dossier organisme de payement

« Nous avons reconnu les difficultés »

La CSC-ACV Bruxelles a été la seule à ne pas rouvrir ses portes aux chômeurs après les confinements liés au Covid. Ce qui a eu des conséquences catastrophiques. Pourquoi ? Nous l’avons demandé à leurs responsables, Nancy Tas et Philippe Vansnick.

Philippe Vansnick : « Constituer des maisons syndicales avec un point d’info et de l’activité syndicale ».
Philippe Vansnick : « Constituer des maisons syndicales avec un point d’info et de l’activité syndicale ».

Le 28 avril 2021, les médiateurs fédéraux, régulièrement interpellés par les citoyens.ne.s par rapport aux dysfonctionnements des services publics, dont les organismes de paiement du chômage, rappelaient leurs « points d’attention » vis-à-vis de ces services à l’occasion de la présentation de leur rapport 2021 : « La crise sanitaire a renforcé certains problèmes que nous avions déjà pointés et nous rappelons nos recommandations : – des services accessibles et humains : veiller à maintenir des services publics accessibles par différents canaux et qui permettent le contact individuel et humain ; – inclusion digitale : tenir compte des difficultés rencontrées par les personnes qui n’ont pas les compétences numériques nécessaires ; – de l’attention pour les groupes vulnérables : prévoir un accompagnement pour les personnes plus vulnérables qui éprouvent, quelle qu’en soit la raison, des difficultés dans leurs démarches administratives ; – droits humains : faire des droits fondamentaux de chaque citoyen une réalité quotidienne » (1). Ces recommandations semblent ne pas avoir été entendues par de nombreux services publics (organiques ou fonctionnels), dont notamment la CSC-ACV Bruxelles, dont les organismes de paiement sont restés fermés et largement inaccessibles aux chômeur.euse.s bien après la fin des mesures de confinement et commencent à peine, au moment d’écrire cet article, à entrouvrir leurs portes. Le maintien de cette fermeture (singulière alors que les centres de services de la CSC rouvraient leurs portes partout ailleurs, comme à la FGTB) a donné lieu à des situations catastrophiques et à des pertes de droit pour certains affiliés (Lire), ainsi qu’à des rassemblements de chômeur.euse.s et de travailleur.euse.s sociaux devant les locaux de la CSC Bruxelles pour demander la réouverture des services (Lire). Nous avons demandé aux responsables actuels de l’organisation de cet organisme de paiement, Nancy Tas, la présidente de « Alliance Bruxelles – Brabant flamand » et Philippe Vansnick, Secrétaire fédéral de la CSC-ACV Bruxelles, leur point de vue sur cette situation.

Ceux-ci concèdent qu’il y a eu des débats à la CSC sur la poursuite de la mission d’organisme de paiement, suite à son sous-financement par l’État fédéral, mais indiquent que « en 2019, la CSC s’est clairement prononcée pour le maintien de la mission et y a consacré de gros investissements ». Par ailleurs, ils reconnaissent qu’il y a eu « des difficultés » et « sans doute » des « erreurs d’évaluation ». Pour l’avenir, ils présentent leur nouveau schéma d’organisation, comprenant la réouverture de « points d’information » et promettent un retour à un fonctionnement pleinement satisfaisant du service d’ici au mois de mars 2023. A suivre…

Trois structures ont été réunies pour former l’Alliance Bruxelles - Brabant flamand.
Trois structures ont été réunies pour former l’Alliance Bruxelles - Brabant flamand.

Ensemble ! : Pouvez-nous nous expliquer les rétroactes des difficultés actuelles des centres de services ?

