énergie
Electricité : plusieurs fournisseurs ont accru leur marge
Entre janvier 2021 et septembre 2024, le prix du kWh d’électricité facturé au client résidentiel bruxellois pour le contrat « Direct » d’ENGIE a grimpé de 81,5 % alors que sur le marché de gros international, le prix n’a progressé que de 16 %.

Entre début 2021 et fin 2024, le prix du kWh de l’électricité et du gaz facturé au client résidentiel bruxellois par certains fournisseurs a fortement augmenté. Cette hausse dépasse largement l’évolution, plus modérée, des prix sur le marché de gros international.
Une hausse des prix supérieure à celle des marchés
Une récente étude d’Infor GazElec (1), qui défend les intérêts des consommateurs d’énergie à Bruxelles, a révélé que certains fournisseurs d’électricité ont modifié leurs formules de calcul du prix facturé de l’énergie d’une manière préjudiciable pour les clients bruxellois. Ces changements concernent la « composante énergie », c’est-à-dire principalement le prix « de la commodité », lié à l’électron ou à la molécule (en-dehors des taxes, des cotisations, etc.), qui est censé refléter les variations des prix sur les marchés boursiers. (Lire l’encadré) Or, selon Infor GazElec, les tarifs appliqués aux clients résidentiels ont augmenté bien plus que les indices boursiers sur lesquels ils se basent.
Un exemple parlant est celui du contrat «Direct» d’ENGIE, acteur majoritaire du marché bruxellois. (2) Entre janvier 2021 et septembre 2024, le prix du kWh d’électricité pour le client résidentiel dans le cadre de ce contrat a grimpé de 81,5 %, alors que la valeur de l’indice boursier sur le marché de référence (EPEX DAM) n’a progressé que de 16 %. La raison principale de cette décorrélation est l’augmentation de la « part fournisseur », c’est-à-dire la marge ajoutée par le fournisseur au prix de gros (Lire l’encadré), qui est passée de 8,72 % à 41,68 % du prix du kWh pour ce contrat sur cette période (Lire le graphique) Lors de la crise de l’énergie, les fournisseurs ont en effet ajusté les formules tarifaires utilisées pour calculer les prix facturés aux clients. Ces modifications ont notamment conduit à une augmentation de la « part fournisseur », c’est-à-dire la part du prix qui dépasse le simple coût d’achat de l’énergie sur les marchés. Cette hausse visait, selon les fournisseurs, à leur permettre de mieux couvrir les risques liés à la volatilité des prix et aux incertitudes du marché. En pratique, cela s’est traduit par une augmentation des montants forfaitaires ou des coefficients multiplicateurs (Lire l’encadré), renforçant le poids de la part fournisseur dans le prix final payé par les consommateurs.

Engie : un reflet de « l’évolution des risques »
Dans les pages de La Libre qui ont fait écho de cette étude, le 20 novembre 2024, le porte-parole d’ENGIE, Olivier Desclée, expliquait que « la comparaison [d’InforGazElec] porte sur deux périodes très différentes séparées par une crise énergétique sans précédent dont nous subissons toujours les conséquences. Même si la situation s’est stabilisée, les marchés restent volatils et exposent les fournisseurs d’énergie à des coûts et à des risques plus importants que par le passé. L’évolution de nos formules tarifaires reflète l’évolution des coûts et des risques liés à la vente d’énergie dans deux contextes de marché fondamentalement différents ». (3)
Invité à se prononcer sur la question, Laurent Jacquet, directeur à la CREG (régulateur fédéral), indiquait pour sa part que « Les fournisseurs justifient ces hausses par une combinaison de facteurs : augmentation des coûts d’équilibrage, risque accru de non-paiement des factures par les clients, élargissement des plans de remboursement, préfinancement du tarif social, hausse de l’inflation et exposition à des risques accrus. Si certaines de ces justifications restent valables aujourd’hui, la diminution de la volatilité des marchés et la baisse des prix de l’énergie devraient logiquement entraîner une réduction de certains de ces coûts et risques ». (4)
Contrats à prix variables et formule d’indexation
Les contrats à prix variable sont devenus la norme pour de nombreux ménages, en particulier dans un contexte de crise. La volatilité des prix de l’énergie a poussé les fournisseurs à arrêter de proposer des contrats à prix fixe, privilégiant les contrats à prix variable qui ont l’avantage de minimiser leurs risques financiers. En effet, en période de fluctuation voire d’explosion des prix, les contrats à prix variable permettent aux fournisseurs d’énergie de répercuter sur leurs clients l’évolution des coûts d’achat d’énergie sur les marchés internationaux. En d’autres termes, si les prix de l’énergie augmentent sur les marchés boursiers, cette hausse est automatiquement appliquée aux factures des consommateurs via une formule d’indexation.
