dossier organismes de payement

« C’est un métier de contact »

Comment le personnel des centres de services de la CSC Bruxelles vit-il la fermeture prolongée de ceux-ci au public ? Antoine Bertulot, délégué CNE, nous fait part de son point de vue.

L’affiche justifiant la fermeture des guichets par le Coronavirus était toujours sur la porte lors de la manifestation du 15 septembre...
L’affiche justifiant la fermeture des guichets par le Coronavirus était toujours sur la porte lors de la manifestation du 15 septembre...

Lors de la manifestation du 15 septembre, la situation difficile des travailleurs des centres de services a été abordée afin de préciser que la colère n’était pas tournée vers eux. (Lire ici). Dans son appel, Travail social en lutte avait aussi voulu souligner que les manifestants n’étaient pas là « contre les travailleuses et travailleurs des services chômage qui connaissaient déjà des conditions de travail difficiles avant la crise, mais pour leur dire que ce n’est pas en fermant la porte de leurs centres aux chômeurs que leurs conditions de travail vont s’améliorer. » Mais comment les travailleurs en question vivent-ils cette situation ? Pour le savoir, nous avons rencontré Antoine Bertulot. Il travaille depuis 2017 dans un centre de services bruxellois de la CSC et y est délégué syndical CNE depuis les dernières élections sociales de 2020. Il pointe notamment l’insuffisance structurelle de l’effectif en personnel par rapport à la mission à effectuer, en particulier en région bruxelloise. Il est vrai que, selon le dernier rapport administratif publié par la CSC, son personnel travaillant pour réaliser sa mission de paiement des chômeurs est passé, entre 2015 et 2020, de 986 équivalents temps plein (ETP) à 753 ETP pour un nombre de dossiers à traiter quasi identique (4.260.413 en 2015 et 4.232.912 en 2020), ce qui représente une diminution du personnel de plus de 23% (1). (Lire le graphique).

Ensemble ! : Délégué syndical dans un syndicat, c’est assez insolite !

Antoine Bertulot : Oui ça surprend souvent quand je dis ce que je fais. Pourtant, un syndicat est une entreprise qui a évidemment ses employés, ses cadres, sa hiérarchie, et qui dispose donc de tous les organes de concertation qu’on retrouve dans une entreprise. Mais c’est vrai que c’est un peu singulier. Il y a deux délégations syndicales à la CSC Bruxelles, une délégation CNE, qui est la centrale francophone des employés de la CSC et une délégation PULS qui est son homologue néerlandophone. Ces délégations couvrent l’ensemble des travailleurs des fédérations de Bruxelles et du Brabant flamand, réunies au sein d’une Alliance (Lire ici), et comprennent quelques travailleurs des organismes de paiement, dont moi.

Il n’y a aucune volonté des travailleurs d’aller dans le sens d’une dématérialisation de nos services

Et qui est votre interlocuteur patronal ?

Une équipe de gestion collégiale et solidaire, de sept personnes, comprenant la toute nouvelle présidente Nancy Tas (depuis le 1er octobre 2022), les deux Secrétaires fédéraux Philippe Vansnick (coordinateur du Mouvement interprofessionnel) et son homologue néerlandophone, et les différents responsables des ressources humaines, du service juridique, du service chômage et du service financier.

Par deux fois, un rassemblement s’est tenu devant un centre de services de la CSC Bruxelles pour exiger la réouverture des guichets. Comment avez-vous, ainsi que que vos collègues, vécu ces actions ?

