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Les crimes contre les journalistes restent trop souvent impunis

Neuf crimes sur dix commis contre des journalistes dans le monde restent impunis. Ceux qui veulent brider la presse à tout prix ne se privent donc pas de continuer de perpétrer leur sale besogne. Ce qui amène certains journalistes travaillant en zones sensibles à s’autocensurer pour protéger leur vie.

Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ : « L’impunité n’est pas qu’une affaire de statistiques. »
Anthony Bellanger, secrétaire général de la FIJ : « L’impunité n’est pas qu’une affaire de statistiques. »

Le 2 novembre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, journalistes à RFI – une radio française d’actualité, diffusée mondialement en français et en 16 autres langues -étaient enlevés et tués à Kidal, dans le nord du Mali. Aujourd’hui encore, leurs proches n’en savent toujours pas beaucoup plus sur les circonstances de leur disparition. Cette date du 2 novembre a donc été choisie par les Nations Unies pour instaurer une Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes : le 2 novembre dernier, cette Journée internationale contre l’impunité soufflait donc sa dixième bougie.
Si cet événement a une portée symbolique importante, il ne suffit pas, bien sûr, à enrayer le problème : le moins que l’on puisse dire est que les Etats, de par le monde, ne font pas preuve de beaucoup d’empressement à réprimer les crimes commis à l’encontre des journalistes. Le constat de l’Unesco fait froid dans le dos : neuf crimes sur dix commis contre des journalistes restent impunis. Parfois, presque par miracle, un de ces crimes débouche sur une arrestation. « On vient d’apprendre que le commanditaire du meurtre d’une journaliste indienne, commis en 2008, avait été arrêté… hier, soupire Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) (1). Je m’en félicite, bien sûr. Mais rendez-vous compte : les proches de la victime ont dû patienter quinze ans avant de connaître la vérité… Partout où je me rends dans le monde pour défendre les journalistes, je suis confronté aux familles qui me demandent de les soutenir dans leur quête de vérité. Un jour où j’étais à Karachi (Pakistan), sur l’invitation du syndicat pakistanais des journalistes, plusieurs gamins jouaient au pied de l’estrade depuis laquelle je parlais. Il s’agissait d’orphelins, enfants de journalistes assassinés, que le syndicat avait pris sous son aile. Quand on a vu cela, ainsi que des mères, des sœurs, qui implorent pour qu’on les aide à faire éclater la vérité, l’impunité n’est plus une affaire de statistiques : elle s’incarne et devient véritablement intolérable. »

En date du 20 octobre 2023 (date du bouclage de cet article), 25 journalistes avaient trouvé la mort dans le monde depuis le début de l’année (2). Mais ce compteur macabre s’affole depuis le 7 octobre dernier et le début de la nouvelle guerre israélo-palestinienne. En date du 20 octobre toujours, le Committee to Protect Journalistes (CPJ, New York) faisait état d’au moins 17 journalistes tués (trois Palestiniens, trois Israéliens et un Libanais), de 8 journalistes blessés et de trois disparus. En 2022, l’Ukraine et le Mexique remportaient la palme des pays les plus mortels pour les journalistes dans l’exercice de leur profession ; ils sont aujourd’hui détrônés par la scène israélo-palestinienne. « On assiste là à un vrai carnage, soupire Anthony Bellanger. Parmi les combattants et les civils, bien sûr. Mais aussi dans les rangs de ceux qui tentent d’informer sur ce conflit. » Ce type de conflit illustre aussi de manière tragique à quel point il est difficile, pour les journalistes, de couvrir une guerre qui n’est pas seulement une guerre des armes, mais aussi une guerre de l’information dans laquelle chaque mot est potentiellement explosif, dans un contexte de censure stricte imposé par les autorités israéliennes sous couvert de « sécurité militaire ».

Une convention internationale en pour la protection et la sécurité des journalistes

« Les atteintes contre la liberté de la presse ne se résument évidemment pas aux menaces qui pèsent sur la vie des professionnels de l’info, relève le secrétaire général de la FIJ. Le harcèlement en ligne, les intimidations judiciaires, la censure, les restrictions imposées à la presse, par exemple dans le cadre de la couverture des manifestations sociales, tout cela entrave la liberté de la presse et l’information de qualité. Et là aussi, l’impunité règne en maître :il n’existe aucun instrument international contraignant qui obligerait les États membres à enquêter et à réagir aux attaques contre les médias. Et rares sont les Etats qui font spontanément preuve d’une réelle motivation à mettre un terme à l’impunité… Cette impunité a des effets désastreux sur la qualité de l’information : nombre de journalistes opérant en ‘‘zones sensibles’’ s’autocensurent, ce qui nuit bien sûr à la qualité de la presse et de l’information. »
C’est ce constat, ainsi que la frustration croissante face à l’inaction, qui ont poussé la FIJ à lancer une campagne pour l’adoption d’une Convention internationale dédiée à la protection des journalistes et des professionnel.le.s des médias. « Cela fait cinq ans que nous y travaillons sans relâche. Notre but est d’arriver à ce que cette convention pour la protection, la sécurité et l’indépendance des journalistes soit votée par l’ensemble des Etats membres de l’assemblée générale des Nations Unies. »

Ce texte fondateur a été rédigé afin de s’assurer qu’il n’y ait aucune lacune dans la protection de la sécurité des journalistes, et que les gouvernements s’engagent à s’attaquer aux menaces permanentes qui ont non seulement un impact sur les droits et la vie des journalistes, mais qui menacent aussi sérieusement le droit à l’information du public.
La FIJ ferraille ferme pour que le texte soit soumis prochainement au vote.

Avec enthousiasme, mais sans trop d’illusions pour autant : « Le texte sera voté, c’est sûr. Mais quelle en sera la version finale ? C’est là que réside l’inconnue… Il y a fort à parier que les Etats peu friands de liberté de la presse, ne citons que la Chine et la Russie, mais il y en a beaucoup d’autres, feront en sorte que la portée de la Convention soit réduite au strict minimum. Mais nous continuerons inlassablement le combat. Et, au plus on dénoncera cette impunité, au plus on en parlera – et ce sera le cas, lorsque le texte de cette Convention arrivera devant l’assemblée générale des Nations-Unies, au plus le combat progressera », conclut Anthony Bellanger.

(1) La Fédération Internationale des Journalistes (FIJ) est l’organisation professionnelle mondiale représentant 600.000 journalistes dans le monde. Elle est accréditée auprès des Nations Unies et est basée à Bruxelles.

(2) Source : Rapport annuel de la FIJ https://www.ifj.org/fr/quoi/securite

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