Philippe Vansnick : Un petit historique s’impose en effet. En 2019, la CSC, confrontée notamment à des problèmes budgétaires, a pris comme option de réaliser des économies d’échelle qui ont pris des contours différents selon les régions. En Flandre, qui est la région comptant le plus de cotisants, cela s’est traduit principalement par des fusions des fédérations locales en fédérations provinciales. En Wallonie, il a été décidé de constituer pour le service chômage un seul organisme de paiement (OP) wallon. Le cas de Bruxelles, comme toujours, est à part. Les fédérations Bruxelles-Hal-Vilvorde et Leuven ont décidé d’engager un processus de fusion transformation. Ce qui a donné naissance à deux nouvelles fédérations. D’abord le Mouvement, c’est-à-dire tout ce qui est action syndicale : envers les jeunes, les sans-papiers, les sans-emploi, le soutien à l’action syndicales dans les entreprises et secteurs etc. Il y a, pour d’évidentes questions linguistiques de compétences régionales, un Mouvement pour Bruxelles, dont en tant que Secrétaire fédéral je suis le responsable et un pour le Brabant flamand, dont le Secrétaire fédéral de Leuven est le responsable. A ces deux fédérations s’ajoute une troisième organisation unique pour Bruxelles et le Brabant flamand afin de mettre en commun les moyens pour les services aux affiliés et au personnel. C’est Nancy Tas qui la dirige même si les deux Secrétaires fédéraux en sont aussi responsables politiquement. Ces trois structures sont réunies en ce que nous avons appelé l’Alliance Bruxelles – Brabant flamand. C’est peut-être un peu obscur pour le grand public, mais c’est important de comprendre que cette réorganisation a démarré un an avant la pandémie, à laquelle personne ne s’attendait, et qui a surgi alors que le processus n’en était qu’à ses débuts…

« En 2019, la CSC a pris comme option de réaliser des économies d’échelle »

Nancy Tas : Et donc je suis, depuis début octobre, la nouvelle responsable des services aux membres et au personnel de cette Alliance. Je suis donc en train de faire un état des lieux de la situation.

La CSC a plutôt bien géré la crise Covid. Au contraire de la CAPAC par exemple. La CSC a réussi mieux que les autres à traiter les dossiers pendant le confinement.

N.T. : Je suis contente que vous le souligniez. Cela dit, il ne faut pas croire que cela a été facile. Du jour au lendemain, il a fallu changer toute notre méthode de travail. Nous avions l’habitude de recevoir les gens, de leur parler directement et soudain il a fallu faire le même travail… depuis sa maison. Nous avons beaucoup investi dans ce télétravail pour qu’il se passe le mieux possible. Je pense que nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli. Les centres de services des dix-neuf communes de Bruxelles et du Brabant flamand connaissent des situations très variables. Leur mission est de recevoir les demandes d’allocations de chômage, qu’il soit temporaire (suspension du contrat par l’employeur), complet (après un licenciement ou des études) ou à temps partiel (allocation de garantie de revenus). Il s’agit donc de réunir les documents nécessaires et d’introduire un dossier complet à l’ONEm, ce qui n’est pas toujours facile étant donné que beaucoup de personnes ont des parcours de plus en plus précaires. Les dossiers sont de plus en plus complexes. Dès lors nous souhaitons mettre en place des équipes plus larges (pour compenser les absences par exemple) et plus polyvalentes (vu la variété des tâches), spécialistes du traitement des dossiers de chômage, qui vont principalement travailler en back office (donc sans contact avec le public), afin de travailler efficacement, sans déconcentration. D’autre part, nous voulons développer des points d’info, des endroits ouverts sans rendez-vous, donc un service en front office (en contact avec le public). Ces points d’info, qui vont donc remplacer les centres de services, ouvrent progressivement : Bruxelles Ville (tous les matins) et Jette (lundi, mardi et jeudi matin) en octobre, Schaerbeek (deux matins par semaine) en novembre, Forest ou Ixelles en décembre. Dans un premier temps, cela permettra d’ouvrir avec des travailleurs qui vont certains jours dans une commune et d’autres jours dans d’autres.