Le point de vue du personnel est clair : notre vocation première est d’aider les gens. Notre métier est un métier de contact. Nous ne demandons qu’une chose, c’est de voir les gens. Et nullement de nous décharger de nos tâches sur les travailleurs sociaux des associations. Nous avons apprécié d’ailleurs les messages de solidarité exprimés envers nous lors de la manif du 15 septembre. Il n’est pas question de nous opposer, au contraire soyons solidaires ! En outre, concrètement, vu le public avec lequel nous travaillons, il est souvent plus facile pour nous de constituer un dossier avec la personne devant nous. Il n’y a aucune volonté des travailleurs d’aller dans le sens d’une dématérialisation de nos services, même si, surtout pour les personnes pour lesquelles il n’y a pas de changement de situation, le digital peut parfois être pratique. Mais il y a une erreur de diagnostic ou un diagnostic incomplet si l’on pointe seulement le problème de la fermeture, même si c’est ce qui est le plus visible. Le véritable problème, c’est le manque de personnel. Avec la crise Covid, il y a eu un tel arriéré à résorber que rouvrir trop tôt aurait été impossible. Nous aurions eu des files interminables sans pouvoir nous occuper correctement des affiliés. Le personnel et la délégation étaient d’accord que, pour rouvrir, il fallait d’abord résorber l’arriéré.

C’est l’explosion des demandes de chômage temporaire qui vous a submergés ?

Être confronté à un tel afflux a bien sûr été difficile à gérer. Mais la diminution du personnel date d’avant la période deu Corona. (Lire le graphique). Et donc le problème n’est pas que conjoncturel. La diminution du nombre de chômeurs avant la crise, du fait certes d’une certaine embellie économique mais aussi des mesures de limitation des allocations d’insertion et autres mesures d’exclusion, ainsi que du transfert de chômeurs vers l’INAMI, a réduit les moyens et le personnel (mais pas nécessairement la charge de travail) des centres de services durant les cinq années qui ont précédé le Corona. C’est dû au système de financement. (Lire). Dès lors, des collègues, souvent les plus expérimentés, ont changé de poste. Certains ont quitté la CSC mais beaucoup, heureusement, y sont restés, notamment en allant travailler dans des centrales où leur connaissance pointue des matières chômage est évidemment très utile, notamment pour le chômage temporaire. C’est un renfort précieux pour les centrales, mais ça fragilise lenos équipes. Nous devons aussi composer comme partout avec des maladies de longue durée. Tout cela réuni a fait baisser les effectifs réels de certains centres, avant la crise Covid, de moitié. Nous avons eu aussi des malades du Covid, évidemment.

La diminution du personnel date d’avant la période du Corona. Elle a été constante depuis 2015, à part une pause en 2018, qui suivait la plus grosse baisse en 2017 (-11%). Entre 2014 et 2020, le nombre d’ETP a chuté de 27 %.
La diminution du personnel date d’avant la période du Corona. Elle a été constante depuis 2015, à part une pause en 2018, qui suivait la plus grosse baisse en 2017 (-11%). Entre 2014 et 2020, le nombre d’ETP a chuté de 27 %.

Mais, avec la crise Covid, les recrutements ont repris !

Bien sûr mais, en temps normal déjà, vu la complexité de la réglementation chômage et l’aspect très technique du métier, il faut un à deux ans pour être pleinement opérationnel. Il y a une formation théorique et un apprentissage sur le terrain. Il va de soi que les nouveaux collègues engagés pendant le Corona n’ont évidemment pas eu une formation dans des conditions optimales.

La CSC a plutôt bien encaissé la crise Covid…

Oui nous avions un système digital qui a assez bien fonctionné, les affiliés pouvaient assez facilement introduire leur demande en ligne. Et l’ONEm avait mis en place une procédure simplifiée. Mais, après avoir accepté les dossiers rapidement, l’ONEm procédait à des vérifications supplémentaires et il y a eu pas mal de rejets suite à cela. Et ça a généré une masse de travail supplémentaire considérable. En outre, quand un dossier est « traité électroniquement », on pense parfois que c’est magique, que tout se passe tout seul. Eh bien non, un dossier introduit électroniquement doit quand même être traité par un humain, tout ne se fait pas automatiquement.

