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L’optimisme inébranlable d’Emmanuel

Ce jeune journaliste camerounais affiche un sourire contagieux, et un moral en béton armé. Il a la tchatche et, malgré un parcours difficile et souvent dangereux, rien ne semble devoir le décourager. A présent que sa demande d’asile a été acceptée, il compte bien trouver ses marques professionnelles en Belgique. Et s’il ne peut exercer comme journaliste, ce sera en tant qu’aide-soignant !

Emmanuel Nlend Nlend : un sourire désarmant, de l’énergie à revendre, et une capacité d’adaptation phénoménale. Crédit photo : Photo En-GAJE
Emmanuel Nlend Nlend : un sourire désarmant, de l’énergie à revendre, et une capacité d’adaptation phénoménale. Crédit photo : Photo En-GAJE

Ses premières amours étaient sportives, mais un accident au genou met un terme à son rêve de devenir footballer professionnel. Il en faut davantage pour décourager Emmanuel Nlend Nlend : le jeune homme se souvient d’un stage accompli dans une chaîne radio de son pays, au début des années 2000, et qui l’avait enchanté. Le foot lui est désormais interdit ? Eh bien alors, il sera journaliste !
En 2016 – il a alors 25 ans -, Emmanuel est accepté comme stagiaire auprès d’une radio de Yaoundé. Il On lui confie de menues tâches : micro-trottoir, petits reportages, notes à destination des responsables des rendez-vous d’information, etc. Il s’accroche, fait ses preuves, parvient à s’imposer. Un an plus tard, le voilà nommé responsable de l’animation à l’antenne : il concocte « La Matinale », prépare et présente le Journal Parlé de midi. Une première victoire mémorable.

La prison au Cameroun

C’est sans compter avec la personnalité du jeune journaliste, son sens aigu de la justice (« Je suis issu de l’ethnie Bassa : on est réputés être intransigeants avec les valeurs morales »), qu’il estime mis à mal par la candidature de Paul Biya aux élections présidentielles de 2018, pour un septième mandat. « Il occupe la présidence sans discontinuer depuis 1982, et le pays est rongé par la corruption et le chômage des jeunes : je ne pouvais pas me taire. » Ses « impertinences » à l’antenne lui valent plusieurs suspensions d’antenne : « Le directeur m’a menacé, mais cela ne m’a pas fait taire pour autant. » Jusqu’à cet incident, qui l’a mené en prison : « J’ai eu vent de licenciements abusifs et de corruption massive au sein d’une société publique soutenue par le directeur général de cette société publique. J’ai dénoncé la situation sur antenne, pendant ‘‘La Matinale’’, à une heure de grande écoute. J’ai été arrêté et jeté en prison. Rétrospectivement, je trouve que j’ai eu beaucoup de chance : pour moins que ça, au Cameroun, des journalistes se font tuer par les services secrets ; cela s’est encore produit en janvier dernier. » (1)

La fuite et l’errance

Emmanuel parvient à s’enfuir, et se réfugie chez un ami en veillant à brouiller les pistes pour qu’on ne parvienne pas à le retrouver. Il possède un passeport toujours valide, une denrée rare et très précieuse dans son pays : c’est décidé, il quittera le Cameroun, laissant au pays un fils âgé de dix mois. Un de ses cousins met en vente un petit terrain qui lui appartient, et avec cet argent il se paie les services d’un passeur et soudoie la police des frontières de l’aéroport. Quelques heures plus tard, le jeune homme débarque à Roissy : « Je me suis retrouvé dans la nature, je ne connaissais absolument personne. » Il tente de rejoindre l’Angleterre, mais il a été à deux doigts de se noyer et renonce à la traversée. « Un matin, en me réveillant, j’ai senti que c’était en Belgique que je devais tenter de me rendre. » Sans un sou en poche, et bien entendu sans papiers valables, il monte alors dans un train en direction de Bruxelles-Midi, et par une incroyable baraka, il échappe au contrôle des billets. « Je débarque donc à la Gare du Midi, dans le dénuement le plus total, et je passe plusieurs jours et nuits dans la rue. »

