Forem

« Cette réforme réduira le nombre de sanctions »

Christie Morreale, la ministre de l’Emploi wallonne qui porte le projet de décret réformant l’accompagnement du Forem a accepté de répondre à nos interrogations, par écrit.

Christie Morreale (ministre wallonne de l'Emploi) : « L’objectif est de proposer un accompagnement sur mesure ».

Christie Morreale (PS), la ministre de l’Emploi wallonne, endosse au premier chef la responsabilité politique de l’avant-projet de décret réformant l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le Forem, actuellement en discussion au sein du gouvernement wallon (PS-MR-Ecolo). Nous nous sommes adressés à elle et lui avons proposé de réaliser une interview pour répondre à certaines questions et critiques que suscite ce projet.

Des critiques qui ne correspondent pas au contenu de la réforme ?

Très rapidement, sa porte-parole nous a remerciés pour cette proposition, tout en nous indiquant que « par facilité et au vu de l’agenda chargé de la ministre », celle-ci souhaitait procéder par écrit, en s’engageant cependant à répondre aux différentes questions posées. Nous nous sommes pliés à cette demande, même si cette modalité de contribution ne nous paraissait pas optimale. Procéder par questions et réponses écrites a pour effet d’empêcher l’enclenchement d’une véritable dynamique d’échange, ne permet pas de contester les réponses, de rebondir sur celles-ci, de pointer un aspect non abordé ou une contradiction, de demander des précisions, etc. En outre, les questions rédigées ont tendance à s’allonger pour éviter une méprise, une incompréhension ou encore que la réponse contourne le sujet tout en semblant y répondre, etc. Tandis que le caractère écrit des réponses peut également les rallonger, sans coupure possible. Bref, ce procédé donne un résultat, ci-dessous, dont la lecture est à certains égards fastidieuse.

Quoi qu’il en soit, nous avons posé sans détour nos questions, qui sont souvent l’expression d’autant de critiques. Et la ministre Morreale a pris la peine d’y répondre, parfois longuement, ce dont nous la remercions vivement. « Cela ne correspond pas au contenu de la réforme », réagit-elle. La ministre estime manifestement que les critiques portées contre le projet qu’elle défend sont infondées et proviennent d’une incompréhension. Il y a peu, elle n’avait d’ailleurs pas hésité, en réponse à une question parlementaire, à réduire les critiques dont il était fait écho à des « allégations contreproductives et qui sont des contrevérités » (1). Nous répliquons nous-mêmes à certaines réponses faites par Mme la ministre dans l’article qui suit (lire p.102). A chacun.e de confronter les questions, les réponses et la réplique afin se forger une opinion propre. Vive le débat !

« La digitalisation ne remet nullement en cause l’accompagnement en présentiel ».

Ensemble ! : Le programme du Parti socialiste sur base duquel vous avez été élue précisait que le PS entendait « veiller à dissocier les fonctions d’accompagnement et celle de contrôle des demandeurs d’emploi » (2). Or l’axe principal du projet de réforme que vous avez déposé consiste précisément à confier aux conseillers du Forem en charge de l’accompagnement une fonction d’évaluation et de contrôle de la disponibilité active des demandeurs d’emploi. Qu’est-ce qui a motivé ce revirement par rapport à la position défendue par votre parti dans la campagne électorale ?

Christie Morreale (ministre wallonne de l’Emploi) : Il n’y a aucun revirement par rapport à la position défendue par le PS sur ce point. Le projet de réforme de l’accompagnement ne fusionne pas les missions d’accompagnement et de contrôle mais a pour objectif de les articuler au bénéfice des demandeurs d’emploi. Actuellement, tous les demandeurs d’emploi sont contrôlés par le service Contrôle du Forem, en vue de déterminer si le demandeur d’emploi respecte ses obligations en matière de disponibilité active et ce, indépendamment du déroulement de l’accompagnement. Un demandeur d’emploi pourrait donc être susceptible d’être sanctionné dans le cadre du contrôle de sa disponibilité, alors qu’il réalise les actions prévues dans le cadre de son accompagnement. L’articulation entre les missions d’accompagnement et de contrôle assure une plus grande cohérence et permet de mettre fin à ce type de situation. Dès lors que l’accompagnement se déroule bien, il convient naturellement de considérer que le demandeur d’emploi répond à ses obligations en matière de disponibilité et qu’il n’est pas nécessaire de les évaluer dans une optique de contrôle. Cette articulation se traduit par l’intégration dans l’accompagnement d’une démarche d’évaluation continue et formative. Cette évaluation ne s’inscrit en aucun cas dans une logique de contrôle. Au contraire, elle s’inscrit dans une logique de soutien et de mobilisation du demandeur d’emploi. Cette logique vise à éviter autant que possible les sanctions et exclusions souvent liées à un manque de mobilisation des demandeurs d’emploi, alors que ceux-ci ont été accompagnés durant plusieurs mois, voire un an.

