chômage
Regards croisés sur la réalité des chômeurs éloignés de l’emploi
La question d’une fin de droit pour tous les chômeurs (ou presque?) nous donne l’occasion de nous replonger dans la saga des « MMPP » et de faire le point sur le statut de « demandeur d’emploi non mobilisable » et de ce qu’il nous dit de l’exclusion…
Si les partisans d’une limitation à deux ans des allocations de chômage mettent en avant la nécessité de rendre le travail plus attractif, les détracteurs s’inquiètent des conséquences sur les personnes les plus fragiles et soulignent l’importance de s’attaquer aux causes profondes du chômage de longue durée. Notamment pour des sans-emploi en difficulté qui avaient obtenu un statut censé les protéger dans le temps. Lors de la réforme du chômage de 2012, rabotant le droit à l’allocation d’insertion (après études) à trois ans, il fallut trouver une solution pour les chômeurs n’étant pas assez malades pour basculer en invalidité (indemnisés par l’INAMI), mais pas assez aptes pour s’insérer directement sur le marché du travail. La catégorie des chômeurs dits « MMPP », (qui a fait son apparition en 2006, au sein du VDAB), a donc créé un statut administratif pour la personne « très éloignée du marché de l’emploi, porteuse d’un problème de nature médicale, mentale psychique ou psychiatrique (MMPP), combiné ou non à une problématique sociale ». Le chômeur reconnu MMPP est dispensé du contrôle de sa recherche d’emploi, à condition qu’il soit d’accord de collaborer à un « accompagnement actif adapté » en vue de son insertion professionnelle. Rappelons que la notion « volontaire » doit toutefois être mise en perspective avec l’activation : le contrôle de la disponibilité est une source d’angoisse fréquemment évoquée par les usagers souffrant de problèmes de santé. Tant qu’ils n’ont pas de dispense, ils doivent prouver qu’ils cherchent un travail adapté à leur situation pour garder leur revenu. Mais lever les freins à l’emploi de ce public n’est pas simple, même en trois ans. Dès 2014, les services d’accompagnement constatent que les usagers suivent une route tracée vers l’exclusion du chômage. C’est ainsi que le gouvernement fédéral, à la demande des services publics pour l’emploi (SPE : Forem, Actiris, VDAB et ADG), a décidé de prolonger les allocations d’insertion du public MMPP. D’abord, de deux ans en 2014, un an en 2016 et deux ans en 2017. (1) Il aura donc fallu sept années pour qu’en 2019 soit adopté un nouveau et dernier statut : celui de demandeur d’emploi « non mobilisable » pour ceux dont les problématiques persistent.
Un screening par le service social via l’ICF
L’arrêté royal du 6 mai 2019 (Lire l’encadré 1) impose l’utilisation de la grille ICF (2) pour l’octroi du statut de « demandeur d’emploi non mobilisable ». Avec plus de 2000 critères, la version originale de l’International Classification of Functioning, Disability and Health est utilisée par l’INAMI et l’Aviq, ou encore par les administrateurs de biens. Pour être reconnu « non mobilisable », la vie du demandeur est questionnée en 43 items : quelle a été son parcours scolaire et professionnel ? Est-ce qu’il a des soutiens de sa famille ? Des dépendances ? Comment est son lieu de vie ? Gère-t-il son budget ? Comment prend-il soin de sa santé ? Réagit-il au stress ? A-t-il un comportement aimable, sûr de lui, imprévisible ? Stabilité psychique, attitudes sociétales, facteurs médicaux, facultés d’apprentissage…Le législateur a chargé les assistants sociaux des SPE d’estimer la gravité des difficultés du demandeur. La procédure prévoit, en plus – sauf exception- une visite médicale auprès d’un médecin et une auto-évaluation. Cette dernière, qui est en fait la même grille ICF, est proposée au demandeur pour qu’il puisse écrire sa propre perception de sa situation et de son incapacité à retrouver un emploi.
Avec le statut « non mobilisable », les allocations de chômage sont alors renommées en « allocations de sauvegarde » pour deux ans, et la dispense du contrôle de la recherche emploi, est renouvelable de manière illimitée. Si ce statut a été créé pour les allocataires d’insertion, il est désormais utilisé pour les chômeurs ordinaires reconnus MMPP. On peut deviner que c’est tout une catégorie de chômeurs âgés, de longue durée, accompagnés depuis plusieurs années qui en s(er)ont les principaux bénéficiaires. Après 39 mois de reconnaissance MMPP, ils peuvent donc prétendre, eux aussi, au statut non mobilisable.
