La dérive de Kairos

Ces erreurs des journalistes mainstream qui ont aidé Penasse

Le Covid a pris tout le monde de court, en ce compris, bien sûr, les responsables politiques et les journalistes. Et la façon dont la presse a couvert la crise sanitaire, en tout cas dans les premiers temps, est sujette à caution. Ces erreurs ont fourni à Kairos un terreau fertile et – c’était inespéré – un modèle économique.

La diabolisation de ceux qui osaient la remise en question de la doxa officielle n’ont fait qu’accentuer la défiance d’une frange de la population envers les autorités et les journalistes.
La diabolisation de ceux qui osaient la remise en question de la doxa officielle n’ont fait qu’accentuer la défiance d’une frange de la population envers les autorités et les journalistes.

« Pendant la crise sanitaire, le traitement médiatique de la presse mainstream s’est souvent limité à servir de mégaphone aux autorités », regrette Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes (FEJ). « La diffusion, en direct, des communiqués de presse du Comité de concertation (Codeco) (1) ainsi que des conférences de presse suivant les réunions du Codeco était une erreur déontologique majeure, abonde Jean-Jacques Jespers, ex-journaliste à la RTBF et président du Conseil de déontologie journalistique. Le communiqué de presse doit être une source parmi d’autres, certainement pas une information à reprendre telle quelle. De même, tendre sans arrêt le micro aux responsables politiques et aux experts, sans filtre, sans distance, sans analyse, c’est contraire à la bonne pratique journalistique. »

Le moteur du métier de journaliste est la curiosité, une envie d’apprendre, de découvrir, y compris – surtout ? – l’envers du décor. Il exige d’exercer son sens critique et d’avoir l’aptitude au recul, de ne rien prendre pour argent comptant. La manière dont les médias « traditionnels » ont traité de la crise sanitaire n’a pas vraiment répondu à ces standards.

Les trois phases médiatiques de la crise sanitaire

Jean-François Raskin, professeur de sociologie des médias et administrateur général de l’Institut des hautes études de communications sociales (Ihecs) distingue trois phases dans le traitement médiatique de la crise sanitaire (2). La première phase correspond aux trois premiers mois de la pandémie, soit de février à avril 2020 : au cours de cette période, la couverture médiatique s’est distinguée par les mêmes «errements, hésitations et discours contradictoires des experts et des autorités en général», et s’est heurtée au « peu de culture scientifique au sein de la profession. »

La deuxième phase, d’avril à décembre 2020, a vu la mise en place d’ « une vérité qui ne pouvait plus être contestée : le confinement en attendant le vaccin (…). Il y a eu une forme de glissement au sein de plusieurs organes de presse d’une mise en perspective vers une adhésion à cette ligne sans réel regard critique ou d’analyse du discours dominant. Des experts écartés, devenus inaudibles voire interdits, des voies thérapeutiques discréditées, des pressions des autorités au nom de l’intérêt général (…). »

Enfin il y a eu la troisième phase, à partir de décembre 2020 : « Les contestations populaires contre les mesures de confinement, les ratés dans le processus de vaccination (…), les dommages collatéraux des mesures prises par les autorités ont permis à d’autres voix de se faire entendre. Ceux qui s’étaient tus, volontairement ou pas depuis des mois retrouvent une certaine audience. Des parlementaires retrouvent également leurs fonctions et leur rôle démocratique. »

L’effet de sidération

Reprenons, et détaillons. Pendant les premières semaines de la pandémie, tout le monde – responsables politiques, virologues, épidémiologistes, responsables hospitaliers, etc. – a été pris de court par ce virus inconnu. Les médias ont tout d’abord donné la parole à des sources diverses, dont certaines plus ou moins contradictoires, « mais il est vite apparu difficile d’évaluer leur crédibilité, de faire la part des choses entre infox et critique légitime, car on se trouvait dans un contexte totalement inédit, très anxiogène, et favorable à l’apparition de thèses fantaisistes et complotistes », analyse Jean-Jacques Jespers. Or à ce moment, la seule approche audible de la crise était l’approche sanitaire : comment faire pour éviter l’engorgement des hôpitaux et le risque de milliers de morts que celui-ci risquait de provoquer ?