« Si l’accompagnement se déroule bien, il convient de considérer que le demandeur d’emploi répond à ses obligations »

L’objectif est de proposer un accompagnement sur mesure, adapté au profil et aux besoins du demandeur d’emploi, qui se concrétise par un plan d’action concerté avec ce dernier. Ce plan d’action fait l’objet d’un suivi informel. Si le conseiller détecte des difficultés dans sa mise en œuvre, il se concerte avec le demandeur d’emploi pour identifier ses difficultés et les moyens d’y remédier. Le suivi du parcours du demandeur d’emploi est alors formalisé avec le demandeur d’emploi, afin de clarifier les actions qui ont été convenues. Si dans le cadre du suivi formalisé il est constaté que le demandeur d’emploi ne réalise pas le plan d’action concerté, un nouveau plan d’action est prévu. Ce n’est que si ce dernier plan d’action formalisé n’est pas suivi, que le dossier d’un demandeur d’emploi pourra être transféré au service contrôle du Forem. Le conseiller sera en outre chargé, aux différentes étapes de ce processus, de mobiliser et remotiver le demandeur d’emploi confronté à des difficultés. Il s’agit d’un processus itératif. Lorsqu’un plan d’action fait l’objet d’un suivi formalisé au terme duquel les actions prévues ont été réalisées, le suivi redevient informel.

La transmission du dossier du demandeur d’emploi au service contrôle du Forem n’implique pas de sanctions dans le chef du demandeur d’emploi mais l’impossibilité, sur base de l’accompagnement, de considérer de manière automatique que le demandeur d’emploi remplit ses obligations en matière de disponibilité active. Lorsque le dossier est transmis au service contrôle du Forem, ce dernier procédera à l’évaluation de la disponibilité active du demandeur d’emploi dans une optique de contrôle comme c’est actuellement le cas pour tous les demandeurs d’emploi. L’intégration d’une démarche d’évaluation formative dans le cadre de l’accompagnement s’inscrit donc dans une volonté d’articulation des missions du Forem au bénéfice du demandeur et n’induit en aucun cas une fusion de ses missions. Au contraire, elle octroie une chance supplémentaire au demandeur d’emploi de ne pas être contrôlé dès lors que son accompagnement se déroule bien et réduit les contrôles de la disponibilité des demandeurs d’emploi.

Quels sont les constats de base sur lesquels se fonde votre projet de réforme et quels sont les résultats concrets par rapport aux demandeurs d’emploi que vous en attendez d’ici sa pleine mise en application, prévue en décembre 2022, et d’ici la fin de la législature (mi-2024) ?

Quels sont les constats de base sur lesquels se fonde votre projet de réforme et quels sont les résultats concrets par rapport aux demandeurs d’emploi que vous en attendez d’ici sa pleine mise en application, prévue en décembre 2022, et d’ici la fin de la législature (mi-2024) ?

La réforme de l’accompagnement part du constat que, faute d’une orientation professionnelle réfléchie et encadrée, beaucoup trop de demandeurs d’emploi, et notamment de jeunes, entreprennent des parcours d’insertion chaotiques. Il existe, en outre, un écart trop important entre les compétences recherchées par les employeurs et celles dont disposent les demandeurs d’emploi. Le nouvel accompagnement TIM (Talents-Impulsion-Mobilisation) a pour ambition d’apporter une réponse aux besoins des demandeurs d’emploi que l’accompagnement actuel n’a pas pu rencontrer et de s’adapter plus rapidement à leurs évolutions.

« Cela implique de renforcer l’objectivation des besoins du chercheur d’emploi »

Cela implique de renforcer l’objectivation des besoins du chercheur d’emploi. Le positionnement métier du demandeur d’emploi ainsi que son degré de proximité à l’emploi doivent être analysés dès l’inscription afin de garantir une orientation optimale du demandeur d’emploi et de lui proposer un accompagnement adapté à ses besoins et à son profil. Trop de demandeurs d’emploi se positionnent sur des métiers par défaut et qui ne leur correspondent pas. La réforme de l’accompagnement ainsi que le déploiement du dispositif d’orientation tout au long de la vie doivent permettre d’assurer un réel travail d’orientation professionnelle des demandeurs d’emploi qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire, pour qui le positionnement métier est incertain. La réforme se veut également porteuse d’une nouvelle dynamique d’accompagnement plus positive et qui veille à susciter la participation et la mobilisation du demandeur d’emploi. Le demandeur d’emploi doit être étroitement associé à l’élaboration et à l’évolution de son accompagnement. Il faut sortir de la vision dans laquelle le conseiller est un prescripteur pour s’inscrire davantage dans une dynamique de coaching du demandeur d’emploi dont l’accompagnement permet sa mobilisation et la construction de solutions aux obstacles auxquels il est confronté en vue de son insertion socioprofessionnelle.

