Justice

Toujours y croire

Alexia Demain est avocate de la jeunesse : un métier dur, décourageant parfois, et mal payé. Pour s’accrocher, il faut avoir une foi inconditionnelle dans « ses » jeunes.

alexia demain
alexia demain

« Les situations auxquelles on est confronté, en tant qu’avocat des mineurs, sont parfois terrifiantes ; elles déchirent le cœur. Il m’arrive de rentrer chez moi, le soir, en me disant : ‘‘Ce n’est pas possible, je vais reprendre cet enfant chez moi…’’ Ce n’est évidemment pas possible. Le plus difficile pour moi, cela a été d’apprendre à baisser le volet. » Alexia Demain est avocate de la jeunesse depuis plus de vingt ans, et elle ne s’habitue pas : « Je me force à prendre du recul – sinon je n’aurais pas pu continuer dans cette branche du métier -, mais je ne me blinde pas : je reste sensible à ce que vivent ces jeunes, parfois tout jeunes, et qui les blesse à vie. La sensibilité, le goût de l’humain et de ses fragilités, est indispensable pour exercer ce métier. Sinon, mieux vaut se tourner vers d’autres domaines du droit, tels le droit fiscal ou le droit administratif. »

Cette conscience des difficultés parfois insurmontables auxquelles « ses » jeunes sont confrontés la pousse à leur offrir une présence et un soutien indéfectibles, et pas seulement pendant les heures de bureau : « La plupart des jeunes dont je m’occupe disposent de mon numéro de gsm : en cas d’urgence, le soir, la nuit ou le week-end, ils savent qu’ils peuvent m’appeler. Il n’existe pas de solution miracle, surtout au vu de l’asphyxie financière dans laquelle est plongé le secteur de l’aide à la jeunesse, mais au moins je les écoute. »

Il a fallu, aussi, apprendre à ne pas juger : « Les jeunes délinquants dont on se fait porte-parole ont parfois commis des actes horribles – tel le viol répété d’un petit frère ou d’une petite sœur -, il faut éviter de leur coller une étiquette sur le front. Il ne faut pas les identifier à leurs actes : ce sont toujours des êtres fragiles, blessés, complexes. Et, lorsque l’on a affaire à un enfant en danger, maltraité dans sa famille, ce sont les parents qu’il faut se garder de juger : il faut voir d’où ils viennent, ce qu’ils ont vécu eux-mêmes, pour leur rendre leur humanité. L’écoute et l’empathie sont les deux ingrédients indispensables à notre métier. Il faut également bien connaître cette vaste matière du droit de la jeunesse qui contient des règlementations diverses tels la Convention internationale relative aux droits de l’enfant du 20.11.1989, la Loi du 08.04.1965 relative à la protection de la jeunesse, le Décret du 18.01.2018 portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, … 

Et puis, il faut continuer d’y croire : croire que les jeunes et leurs proches peuvent changer, évoluer grâce à l’aide qui va leur être apportée par des professionnels aguerris, et ce malgré le (trop !) peu de moyens dont dispose le secteur de l’aide à la jeunesse et la tragique répétition qui est la marque de la justice de la jeunesse : il n’est pas rare de voir des enfants reproduire les comportements répréhensibles de leurs parents. « Certains jeunes ont une capacité de résilience extraordinaire. Ils s’accrochent aux mesures qu’on leur propose comme à une bouée de sauvetage. Des dossiers – ils sont rares mais pas inexistants – se clôturent donc sur une note positive ; il y a de belles histoires, nichées dans les interstices des histoires tragiques. Nous, notre job, c’est de croire en eux. Le jour où on n’y croit plus, il faut changer de métier. »

Changer de métier : une tentation d’autant plus grande, parfois, qu’avocat.e de la jeunesse, ça ne nourrit pas son homme ou sa femme. « On n’est évidemment pas payés par le jeune, ni par les parents : les avocats des mineurs sont défrayés par le système de l’aide juridique (NDLR : ex-pro deo).  On ne peut faire ce boulot que par conviction. Cela dit, le métier d’avocat permet aussi d’exercer dans plusieurs matières en parallèles, ce qui permet d’ouvrir les perspectives intellectuelles, humaines et financières. Moi, par exemple, je suis aussi avocate en droit de la famille et médiatrice agréée en droit familial. »

Alexia Demain tient aussi à rectifier une vision du métier qui ne correspond pas à la réalité : « Dans l’esprit du public, l’avocat.e du jeune se bat pour imposer les mesures qui rencontrent le plus l’intérêt de celui-ci : c’est une idée erronée ; cet aspect-là des choses, c’est le juge de la jeunesse qui en est chargé. En tant qu’avocate, moi, je me fais la porte-parole inconditionnelle des desiderata du jeune. Un jeune négligé ou frappé par ses parents veut-il à tout prix rester dans sa famille ? Je défendrai sa position, et ce même si je trouve à titre personnel qu’il serait mieux en institution (pour autant qu’il y ait de la place, mais il s’agit d’un autre débat…). Cela ne m’empêche évidemment pas de lui dire le fond de ma pensée lorsque je suis en tête-à-tête avec lui. Mais après, c’est lui qui voit. Officiellement, c’est sa voix que je ferai entendre. Cette position n’est pas toujours facile. Mais c’est le cœur du métier d’avocat. »

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