P.V. : Les centres de services étaient précédemment la principale porte d’entrée aux services de la CSC. Avant le Covid, nous avions voulu simplifier les contacts à distance en organisant un contact center et donc en donnant un seul numéro de téléphone à nos affiliés. La crise Covid a fait exploser ce central téléphonique évidemment. Il faut aussi rappeler que le service chômage a toujours été une gageure : il y a énormément de cas où le dossier est compliqué à constituer, où les employeurs remplissent mal les documents alors que de son côté l’ONEm a toujours été est devenu très tatillon. Mais il est clair que le confinement a compliqué les choses. Je voudrais quand même insister sur le fait que nous n’avons jamais abandonné le terrain, même au plus fort de la pandémie. Prenons juste notre travail avec les sans-papiers, ou les travailleurs sans emploi, il ne s’est pas arrêté pendant cette période. En revanche, même quand il n’était plus obligatoire de travailler à guichets fermés, la masse de travail en matière de chômage était telle qu’il aurait été impossible de rouvrir. Au pire de la crise, nous arrivions encore à payer la plupart des allocations (90 %) à quatre jours. Si on avait rouvert, cela aurait été impossible. Ouvrir les guichets était perçu par certains responsables comme trop mangeur de temps.

Le 1er octobre, Chris Vanmol a passé le flambeau de la présidence de l’Alliance à Nancy Tas.
Le 1er octobre, Chris Vanmol a passé le flambeau de la présidence de l’Alliance à Nancy Tas.

N.T. : En fait, plutôt que de parler d’ouverture ou de fermeture, nous préférons dire qu’il faut travailler l’accessibilité, afin de l’améliorer. Nous sommes parfaitement conscients qu’on ne peut pas tout faire par le digital, qu’une grande partie de notre public a des difficultés avec ce mode de communication. Dans les points info, nos affiliés pourront venir sans rendez-vous, déposer des documents, recevoir une attestation, poser des questions…

Après le Covid, les services chômage ont rouvert leurs portes aux affilé.e.s partout (à la FGTB, à la CSC-ACV en Flandre et en Wallonie, etc.), pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas à la CSC Bruxelles ? Il y a eu deux rassemblements devant la CSC Bruxelles pour exiger la réouverture de ces centres de services, le 8 février et le 15 septembre 2022. Pourquoi rien ne s’est-il passé après l’action de février, alors que des engagements avaient été pris ?

P.V. : J’ai eu l’occasion de m’exprimer plusieurs fois dans la presse à ce propos. Nous avons reconnu les difficultés. Et, en effet, il y a environ 5 % de personnes que l’on n’a pas réussi à aider. Ce qui veut dire qu’on a aidé les 95 % autres. Mais c’est sûr que même si ça avait été une seule, cela aurait déjà été une de trop. Bien sûr que la fermeture a été un problème pour nos membres. Nous avons reçu les représentants de Travail social en lutte ou de Chômeurs en colère (Lire) et nous avons relayé leurs revendications. Cela peut sembler un peu étrange d’expliquer cela comme ça, mais nous avons dû effectivement faire passer les messages en interne et je dirais même que ces actions nous ont aidés à le faire ! Lors de l’entrevue de février, nous avions dit que nous voulions rouvrir mais nous devons avouer que nous n’avons pas alors trouvé la formule pour le faire. Car fonctionner comme avant n’était clairement pas possible. Une partie du personnel était réticente vu la charge de travail et aussi parce que certains, dans les nouveaux engagés, n’ont connu que le distanciel. Encoder tout un dossier en présentiel, ce n’est plus possible et ce n’est pas efficace. L’idée en accueillant à nouveau les gens aux points d’info mais sans encoder leur dossier directement, c’est de pouvoir faire du volume et donc d’éviter les longues files et/ou les longs passages en salle d’attente. Le Mouvement sera aussi présent dans ces points d’info pour aider et orienter les personnes et pour aussi faire du militantisme évidemment.

« Environ 5 % de personnes que l’on n’a pas réussi à aider »

N.T. : Il est clair que la situation spécifique des chômeurs bruxellois a peut-être été mal évaluée. Il y a certainement à Bruxelles plus de sans-emploi qui ont besoin d’un contact direct. En outre, il y a beaucoup plus de temps partiels, d’allers-retours entre emploi et chômage dans les grandes villes, dont Bruxelles. Le manque de maîtrise des langues nationales ne facilite pas les choses non plus. Et puis, il y a le volume. Bruxelles est vraiment à part.

La fermeture prolongée des centres de services de la CSC Bruxelles est-elle liée à une diminution des moyens humains et financiers qui leur sont affectés ? Si oui, est-ce dû à l’organisation interne, aux moyens octroyés par l’ONEm, aux deux ?