L’accompagnement actuel repose, en outre, de manière trop importante sur les épaules du seul conseiller référent qui ne peut, à lui seul, être en capacité d’apporter une réponse aux besoins diversifiés des demandeurs d’emploi. La réforme s’appuie sur une spécialisation des conseillers et la mise en place d’équipes pluridisciplinaires. Le demandeur d’emploi continuera à se voir attribuer un conseiller de référence qui sera chargé du suivi et de la coordination du parcours mais ce conseiller ne sera pas le seul intervenant et pourra s’appuyer sur l’ensemble des expertises mises à disposition au sein de ces équipes pluridisciplinaires.

J’ai déjà évoqué l’objectif d’assurer une articulation entre les missions d’accompagnement et de contrôle. La réforme, de par cette articulation et l’instauration d’une nouvelle dynamique d’accompagnement, doit augmenter les chances d’insertion et la mobilisation des demandeurs d’emploi et réduire les situations dans lesquels le demandeur d’emploi pourrait être en défaut au regard de ses obligations en matière de disponibilité.

Dans les notes à travers lesquelles vous avez présenté ce projet de réforme au gouvernement wallon, il n’est fait à peu près aucune mention d’études préalables relatives à la mise en œuvre de cette réforme. Y-a-t-il des études d’impact qui ont été réalisées, que ce soit au plan des effets prévisibles de la réforme en termes de sanctions ou encore concernant l’impact de la digitalisation ? Si oui, ces études peuvent-elles être mises à disposition du public ? Si non, n’est-ce pas extrêmement risqué pour les personnes concernées de lancer un projet de réforme que vous qualifiez vous-même de « changement de paradigme » sans mettre dans le débat public des études qui en examinent les principes et leurs effets prévisibles ?

Différentes analyses et études ont été menées en vue de l’élaboration de la réforme de l’accompagnement. La réforme a évidemment fait l’objet d’analyses internes au sein du Forem en s’appuyant bien évidemment sur les expertises et analyses du service d’analyse du marché de l’emploi et de la formation du Forem. Différents groupes de travail ont été créés sur les différentes thématiques de la réforme. Le Forem a par ailleurs lancé des appels à manifestation d’intérêt à destination de ses travailleurs qui souhaitent intégrer les différents groupes de travail thématiques. L’Université libre de Bruxelles a également réalisé, dans le cadre d’un marché lancé par le Forem, une étude sur l’accompagnement et le contrôle des demandeurs d’emploi qui a notamment mis en évidence le manque d’articulation entre ces missions et le manque de sens qui en résultait. S’agissant de documents internes au Forem qui ont alimenté la réflexion, il ne semble pas pertinent de les publier. Il conviendrait en outre de déterminer si c’est possible au regard notamment des droits d’auteurs liés à l’étude menée par l’Université libre de Bruxelles. J’ai également été attentive au rapport établi par la Cour des comptes concernant l’accompagnement des demandeurs d’emploi et qui est disponible au public sur le site de cette dernière. Concernant la digitalisation, j’ai demandé au Forem de réaliser une analyse d’impact de celle-ci sur les droits des demandeurs d’emploi. Cette analyse que j’ai reçue récemment va être soumise à l’avis de l’autorité de protection des données. Elle sera ensuite publiée.

Quel est le nombre de demandeurs d’emploi actuellement accompagnés par le Forem chaque année, et par exemple en 2019 ? Combien de conseillers emploi le Forem déploie-t-il actuellement pour assumer cet accompagnement ? Quel est le temps moyen annuel qu’un conseiller peut consacrer à chaque demandeur d’emploi en général et pour des accompagnements en vis-à-vis en particulier? Quel serait le nombre prévu de demandeurs d’emploi qui devront être annuellement accompagnés par le Forem lorsque cette réforme serait pleinement mise en place, en 2023 ? Combien de demandeurs d’emploi prévoyez-vous que le Forem accompagnera en vis-à-vis et combien à distance en 2023? Combien de conseillers emploi sont prévus à l’horizon 2023 pour assumer cette mission ? Quel sera le temps moyen qu’un conseiller pourra consacrer par demandeur d’emploi ? Comptez-vous modifier le cadre normatif du Forem pour lui permettre de faire face à ces nouvelles missions?