Des prix facturés aux ménages liés aux prix de gros
Pour bien comprendre le fonctionnement des prix des contrats d’énergie, il est essentiel de se pencher sur la formule d’indexation. La signature d’un contrat à prix variable implique l’acceptation d’une formule, utilisée pour déterminer le montant du kilowattheure dans la facture d’énergie à partir des paramètres définis dans le contrat. C’est un peu technique, certes, mais c’est un élément central du mécanisme de tarification. La formule permet de transformer les prix des indices boursiers, exprimés en euros par mégawattheure (MWh), pour les convertir en des prix en centimes par kilowattheure (kWh), une échelle bien plus adaptée à la consommation résidentielle. Elle suit généralement cette structure : « prix du kilowattheure = montant forfaitaire + (coefficient multiplicateur × indice boursier) ».
La « part fournisseur »
En plus de refléter les prix appliqués sur les bourses de l’énergie, cette formule permet au fournisseur d’y ajouter une marge. Celle-ci est incluse au moyen de deux éléments constitutifs de la formule : un montant forfaitaire en centimes d’euros par kWh et un coefficient multiplicateur appliqué sur l’indice boursier. Cette marge, InforGazElec l’appelle la « part fournisseur ». Elle correspond à la portion du prix de l’énergie qui dépasse le coût d’achat sur les marchés boursiers.
Un trop faible reflux de prix pour les consommateurs
Or, si les formules tendent certes à changer quelque peu depuis août 2024, induisant une diminution de la « part fournisseur », cette dernière se maintient à des niveaux très élevés par rapport à la période de référence choisie dans l’étude (janvier 2021). Ainsi, dans le cadre du contrat « Direct » d’ENGIE, la part fournisseur est passée de 8,72 % du prix de la commodité en janvier 2021 à 34,52 % en novembre 2024 pour l’électricité. Entre avril et septembre de la même année, la part fournisseur dépassait les 40 % du prix de la commodité dans le cadre de ce contrat. On le voit, si elle accuse une certaine diminution, son niveau reste très important. En ce qui concerne le gaz, la « part fournisseur » est moins élevée dans les contrats analysés que pour leurs équivalents en électricité. Ainsi, pour le contrat « Direct » d’ENGIE, en novembre 2024, elle s’élevait à 19,35 %. Dans tous les cas, sur une facture annuelle, cette part fournisseur représente une somme conséquente. Les consommateurs bruxellois continuent de subir les conséquences des changements de tarification opérés par les fournisseurs d’énergie durant la crise. Si les justifications avancées à l’époque — volatilité des marchés, risques accrus, coûts supplémentaires — pouvaient éventuellement se comprendre, la situation actuelle soulève des interrogations. À l’heure où les marchés amorcent une nouvelle hausse, les consommateurs pourraient craindre que ces évolutions « à sens unique » continuent de jouer en leur défaveur.
La vigilance est donc nécessaire, notamment de la part des régulateurs, pour vérifier si les tarifs pratiqués par les fournisseurs reflètent bien la réalité des marchés plutôt que des marges en constante augmentation. En l’absence d’interventions efficaces pour encadrer ces pratiques, cet exemple illustre une limite du marché libre : il ne garantit pas systématiquement des prix justes pour les consommateurs ni une maîtrise des marges des fournisseurs. Cela invite à s’interroger sur la mesure dans laquelle la libéralisation du secteur tient sa promesse principale : assurer les prix les plus bas pour les consommateurs.
- Par Antoine Printz (CSCE)
(1) Antoine Printz, « Attention au décrochage, attachez vos factures : un envol de la part du fournisseur dans le prix de la commodité ? », novembre 2024, en ligne sur le site www.inforgazelec.be
(2) Le phénomène ne se limite toutefois pas à Engie. Il concerne également d’autres grands fournisseurs, comme TotalEnergies et Luminus.
(3) Laurent Lambrecht, « Électricité : comment les changements de formules tarifaires ont fait grimper la facture des Bruxellois », La Libre, 20.11.24
(4) Laurent Lambrecht, « Pourquoi les fournisseurs d’énergie n’ont-ils pas baissé leurs prix ? », La Libre, 20.11.24