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Liaisons incestueuses
Bolloré n’est pas qu’un propriétaire de médias. Il est aussi un véritable acteur politique : lui-même et ses présentateurs vedettes entretiennent des contacts directs et privilégiés avec le pouvoir et bénéficient de « fuites » utiles aux desseins de l’extrême droite.
L’influence du magnat de la presse française ne se limite pas au relais des thèses de l’extrême droite via ses chaînes de télévision. Vincent Bolloré n’est pas seulement un patron de presse, c’est aussi un faiseur de roi, un véritable acteur politique, rêvant de fondre toutes les droites conservatrices dans un grand parti d’extrême droite. Au lendemain de la dissolution de l’Assemblée par Emmanuel Macron, c’est chez lui qu’Eric Ciotti, le président des Républicains (LR), s’est rendu pour l’informer de sa volonté d’alliance avec le RN de Marine Le Pen. C’est à lui seul qu’il a livré son secret. Ni Nicolas Sarkozy, le dernier président du LR, ni le moindre ténor du parti ne fut averti. Ciotti voulait se retrancher derrière le bouclier médiatique des chaînes de Bolloré pour échapper aux flèches des opposants, qu’il pressentait nombreux, de sa propre formation à cette (més)alliance.
Et effectivement, les membres outrés du parti républicain ont été violemment attaqués sur les chaînes de Bolloré. « Eric Ciotti a écouté ses militants, ça arrive parfois pour un chef politique, s’est par exemple félicité Pascal Praud, l’un des présentateurs vedettes de CNews également actif sur Europe 1. Il a ainsi raillé les ‘‘chefs à plumes’’ de LR qui condamnent toute alliance avec le RN : une droite déconnectée du terrain, sans idée et sans avenir, qui décidément ne comprend rien à rien, et surtout pas ses électeurs. »(1)
Remontons à avant le coup d’envoi de la courte campagne électorale pour les législatives. En fin d’après-midi, le dimanche 9 juin,l’animateur de CNews Pascal Praud apprend qu’Emmanuel Macron annoncera, dans la soirée, la dissolution de l’Assemblée nationale. Il a eu droit à une conversation avec le conseiller élyséen Bruno Roger-Petit, puis avec l’ancien sarkozyste Pierre Charon. Et c’est ainsi que, vers 18 heures, avant même le Premier ministre Gabriel Attal et la quasi-totalité des membres du gouvernement, le présentateur vedette de la chaîne d’extrême droite « devine » que « la dissolution est actée ».
Une « fuite » que la machine médiatique de Bolloré va s’empresser de mettre à profit pour imposer ses thèmes de campagne et mettre tout son pouvoir d’influence au service d’une alliance entre l’extrême droite et les Républicains.
Prêt à tous les coups bas
Bolloré est prêt aux pires coups bas pour faire triompher sa cause et celle de l’extrême droite. Admirateur de Murdoch, adepte de fake news susceptibles de bousculer l’opinion, il lance une bombe en « Une » du Journal du Dimanche (JDD), à deux heures du début de la période de réserve – la période pré-électorale durant laquelle les candidats doivent arrêter de faire campagne et les médias de relayer des propos politiques – dans l’espoir de truquer le vote : « Le gouvernement s’apprête à suspendre la loi sur l’immigration ». Traduisez : ce gouvernement Macron est vendu à la gauche et veut vous trahir.
Cette forfaiture traduit le jusqu’auboutisme d’un milliardaire apprenti sorcier et ennemi de la démocratie, prêt à tous les mensonges pour faire advenir son rêve politique (2).
Du grand journalisme
Ces relations incestueuses entre les représentants politiques de l’extrême droite et Bolloré se traduit sur les plateaux télé du groupe, dont les journalistes et les animateurs sont dûment briefés. N’espérez pas une question critique, une remarque embarrassante. N’attendez pas un face à face critique entre un journaliste de la galaxie Bolloré et un ténor d’extrême droite. Bardella, le président du RN et Cyril Hanouna, la star de C 8, ont festoyé tous les deux dans la propriété de St-Tropez de l’animateur préféré de Bolloré.
En pleine campagne pour les législatives, Cyril Hanouna a reçu Eric Ciotti et une brochette de représentants du RN et de Reconquête, l’autre parti d’extrême droite fondé par Eric Zemmour, parmi lesquels Sarah Knafo, la compagne de ce dernier, fraîchement élue députée européenne. Et de sortir le grand jeu : Hanouna compose le numéro de portable de Bardella et le tend à Sarah Knafo, en lui demandant de plaider, sur son répondeur, pour une sainte alliance entre Ciotti, le RN et Reconquête. Ce qu’elle consent à faire avec conviction.
C’est ce qui s’appelle du grand journalisme…
Jamais, dans l’histoire médiatique française, un seul homme n’avait jusqu’ici concentré entre ses mains autant d’influence, et jamais cette influence n’avait été utilisée pour promouvoir un programme d’extrême droite.
- Par Isablle Philippon (CSCE)
(2) 7Sur7, « Tollé à deux jours du scrutin: un média annonce la suspension de la loi immigration, le gouvernement dénonce une “fake news”» 6 juillet 2024 .