Des conditions d’accès difficiles
A partir de la fin de l’année 2019, tous les chômeurs belges en fin de droit d’allocations d’insertion ont reçu un courrier les invitant à prendre contact avec le service social du SPE de leur région pour analyser s’ils entraient dans les conditions de non mobilisable. (Lire l’encadré 2) A l’échelle de la Belgique, seuls 4% des demandeurs d’emploi non mobilisables sont âgés de moins de 25 ans. Les plus de 40 ans sont majoritaires (67% des reconnus non mobilisables), principalement des chômeurs inoccupés depuis plus de 5 ans, avec très peu d’expériences professionnelles et de qualifications. Aux difficultés sociales s’ajoutent celles liées à la stabilité psychologique , à la confiance en soi, à des facteurs médicaux, à un retard intellectuel… On rencontre aussi des problèmes de mobilité liés à des problèmes financiers, à des troubles psychologiques qui empêchent de prendre les transports en commun ou qui allongent considérablement les trajets comme des attaques de panique, des phobies … Plus largement, les quatre SPE observent chez les chômeurs non mobilisables une difficulté à avoir une prise en charge au niveau médical, des parcours institutionnels et de vie chaotique et un manque important d’autonomie. On observe un long suivi sans évolution favorable de la capacité de travail, et un besoin d’être accompagné moralement et administrativement dans les démarches.
Une protection nécessaire
Dans le cadre d’une étude menée en Belgique francophone sur les accompagnements spécialisés proposés aux chômeurs MMPP et non mobilisables (3), nous avons interrogé demandeurs d’emploi et assistants sociaux sur cette « zone grise » dans laquelle ils se situent. Comment se passe ce fameux « accompagnement adapté pour lever les freins à l’emploi » ? En attendant de trouver un emploi stable, la protection des chômeurs MMPP devient une priorité pour assurer un revenu minimum d’existence. Les cinq types de dispenses pour raison de santé qui ont été mises en place par les gouvernements fédéraux et régionaux indiquent que la problématique des chômeurs « inemployables » s’inscrit dans le temps. Connaître l’existence de ces cinq dispenses et surtout y accéder nécessite un contact avec les services sociaux des SPE. Nous avons pu découvrir que la lourdeur et la démotivation vécue par le public concerné est également vécue par les assistants sociaux (AS) chargés de mettre en place ces dispositifs. (Lire l’encadré 3) Les AS ressentent la responsabilité du chômage de longue durée et du vieillissement de la population. Ils doivent naviguer entre les besoins des employeurs, des usagers, et des structures accompagnantes chargées de mener une politique d’emploi qui s’adapte avec lenteur à la modification démographique belge. L’utilisation de l’outil ICF leur pose question, de par les informations intimes qu’il demande et le glissement du rôle du service public de l’emploi vers la médicalisation du chômage. De nombreux professionnels tirent la sonnette d’alarme : les conditions pour ces reconnaissances sont de plus en plus strictes dans ce paysage institutionnel complexe. Les sources de vérification se multiplient également, ce qui, pour l’usager déjà fragilisé, constitue une charge administrative et psychologique importante. La charge de la preuve incombe au demandeur, pouvant être considéré comme responsable de son indigence, et les services associatifs et médicaux qui les accompagnent deviennent les sous-traitants de l’État. (Lire l’encadré 4) Un temps d’adaptation a été et sera encore nécessaire pour modifier la manière d’accompagner socialement un bénéficiaire dit « inemployable ». Pour l’AS, reporter à l’écrit un lien de confiance est un exercice pour lequel une compétence rédactionnelle informatique est essentielle. La rédaction a d’ailleurs été quantifiée par Synerjob : douze heures sont nécessaires pour une demande ICF ! (4) Il semble donc que les assistants sociaux des SPE soient en perte de repères. Engagés pour rapprocher de l’emploi les usagers, leur temps est principalement consacré à l’évaluation de leur inaptitude au travail, la mise en place de mécanismes de protection, les encodages informatiques, la transmission d’informations.
Moyenne annuelle du nombre de bénéficiaires de l’allocation de sauvegarde
Région | 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
Région flamande | 296 | 1.330 | 1.226 | 1.160 |
Région de Bruxelles-Capitale | 85 | 349 | 342 | 337 |
Région wallonne à l’excl. de la Com. germ. | 154 | 649 | 615 | 582 |
Com. germanophone | 2 | 8 | 8 | 7 |
Total | 536 | 2.336 | 2.192 | 2.086 |
Plus de la moitié (55%) des bénéficiaires sont en Flandre. Source : statistiques interactives de l’ONEm.
Qu’en disent les personnes concernées ?
