Régionalisations : stop, encore ?

« Défendre l’unité de la Belgique »

David Pestieau, vice-président du PTB, vient de publier un Manifeste pour l’unité de la Belgique. Avec pour ambition d’éviter que les élections de 2024 se transforment en point de basculement vers le séparatisme.

David Pestieau, We are one – Manifeste pour l’Unité de la Belgique, 2021.
David Pestieau (PTB) : « Nous ne voulons pas d’un scénario similaire à celui qui a été appliqué en Tchécoslovaquie » Photo : Julien Ribaudo – Solidaire

« We are one », dans les deux langues. A travers la campagne qu’il lance et le livre du même nom que publie son vice-Président (1), le PTB entend se positionner, dans la perspective des élections de 2024, comme l’adversaire le plus offensif du « bloc séparatiste » flamand formé par la N-VA et le Vlaams Belang. Si pas même comme meilleur défenseur d’une Belgique plus unie. Du rouge au tricolore ? Le nouveau livre rouge du PTB est un « Manifeste pour l’unité de la Belgique » qui fait siennes les couleurs du drapeau belge. Un positionnement qui peut paraître étonnant pour un parti qui se revendique « de gauche authentique » et « marxiste ». Raoul Hedebouw, le nouveau président du PTB ramasse : « La scission de notre pays est antisociale, coûteuse, absurde et brutale. Plus d’unité est social, bon marché, efficace et humain ». Mais encore ?

Du rouge au tricolore ? Photo : Julien Volckaerts - Solidaire
Du rouge au tricolore ? Photo : Julien Volckaerts - Solidaire

Pour en savoir plus, nous avons rencontré l’auteur de ce Manifeste, David Pestieau, qui nous a expliqué l’analyse de la situation politique sur laquelle se fonde cette prise de position. Il pointe le risque d’un « saut qualitatif » dans une nouvelle réforme de l’État qui, après 2024, conduirait à la dislocation de la Sécurité sociale et du pays, voire à court ou moyen terme à l’accession au pouvoir de l’extrême droite en Flandre. Inéluctable ? Non, selon lui, si la population s’empare du débat et fait entendre sa voix. Non, si une vaste campagne est ouverte pour l’unité de la Belgique et contre le projet de scission de la N-VA et du VB. Une démarche offensive qui, selon lui, contraste avec celle de la direction actuelle du Parti socialiste, accusée d’acclimater du côté francophone l’idée des bienfaits de la « territorialisation des politiques », de sombrer dans le régionalisme et de positionner le PS comme le partenaire de la N-VA pour réaliser son projet de « scission ordonnée » du pays.

Ce positionnement unitariste assumé attire au PTB de nouvelles sympathies, mais aussi de nouvelles critiques. Comme celles du Secrétaire général de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini, qui s’est dit « heurté » par « les déclarations anti-régionalistes faites par le PTB à travers son manifeste We are one » et a déclaré y voir une « attaque » politique contre le « courant régionaliste de la FGTB », estimant quant à lui que « le régionalisme colle à des réalités de terrain dans un cadre de solidarité fédérale » (2). Des propos mal compris et un malheureux malentendu, selon David Pestieau…

Ensemble ! : Vous écrivez que 2024 pourrait être « un point de basculement pour le pays ». Pourquoi ?

David Pestieau (PTB) : Le bloc séparatiste du Vlaams Belang et de la N-VA proclame aujourd’hui ouvertement qu’il a l’intention de faire de 2024 un point de rupture pour le pays. Le Vlaams Belang met en avant l’idée d’une déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre par le parlement flamand, suivie d’une négociation de la séparation. La N-VA propose quant à elle une « séparation ordonnée », selon les termes de Bart De Wever, aussi nommée « confédéralisme » . Ce qui signifie en fait une séparation par étapes, où l’État fédéral serait préservé en tant que vitrine extérieure, reconnue au niveau de l’Union européenne, qui enroberait une scission de fait du pays en états distincts. Le premier scénario, celui du VB, est désormais utilisé par la N-VA pour justifier le second, dans le registre : « Il faudra négocier avec nous une séparation ordonnée, sinon ce sera la voie des troubles civils avec les nationalistes radicaux », « Nous ne sommes pas révolutionnaires et il vaut mieux discuter avec nous qu’avec M. Van Grieken, le leader du VB », etc. M. De Wever a mis beaucoup de confiance dans ce scénario depuis que, à l’été 2020, il a mené des négociations approfondies avec le PS en vue de former un gouvernement fédéral.