« On était vraiment dans une période d’exception, souligne Benoît Grevisse, qui dirige l’école de journalisme de l’UCLouvain. Deux questions cuisantes se posaient aux journalistes : 1/ quelles sources pouvait-on considérer comme fiables ; 2/ quels rapports fallait-il entretenir avec les autorités ? Ne convenait-il pas de sacrifier momentanément l’indépendance journalistique au nom de l’intérêt général ? »

La parole confisquée

Pendant ce que Jean-François Raskin identifie comme la « deuxième phase » (d’avril à décembre 2020), les médias ont banni toute voix dissidente des colonnes de leurs journaux ou de leurs antennes. Les journalistes et éditorialistes, dans leur grande majorité, ont continué de s’en remettre au gouvernement et au groupe d’experts désigné par ses soins pour délivrer la bonne parole. L’illustration la plus caricaturale de cette situation, on l’a eue lorsque « une journaliste a demandé à un représentant de Pfizer si ses vaccins étaient sûrs. C’est comme si on demandait à un poissonnier si son poisson est frais », ironise Raskin. Mieux encore : non contents de tendre leurs micros sans filtre, les journalistes se sont mis à prendre fait et cause en faveur du discours officiel et ont versé eux-mêmes dans la posture de « ceux qui savent ». Ceux et celles qui osaient un discours différent, des interrogations, des remises en question, étaient non seulement réduits au silence, mais aussi diabolisés, systématiquement relégués dans le rang des complotistes

Aucune place, en « Une », dans les éditos ou les Journaux télévisés (JT), pour les questionnements au sujet du vaccin, des risques de conflits d’intérêts inhérents à la qualité d’ « expert du gouvernement », du bien-fondé des différents confinements, des dégâts opérés par la gouvernance néolibérale au secteur hospitalier, de la notion de santé « globale » et pas seulement physique, des pratiques parfois peu reluisantes de l’industrie pharmaceutique, etc..

L’éloge de la nuance

Le collectif « Citoyens contagieux » entend apporter une autre réponse que le complotisme à l’invisibilisation médiatique de ceux qui osent des questionnements sur la gestion de la crise sanitaire.

Christophe Haveaux, fondateur du Collectif Citoyens contagieux : il a choisi l’approche citoyenne pour apporter sa contribution au débat démocratique.
Christophe Haveaux, fondateur du Collectif Citoyens contagieux : il a choisi l’approche citoyenne pour apporter sa contribution au débat démocratique.

Christophe Haveaux, journaliste coordinateur au webmagazine Renouvelle, spécialisé dans les énergies renouvelables, a fondé le collectif « Citoyens contagieux. L’absence de débats contradictoires pendant la crise sanitaire et l’ « invisibilisation » médiatique de ceux qui osaient un questionnement et une parole « dissidente » l’a interpellé. Il pointe cet entre-soi, cette absence d’un certain nombre de questionnements et de remise en question de la logique dominante (le traitement exclusivement sanitaire et quantitatif de la crise covid) comme en partie responsables du succès des théories complotistes. Lui a choisi l’approche citoyenne « responsable » pour apporter sa contribution au débat et faire entendre sa voix et celle d’autres esprits critiques.

« En septembre2021, la vie sociale et professionnelle a repris un cours plus normal, mais le risque d’une nouvelle flambée occupe toutes les conversations. Le fossé entre vaccinés et non-vaccinés se creuse, rien ne semble de nature à réconcilier les deux camps. Et toute la société semble traversée par ce clivage. Marc Van Ranst, le virologue ‘‘attitré’’ du gouvernement tient des propos belliqueux dans la presse (‘‘Il faut convaincre les non-vaccinés d’une façon moins amicale’’). Sur les réseaux sociaux, on lit des bêtises du style ‘‘Les vaccinés sont les moutons du gouvernement’’ ou, à l’inverse, ‘‘Les non-vaccinés sont des complotistes’’. A ce moment, moi qui étais pourtant triplement vacciné, j’ai commencé à ressentir un certain malaise face à ces stigmatisations et à ce manque de nuances. J’ai donc pris l’initiative d’écrire un texte en appelant à davantage de modération, d’écoute, de respect, d’intelligence. Personne ne pouvait avoir la certitude d’avoir raison, or tout le monde assénait de ‘‘grandes vérités’’. J’ai envoyé ce texte par mail à mes contacts, en leur demandant d’apporter des corrections éventuelles et de le signer s’il leur plaisait. Ce texte a été largement diffusé, et a recueilli en quelques jours 800 signatures de personnes enthousiastes et issues de tous les horizons : enseignants, psychologues, artistes, soignants, entrepreneurs, … et même des prêtres.Je pense que cela reflète l’envie d’une grande majorité des citoyens de maintenir une cohésion sociale et un débat public plus respectueux. Le texte est devenu une carte blanche qui, après avoir été refusée par Le Soir et La Libre, a été acceptée par Le Vif et publiée sur le site de l’hebdomadaire, où il est resté pendant plusieurs jours dans le top 5 des articles les plus lus. »