L’accompagnement des demandeurs ne s’inscrit pas dans une optique de numerus clausus. L’objectif est d’accompagner tous les travailleurs sans emploi afin de les soutenir en vue de favoriser leur insertion sur le marché du travail. De même, il n’y a pas d’objectifs à atteindre en termes de nombre de demandeurs d’emploi accompagnés à distance. La priorité est de proposer à chacun un accompagnement qui correspond à son profil et à ses besoins, aussi bien en termes de contenu que de modalités. L’accompagnement à distance n’a vocation à s’appliquer qu’aux demandeurs d’emploi pour lesquels il est adapté et à condition, nécessairement, que le demandeur d’emploi bénéficie d’une autonomie numérique le permettant, aussi bien en termes de capacités numériques qu’en termes d’accessibilité à l’outil informatique.

« L’accompagnement n’est pas un exercice chronométré »

L’accompagnement n’est pas un exercice chronométré. Parler de temps moyen accordé aux demandeurs d’emploi implique d’avoir préalablement déterminé ce qui est pris en compte. En effet, prendre uniquement en compte le temps accordé par les conseillers en charge du suivi et de la coordination du parcours d’insertion du demandeur d’emploi est réducteur. Le nombre d’agents du Forem intervenant dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi ne se limite pas à ces derniers mais comprend également des formateurs et conseillers occupés au sein des services ouverts du Forem ou des conseillers aux entreprises. L’accompagnement doit reposer sur des équipes pluridisciplinaires et non sur les épaules d’un seul conseiller. Le conseiller de référence est chargé de suivi et de la coordination du parcours d’insertion du demandeur d’emploi mais il est loin d’en être le seul intervenant. Les moyens humains affectés à l’accompagnement des demandeurs d’emploi seront renforcés. Le nombre de conseillers référents tourne actuellement autour de 500 travailleurs. Avec la réforme, le nombre de conseillers en charge du suivi et de la coordination du parcours des demandeurs d’emploi sera augmenté de 150 équivalents temps plein. En outre, plus de 400 agents provenant de différents services du Forem intégreront les équipes pluridisciplinaires sur lesquelles reposera l’accompagnement. A ces moyens humains, il convient en outre d’ajouter notamment les formateurs des centres de formations et les conseillers des CEFO et Maisons de l’Emploi qui interviennent dans la mise en œuvre de l’accompagnement au travers de l’ensemble de l’offre de services du Forem à destination des demandeurs d’emploi. La Wallonie dispose, en outre, d’un secteur associatif actif en matière d’insertion socioprofessionnelle. L’accompagnement TIM s’appuiera sur l’offre de services du secteur associatif et des dispositifs publics qui le financent. Un autre objectif poursuivi par la réforme est notamment de renforcer la collaboration entre le Forem et ses partenaires, tel que les centres d’insertion socioprofessionnelle, les missions régionales pour l’emploi, les agences de développement local ou les structures d’aide à l’autocréation d’emploi (liste non exhaustive). La réforme renforcera la coopération et le dialogue entre l’ensemble des acteurs de l’insertion socioprofessionnelle afin de garantir la cohérence des parcours au bénéfice des demandeurs d’emploi. Ces modifications impacteront bien évidemment l’organisation du Forem mais ne nécessitent pas, à proprement parler, de modification du cadre normatif. Il implique toutefois, bien évidemment, l’élaboration et la mise en œuvre d’un processus d’aide aux changements et d’un pan de développement des compétences des conseillers qui sont en cours d’élaboration et sont déjà entamés pour certains aspects.

Comment évaluez-vous l’impact du projet de réforme sur le nombre et le type de sanctions en disponibilité active et passive délivrées par le Forem ? Quels sont les chiffres de nombre de sanctions par type et gravité délivrées par le Forem en 2019 ? Pouvez-vous vous engager par rapport au fait qu’à l’horizon de 2023 cette réforme diminuera le nombre et la gravité des sanctions délivrées par le Forem par rapport à la situation en 2019 ?