P.V. : Le sous-financement est important, d’autant qu’il y a beaucoup moins de cas simples depuis quelques années. Il n’y a plus les prépensionnés, les jeunes qui devaient juste s’inscrire en stage d’attente, etc. Il faut réaliser pour que pour les dossiers de temps partiels ou les contrats courts, dont a parlé Nancy, de même que pour les dossiers artistes, l’indemnisation que reçoit l’OP est tout simplement dérisoire. Le fait qu’il y ait beaucoup moins de cas simples ne permet plus d’avoir le « confort » qu’on pouvait avoir précédemment où les dossiers faciles et compliqués s’équilibraient.

N.T. : Cela fait des années que l’ensemble des organisations syndicales demandent plus de moyens, non pour gagner de l’argent mais juste pour pouvoir faire face à la complexification des dossiers. Rappelons que la CAPAC reçoit le double de ce qu’obtiennent les syndicats…

La poursuite de cette mission a-t-elle été remise en cause, vu ces difficultés financières ?

P.V. : Il y a eu des débats, c’est clair. Maintenir une activité déficitaire, au bout d’un moment, ça devient impossible pour n’importe quelle entreprise. Mais, en 2019, la CSC s’est clairement prononcée pour le maintien de la mission et y a consacré de gros investissements.

« Maintenir une activité déficitaire, au bout d’un moment, ça devient impossible »

Le nombre de personnel affecté aux centres de services reviendra-t-il à ce qu’il était avant la crise et permettait un accueil physique de tous ?

N.T. : Il y aura moins de gens visibles dans les points d’info dans les centres de services parce que nous organisons le travail différemment mais nous n’avons pas réduit le nombre pas moins de travailleurs globalement. Certaines actions, comme l’enregistrement de dossiers de plaintes pour les centrales, vont se faire désormais se font au siège rue Pletinckx. Le contact center permet aux prestataires de services de ne plus devoir répondre au téléphone.
Pour les points d’information, nous avons déjà recruté six nouveaux travailleurs et quatre autres vont encore l’être. Ce seront des personnes qui assureront le premier contact et qui ne devront donc pas être formées aussi longtemps que les agents des anciens centres de services. Ils seront opérationnels en trois mois. En effet, ils ne devront pas traiter les dossiers complètement mais ils vont donner les explications de base nécessaires : qu’il faut s’inscrire chez Actiris, quel va être le parcours de leur dossier, etc. Il y aura aussi des travailleurs du mouvement qui seront là pour garder le contact, sensibiliser les affiliés. Et il y aura la possibilité de prendre rendez-vous via le site web ou par téléphone.

P.V. : L’idée est de constituer des maisons syndicales avec un point d’info et de l’activité syndicale. Plusieurs centrales sont intéressées de développer des contacts dans ces lieux.

Quelle est la communication par rapport aux membres ?

N.T. : Un premier courrier a été envoyé pour annoncer la réouverture de Bruxelles et Jette. Les infos seront communiquées au fur et à mesure. Le contact center appelle aussi des affiliés pour leur proposer un rendez-vous quand un souci est constaté. Tout est lié. Plus nous ouvrirons, moins nous aurons d’appels et de mails. Lorsque les personnes n’ont pas de contact direct, elles envoient plusieurs mails et appellent à plusieurs reprises. Et ça participe à la surcharge…

Pour quand avez-vous l’ambition d’arriver à assurer un fonctionnement satisfaisant de vos services ?

N.T. : Il reste du retard à résorber. Il reste du courrier et des mails à traiter. Des nouveaux travailleurs à intégrer. Nous comptons avoir rattrapé tout ce retard et fonctionner à plein régime vers fin mars 2023.

P.V. : Et en tout cas, dès maintenant, nous voulons garantir que plus aucun affilié ne soit laissé dans la nature !

(1) Jérôme Aass et David Baele, Médiateurs fédéraux, « Rapport annuel 2020 : record de plaintes sur les allocations de chômage », 28/04/2021, https://www.federaalombudsman.be/fr/actu-rapport-annuel-2020 disponible en ligne.

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