Justice

Au plus près de l’âme humaine

André Donnet est juge de la jeunesse à Nivelles et président de l’Union francophone des magistrats de la jeunesse. Rencontre.

André Donnet
André Donnet

Sur le mur du cabinet, une jolie lettre de remerciements adressée par une maman reconnaissante : « Votre intervention a sauvé mon garçon ». La sœur du garçon en question y a ajouté quelques mots : « Merci pour notre famille ». « Ce genre de témoignages donne du courage, du sens à ce qu’on fait : cela fait du bien, car notre quotidien est parfois très lourd », témoigne André Donnet, juge de la jeunesse à Nivelles et président de l’Union des magistrats de la jeunesse.
André Donnet a débuté sa carrière au barreau. Durant dix-sept ans, il a plaidé au civil, dans des affaires de baux, s’occupait d’administrations provisoires, de droit administratif, etc. Il est devenu magistrat en 2010, au tribunal de première instance – sections civiles et correctionnelles – d’abord, à celui de la jeunesse ensuite, à partir de 2012. Il était alors âgé de 42 ans et n’avouait aucun penchant particulier pour ce domaine du droit : « J’étais plutôt un technicien du droit ; je n’avais pas la fibre sociale très développée. » Mais dans la magistrature, nécessité fait loi, et il fallait pourvoir un poste laissé vacant par un juge de la jeunesse parti à la retraite : « Personne ne voulait de cette place, notamment à cause des gardes qu’il faut assumer le week-end (NDLR : un week-end de garde sur trois à Nivelles, puisque l’arrondissement compte trois juges de la jeunesse). Comme j’étais le dernier arrivé, on m’a désigné d’office. » L’appétit pour les dossiers jeunesse lui est venu sur le tas. « Je regrettais un peu la diversité du travail et des contacts de l’avocat, le dynamisme du métier, l’adrénaline, que l’on ressent moins en tant que magistrat. En tant que juge de la jeunesse, j’ai retrouvé cela : le métier est d’une richesse phénoménale, extrêmement varié, puisque toutes les situations sont différentes, et que je noue des contacts avec des enfants, des ados, leur famille, et aussi les institutions, les éducateurs, les professionnels de la santé mentale, etc. J’ai retrouvé ici le dynamisme de l’avocature. »

L’aspect plus technique du droit lui manque parfois un peu, avoue-t-il cependant. Qu’à cela ne tienne : le juge a gardé un pied au tribunal de première instance où il siège une fois par mois, dans des affaires d’adoption, de nationalité, de reconnaissance d’actes élaborés à l’étranger et de mariages blancs.

« Certains jeunes – surtout les ‘‘habitués’’ arrivent crâneurs sur le parking, défient leurs parents, les bousculent parfois. Et puis, devant moi, ils semblent tout penauds. »

Le métier se situe aux confins du droit, mais aussi de la psychologie, de la sociologie, du social, de la santé mentale et de l’éducatif : il est donc d’une extraordinaire variété. « Mais il faut rester avant tout un juge, souligne Donnet. Les facettes du métier son variées, mais les rôles doivent rester bien clairs. » A la fois représentant de la loi et du droit, psychologue, sociologue, éducateur et assistant social, le juge de la jeunesse a un quotidien varié : entre les rendez-vous avec les équipes des IPPJ pour faire le point sur le placement d’un jeune délinquant, la lecture des rapports établis par le Service d’aide à la jeunesse (SAJ) et le Service de protection de la jeunesse (SPJ), les contacts avec l’administration, les institutions d’hébergement pour jeunes, les contacts avec les parents, les entretiens de cabinet, les audiences et leur préparation, la rédaction des jugements, la gestion de l’agenda relève souvent de la haute voltige.

Pour André Donnet, l’ingrédient essentiel du boulot de juge de la jeunesse est d’ordre relationnel : « On fait un nombre incroyable de rencontres. On recueille les confidences, on est au plus près de l’âme humaine. Ce n’est pas un métier que l’on peut faire à 25 ans : pour comprendre au mieux ce qui se joue pour un jeune et pour sa famille, pour évaluer les enjeux, pour cerner les personnalités, il faut une finesse psychologique, laquelle se développe avec l’âge et l’expérience de la vie. »
C’est durant les entretiens de cabinet – lorsque le juge reçoit le jeune et ses proches, ainsi que les avocats et les intervenants, en-dehors des audiences plus formelles, pour faire le point sur la situation – que la position du juge se rapproche le plus de celui du psy. « Avant l’entretien de cabinet, je m’immerge dans la réalité du jeune, je tente d’identifier au plus près ses difficultés, et j’anticipe les mesures les plus efficaces. Ce que j’entends et vois pendant l’entretien de cabinet vient confirmer, ou pas, ce que j’ai imaginé. Parfois, je suis surpris : les PV qu’on reçoit du parquet peuvent être trompeurs ; je m’attends à voir arriver un malabar, et je vois arriver une crevette toute penaude. Ce qui se joue entre le jeune et ses parents est intéressant à observer : on ressent toutes les tensions qui se jouent là. Moi, j’essaie toujours d’observer leur arrivée dans le parking (que je vois depuis la fenêtre de mon bureau) : la façon dont les uns et les autres se comportent sur le parking est instructive, et parfois en total décalage par rapport à la manière dont ils se positionnent dans mon bureau. Certains jeunes – surtout les ‘‘habitués’’ arrivent crâneurs sur le parking, défient leurs parents, les bousculent parfois. Et puis, devant moi, ils semblent tout penauds. »

Tous ne sont pas penauds devant le juge : le cabinet d’un juge de la jeunesse est parfois témoin de scènes très violentes : « Certains jeunes se roulent par terre, s’éclatent la tête contre le mur, tentent de renverser mon bureau ou de s’emparer de l’arme d’un policier ; il arrive aussi qu’un papa veuille me frapper. »

André Donnet est précédé d’une réputation de fermeté, voire de sévérité. L’homme ne s’en défend pas : dès ses premiers contacts avec un jeune délinquant et sa famille, il adopte une attitude très cadrante. « Ces jeunes sont très souvent en manque de cadre ; ils ont besoin de se heurter à quelque chose de solide. Leurs parents sont souvent surprotecteurs, ils couvent le jeune, et le couvrent, au lieu de se confronter à lui. C’est une attitude toxique pour un jeune en quête de repères, d’identité et d’adrénaline. Des adultes faibles, ça les insécurise. Un jour, un récidiviste que j’avais placé plusieurs fois de suite en IPPJ m’a dit ‘‘Vous, Monsieur le juge, quand vous dites quelque chose, vous le faites, je vous crois.’’ Quand un jeune se retrouve dans mon bureau, il sait très bien qu’il a dépassé les limites et n’a donc pas besoin de grands discours, mais juste de quelqu’un de très ferme en face de lui. Après, quand le respect est installé, alors une relation de confiance et empreinte de bienveillance peut s’installer. » « Avec moi, ponctue-t-il, les jeunes et leur famille, savent à quoi s’en tenir : les choses sont dites et nommées ; autant les ressources de chacun que les dysfonctionnements. »

L’autre ingrédient essentiel à un juge « en général », et en particulier au juge de la jeunesse, c’est l’espérance en l’être humain et la foi en sa capacité de changement : « L’espoir que les choses peuvent changer, que le jeune n’est pas ‘‘fichu’’, que les parents aussi peuvent évoluer, c’est la base de notre métier. Toute l’approche protectionnelle repose là-dessus. »

Partager cet article

Facebook
Twitter