Il est question de l’avenir de l’accompagnement et non de son passé. J’ai la conviction que cette réforme réduira significativement le nombre de sanctions délivrées à l’encontre des demandeurs d’emploi. C’est avec cette volonté qu’il a été décidé d’articuler les missions d’accompagnement et de contrôle du Forem. Non pas pour assurer un contrôle permanent des chômeurs mais, bien au contraire, afin de tout mettre en œuvre pour que le demandeur d’emploi ne se trouve pas dans une situation potentielle de sanction. Comme je l’ai déjà indiqué, cette intégration offre l’opportunité au demandeur d’emploi ne plus voir sa disponibilité contrôlée par le service Contrôle du Forem. En outre, l’accompagnement renforcera la mobilisation et la motivation du chercheur d’emploi, lequel sera étroitement associé à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évolution de son parcours d’insertion. La réforme vise à offrir un accompagnement adapté aux profil, besoins, aspirations et environnement du demandeur d’emploi. Je suis convaincue que cette philosophie, qui est explicitement transcrite dans le projet de décret qui porte la réforme, augmentera la qualité de l’accompagnement proposé aux travailleurs sans emploi et diminuera le nombre de sanctions délivrées dans le cadre du contrôle de la disponibilité.

Sur base de nos quinze années d’analyse des sanctions des chômeurs, nous estimons que ce projet de décret présente des caractéristiques fondamentales qui, additionnées et combinées, conduiront à une explosion du nombre de sanctions, en particulier dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive : emprise du contrôle sur l’ensemble de la relation entre le Forem et le demandeur d’emploi, accompagnement de l’ensemble des demandeurs d’emploi, accompagnement plus intensif pour le public le plus éloigné du marché de l’emploi, organisation de transferts d’informations automatisés entre le Forem et le demandeur d’emploi, les partenaires du Forem, certains employeurs, promotion de la digitalisation, etc. Comprenez-vous en quoi ces caractéristiques du projet de réforme constituent des menaces majeures pour le maintien du droit aux allocations ?

Ces craintes sont fondées sur un postulat erroné. L’accompagnement n’est pas le contrôle. Les deux missions restent exercées par deux services distincts et l’objectif n’est en aucune manière de créer un contrôle permanent des demandeurs d’emploi. C’est faux et cela ne correspond pas au contenu de la réforme. L’accompagnement est, avant tout, un service qui doit être offert aux demandeurs d’emploi dans un double objectif : d’une part, favoriser l’insertion des demandeurs d’emploi et, d’autre part, tout mettre en œuvre pour éviter que le demandeur ne se trouve dans une potentielle situation de sanction. Aucun conseiller du Forem ne prendra jamais, à la suite de la réforme, une décision d’évaluation négative d’un demandeur d’emploi. Il n’y a pas la moindre équivoque à cet égard. Au contraire, comme je l’ai déjà indiqué, la réforme limite les contrôles des demandeurs d’emploi grâce à une plus grande articulation. Le contrôle des demandeurs d’emploi reste de la compétence exclusive des évaluateurs du service à gestion distincte Contrôle du Forem.

« L’accompagnement n’est pas le contrôle »

Quant à la disponibilité passive, la réforme n’en modifie pas le fonctionnement. Aucune démarche d’évaluation de celle-ci n’est intégrée dans l’accompagnement dès lors que les obligations en matière de disponibilité passive s’inscrivent difficilement dans une logique formative. Le conseiller doit tenir compte des obligations que la disponibilité passive impose et y sensibiliser le demandeur d’emploi mais il n’interviendra d’aucune manière dans son évaluation. La raison est simple : l’accompagnement ne consiste pas à contrôler le demandeur d’emploi mais a pour objet de le soutenir et construire un parcours d’insertion répondant à ses besoins. Vous craignez, je vous cite, une « explosion des sanctions ». Le dimensionnement RH de la réforme, que nous avons déjà évoqué concernant l’accompagnement, prévoit, pour le contrôle, le maintien de 37 ETP (Équivalents temps plein) alors qu’ils sont aujourd’hui au nombre de 117. Cela démontre, me semble-il, que la réforme ne s’inscrit pas dans une logique de contrôle et de sanction, bien au contraire.

Concernant l’échange d’informations avec les partenaires du Forem et avec les employeurs, je n’arrive pas à comprendre les craintes qu’elles induisent en termes de sanctions dès lors que le projet de décret qui a été adopté en 2ième lecture prévoit explicitement que les informations qu’ils communiquent au Forem à la suite d’actions réalisées avec des partenaires ou d’entretiens d’embauche passés auprès d’employeurs sont exclusivement destinées à l’amélioration de l’accompagnement, à l’exclusion du contrôle de la disponibilité du demandeur. Cela peut difficilement être plus clair.

Le VDAB est souvent pris comme référence pour justifier cette réforme, mais avez-vous comparé le nombre de conseillers par demandeur d’emploi disponibles au Forem par rapport à la situation au VDAB ? Par ailleurs, la situation du marché de l’emploi wallon est-elle comparable à celle du marché de l’emploi flamand ?