« On ne se situerait plus dans l’horizon d’une VIIe réforme mais d’un saut qualitatif pour l’organisation de l’État »

Ça a échoué en 2020, mais ces négociations préfigurent ce qui serait possible en 2024. En ce sens, on ne se situerait plus dans l’horizon d’une VIIe réforme mais d’un saut qualitatif pour l’organisation de l’État, remettant en cause les solidarités les plus essentielles : la Sécurité sociale, l’organisation de la santé, celle du marché du travail, de la justice, de la police, des pompiers, de la protection civile, etc. Tout cela faisait partie du projet d’accord entre la N-VA et le PS de 2020, prétendument en contrepartie du maintien du caractère fédéral et du refinancement de la Sécurité sociale… M. De Wever a toutefois bien expliqué, après coup, que si on sépare l’organisation de la santé et du marché du travail, même si le financement est maintenu au niveau fédéral dans un premier temps, ça ne peut être que provisoire et qu’il faut à terme que la scission du financement suive celle de l’organisation. Il prend lui-même l’exemple de l’organisation de l’Enseignement, où on a commencé, dans les années 1980, par nommer au sein du gouvernement fédéral deux ministres pour exercer la compétence, un néerlandophone et un francophone, pour finalement procéder à sa scission totale en 1989.

« La N-VA ne s’en cache pas : négocier avec elle, ce sera négocier la scission de la Sécurité sociale .»

La N-VA ne s’en cache pas : négocier avec elle, ce sera négocier la scission de la Sécurité sociale, si pas de la Belgique. Elle est pleinement soutenue sur ce plan par l’organisation patronale flamande, le VOKA. Aura-t-elle la majorité et les conditions pour y arriver en 2024 ? C’est l’un des enjeux majeurs de la période qui nous sépare des prochaines élections. Pour l’empêcher, il faut identifier le problème et se mobiliser, c’est ce qui motive la sortie de ce livre et la campagne « We are One » pour l’unité de la Belgique que lance le PTB. Nous ne voulons pas nous positionner seulement contre les projets séparatistes, nous voulons également porter un projet alternatif de réforme institutionnelle qui promeuve, au contraire, plus d’unité au sein du pays. Nous voulons essayer de faire de 2024 un point de basculement dans cet autre sens.

Revenons sur le projet d’accord du PS et de la N-VA de 2020 : quelles en étaient les lignes essentielles ?

Puisqu’il n’a pas abouti, ce projet d’accord n’a pas donné lieu à la publication d’un document officiel finalisé, mais il est notoire qu’il y avait un accord sur la scission d’éléments clés de l’organisation de la santé et du marché du travail. Ça signifie, par exemple, prévoir d’organiser les hôpitaux de façon différente dans chacune des régions, d’avoir des règles différentes concernant « l’activation » des chômeurs ou des malades selon les régions. L’adaptation des politiques à chaque contexte régional est la nouvelle façon dont les séparatistes flamands vendent leur projet de scission. A cet égard, il est remarquable que le président du PS ait publiquement déclaré dans une interview que, s’il était opposé à la limitation des allocations de chômage dans le temps pour les chômeurs de Charleroi, au vu de la situation locale du marché du travail, il pouvait entendre le souhait de la droite flamande d’instaurer une telle limitation pour des Flamands qui vivent dans un endroit où il y a quasi le plein emploi. Paul Magnette concluant que l’on « doit beaucoup plus territorialiser les politiques ». Dire qu’il faut « territorialiser » les politiques du marché du travail, c’est une façon de dire qu’il faut les régionaliser, tout en évitant d’utiliser le mot même. Comme dans les années nonante, où Elio Di Rupo évoquait des « consolidations stratégiques » des entreprises publiques pour assumer la responsabilité de leur privatisation. C’était un élément de langage qui cachait la libéralisation made in Union européenne, d’abord pour les télécoms, puis l’énergie, les chemins de fer,…. Ce type de régionalisme, c’est nécessairement un régionalisme de la concurrence et de la privatisation.