Cette publication a signé l’émergence, en octobre 2021, d’un collectif de citoyens, baptisé « Les citoyens contagieux » qui, loin des théories complotistes et autres fake news, se bat pour donner à entendre d’autres voix, d’autres dimensions que celles qui prévalent dans le discours dominant. Parmi elles, celles de #CovidRationnel, une équipe interdisciplinaire principalement composée de professeurs et chercheurs d’universités belges, qui publie un blog « visant à apporter des éclairages, réflexions, questionnements ou solutions transversales et complémentaires sur la crise de la Covid en Belgique » (1). Ainsi que celles de Barbara Stiegler, philosophe française spécialisée en éthique de la santé et spécialiste de l’idéologie néolibérale, personnalité qui inspire le collectif (2).
Christophe Haveaux était présent, à la tête de son collectif Citoyens contagieux, aux côtés de dizaines d’autres associations aux revendications fort diverses, à plusieurs des manifestations de protestation contre la gestion de la crise sanitaire. La proximité d’avec des groupuscules – entre autres – d’extrême droite ne le réjouissait pas. « Mais ce n’était pas une raison, dit-il, pour renoncer à manifester. »

« Aujourd’hui, avec le recul, je choisirais de façon plus sélective les manifestations auxquelles j’inviterais à participer au nom du Collectif : je serais plus attentif quant à l’identité des organisateurs et ne participerais pas à une manif organisée en sous-main par des groupuscules d’extrême-droite. Cela étant dit, même dans les manifestations que je ne renierais pas, la présence de certains représentants de l’extrême droite était tangible. Manifester, contester certaines décisions du politique, est un droit fondamental de tout citoyen en démocratie. Renoncer à ce droit sous prétexte qu’il risque de profiter, aussi, à des gens peu recommandables, revient à leur abandonner ce droit. Se taire sous prétexte que d’autres, pour des motifs différents que je ne partage pas, protestent également, ce serait permettre à ces autres de confisquer le débat. Ce qui compte, c’est de développer un esprit critique et constructif afin de redonner un sens à la citoyenneté et à la démocratie, au nom d’une société juste et solidaire.»

(1) Auteure, notamment, du livre « De la démocratie en Pandémie » (Gallimard, coll. « Tracts », 2021). Et, avec François Alla, du livre « Santé publique année zéro », Gallimard, 2022, offrant une lecture critique des années Covid.

L’info en continu

Ce n’est pas comme si les sujets de fond avaient totalement disparu des colonnes des journaux et des écrans des médias « traditionnels » : pendant la deuxième phase, dès le mois d’avril 2020, des reportages et débats de qualité ont traité des conséquences de la pandémie et des mesures à prendre mais aussi, du respect des libertés fondamentales ou l’inquiétude du monde judiciaire concernant le risque antidémocratique des mesures d’urgence. » Certes. Mais ils étaient noyés dans un flux d’infos en continu lâché par les rédactions. « Evidemment que le traitement médiatique de cette crise doit être questionné et peut être critiqué, reconnaît le journaliste Arnaud Ruyssen (RTBF) dans un post Facebook du 7 février 2021 : l’emballement sur certains cas peu représentatifs (comme le cas de cet enfant de trois ans décédé l’été dernier) ; la litanie des chiffres sans toujours suffisamment de mise en perspective ; la recherche de ‘‘ titres vendeurs’’ ; l’utilisation abusive du terme ‘‘complotiste’’; … On doit tous s’interroger sur ça dans nos rédactions. » Relevons que tous les journalistes de la RTBF ne partagent pas la capacité de Ruyssen à la remise en question : « L’émission QR, animée par Sacha Daout, s’est caractérisée par un manque total de recul, une forme de mépris pour tous ceux qui osaient des critiques ou des questionnements : sa conduite d’émission s’inspire du ‘‘modèle CNews’’ (NDLR : chaîne privée de télé française d’info en continu, très ancrée à droite et cultivant la « culture du clash ») et a fait beaucoup de tort à la profession, regrette un de ses collègues. Pourtant, il travaille pour un service public : c’est inquiétant… » « Je pensais que les journalistes avaient changé de posture, qu’ils avaient compris que les citoyens ne supportaient plus les positionnements de ‘‘journalistes détenteurs de la vérité qu’ils enseignent au peuple’’, grince Ricardo Gutiérres, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes (FEJ). Mais force est de constater que certains éditorialistes de presse écrite et télé n’ont pas compris l’évolution de la société. »