La réforme de l’accompagnement des demandeurs d’emploi n’a pas été élaborée en référence au modèle du VDAB ni à aucun autre modèle. Le modèle flamand, comme le modèle bruxellois et d’autres modèles étrangers ont été analysés dans le cadre de l’élaboration du projet de réforme afin de s’inspirer des bonnes pratiques mais également de tenir compte des limites de certains modèles. En outre, la situation du marché de l’emploi wallon n’est pas la même que celle de la Région flamande ou d’autres régions. Le modèle flamand fusionne les missions d’accompagnement et de contrôle. Comme explicité, l’option que nous avons choisie n’est pas de fusionner ces missions mais de les articuler. Les conseillers du Forem ne prennent aucune décision d’évaluation de la disponibilité du demandeur d’emploi comme c’est le cas dans le modèle du VDAB. Le contenu du projet de décret portant réforme de l’accompagnement démontre, me semble-t-il, à suffisance, que cette réforme a été élaborée en fonction des réalités wallonnes et non en référence à l’un ou l’autre modèle.

Le projet de décret prévoit d’appliquer au Forem le principe « digital first », et plus particulièrement le fait que « le « Forem privilégie l’inscription à distance » (art 4) et que « le Forem privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction découlant du présent décret » (art 11), même s’il y a un droit reconnu à bénéficier d’une « assistance » présentielle pour l’inscription et à un accompagnement présentiel. Or, a fortiori appliquée d’une façon plus large qu’aux quelques demandeurs d’emploi qui choisissent volontairement de leur propre initiative ces modalités de contact avec le Forem, la mise en place de ce type de relation risque d’être très dangereuse pour les demandeurs d’emploi, en particulier pour les moins bien formés. En France, où ce type de mesure a été mise en place, les organisations syndicales ont dénoncé la « déshumanisation» de l’accompagnement qu’elle engendrait, la « perte du contact dans la relation entre chômeurs et conseillers » ainsi que les sanctions et les problèmes administratifs que cela allait générer pour les demandeurs d’emplois . Quels sont les éléments objectifs qui permettraient de croire qu’il n’en ira pas de même en Wallonie si ces principes sont adoptés?

La digitalisation ne remet nullement en cause l’accompagnement en présentiel des demandeurs d’emploi mais permet d’intégrer de nouveaux moyens de communication liés à l’évolution technologique de notre société. Elle a pour objectif de permettre un accès direct et rapide à l’offre de services du Forem mais n’en constitue en aucun cas la seule voie d’accès. Le renforcement de la digitalisation ne réduit pas l’offre de services existante mais offre des opportunités supplémentaires. Le nombre de conseillers prévus pour assurer la coordination et le suivi en présentiel des demandeurs d’emploi va d’ailleurs être augmenté de 80 ETP.

La voie digitale et l’accompagnement à distance ne sont privilégiés que pour les demandeurs d’emploi qui bénéficient de l’autonomie numérique qui le permet, tant en termes de capacités d’utilisation qu’en terme d’accessibilité aux outils informatiques. Tous les courriers continueront à être envoyés par voie postale aux demandeurs qui n’ont pas marqué leur accord à l’usage de la voie digitale. L’accompagnement peut également se dérouler pour partie à distance et pour partie en présentiel. L’un n’exclut pas l’autre. Le projet de décret assure un accompagnement en présentiel à toute personne qui le nécessite, le sollicite ou qui ne dispose pas d’une autonomie numérique suffisante. Il garantit, en outre, un niveau égal de qualité des services offerts, quelle qu’en soit la voie d’accès. L’un des objectifs de la digitalisation est d’ailleurs de dégager davantage de temps au profit des demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail et qui nécessitent un soutien plus important et en présentiel. Elle permet également aux conseillers de se concentrer sur leur cœur de métier en réduisant les actes techniques et les encodages qui incombent aujourd’hui à ceux-ci. La digitalisation ne déshumanise pas la relation avec les conseillers du Forem mais permet d’augmenter les interactions physiques avec ceux pour lesquels cela s’avère le plus important. La digitalisation n’enferme pas le déploiement de l’accompagnement et de l’offre de services du Forem. Au contraire, elle renforcera l’offre de services en présentiel et créera, en outre, de nouvelles opportunités.