Du côté des demandeurs d’emploi peinant à trouver un travail adapté, trois thèmes sont revenus : la complexité administrative, l’influence du contrôle de la disponibilité et la digitalisation des services. Pour les personnes porteuses d’un problème de santé invalidant, il peut être compliqué de rendre compte de ses difficultés au sein d’une administration. Pour les handicaps invisibles, mais pas que, il est nécessaire d’avoir une réflexion interne sur sa propre vie, et de pouvoir l’expliquer à l’autre, en prenant en compte la valeur du travail, de la famille, de la possibilité d’aller mieux, le tout dans une perspective de perdre ou non son revenu. Globalement, les demandeurs d’emploi reconnaissent une légitimité à ce qui leur est demandé, malgré un sentiment de solitude et d’incompréhension. Ils acceptent de fournir des preuves de difficultés relationnelles, identitaires et financières pour obtenir leur statut. A contrario, les demandeurs d’emploi MMPP ayant émis des griefs contre l’ICF ont chacun des raisons qui leur sont propres. Ils peuvent se positionner, à des degrés divers, « en rupture du système », défendre un idéal de liberté qui leur est cher, souffrir d’un trouble de la personnalité paranoïaque, ne pas comprendre le sens de ces démarches. Un paradoxe subsiste dans ce statut de non mobilisable qui dure deux ans : la dispense est octroyée sous conditions de pistes d’insertion professionnelle à atteindre d’ici la fin du statut. Poursuivre son suivi médical, commencer un volontariat,… Le non mobilisable doit tout de même voir une fois par an son AS pour faire un bilan à mi-parcours. Lors de la demande de prolongation, ces mêmes pistes seront évaluées au screening.
On recherche offres d’emploi adaptées
Encourager le retour au travail : fait. Programmes diversité : fait. Primes à l’inclusion : fait. Et puis ? Il arrive fort heureusement qu’un chômeur ayant bénéficié du statut retrouve un emploi adapté, mais cela reste rare. Des mécanismes existent pour encourager les employeurs à engager, mais ils se heurtent aux exigences de productivité et constituent, souvent, des pièges à l’emploi. (Lire l’encadré 5) Pour encourager le retour au travail, la valorisation des bas salaires et la sensibilisation à l’inclusion des personnes en situation de handicap, avec contrôle et/ou sanction pour l’employeur sont des axes à renforcer. Quant aux services d’accompagnement spécialisés, qui sont également soumis à un besoin de résultat positif pour reconduire leurs subsides, ils reproduisent les schémas d’exclusion pour celui qui est le plus éloigné de l’emploi. Certes, de nombreuses ressources gratuites, parfois innovantes, pour améliorer leurs chances de s’insérer professionnellement existent. Mais le chômage est un état qui nuit gravement à la confiance en soi.
Le texte légal
L’arrêté royal du 6 mai 2019 définit qui sont les chômeurs concernés. « Le demandeur d’emploi que le service de l’emploi compétent identifie au moyen de l’outil de screening internationalement reconnu « ICF – International Classification of Functioning, Disability and Health » – et reconnaît comme étant confronté à une combinaison de facteurs psycho-médicosociaux qui affectent durablement sa santé et/ou son intégration sociale ou professionnelle, avec comme conséquence qu’il n’est pas en mesure de travailler dans le circuit économique normal ou dans le cadre d’un travail adapté ou encadré, rémunéré ou non. Le statut de demandeur d’emploi non mobilisable est accordé pour une période de deux ans et est renouvelable moyennant une nouvelle évaluation au moyen de l’outil de screening ICF. Le statut est valable maximum 24 mois renouvelables ».
Témoignage d’une assistante sociale d’un SPE
Il y a des gens qu’on connaît bien, depuis plusieurs années parfois, et puis tous les autres qui ont reçu du jour au lendemain un courrier du Forem « Vos allocations d’insertion vont prendre fin ». Ce sont des gens qu’on ne connaît pas, qu’on n’a jamais vus, ni accompagnés. C’était le Covid en 2020, donc très difficile de demander des rapports d’autres professionnels pour étayer les dires des personnes qui demandaient le statut non mobilisable. On a fait passer plein, plein de dossiers ICF quasiment vides, car on n’avait pas assez d’infos. On a décidé ensemble que, en cas de doute, cela profite à l’usager. La plupart des demandes étaient bien étayées, mais lors de la première vague, on était dans de très mauvaises conditions, et personne ne voulait pénaliser alors que le pays était confiné, les organismes de paiement ne payaient pas les allocations, les hôpitaux étaient inaccessibles. Puis, en 2021 et 2022, on a pu compléter les dossiers. Les demandes de renouvellement ont été assez vite.
