Justice

Ne jamais juger les parents

Frédéric Hourdiaux (49 ans) est juge de la jeunesse depuis bientôt cinq ans à Charleroi. Il siège aussi en tant que juge de la famille : cette double casquette est permise, à condition, bien entendu, de ne pas être portées simultanément dans un même dossier.

Frédéric Hourdiaux
Frédéric Hourdiaux

« J’ai toujours eu la fibre sociale, c’était une valeur familiale forte. Dès l’adolescence, je me suis vu juge de la jeunesse, et mon stage de dernière année de Droit au tribunal de la jeunesse a achevé de me convaincre. Mais c’est un métier qu’il ne faut pas entreprendre trop jeune : il faut une sacrée maturité pour pouvoir affronter tout ce qu’on y vit : quand on voit des enfants gravement négligés, des fillettes victimes d’inceste, etc., il faut s’accrocher, prendre du recul. » 

Le jeune diplômé passe donc d’abord par la case Barreau – il sera avocat pendant cinq ans -, avant d’entamer une carrière au Parquet, où il siégera pendant treize ans. Pour enfin embrasser la fonction de juge de la jeunesse et de la famille, à l’âge de 44 ans. « La variété des situations est telle que j’ai l’impression de vivre plusieurs vies. Il faut avoir un bon instinct et se faire confiance, car nos décisions sont parfois risquées. Chaque décision est un pari : sur les compétences des mineurs, sur celles de leurs parents lorsqu’on décide de les maintenir à domicile ou de les confier à la garde de leur père ou de leur mère, ou sur leurs perspectives d’évolution si on les place en institution. On n’est pas du tout dans la ‘‘technique du droit’’, mais dans la pâte humaine. Bien sûr, nous sommes aidés, dans notre prise de risque, par les services de l’aide à la jeunesse qui donnent un éclairage sur le dossier, mais à chaque décision, c’est une lourde responsabilité qui nous incombe. »

Contrairement à l’idée reçue lorsqu’on évoque le contexte dans lequel s’exerce la justice de la jeunesse dans un arrondissement comme celui de Charleroi, les dossiers ouverts pour mineurs en danger sont bien plus nombreux (90% des dossiers) que ceux ouverts pour mineurs délinquants (« mineurs ayant commis des faits qualifiés infractions »). « Dans la plupart des cas, on est confronté à une situation familiale compliquée et à un contexte de précarité économique et socioculturelle. Bien souvent aussi, les parents dont les enfants sont considérés en danger souffrent de troubles de santé mentale, d’assuétudes, de dépression, ce qui complique beaucoup le travail pédagogique et de coparentalité que nous tentons de faire avec eux. »
Et quand le mineur « tombe » dans la délinquance, c’est, plus d’une fois sur deux, pour des faits de mœurs, le plus souvent commis à l’intérieur de la famille. « Les abuseurs adultes ont le plus souvent subi eux-mêmes des abus sexuels lorsqu’ils étaient enfants : quand on vit cela, après, il est difficile de mettre des limites au sein de sa propre famille. »

« Nous évoluons sur un fil, dans un équilibre très fragile, conclut Hourdiaux. Il s’agit à la fois de conscientiser ces parents, les inciter à se faire aider, mais sans jamais les juger car, sinon, ils rejettent le système, se ferment, et on ne peut plus construire. Il faut que ces personnes se sentent valorisées car, le plus souvent, elles manquent terriblement d’estime de soi. »

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