois par an, le juge rendra son jugement : c’est l’enfer… »

Jérémy s’enfonce

Jérémy, qui va de plus en plus mal, est ballotté de centres d’accueil d’urgence en institutions spécialisées. Il est finalement pris en charge par un centre d’hébergement pour garçons en souffrance, dans laquelle il aurait pu rester jusqu’à ses dix-huit ans s’il n’en avait pas été exclu à l’été 2021, en raison de violences sexuelles infligées à un autre pensionnaire. Sur ordre du juge, devant lequel il a comparu en urgence, cette fois menotté et encadré par deux policiers, Jérémy atterrit alors dans une des cinq IPP institutions publiques de protection de la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles, où sont placés les jeunes délinquants.

« A sa sortie, où ira-t-il ?, se désole Martine. Mon fils a été diagnostiqué schizophrène, il doit être soigné, recevoir un traitement adéquat. Sa place n’est pas dans une prison pour jeunes. Elle n’est pas non plus à la maison, où il est ingérable. S’il n’est pas correctement soigné, dans deux ans, il sera soit dans la rue, soit dans une prison pour adultes. »

Enfants en danger… les jours ouvrables

« Pendant toutes ces années, s’indigne Martine, les services d’aide à la jeunesse et de protection de la jeunesse ne m’ont pas vraiment soutenue, et n’ont pas permis à mes enfants d’aller mieux. Jérémy n’a jamais été pris en charge comme il l’aurait fallu, et mes deux autres enfants ont été entraînés dans la spirale. Je me suis sentie jugée, dépossédée, niée : tout, sauf aidée. Une fois qu’on met le doigt dans l’engrenage de la justice de la jeunesse, la situation nous échappe. Les parents sont constamment pointés du doigt. Quand les conseillères du SAJ et puis les déléguées du SPJ venaient chez moi, je n’ai jamais eu l’impression qu’elles vérifiaient vraiment si les enfants avaient tout ce qu’il fallait. Leur jugement était déjà fait : si l’aîné n’allait pas bien, c’était de ma faute, juste de ma faute. Du coup, il fallait m’enlever tous mes enfants. Pendant les audiences devant le juge, en entendant ce dont m’accusait le parquet, j’ai toujours eu l’impression que l’on parlait de quelqu’un d’autre : je ne m’y suis jamais retrouvée. Je ne m’y suis jamais sentie réellement entendue : on faisait semblant de m’écouter mais je sentais bien qu’on me considérait comme une menteuse. Depuis le début, on m’a trouvé mille et une choses pour m’accuser, moi, d’être incapable de m’occuper de mes enfants. J’ai eu le tort de parler des difficultés de Jérémy, et les autres enfants ont été pris dans l’engrenage des placements.  Depuis des années, on m’accable de tous les maux, mais aucune accusation n’a jamais pu être prouvée. Mon dossier est vide : mon avocat me le dit, mais les choses continuent, le frère et la sœur de Jérémy passent d’une institution à l’autre, entre deux retours à la maison. On les dit en danger : mais alors pourquoi les laisse-t-on rentrer chez moi les week-end et durant les vacances ? Je ne les mets en danger que pendant les jours ouvrables ?! »

« Je ne peux plus parler de ça… »

« Je ne peux plus parler de ça, soupire la grand-mère. En réalité, il n’y a aucune aide valable pour les familles et les gosses en difficulté, car il n’y a pas d’argent, pas d’institutions adéquates, pas de formations valables, pas de vraie écoute respectueuse, pas de juge sur le terrain ni présent aux réunions. C’est du bricolage et on est trop souvent face à de bien trop jeunes responsables qui n’ont aucune notion de respect, de l’écoute ou de simple désir d’aider une famille en détresse. Non, affirmer son pouvoir est bien plus grisant ! »

(1) Prénoms d’emprunt

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