Le cadrage par les chiffres

La légitimité de la parole officielle et du discours médiatique s’est, pendant longtemps, basée presque exclusivement sur la « scientificité » des chiffres. « Les rédactions, elles aussi désarçonnées par le caractère inédit d’une telle pandémie, ont sans doute cherché par là une assise, une légitimité d’emprunt », analyse Marc Sinnaeve, chargé de cours à l’école de journalisme de l’Institut des hautes études des communications sociales (Ihecs) (3). De plus, les journalistes aiment les chiffres : « Lorsqu’il offre un angle de perception ‘‘quantitatif’’, un événement sera plus facilement érigé en sujet d’actualité. » Le système médiatique dans son ensemble adhère à l’idée que « le réel qui importe est celui qui se mesure ou se laisse mesurer », insiste-t-il.

Cette logique dans la production de l’information, on la retrouve au carré ou au cube dans la couverture de la « mère de toutes les pandémies » : « La redondance, l’immédiateté, l’obsolescence accélérée des nouvelles, la multiplication des rendez-vous d’informations, la banalisation des éditions spéciales, la saturation des écrans et du ‘‘temps de cerveau disponible’’ ; mais aussi la vampirisation coronavirale de l’ensemble de l’espace éditorial, le monde hors covid cessant d’exister (ou peu s’en faut) ; la dépolitisation du traitement de l’actualité (…), étrange succession de moments d’insignifiance et d’hystérisation. »

Marc Sinnaeve (Ihecs) : « Lorsqu’il offre un angle ‘’quantitatif’’, un événement sera plus facilement érigé en sujet d’actualité. »
Marc Sinnaeve (Ihecs) : « Lorsqu’il offre un angle ‘’quantitatif’’, un événement sera plus facilement érigé en sujet d’actualité. »

La question d’Alexandre Penasse

Alexandre Penasse, rédacteur en chef du bimestriel Kairos, a, à sa manière, inauguré la deuxième phase du traitement médiatique de la crise sanitaire au cours de la conférence de presse du Comité de concertation (Codeco), le 15 avril 2020. Il s’est lancé dans une longue énumération du CV des experts désignés par le gouvernement pour gérer la pandémie, dénonçant leurs liens avec l’industrie pharmaceutique ou des institutions financières, et déplorant l’absence de débat parlementaire transparent sur le sujet. Un monologue théâtral, noyé dans un flot militant et accusateur, relevant davantage du one man show que de l’approche journalistique. Bref, irrecevable sur la forme. Le fond, par contre, aurait mérité une réponse autre que celle apportée par Sophie Wilmès, Première ministre de l’époque. Et une réaction autre, de la part de la presse « traditionnelle », que les moqueries des collègues mainstream à l’endroit de ce collègue « hors norme », et l’évacuation des questions qui dérangent sous couvert du fait que ce
la serait verser dans le complotisme.

« On est censés être des chiens de garde de la démocratie, mais c’est comme si le Covid nous avaitlimé les canines. » (Ricardo Gutiérrez)

« Je reproche aux journalistes de ne pas avoir posé les questions de Penasse, de manière professionnelle, c’est-à-dire sous une forme concise et expurgée de tout son charabia, s’irrite Gutiérrez. Le fond de ses questions méritaient des réponses. Normalement, le journalisme doit être un contre-pouvoir. Il doit demander des comptes, poser des questions qui dérangent aux détenteurs du pouvoir, y compris aux syndicats et aux partis de l’opposition. On est censés être des chiens de garde de la démocratie, mais c’est comme si le Covid nous avait limé les canines. »

Myopie ou mauvaise foi ?