Aujourd’hui, il y a un ensemble de lois et des droits sociaux essentiels des travailleurs qui sont fixés au niveau fédéral, ce qui garantit une égalité de traitement entre tous. « Territorialiser » ces politiques, ça signifie introduire une différentiation de ces droits selon les régions, et le cas échéant une mise en concurrence des travailleurs et des régions sur cette base. Territorialiser, c’est ici, dans les faits, un régionalisme de l’activation libérale des chômeurs puisque le cadre de la chasse aux chômeurs n’est pas remis en cause.

Voilà en gros le genre de choses que M. De Wever a publiquement expliquées pendant des mois quant au contenu de ce qui se trouvait sur la table dans son projet d’accord avec le PS en 2020, sans que le PS n’y apporte aucun démenti. A tout le moins jusqu’à la sortie de ce livre et à un récent débat, en octobre 2021, à l’Université de Gand, où M. Magnette a dit tout et son contraire : qu’il était prêt à refédéraliser, mais qu’il y avait aussi des avantages aux régionalisations et surtout qu’il n’avait jamais eu un véritable accord avec la N-VA.

« Le PS se positionne comme le partenaire francophone du bloc séparatiste flamand pour réaliser ses objectifs à travers une réforme institutionnelle. »

Quoiqu’il en dise aujourd’hui, le fait qui est incontournable et politiquement significatif, c’est qu’en février 2020 le PS avait publié un argumentaire expliquant pourquoi ses positions étaient incompatibles avec celles de la N-VA pour, cinq mois plus tard, invoquant l’absence prétendue d’autres alternatives pour former un gouvernement, négocier effectivement avec la N-VA. Il y a manifestement, dans le chef de Paul Magnette et des principaux ministres fédéraux PS qu’il a nommés – Dermagne, Dermine… – une forte orientation régionaliste, qu’on n’avait plus vue depuis longtemps prendre le dessus au PS. Celui-ci se positionne ainsi comme le partenaire francophone potentiel du bloc séparatiste flamand pour réaliser ses objectifs à travers une réforme institutionnelle. Ça correspond à ce que la N-VA affirme de façon constante sur ce point depuis 2010 : elle recherche des partenaires au niveau francophone pour réaliser son programme. De Wever précisant encore, dans sa dernière interview, que son souhait n’était pas de former un gouvernement avec le PS, mais de négocier avec le PS pour effectuer une « séparation ordonnée ».

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Face à cette volonté séparatiste, il n’y a que deux attitudes possibles : soit la combattre de façon offensive et au niveau national, c’est ce que le PTB unitaire essaie de faire dans les trois régions du pays, soit se résigner à s’y soumettre, en recherchant « le moindre mal », avec des justifications du type « sans nous ça serait pire », etc. Ceux qui font de grands discours sur « la Wallonie qui doit prendre son sort en main » à travers une « unité des forces vives wallonnes », comme, par exemple Crucke (MR) ou Dermagne (PS), forment objectivement un courant régionaliste social-libéral qui donne de l’eau au moulin du bloc séparatiste qui existe en Flandre.

Sur le projet d’accord de 2020 entre la N-VA et le PS, comment se fait-il qu’il y ait eu aussi peu de débat public du côté francophone ?

La négociation de ce projet d’accord s’est tenue entre le 20 juillet et le week-end du 15 août 2020, en plein durant les vacances, à un moment où beaucoup étaient partis. Il y a eu des dizaines de rencontres secrètes entre De Wever et Magnette déjà depuis juin 2020, leurs équipes ont travaillé ensemble pour tenter de former un gouvernement fédéral. Il y a eu l’annonce, le 31 juillet, par les « préformateurs » De Wever et Magnette que cinq partis (aussi le CD&V, cdH et Vooruit) étaient prêts à discuter . Des fuites ont eu lieu dans la presse sur les résultats de ces échanges tout au long de ceux-ci, avec des tensions au sein même du PS, jusqu’au moment où, in fine, ce sont les écologistes et les libéraux qui ont torpillé ce projet d’accord, en indiquant qu’ils ne souhaitaient pas rejoindre une telle coalition.