En prison… en Belgique

Ses pas l’amènent jusqu’au quartier Matongé, à la Porte de Namur (Bruxelles), où vit une grande communauté africaine. « Un Camerounais m’a repéré, m’a offert à manger, et m’a conseillé de m’adresser au Ciré/Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (NDLR : une ASBL active dans les droits des personnes exilées, avec ou sans titre de séjour) ainsi qu’à un cabinet d’avocats spécialisés dans les demandes d’asile. » Il trouve refuge à Le Bocq, un centre pour demandeurs d’asile de la Croix-Rouge à Yvoir. Début juillet 2019, il introduit officiellement sa demande d’asile… dont on lui apprend le rejet à la fin de l’année, assorti d’un ordre de quitter le territoire.
Entretemps, après avoir tenté en vain, faute de places disponibles, de s’inscrire à une formation en journalisme et marketing destinée aux demandeurs d’asile, Emmanuel s’était inscrit à une formation d’aide-soignant à Salzinnes. Après avoir reçu l’ordre de quitter le territoire, il est hébergé par une famille congolaise qui a eu, peu après, la désagréable surprise de voir débarquer la police à son domicile. Emmanuel est absent à ce moment-là, mais son avocate lui conseille de se présenter au commissariat. Mal lui en prit : « On m’a enfermé dans une cellule glaciale, avant de me transférer à la prison de Merksplas, un centre fermé pour illégaux. J’y suis resté vingt-et-un jours, et puis le président du tribunal de Huy a ordonné ma libération, en délibéré. »

La chance, enfin

Libéré, Emmanuel réintroduit une nouvelle demande d’asile en avril 2020 et, victoire !, celle-ci est acceptée en novembre 2021. Quelques mois plus tard, il est reçu aux examens de sa dernière année de formation comme aide-soignant, il réussit son travail de fin d’études (TFE), et le voilà diplômé aide-soignant ! Une période bénie, durant laquelle il est approché par Caritas International, ONG belge de solidarité internationale qui soutient les victimes de violences, de catastrophes et de la pauvreté et lutte contre les centres de détention pour les illégaux : « Ils m’ont interviewé, et ce sont eux qui m’ont mis en contact avec En-GAJE. » Par l’intermédiaire de l’ASBL, Emmanuel trouve un premier logement dans un habitat groupé à Wezembeek-Oppem et ensuite, grâce cette fois à l’ASBL Singa qui met en contact des bénévoles bruxellois et de nouveaux arrivants, il décroche une colocation – temporaire – à Etterbeek.
Et ce n’est pas tout : très sociable, avide de rencontres, Emmanuel est ravi de pouvoir participer à l’opération Journalistes en classe (JEC) et d’ainsi sensibiliser des étudiants aux réalités de l’exil et aux persécutions dont sont victimes de nombreux journalistes dans le monde.

Tous les rêves sont permis

Bien décidé à tirer parti de sa chance, voici un an, le jeune homme s’inscrit à une formation d’animation/réalisation radio à l’EFP, un centre de formation en alternance situé à Uccle. Au même moment, il fait le siège – ce sont ses mots – de Radio Panik, une association multiculturelle implantée à Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles), qui entend contribuer, avant tout par le moyen de la radiodiffusion, à la promotion socioculturelle de la population dans la région bruxelloise. Son entêtement s’avère payant, puisqu’il y est accepté en tant que stagiaire, et peut participer à la présentation de l’émission Les Promesses de l’aube programmée entre sept et neuf heures du matin, une tranche horaire de grande écoute. « J’y allais tôt le mardi matin, avant d’aller à l’école, j’adorais, la radio est mon média favori, et j’ai en plus la chance de pouvoir proposer mon propre programme de musique, ce qui me passionne également. »
Mais voilà, la réalité le rattrape : l’aide qu’il reçoit du CPAS d’Etterbeek n’est pas bien grasse, et Emmanuel doit se mettre en quête d’un nouveau logement, un Graal quasiment impossible à décrocher en l’absence d’une vraie fiche de paie. La mort dans l’âme, Emmanuel décide d’arrêter sa formation d’animateur/réalisateur radio à l’EFP pour travailler en tant qu’aide-soignant. Cela ne l’empêche pas de continuer de se dire, qu’un jour, il renouera avec le journalisme. Ni de penser tous les jours au pays : « Quand le Cameroun sera enfin libéré de son président ‘‘à vie’’, je retournerai au Cameroun. Pour y ouvrir une radio. »

(1) Le Cameroun occupe la 138è place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par Reporters sans frontières.

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