L’article 12 du projet de décret prévoit que le demandeur d’emploi « se présente aux rendez-vous fixés, en présentiel ou à distance, à la date et à l’heure indiquées » et que la non- présentation peut donner lieu à des sanctions, selon des modalités définies par le gouvernement. Pouvez-vous vous engager à ne permettre aucune sanction pour des absences à des rendez-vous fixés à distance ? Si non, vous rendez-vous compte du risque d’augmentation exponentielle des sanctions que cela pourra générer ? Si oui, ne serait-il pas préférable de retirer cette possibilité de sanction pour des absences à des rendez-vous à distance dans le texte même du décret, afin de mieux garantir les droits des demandeurs d’emploi ?

L’envoi des convocations par la voie digitale ne sera possible que si le travailleur a préalablement marqué son consentement à l’usage exclusif de la voie digitale. Si tel n’est pas le cas, la convocation continuera à être envoyée par courrier. En cas d’absence à un rendez-vous, quel que soit le mode de communication choisi par le demandeur d’emploi, il sera, par ailleurs, reconvoqué par recommandé, que le rendez-vous soit fixé à distance ou en présentiel. Les modalités de convocation aux entretiens seront fixées dans l’arrêté et cette question sera analysée et concertée avec l’ensemble des acteurs concernés (Forem, syndicats, partenaires). Quelles que soient les modalités choisies, comme je l’ai déjà indiqué, la digitalisation ne vise, en aucun cas, à restreindre les droits et les possibilités des demandeurs mais au contraire, à en élargir le champ.

Concernant les retours d’informations transmises par certains employeurs au Forem (en cas de présélection de candidats), tels que prévus à l’article 13 du projet, le commentaire de la version de cet article du projet de décret adopté en première lecture indiquait que ces informations transmises ne pouvaient causer « un quelconque préjudice » au demandeur d’emploi. Cette mention a été retirée dans la version adoptée en seconde lecture qui se borne à mentionner que ces informations ne seront pas utilisées dans le cadre du contrôle de la disponibilité active. Pouvez-vous exclure que ces informations soient utilisées par le Forem dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive ? Et qu’en est-il à cet égard des informations transmises à travers le « Dossier unique » par les partenaires du Forem ? Au cas où l’utilisation de ces informations dans le cadre du contrôle de la disponibilité passive ne serait pas exclu, êtes-vous consciente que cela risque de générer une multitude de sanctions ?

La réponse à votre question est dans le texte du projet de décret auquel vous faites référence. Le projet de décret ne se borne pas à prévoir que ces informations ne seront pas utilisées dans le cadre du contrôle de la disponibilité active. Il prévoit également que ces informations sont exclusivement destinées à l’amélioration de l’accompagnement, à l’exclusion du contrôle de la disponibilité active. Dès lors que les informations sont exclusivement destinées à l’accompagnement, exclure explicitement la disponibilité passive n’a pas de sens dès lors que celle-ci n’est intégrée d’aucune manière dans l’accompagnement.

Le décret prévoit d’imposer un accompagnement à l’ensemble des demandeurs d’emploi et il évoque par ailleurs que : « Plus le degré de proximité du marché du travail et l’autonomie dans la recherche d’emploi du chercheur d’emploi sont faibles, plus son accompagnement est intense. » (commentaire art 7). Ne craignez-vous pas que l’intensification de l’accompagnement par les conseillers du Forem à destination de ce type de public soit totalement contreproductive à moyen terme : dans une situation de faiblesse des offres d’emploi, le Forem aura très peu de choses à proposer à ces demandeurs d’emploi, par contre, chaque convocation sera susceptible de donner lieu à des sanctions. Le gouvernement wallon ne se trompe-t-il pas en tablant sur le fait que l’intensification de cet accompagnement sera générateur de mise à l’emploi de ce type de public ? N’est-ce pas dans l’offre de « solutions » positives (formations et autres) via les partenaires du Forem ou via la création d’emplois d’intérêt collectif subventionnés qu’il faudrait aborder la remise au travail de ce public ? A cet égard, l’extension de l’accompagnement va générer une extension de la demande de formations à destination de ce public (alphabétisation, etc.). Quel est le budget que le gouvernement wallon a prévu pour 2021, 2022 et 2023 pour permettre aux partenaires du Forem de développer leur offre de formations et de prise en charge pour faire face à l’augmentation de la demande qui sera générée par la réforme ?

La lecture de ce commentaire repose, à nouveau, sur le postulat erroné selon lequel l’accompagnement et le contrôle sont fusionnés. Un accompagnement plus intensif ne vise en aucun cas à contrôler davantage le demandeur d’emploi mais à le soutenir davantage. Les besoins d’un demandeur d’emploi sont logiquement plus importants lorsqu’il est éloigné de l’emploi que lorsqu’il en est proche. Si votre proposition est que le Forem accompagne avant tout les personnes les plus facilement insérables en laissant de côté les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail, cela ne correspond effectivement pas à ma vision. L’objectif de la réforme est de proposer, au départ de ses besoins et de son profil, un accompagnement sur mesure à chaque demandeur d’emploi. Lorsque les commentaires de l’article font référence à l’intensité de l’accompagnement, c’est pour permettre un suivi et un appui plus soutenu pour ce public et non pour le bombarder d’obligations.