On n’a pas vu les grandes organisations sociales, comme les syndicats et les mutuelles, monter aux créneaux sur ce sujet. Une telle réforme ne peut pourtant se faire uniquement de la seule volonté des directions politiques…

C’était les vacances, il y a eu une volonté de passer en force. C’est souvent le cas avec les débats sur les réformes de l’État qui se déroulent beaucoup trop dans l’ombre, loin des caméras, des mois après les élections. C’est aussi pourquoi nous avons décidé de lancer notre campagne bien avant l’échéance de 2024. Car tout est fait pour que les citoyens et la société civile ne participent pas aux discussions sur les projets de réformes de l’Etat. Car s’ils s’en mêlaient et s’en appropriaient les enjeux, ils diraient haut et fort « non » à ces réformes contraires à leurs intérêts.

Vous indiquiez que du point de vue de la N-VA, et en particulier en cas de majorité de la N-VA et du VB en Flandre aux élections de 2024, elle ne pourrait plus se satisfaire d’accords du type de ceux qu’elle avait essayé de conclure avec le PS en 2020…

Aujourd’hui, la fraction la plus extrême du bloc nationaliste, qui tourne autour du Vlaams Belang, parle d’affrontements en 2024. Ainsi, fin août 2021, le président du Pèlerinage de l’Yser, a dit publiquement : « attention en 2024 nous risquons d’avoir la même situation qu’à Hoboken en 2006 ou aux Etats-Unis en 2020 », c’est à dire des « élections volées » (sic) où « l’establishment belge francophile et les loges maçonniques » (sic) feront que l’on ne « respectera pas les votes des électeurs » et que les nationalistes doivent se préparer à descendre dans la rue. Idem, De Wever n’hésite pas à donner des interviews dans lesquelles il déclare que si, après 2024, on n’accepte pas ses propositions de réforme, il risque d’y avoir des « troubles publics graves comme on en a vu ailleurs » (visant Trump et l’assaut sur le Capitole aux USA). Ce ne sont pas des scénarios bidons, il y a des forces d’extrême droite qui existent- on l’a vu avec l’affaire Jürgen Conings – et qui peuvent tenter de semer le chaos.

Le leader de la N-VA met la pression en faveur de l’adoption d’une réforme plus profonde encore que celle envisagée en 2020, avec une argumentation du type « nous sommes prêts à ne pas faire de coalition avec le Vlaams Belang, à condition qu’une majorité alternative fasse siennes les aspirations nationalistes flamandes », ce qui signifie, selon lui, une scission assumée de la Sécurité sociale, de l’organisation du marché du travail et des soins de santé, de la justice, de la police, etc. Ce qui reviendrait à faire de l’État fédéral une coquille vide, avec la monarchie, l’armée, les affaires étrangères, peut-être quelques autres institutions fédérales, etc. A terme, ça ne peut qu’aboutir à la scission, car il n’y aurait plus grand-chose pour tenir le pays ensemble. Le ciment matériel principal de la Belgique aujourd’hui n’est autre que la Sécurité sociale, les cent milliards de transferts interpersonnels qu’elle organise, avec les organisations et les politiques qui vont avec. Sur la méthode, la différence principale entre le VB et De Wever est que ce dernier part de l’idée qu’un scénario de déclaration unilatérale d’indépendance de la Flandre, similaire à ce qui s’est produit et n’a pas abouti en Catalogne, est dangereux.

Présentation du livre à Bozar, Bruxelles le 29.09.21. Ici en dialogue avec avec Stefaan Decock (ACV-CSC-Pulse) et Estelle Ceulemans (FGTB Bruxelles).
Photo : Stefaan Van Parys – Solidaire

S’il y a une majorité électorale qui est donnée en Flandre à des partis qui veulent son indépendance, n’est-il pas légitime d’en prendre acte et que les débats politiques futurs se déroulent dans le cadre de nouvelles institutions ?