Il reste quand même compliqué de comprendre pourquoi les autres organismes de paiement ont réussi à rouvrir leurs portes et en fait la CSC aussi, sauf à Bruxelles…

Il y a eu des réactions trop tardives de la hiérarchiel’ancienne équipe de direction qui n’a pas réalisé tout de suite l’ampleur du problème. Il y a eu des centres noyés de courrier à traiter et une ou deux personnes seulement pour s’en occuper. Cela n’aurait pas eu de sens d’ouvrir, de recevoir tant bien que mal les gens pour ne pas pouvoir leur répondre car leur dossier était dans la pile qui n’aurait pase baissé descendait pas puisque, pendant qu’on les recevait, on ne se seraits’ pas occupait pasé de la pile… Il y a aussi le profil des demandeurs d’emploi bruxellois qui est fort différent de celui des autres régions du pays. Et notamment du Brabant flamand avec qui la CSC Bruxelles a donc mené un processus de fusion. Il y a eu des incompréhensions, des situations qui n’ont pas directement été correctement appréhendées. Un dossier type de chômage à Saint-Josse demande beaucoup plus de travail qu’un dossier type à Leuven…

Avez-vous senti une volonté d’abandonner l’activité de services aux affiliés ?

Je n’ai jamais entendu dire ça cash en réunion. Il y a eu des méthodes de réorganisation qui ont pu faire qu’on se demande s’il n’y avait pas une volonté dans ce sens. Je ne pense en tout cas pas que la direction actuelle ait de telles velléités. La CSC est bien consciente qu’elle fonctionne sur deux jambes : l’action commune, le collectif d’une part et, d’autre part, les services aux affiliés et leur défense individuelle. On peut regretter que les deux soient autant dissociées. Il est important de remettre de l’action syndicale dans les centres de services.

Certains centres rouvrent petit à petit…

Oui et la nouvelle philosophie ne s’appliquera pas en un jour. Dans un premier temps, on aidera les gens qui viennent pour des choses simples : donner une carte de contrôle, imprimer une attestation, etc. Cela correspond à beaucoup de demandes des personnes victimes de la fracture numérique. Mais pour faire plus, il faudra du personnel en renfort !

Quelles solutions voyez-vous ?

La nouvelle présidente, Nancy Tas, me semble avoir la volonté de trouver des solutions, tant pour les travailleurs que pour les affiliés. Elle semble consciente du manque de personnel et du manque de personnel qualifié et formé. Il me semble, même si ce n’est pas facile, qu’à court terme il faudrait pouvoir faire appel au renfort d’anciens collègues qui sont partis comme je l’ai dit dans des centrales. Certains nous ont déjà dit qu’ils étaient prêts à le faire. Cela permettrait d’insuffler, outre de la force de travail supplémentaire, de l’expérience et de l’expertise qui seraient bien utiles aux nouveaux. Ce n’est pas facile à mettre en place vu qu’on a besoin d’eux dans leur poste actuel et que l’employeur n’est pas formellement le même. Mais, à court terme, cela me semble indispensable. Pour le mettre en œuvre sous forme de mobilité choisie, il faudrait cependant que la nouvelle direction améliore profondément les conditions de travail, actuellement très dégradées, des travailleurs et des travailleuses des services et revalorise leur fonction. Le travail est complexe, difficile et les conditions de rémunération sont moins bonnes que pour le personnel des centrales professionnelles. Sans amélioration sur ce plan, le personnel formé continuera de quitter le service chômage.

Il faut se saisir de la réorganisation pour faire mieux

Sur le plan de l’organisation, nous ne sommes pas fermés à des évolutions créatives. Nous pouvons envisager des fusions de centres tout en gardant des antennes décentralisées. Et de nouvelles façons d’être proches du public : on parle de permanences à la mutuelle chrétienne ou d’autres mouvements proches de la CSC, d’un bus qui irait dans des quartiers défavorisés, etc. Notre credo restant : être proches des gens, accessibles et surtout offrir un service de qualité. En outre, il ne faut pas faire comme si tout était parfait quand les guichets étaient ouverts. Il faut se saisir de la réorganisation pour faire mieux ! Entre le tout à la digitalisation et le fonctionnement old school, il y a un entre-deux possible avec un service joignable (avec les différents modes de contact : physique, téléphone, Internet…) et efficace.

(1) CSC Rapport administratif 2020, p. 9.

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