énergie
Des mesures sociales pour garantir l’accès de tous à l’eau
En région bruxelloise l’indexation des tarifs de l’eau risque de compliquer son accès pour les ménages fragilisés. L’augmentation du montant de l’intervention sociale veut y répondre.
En décembre 2021, la révision des ordonnances régissant la fourniture de l’eau en Région bruxelloise, adoptée sur proposition d’Alain Maron (Ecolo), le ministre bruxellois de l’Environnement et de l’Énergie, donc en charge notamment de la politique de l’Eau, faisait de l’eau un droit fondamental grâce à de nouvelles mesures telles que l’interdiction de coupure pour les ménages et l’octroi d’une intervention sociale annuelle dans le prix de l’eau pour tous les ménages précarisés, bénéficiant de l’intervention majorée (statut BIM). Un Bruxellois consomme en moyenne cent litres d’eau par jour, tous usages confondus. Cette consommation lui coûtait environ cent cinquante euros par an. Ce qui devait couvrir le coût du captage, du traitement, du transport et de la distribution de l’eau qui arrive au robinet ainsi que la collecte des eaux usées, leur traitement et l’entretien de l’ensemble des réseaux de distribution et d’égouttage. Comme beaucoup d’autres entreprises et ménages, Vivaqua, l’organisme intercommunal d’intérêt public du secteur de l’eau à Bruxelles, a subi de plein fouet les effets de la crise : inflation galopante, hausse spectaculaire des prix de l’énergie et des prix des matériaux ont fait exploser les coûts auxquels l’entreprise doit faire face. L’estimation de l’indexation réalisée en début de période tarifaire (2022-2026) était donc totalement insuffisante. Vu la possibilité d’adaptation en cours de période, Vivaqua l’a sollicitée dès 2023 avec pour effet un fort rattrapage.
Rattrapage indispensable...
Après une augmentation tarifaire de 15% en 2022, correspondant donc au rattrapage des non-indexations de la période 2014-2019, Vivaqua a dès lors demandé début 2023 à Brugel, autorité bruxelloise de régulation dans les domaines de l’électricité, du gaz et, depuis 2017, du contrôle du prix de l’eau, une indexation de 14,5% pour 2023 et de 4,1% en 2024 correspondant au niveau d’inflation prévu par l’OCDE pour la Belgique. Pour la suite de la période tarifaire (jusqu’en 2026), l’indexation devrait être fixée à 2% par an. Brugel a accepté ces demandes en février et indiqué que cela représentait pour un ménage moyen de deux personnes (pour une consommation moyenne de 70 m³ par an) une augmentation de 43 euros sur l’année. Soit une facture moyenne de 343 euros pour l’année 2023. Le ministre Alain Maron a rappelé que, malgré cette augmentation tarifaire, le prix de l’eau en Région bruxelloise reste parmi les plus bas en Belgique pour l’ensemble des usagers (professionnels et ménages). (Lire le tableau ci-contre.) En outre, le prix à Bruxelles est tout compris alors que dans les autres régions s’y ajoute souvent une taxe forfaitaire pour l’égouttage qui est facturée séparément. Il n’empêche que le Comité des usagers de l’Eau a regretté que « l’inertie apparente des différents acteurs concernés au cours des années précédentes doive mener à une augmentation tarifaire d’une telle ampleur à un moment où les ménages et les entreprises bruxellois souffrent lourdement économiquement ».
… qui risque d’être insuffisant
Ce rattrapage des indexations précédentes et l’application des suivantes doivent juste permettre, si l’on ose dire, de maintenir la compagnie des eaux à flot. Cela ne veut pas dire que cela lui permettra de faire face aux dépenses et investissements nécessaires. Des craintes de « véritables » augmentations existent donc. L’intercommunale a cependant informé qu’elle réalisera d’importants efforts de réduction de ses coûts pour limiter la hausse des prix. Alain Maron a demandé aux acteurs publics de l’eau – Vivaqua et Hydria (l’opérateur de traitement des eaux) de reprendre leurs travaux de rationalisation du secteur : « Il faut garantir le coût le plus bas aux citoyens et entreprises bruxellois, tout en assurant une capacité d’investissement permettant la poursuite de la rénovation du réseau d’égouts, la réduction des risques d’inondation, le maintien des capacités de fourniture en eau dans un contexte où les périodes de sécheresse vont être de plus en plus fréquentes, ainsi que l’atteinte des objectifs climatiques et environnementaux de la Région. » Alain Maron a dès lors annoncé qu’il allait relancer les travaux à ce sujet avec les deux opérateurs et continuer à « œuvrer pour que l’eau soit un bien commun, protégé et accessible ».
