extrême droite

« Aux armes » : les influenceurs d’ultradroite lancent des appels à s’armer

En ligne, les extrémistes de droite appellent leurs auditeurs à s’armer. Le phénomène connaît en ce moment une accélération fulgurante.

Les armes 3D ont atteint un niveau de diversité, de précision et de résistance inimaginable il y a quatre ans. X/DR/Screenshot/@ gutterchese.
Les armes 3D ont atteint un niveau de diversité, de précision et de résistance inimaginable il y a quatre ans. X/DR/Screenshot/@ gutterchese.

Les experts européens de l’extrémisme de droite sont formels : en ce moment sur les réseaux sociaux, les influenceurs d’ultradroite incitent obstinément ceux et celles qui les écoutent à se munir d’armes et de munitions. L’objectif affiché est celui de se préparer à une guerre ethnique qu’ils présentent comme inévitable et imminente. À titre d’exemple, la plateforme française d’interviews Thinkerview (1,22 million d’abonnés sur YouTube) a offert le 24 octobre dernier deux heures de libre parole à un écrivain qui – «zémourris » jusque dans ses mimiques – appelait « tous les Robert de France » à s’armer avant qu’il ne soit trop tard.

Malgré son actuelle intensification (et sa banalisation), ce phénomène n’est pas nouveau mais il trouve aujourd’hui un écho majeur auprès d’un public jeune, notamment en Belgique, via des influenceurs anglophones, francophones et néerlandophones qui, à peu de choses près, tiennent le même type de discours. Il reste difficile de déterminer pour l’instant à quel point de tels appels à s’armer trouvent un écho et sont suivis d’effets. Cela dit, dans un pays comme la Belgique où le nombre d’armes en circulation illégale est important, il y a de quoi être particulièrement attentif à un tel phénomène qui ne peut qu’accentuer le risque de prolifération des armes à feu.

Les filières de l’extrême droite

L’Institut flamand pour la paix (Bruxelles) et le Centre international de lutte contre le terrorisme (La Haye, Pays-Bas) ont publié mi-décembre 2024 un rapport très complet sur les milieux d’ultradroite et le trafic d’armes à feu. (1) Dans ce rapport intitulé « Achat, vol, fabrication : comment l’ultra-droite européenne se procure des armes à feu ? », on comprend notamment quels types d’armes à feu les extrémistes de droite utilisent. La période étudiée va de 2019 à 2024, dans les 27 pays de l’UE. Jamais un état des lieux de cette ampleur n’avait été fait en Europe.

Premier point : la variété d’armes à feu par personne est bien plus importante dans les milieux d’ultradroite que dans les sphères djihadistes. On trouve également de nombreuses armes modifiées, réactivées et même fabriquées manuellement via différentes techniques. Annelies Pauwels, chercheuse au Vlaams Vredesinstituut et corédactrice du rapport, y voit la preuve d’une fascination pour les armes particulièrement marquée au sein de la droite radicale : « On trouve des armes modifiées et réactivées dans tous les milieux. Mais la spécificité de l’ultradroite c’est que, bien souvent, ils font eux-mêmes ces modifications. C’est le signe d’une fascination importante pour les armes et pour la manipulation des armes. ». Le nombre d’armes détenues par certains profils a de quoi surprendre. Si, dans la majorité des cas, les arsenaux sont constitués de moins de dix armes, quelques profils en détiennent beaucoup plus : « Dans le rapport, nous relatons plusieurs cas de personnes qui détenaient plus de cinquante armes à feu, et même plus de cent pour trois d’entre elles. Dans ce type de cas, la motivation n’est pas de commettre un attentat mais bien de se préparer au « grand soir », de détenir un arsenal important pour faire face à une guerre raciale. Cette idée est très répandue, même chez les profils disposant d’arsenaux plus réduits » précise Annelies Pauwels de l’Institut flamand pour la paix.

De quels profils est-il question exactement ? L’apparition de profils très jeunes est un fait connu. Par ailleurs, un nombre important des cas étudiés impliquent des personnalités d’ultradroite qui avaient exercé (ou exerçaient encore au moment des faits) un métier sécuritaire : « Les vols dans les dépôts de la police ou de l’armée sont assez rares. Par contre, ce qui est très fréquent, c’est que des personnes d’ultradroite mentionnées dans des faits impliquant des armes à feu aient un background militaire ou sécuritaire (de l’ordre d’un cas sur cinq) » selon la corédactrice du rapport, qui indique également que « 14% des cas que nous relatons dans le rapport concernent des personnes détenant un permis de tir sportif en bonne et due forme ».