Témoignage d’une assistante sociale d’un SPE
Les devoirs des chercheurs d’emploi sont compris, et ils s’y plient, car ils sont dans la précarité financière. Les courriers sont eux souvent incompris : ils reviennent tout le temps pour nous demander de leur expliquer. Mais c’est bien, ils reviennent. J’explique, je réexplique… Ils ne comprennent pas un traître mot de ce qu’est le statut « non mobilisable ». Alors ce statut, c’est merveilleux, je lui donne un oscar ! Tu es non mobilisable, tu es sur le côté, tu ne sers à rien. En termes d’inscription dans la société, c’est génial… Non, les gens ne comprennent pas. Il y a toujours ce besoin de traduire. Encore une fois, il faut bouffer, il faut garder les allocations. La pression est tellement forte que je les entends dire (alors qu’ils ont obtenu le statut non mobilisable grâce à l’ICF) : « Je continue mes recherches Madame ! » Et je dois m’y prendre à plusieurs fois pour les rassurer, mais la pression institutionnelle est terrible. Des personnes peuvent perdre leurs allocations alors qu’elles sont en plein chemin, en plein effort. Les gens ne s’y retrouvent pas dans les institutions, ils confondent qui fait quoi, ONEm, VDAB, Actiris, les syndicats… Déjà nous on galère donc eux… Et avec des publics qui ont été très peu à l’école ou qui n’y ont pas été ici, qu’est-ce qu’on fait pour se mettre à leur niveau ?
Témoignage d’une assistante sociale d’un SPE
On demande à l’usager si on peut contacter son médecin traitant pour qu’il nous envoie un document attestant des restrictions médicales. Expliquer les dispenses, les besoins. Les gens ont rarement des réticences à nous donner le numéro de leur médecin. Mais les médecins… C’est rare que les gens aient un médecin qui prend le temps. Les médecins traitants nous disent que ce n’est pas leur travail, qu’ils ne sont pas médecins du travail. Ils ne se sentent pas capables de donner des restrictions précises concernant un métier ou un futur métier… Donc on complète avec d’autres éléments, des rapports d’autres services d’accompagnement, des reconnaissances déjà faites ailleurs…
Témoignage de J.G., chercheur d’emploi MMPP
Je ne comprends pas pourquoi les gens agissent comme ça. A la commune de ****, où j’ai fait mon CAP (1) à 1€/h, il n’y a qu’un ou deux collègues qui me parlaient ou me disaient bonjour. Ce sont les collègues qui étaient censés m’encadrer. J’ai été bien reçu au début, mais au final, je n’ai fait que des scans de documents et des photocopies pendant deux ans. Les autres… Je les ai entendu parler dans mon dos une fois. Ils disaient que j’étais sale et que j’avais l’air débile. Une fois, j’ai oublié le courrier, j’ai entendu crier « Ah, il le fait exprès ! ». A mon âge, j’en ai marre de subir ce genre de choses. Je mangeais souvent seul, je ne parlais à personne. Pourtant j’ai terminé ma formation en administration à distance. Mais il y avait toujours une raison. Quand mon CAP a pris fin la première année, ils m’ont renouvelé encore un an. Ils m’ont fait croire que dès qu’un poste se libérerait, ils m’engageraient. Mais le temps a passé, et je faisais la même chose. J’ai bien tenté une fois de parler au directeur, il disait qu’il était bloqué, qu’il n’y avait pas de travail adapté à moi. Les autres m’ignoraient. Non, en fait, ils nous utilisent souvent pour leur image, mais on n’a jamais rien de stable, rien d’intéressant. Quand une dame a démissionné, je savais que j’étais compétent pour le poste. On m’a pris en remplacement trois mois, j’ai encore fait du classement d’archives ! Pour la troisième année consécutive ! Puis on a engagé quelqu’un d’autre.
(1) Le contrat d’adaptation professionnelle propose une période de formation en situation réelle de travail. Son objectif est de préparer l’intégration professionnelle d’une personne en situation de handicap. Il s’agit d’une formation par la pratique, réalisée sous la responsabilité de l’entreprise. Le stagiaire, l’entreprise et l’AVIQ établissent en étroite collaboration un programme individuel de formation. L’expérience acquise à l’issue du contrat d’adaptation professionnelle doit faciliter l’engagement du stagiaire sous contrat de travail, au sein de l’entreprise formatrice ou ailleurs. Le contrat d’adaptation professionnelle peut se réaliser dans tous les secteurs d’activité. Il prévoit une période d’essai d’un mois et est conclu pour une durée maximale de 6 mois. Il peut être renouvelé pour des périodes de 6 mois en fonction de l’analyse de l’agent d’intégration professionnelle.