...une hausse compensée par une intervention sociale
Si le rattrapage évoqué ci-dessus n’est donc pas une véritable augmentation du coût de l’eau en termes réels, cette adaptation sera pénible pour une partie des ménages. Le Comité des usagers de l’Eau a insisté auprès du gouvernement sur l’absolue nécessité d’au moins neutraliser cette augmentation tarifaire (ainsi que celles probablement à venir) pour les bénéficiaires de l’intervention sociale (les ménages sous statut BIM) par une adaptation à la hausse des montants prévus à cet effet. « Le Comité craint en effet que la précarité hydrique, qui touchait déjà plus d’un ménage bruxellois sur quatre avant la crise, n’augmente considérablement au regard de l’inflation généralisée du prix des produits de première nécessité et de l’appauvrissement incontestable de la population bruxelloise. Il serait dès lors nécessaire d’adapter la législation pour que ce mécanisme d’indexation des montants de l’intervention sociale en fonction du prix de l’eau soit automatique. » Faisant écho à cette demande, et sur proposition du ministre en charge de la politique de l’Eau, le gouvernement bruxellois a effectivement décidé d’augmenter le montant de l’intervention sociale pour les ménages qui en bénéficient (ceux ayant le statut BIM, soit 28 % de la population bruxelloise) afin de réduire autant que possible l’augmentation des prix pour ces 160.000 ménages concernés.
A titre d’exemple, pour une consommation moyenne :
* Un couple ayant le statut BIM avec deux enfants à charge voit son intervention sociale augmenter de 65 %, passant de 126 euros/an à 208 euros/an.
* Un ménage sans enfant ayant le statut BIM voit son intervention sociale augmenter de plus de 60 % passant de 66 euros/an à 106 euros/an.
Alain Maron a aussi rappelé que toute personne qui éprouve des difficultés à faire face à sa facture d’eau peut, via le CPAS de sa commune, demander l’intervention du Fonds social de l’eau dont le gouvernement a aussi sensiblement augmenté les moyens. (Lire l’encadré ci-dessous).
Le Fonds social de l’eau
Le Fonds social de l’eau, créé en 1998, vient en aide à toute personne physique qui a des difficultés à régler sa facture d’eau. Il est géré par les CPAS des 19 communes bruxelloises. Toute personne en difficulté de paiement peut s’adresser au CPAS de sa commune, même si elle n’est pas encore aidée par celui-ci, que ce soit par un revenu d’intégration (RI) ou par une aide sociale quelconque. Il est donc possible d’obtenir une aide en la matière même si l’on travaille ou si l’on bénéficie d’autres revenus (pension, chômage, etc.). Il est cependant impossible de savoir à l’avance si une demande sera acceptée ou non. Les CPAS sont seuls compétents pour décider, sur la base d’une enquête sociale, si le demandeur peut bénéficier d’une intervention du Fonds social. Néanmoins, l’existence même de ce fonds dédié à ce type d’aide augmente les chances d’obtenir l’aide par rapport à une demande qui ne serait pas couverte par un tel financement.
Trois formes d’aide
L’aide du CPAS peut prendre trois formes différentes :
– le paiement (en tout ou en partie) de la facture d’eau.
– si la provision pour la consommation d’eau est incluse dans le prix du loyer, prise en charge d’un montant calculé sur une base forfaitaire de 80 litres/jour/personne (soit 80 % de la consommation quotidienne moyenne).
Ces 80 litres permettent de couvrir les besoins vitaux, estimés de la façon suivante :
* 8,5 litres pour la cuisine
* 54 litres pour l’hygiène corporelle et les toilettes
* 17,5 litres pour le nettoyage et la lessive.
– Des réparations de fuites aux chasses d’eau ou aux robinetteries ou des conseils en consommation.
D’où vient l’argent du Fonds social ?
Ce Fonds social est alimenté par une contribution prélevée sur chaque m³ d’eau facturé. Cette cotisation qui était de 0,03 € (trois centimes) a été portée à 0,05 € (cinq centimes), soit une augmentation de 66 % décidée par le gouvernement bruxellois sur la proposition d’Alain Maron. Cela devrait répondre aux doléances des CPAS estimant qu’ils n’avaient pas les moyens suffisants pour couvrir les demandes. Le montant total est réparti entre les 19 CPAS de la région au prorata de leur nombre de bénéficiaires du RI (et équivalents). Ces moyens supplémentaires peuvent, toujours sous réserve de l’enquête sociale, mener parfois le CPAS à accepter une demande qu’il aurait refusée dans les conditions antérieures.
- Par Yves Martens (CSCE)