La 3D sous les radars

Dans un autre rapport récent, publié par le chercheur canadien Yannick Veilleux-Lepage, on apprend que la Belgique se place au cinquième rang mondial des faits impliquant à la fois des personnes sensibles aux idéologies de droite radicale et des armes 3D (des armes imprimées illégalement via des plans disponibles en ligne au moyen d’imprimantes qui ne coûtent que quelques centaines d’euros). (2) C’est un élément que les autorités belges n’avaient pas encore porté à la connaissance du grand public. Dans ce rapport, on trouve également la confirmation formelle qu’en Europe ce sont surtout les extrémistes de droite qui se procurent des armes 3D. Cette piste (déjà brandie quelques mois plus tôt par Europol) n’est plus présentée comme une probabilité, elle est présentée comme une dynamique déjà en cours, y compris en Belgique. Les raisons pour lesquelles les profils de droite extrême se tournent vers les armes 3D sont multiples. Veilleux-Lepage pointe différents motifs. Premièrement, ces armes, du fait des raisons idéologiques qui les ont fait naître il y a dix ans aux États-Unis, sont vues comme des symboles de défiance vis-à-vis de l’État, du pouvoir au sens large et des institutions.

Le fait de fabriquer son arme chez soi, en se jouant de la législation en vigueur, est conforme à l’idéologie libertarienne antigouvernementale qui gagne du terrain au sein de l’extrême droite européenne. De plus les armes 3D offrent la possibilité de garnir un arsenal déjà existant sans prendre le risque d’éveiller les soupçons des autorités, soupçons ou vigilance que l’achat de nouvelles armes suscite nécessairement, même avec une autorisation de port d’arme en règle. Par ailleurs, les armes 3D permettent d’échapper aux contrôles de personnalité et de passif judiciaire qui sont faits, assez strictement en Belgique, avant d’octroyer un port d’arme. Imprimer des armes permet donc d’échapper à la vigilance ou à la suspicion des services de police et de la justice. Enfin, l’enjeu économique n’est pas négligeable. Non seulement l’investissement de quelques centaines d’euros pour se lancer dans la fabrication d’armes 3D est vite rentabilisé, mais imprimer des armes en nombre et les revendre à des profils qui n’ont pas accès aux réseaux criminels peut s’avérer rentable en un temps très court. Le commerce d’armes 3D permet de financer les activités des milieux d’extrême droite comme l’entraînement au combat, l’achat de munitions, l’organisation de meetings et de déplacements divers.

La 3D de plus en plus réelle

Avec l’arrivée d’imprimantes à métal sur le marché, les nouvelles armes 3D rivaliseront bientôt en solidité et en précision avec des armes traditionnelles (les armes 3D sont habituellement fabriquées en plastique à base de filaments de polymère). (3) Sans numéro de série apposé sur les armes qu’elles produisent, ces nouvelles filières sont très difficiles à remonter et à juguler. C’est l’une des spécificités principales des armes 3D, l’autre étant que les plans pour les fabriquer, comme évoqué plus haut, se trouvent en libre accès sur Internet à destination des particuliers. À l’issue du premier procès néerlandais pour fabrication massive d’armes 3D par un particulier, le ministère de la Justice des Pays-Bas a évoqué une prolifération inquiétante de ce type d’armes à feu dans tout le pays. (4) C’est un cas de figure que le Canada a connu entre 2021 et 2023. (5) En cause, des ateliers clandestins qui voient le jour régulièrement et qui fournissent ces armes low-cost à la petite délinquance et aux militants de droite radicale. En Belgique, un seul atelier clandestin de ce type a été démantelé (à Leuven, en janvier 2024) et on ne recense officiellement depuis qu’une petite dizaine d’armes 3D saisies. Il y a fort à parier que c’est en ne cherchant pas, notamment dans les milieux de droite extrême, que la Belgique tarde à prendre la mesure du phénomène.

La plateforme française d’interviews Thinkerview (1,22 million d’abonnés sur YouTube) a offert le 24 octobre dernier deux heures de libre parole à un écrivain appelant « tous les Robert » à s’armer avant qu’il ne soit trop tard. Capture d’écran YouTube : « Guerre Civile en approche : État des Lieux à l'Extrême Droite ? Laurent Obertone ».
La plateforme française d’interviews Thinkerview (1,22 million d’abonnés sur YouTube) a offert le 24 octobre dernier deux heures de libre parole à un écrivain appelant « tous les Robert » à s’armer avant qu’il ne soit trop tard. Capture d’écran YouTube : « Guerre Civile en approche : État des Lieux à l'Extrême Droite ? Laurent Obertone ».