« Le résultat attendu est de proposer à chaque demandeur d’emploi un accompagnement sur mesure qui est adapté à son profil, à ses besoins (...) et aux réalités du marché du travail »

L’objectif de l’accompagnement est d’augmenter les chances d’insertion sur le marché du travail des demandeurs d’emploi et de lever, dans cette optique, les obstacles auxquels ils sont confrontés. Cela ne veut pas dire que l’accompagnement est, à lui seul, suffisant pour générer la mise à l’emploi des publics les plus éloignés. Des dispositifs publics de soutien de l’emploi à leur attention sont nécessaires. C’est d’ailleurs dans cet objectif que l’aide « Tremplin 24 mois + » a été récemment créée. Cette aide permettra de soutenir la création de 600 emplois pour l’engagement de demandeurs d’emploi inoccupés depuis plus de deux ans. L’objectif est de pérenniser et de renforcer ce dispositif dès 2022 s’il fonctionne. C’est également dans cette optique que je travaille avec mon équipe sur le projet « Territoire zéro chômeur de longue durée ».

La crise sanitaire, économique et sociale en cours, modifie profondément le marché de l’emploi par rapport à la situation régnant quand ce projet a été élaboré, avant les élections, par la direction du Forem. L’ensemble des partenaires et interlocuteurs du Forem sont critiques vis-à-vis du projet que vous avez déposé au gouvernement wallon et se plaignent de la faiblesse de la concertation réelle qui a donné lieu à son élaboration (délais trop courts pour remettre des avis, etc.). Certains vont plus loin, il semble que la CGSP Forem ait remis un avis négatif sur le projet de décret au sein du l’instance de concertation ad hoc (Comité intermédiaire de concertation), que l’Interfédé estime qu’il s’agit d’une réforme globalement négative et que les organisations syndicales interprofessionnelles se plaignent du manque de prise en compte des demandes unanimes du CESE W dans la version du décret adoptée en seconde lecture. N’avez-vous pas l’impression que cette réforme ne correspond plus à l’état actuel du marché de l’emploi wallon et que ce serait aller beaucoup trop vite de déposer à brève échéance au parlement un projet de décret aussi peu concerté ?

Le projet a fait l’objet de plusieurs réunions de concertations, multipartites ou bipartites, aussi bien avec les partenaires de l’accompagnement, dont l’Interfédé, qu’avec les partenaires sociaux. En outre, le Forem qui est étroitement associé à la réforme est composé d’un comité de gestion composé paritairement qui a été consulté et est associé aux travaux relatifs à la réforme. Quant à vos informations selon lesquelles les remarques des partenaires sociaux n’auraient pas été prises en compte dans le cadre de la seconde lecture du projet de décret, elles ne correspondent pas à ce qui ressort de la concertation menée avec les partenaires sociaux.

« Le projet a fait l’objet de plusieurs réunions de concertations, multipartites ou bipartites, aussi bien avec les partenaires sociaux qu’avec ceux de l’accompagnement »

Plutôt que de la remettre en cause, la situation actuelle renforce au contraire la nécessité de réformer l’accompagnement proposé aux demandeurs d’emploi. Les objectifs poursuivis par le Forem, à savoir, notamment, proposer un accompagnement sur mesure aux demandeurs d’emploi au départ de leurs besoins, articuler les missions d’accompagnement et de contrôle au bénéfice de ceux-ci, ou créer une réelle offre de services digitale tout en renforçant l’offre de services en présentiel me semble correspondre à la situation du marché du travail actuelle mais également future. Proposer un accompagnement sur mesure, adapté à la situation propre à chaque demandeur d’emploi et qui s’inscrit dans une dynamique orientée coaching et solutions qui veille à mobiliser et susciter la pleine participation du demandeur d’emploi sont des objectifs qui doivent être rencontrés par l’accompagnement. Cette dynamique et le changement de paradigme qu’elle induit doivent constituer le fil rouge de l’accompagnement, quelle que soit la situation du marché de l’emploi.

(1) Parlement wallon, Question orale de Mme Lekane (PTB) sur la réforme du Forem, C.R.AC., n°93, 15.12.20, p. 69.

(2) Programme PS pour les élections de juin 2019, Union européenne, Fédéral, Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie, p. 203

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