Témoignage d’une chercheuse d’emploi porteuse d’un handicap sensoriel
Je ne sais pas si le marché du travail me laisse une place. J’ai l’impression qu’on décide à notre place de notre valeur. J’aime bien le service social parce qu’au moins ici on peut réfléchir à ce qu’on veut faire, mais il n’y a pas assez de solutions adaptées. Il ne faut pas demander la lune aux assistants sociaux, je sais… Il y a tellement d’usagers qu’on ne sait pas faire quelque chose d’unique avec chacun. Il faut plus d’AS, vous ne pouvez pas nous appeler tous les jours pour savoir comment on va. Vous êtes débordés. Pourtant, nous on a besoin qu’on s’occupe de nous. Personne ne nous écoute. Après, pour être sincère… Si vous m’appelez, et je vous dis « Oui ça va », et en fait non ça ne va pas. Vraiment pas. Les gens ont des blessures profondes. Il faut du temps pour voir en profondeur ce qui se passe chez la personne. Il n’y a pas assez de places adaptées, on ne laisse pas assez la chance aux plus fragiles.
Conclusion
La conclusion commune -rapportée dans le rapport de Synerjob- salue la mise en place de ce statut permettant aux demandeurs d’emploi d’être reconnus dans leurs difficultés. Ils nuancent la mesure : le renouvellement du statut tous les deux ans constitue une source de stress et de charge administrative importante. Il s’agit donc d’un statut précaire, pour un public déjà précarisé.Il serait intéressant de questionner la création d’un statut définitif pour ces demandeurs d’emploi. S’agirait-il d’une allocation autre que celle de l’ONEm ? D’autre part, les services publics pour l’emploi sont-ils vraiment adaptés pour l’accompagnement des DE non-mobilisables ? Un besoin d’assouplir la procédure, d’automatiser le statut sont autant de sujets qui devront être abordés à la lumière de l’expérimentation du statut dans le temps. Malgré les discours assourdissants voulant « remettre les malades au travail », force est de constater que sans l’appui collectif, politique et économique, le marché du travail continuera d’exclure les plus fragilisés. Limiter les allocations de chômage dans le temps ne fera que faire basculer d’une catégorie à une autre des personnes toujours aussi éloignées de l’emploi. Pour quelques économies fédérales au niveau de l’ONEm, combien devra-t-on investir vers les CPAS ou l’INAMI ? La « super note » du formateur disait en août : « Le groupe souffrant d’un handicap professionnel (reconnu) se voit proposer un emploi dans l’économie sociale (entreprises de travail adapté). Cela nécessite un parcours de croissance de l’économie sociale (ou l’abandon du quota actuel) au niveau régional et fait l’objet d’une compensation financière ». La responsabilité de fournir un emploi adapté est assignée aux régions. Quid si aucun emploi n’est proposé ? L’allocation de sauvegarde sera-t-elle maintenue en cas de limitation à deux ans ? Pourrait-elle être une échappatoire pour d’autres personnes menacées par cette fin de droit ? Il semble que ceux qui s’apprêtent à prendre une décision d’exclusion d’une telle ampleur devraient réfléchir à l’expérience vécue avec les « non-mobilisables ».
En attendant, la compétence des assistants sociaux au sein des organismes pour l’emploi reste nécessaire pour garder la motivation du public : en les aidant à trouver ce qui les anime, créer une place dans ce monde, une place qui est la leur.
- Par Sonia Bucci
(1) Lire, entre autres, « Activation des chômeurs invalides : le parcours du combattant », Gérald Hanotiaux, Ensemble !n° 85, décembre 2014 ; « Chômage et invalidité : le chaos », Gérald Hanotiaux, Ensemble !n° 87, juin 2015 ; « Allocations d’insertion : deux ans après, un nouveau chaos ! », Yves Martens (CSCE), décembre 2016, ensemble.be ; « Des organismes de l’emploi contre les chômeurs », Yves Martens, Ensemble !n° 99, mai 2019, « MMPP, une solution définitive… temporaire », Yves Martens, Ensemble !n° 100, septembre 2019
(2) Pour plus de détails sur la CIF lire « MMPP, une solution définitive… temporaire », Yves Martens, Ensemble !n° 100, septembre 2019.
(3) « Inemployables ? L’accompagnement du public spécifique en Belgique francophone », S. Bucci, Ingénierie et action sociales, HE2B, 2023.
(4) SYNERJOB, « Rapport sur le statut non mobilisable 2022 – Présentation commune VDAB – ADG – Actiris – Forem », Juin 2022.