Accélérer la chute

Dans ses publications les plus récentes sur les armes 3D et leur prolifération, Europol pointe l’extrémisme de droite comme un accélérateur potentiel de la propagation des armes manufacturées en Europe, tout en en précisant les caractéristiques : il ne s’agit pas de n’importe quelle mouvance mais bien de ce qu’Europol nomme l’accélérationnisme. Qu’est-ce donc que l’accélérationnisme ? Il en existe plusieurs variantes. Il est ici question de l’accélérationnisme extrémiste de droite qui vise à accentuer les clivages de nos sociétés par des actions violentes et déstabilisatrices. C’est une notion qui s’est largement diffusée en ligne, après avoir figuré dans le manifeste de Brenton Tarrant, l’auteur de la fusillade de la mosquée de Christchurch (Nouvelle-Zélande), en mars 2019, qui avait fait 51 morts. Au chapitre « Déstabilisation et accélérationnisme : tactique pour la victoire » de ce manifeste, on lit ceci : « Le changement dont nous avons besoin pour agir ne surviendra que dans un contexte de crise. Un changement progressif n’apporte jamais la victoire. La stabilité et le confort sont les ennemis du changement révolutionnaire. En conséquence, nous devons déstabiliser et faire souffrir la société autant que possible ». Le but ultime de l’accélérationnisme est d’aboutir à une guerre civile – d’en accélérer la probabilité en tout cas – afin de rebattre les cartes. Cette guerre civile aurait ensuite pour fondement un élément racial qu’on peut résumer comme ceci : les Blancs soucieux de leur préservation contre tous les autres.

La Belgique est-elle vraiment concernée ?

Dans ses récents rapports, Europol associe directement le courant accélérationniste à la possibilité d’une prolifération fulgurante des armes 3D en Europe. Europol prend notamment exemple sur un cas récent : en juillet 2023, la police finlandaise a révélé l’existence d’un groupe néonazi prévoyant de commettre des attaques violentes au moyen d’armes imprimées. Utilisateurs d’Odysee, la plateforme de référence pour trouver en quelques clics les plans permettant de fabriquer ce type d’armes, ces hommes ne cachaient pas l’interférence entre leur fascination pour les armes 3D et leur adhésion aux théories néonazies. En Belgique, quatre mois plus tard, le 9 novembre 2023, c’est un schéma identique qui a été révélé à la presse par les autorités belges. Lors de l’interpellation d’un très jeune couple de néonazis en Flandre (à Diepenbeek), les enquêteurs ont saisi à la fois des drapeaux nazis et des plans d’armes 3D. En ligne, Daan (23 ans) et Kayley (21 ans) recrutaient des complices, souvent mineurs, ils appelaient à commettre des attentats politiques sur notre sol tout en partageant leurs manuels de fabrication d’armes à feu. C’est un cas de figure auquel les services belges d’analyse de la menace sont de plus en plus confrontés : des personnes jeunes, ne faisant pas nécessairement partie de groupes structurés, radicalisées en ligne et qui finissent par avoir des idées très extrêmes.

Annelies Pauwels, chercheuse au Vlaams Vredesinstituut Institut flamand pour la paix : « Ce qui est très fréquent, c’est que des personnes d’ultradroite mentionnées dans des faits impliquant des armes à feu aient un background militaire ou sécuritaire (de l’ordre d’un cas sur cinq) » /DR
Annelies Pauwels, chercheuse au Vlaams Vredesinstituut Institut flamand pour la paix : « Ce qui est très fréquent, c’est que des personnes d’ultradroite mentionnées dans des faits impliquant des armes à feu aient un background militaire ou sécuritaire (de l’ordre d’un cas sur cinq) » /DR

L’extrême droite et l’extrémisme de droite

Le concept de « grand remplacement » occupe une place centrale dans la mouvance accélérationniste. En son nom, entre 2015 et 2020, les violences d’extrême droite ont suivi une évolution notable (+ 320 %). (6) Ce concept est loin d’être un tabou en Belgique. Quand en mai 2023 le député Belang Filip Dewinter a invité le père de cette théorie au parlement flamand (Renaud Camus, un Français qui se dit pourtant hostile à toute forme de violence), il lui a souhaité la bienvenue en français dans une « ville où le grand remplacement a déjà eu lieu » tout en précisant qu’il allait continuer son discours en néerlandais mais que d’ici vingt ans « le président du parlement (…) parlera probablement en arabe ». (7) Ces phrases prononcées devant les caméras sur le ton de l’humour favorisent la circulation du concept de grand remplacement et du fantasme de guerre civile imminente qui en découle.