A partir de décembre 2020, soit durant la troisième phrase de la crise sanitaire dont le début coïncide plus ou moins avec les premières manifestations populaires contre les mesures sanitaires, certaines des voix qui avaient été réduites au silence jusqu’alors retrouvent droit de cité. Mais celles-ci restent surtout cantonnées aux chroniques consenties aux « extérieurs », aux pages « Opinions » et autres cartes blanches. « Il a fallu attendre le reconfinement du secteur de la culture pour qu’un édito du Soir ose une critique vis-à-vis de la politique gouvernementale », observe Martine Simonis, secrétaire générale de l’Association des journalistes professionnels (AJP). De toute évidence, les éditorialistes sont davantage sensibles aux difficultés des directeurs de théâtre qu’à celles des tenanciers de bistrot ou de restaurant…

Les journalistes « maison » continuent, dans leur grande majorité, à relayer les voix officielles. Quitte à prendre certaines libertés avec la réalité lorsque celle-ci risquait de déforcer la doxa. C’est ainsi que certains journalistes n’ont vu que des fachos parmi les manifestants contre les mesures sanitaires (commencées au printemps 2021), alors que des observateurs plus objectifs ont noté la présence (évidente), aux côtés des manifestants, de plusieurs dizaines de collectifs plus ou moins structurés, idéologiquement très variés, avec des objectifs distincts, bref, un mouvement hétéroclite.« Les mouvements de protestation ont rassemblé toute une frange de citoyens, observe Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il dirige le centre de psychologie sociale et interculturelle : des écolos sincères, des mordus de remèdes New Age, des antivax, des ‘‘simples’’ citoyens, des militants dénonçant les intérêts des firmes pharmaceutiques, d’autres dénonçant les dégâts d’une politique néolibérale sur le système hospitalier, certains érigeant les libertés individuelles en valeur suprême, etc. On assiste à un rapprochement entre des forces très diverses et parfois opposées, qui désignent un ennemi commun. »

Les journalistes ont des excuses

Bien sûr, les journalistes ont des excuses, davantage en tout cas que les responsables éditoriaux qui eux au moins, auraient dû avoir le réflexe du recul et de l’analyse. « Les rédactions sont de moins en moins armées, les conditions de travail des journalistes rendent le respect des standards de qualité de plus en plus difficiles. On doit produire de plus en plus avec de moins en moins d’effectifs. Les jeunes (souvent freelances) sont polyvalents et sous-payés, les chefs et les vieux ne sont pas remplacés, ce qui engendre une perte d’expertise. » « Les journalistes ne se voyaient plus, se parlaient très peu. Il y a donc eu un déficit d’intelligence collective, et peu de place pour la remise en question », complète Martine Simonis (AJP).

La dégradation des conditions de travail des journalistes, à l’oeuvre depuis plus de vingt ans, rend presque impossible un traitement de qualité de l’information en temps « normal » ; que dire alors par temps de pandémie…

La dégradation des conditions de travail des journalistes, à l’oeuvre depuis plus de vingt ans, rend presque impossible un traitement de qualité de l’information en temps « normal » ; que dire alors par temps de pandémie… Cette évolution a un effet délétère sur la confiance dans laquelle les citoyens tiennent la presse « traditionnelle ». « Le problème de l’information d’actualité traditionnelle est qu’elle donne le sentiment de vouloir dissimuler certains facteurs d’explication lorsqu’elle s’interdit de poser les ‘‘vraies questions’’ ou lorsqu’elle décrète qu’il existe des questions qu’on ne doit pas poser publiquement, dénonce Marc Sinnaeve (Ihecs). Comment s’étonner dès lors que ceux qui ont un problème avec la pensée dominante dénient à ces médias la capacité de les informer correctement, et se tournent vers d’autres sources ? »

(1) Le Comité de concertation (Codeco) est un organe réunissant des ministres fédéraux, régionaux et communautaires. Il est notamment actif pour décider des mesures sanitaires à prendre durant la pandémie de Covid-19, en complément du Conseil national de sécurité.

(2) « Ceci n’est pas un complot : et si les médias s’essayaient à un exercice d’autocritique ? », Jean-François Raskin, carte blanche parue dans La Libre le 13 février 2022.

(3) « Covid-19 : un virus de droite ou de gauche ? », Marc Sinnaeve, Agir par la culture n°63, hiver 2020-2021.

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