Officiellement, la menace que représentent les extrémistes de droite en Belgique compte pour 8,58  % des personnes suivies par l’OCAM (l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace). (8) Cela signifie qu’en Belgique une cinquantaine d’extrémistes de droite présentant la violence comme un moyen légitime d’arriver à leurs fins sont susceptibles de passer à l’acte. Les effets des appels à s’armer proférés en ligne par les maîtres à penser de la droite radicale ne sont pas encore perceptibles. L’attrait pour les armes n’est d’ailleurs pas une nouveauté au sein de l’ultradroite. L’incitation à accumuler des armes n’est pas nouvelle non plus mais ces appels sont devenus des motifs récurrents de la rhétorique ultradroitière sur le Net. On sait par ailleurs que ce sont plutôt de nouveaux profils, majoritairement jeunes, qui sont susceptibles de réagir aux incitations à s’armer. Ils sont approchés via des messages attrayants dont l’humour est une composante importante : « Ces messages sont facilement perçus comme drôles et partagés, ce qui fait qu’ils atteignent également des personnes qui ne les cherchaient pas nécessairement (…) on voit maintenant dans l’extrémisme de droite comment les gens passent des plateformes grand public vers des forums plus spécialisés et des groupes privés » déclarait récemment le directeur de l’OCAM Gert Vercauteren tout en précisant que l’ultradroite « est très connectée au-delà des frontières nationales, qu’elle est très présente sur les réseaux sociaux et qu’il y a vraiment beaucoup de contenu problématique à disposition ». (9)

(1) Annelies Pauwels and Merlina Herbach, « Buy it, steal it, print it: how right-wing extremists in Europe acquire firearms and what to do about it ?», ICCT Policy Brief, Décembre 2024.

(2) Yannick Veilleux-Lepage, « Printing Terror: An Empirical Overview of the Use of 3D-Printed Firearms by Right-Wing Extremists », CTC Sentinel,juin 2024. Citation : « L’ensemble des données englobant les incidents survenus entre janvier 2017 et juin 2024 comprend un total de 35 cas documentés impliquant des armes 3D liés à des extrémistes de droite ». https://ctc.westpoint.edu/printing-terror-an-empirical-overview-of-the-use-of-3d-printed-firearms-by-right-wing-extremists/

(3) « Ces imprimantes 2.O coûtent actuellement plusieurs centaines de milliers d’euros mais leur démocratisation prochaine posera un défi jamais vu à la lutte contre la prolifération des armes à feu détenues illégalement » : https://lpost.be/2024/10/25/menace-les-armes-3d-rivaliseront-bientot-avec-les-armes-traditionnelles/

(4) « Un Néerlandais de 33 ans originaire de Hollande méridionale condamné à deux ans de prison pour fabrication massive de pièces 3D. La police avait saisi neuf imprimantes à son domicile dont six étaient en train d’imprimer des pièces de FGC-9 au moment de la perquisition. Il dit avoir simplement vu dans l’impression d’armes une aubaine économique » : https://nltimes.nl/2024/10/29/prosecutor-concerned-increase-3d-printed-firearms

(5) « Au Canada, face à une augmentation fulgurante de 1000% du nombre d’armes 3D saisies par les services de police, le Gouvernement fédéral a décidé de prendre sérieusement les devants en actualisant et en durcissant son Code criminel via la loi C-21 sur l’usage et la détention d’armes » : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1989975/armes-feu-3d-saisie-centaure-reproduction

(6) « Depuis une dizaine d’années, la « théorie du grand remplacement », auparavant circonscrite aux groupuscules néonazis, s’est imposée dans le débat public. Cette théorie du complot décrit un prétendu processus de remplacement des populations blanches occidentales par une autre non blanche. Source de violences racistes et d’attentats terroristes, la « théorie complotiste du grand remplacement » représente un grave danger pour la sécurité nationale et doit être combattue avec la plus grande fermeté, à rebours de la banalisation outrancière dont elle fait l’objet » : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/PNREANR5L16B1869.html

(7) « Avant son discours, il était prévu que l’auteur français de 76 ans marche dans les rues de Saint-Josse en compagnie de Filip De Winter, député flamand et figure de proue du parti d’extrême droite » : https://www.7sur7.be/belgique/lauteur-de-la-theorie-du-grand-remplacement-nest-pas-le-bienvenu-a-saint-josse~a8032891/

(8) Chiffres pour l’année 2023 : « 8,58  % des entités adhéraient à une idéologie extrémiste de droite. Nous observons une diminution par rapport à l’année précédente (environ 10 entités de moins en 2023 qu’en 2022) » : https://ocam.belgium.be/wp-content/uploads/2024/07/rapport-annuel_2023.pdf

(9) « Toute personne incitant à la haine ou à la violence franchit la limite de l’acceptable et est qualifiée d’extrémiste. Dans le vocabulaire de l’OCAM, ces personnes sont par exemple désignées comme extrémistes de droite ou extrémistes de gauche » : https://ocam.belgium.be/gert-vercauteren-sur-la-lutte-contre-le-terrorisme-il-y-a-des-limites-a-ce-que-lon-peut-faire-dans-une-democratie/

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