« Même au sein des électeurs du Vlaams Belang et de la N-VA, il n’y a qu’une minorité des électeurs qui veulent le séparatisme. »

Par rapport aux respect des électeurs, il est remarquable que les partis flamands qui ont pour article 1er l’indépendance de la Flandre font campagne sur tous les sujets, mais pas sur cet article de leurs statut. Au quotidien, ils mettent en avant d’autres sujets : des attaques sur « l’establishment », sur les dysfonctionnements de l’État fédéral, ils mobilisent le racisme et, au Vlaams Belang, une démagogie sociale. Ce qui est paradoxal, c’est que même en Flandre et au sein des électeurs du Vlaams Belang et de la N-VA, il n’y a qu’une minorité des électeurs qui veut le séparatisme. L’espoir, c’est que deux Flamands sur trois, selon un sondage de la VRT, veulent même « plus de Belgique ». L’espoir ce sont des milliers de néerlandophones qui sont venus aider les sinistrés de la vallée de la Vesdre, qui se montrent solidaires, cassant les préjugés sur l’égoïsme nationaliste. Il y a donc moyen d’éviter des scénarios séparatistes, et même d’inverser la tendance, à condition que la population s’engage dans le débat. C’est ce à quoi le PTB va travailler. Nous ne voulons pas pour la Belgique d’un scénario similaire à celui qui a été appliqué en Tchécoslovaquie, où le pays a été scindé, en 1993, alors que 80 % de la population était favorable à l’unité.

Au-delà de la question de l’efficacité, en tant que parti qui se veut « de gauche authentique », quelles sont vos raisons de vous opposer aux régionalisations ?

Il y a quatre grandes raisons qui nous conduisent à défendre l’unité de la Belgique. La première est stratégique. Nous pensons que les luttes et les idées de gauche et de « gauche de gauche », vont avancer plus rapidement en Belgique dans un cadre unitaire que dans un cadre divisé. Au plus le champ politique est large, au plus il est possible de travailler avec des personnes de différentes régions, au plus nous estimons favorable le terrain pour s’opposer au capitalisme. Il serait difficile de dire que l’on souhaite combattre dans un horizon internationaliste et de ne pas être capable de s’unir entre travailleurs flamands, wallons et bruxellois. Si nous défendons l’unité de la Belgique, c’est pour des raisons diamétralement opposées à Georges-Louis Bouchez (MR) qui veut revenir à la Belgique de papa et de la FEB.

La deuxième raison, c’est la question sociale, notamment la défense de la Sécurité sociale. Le patronat flamand (et son organisation, le VOKA) pense que s’il parvient à obtenir la scission du pays, il arrivera plus rapidement à démanteler la Sécurité sociale, à la rendre plus conditionnelle, à écarter les organisations syndicales et les mutuelles de sa gestion, à transférer son financement vers l’impôt, et in fine à diminuer les coûts du travail. On le voit déjà en petit dans la façon dont « l’assurance dépendance » a été organisée au niveau flamand, avec un financement forfaitaire identique pour tous et dans le cadre d’une couverture sociale basée sur les moyens octroyés et non sur les besoins de la population, et où la porte est ouverte aux privatisations.

La troisième raison est l’efficacité, qui est importante pour les citoyens. Ce serait mieux, par exemple, pour les travailleurs de ce pays si l’Institut royal météorologique (IRM), responsable des prévisions météo, qui est resté fédéral, était en connexion directe avec les autorités chargées de la gestion des rivières, aujourd’hui régionalisées. Si ces compétences étaient restées regroupées au fédéral, on aurait sans doute pu éviter quarante décès durant les récentes inondations, on aurait pu gagner du temps et évacuer à temps les personnes qui devaient l’être. Beaucoup de moyens sont aujourd’hui gaspillés suite à la multiplication des structures, des conférences interministérielles (18 !) et aux difficultés de coordination. La régionalisation des allocations familiales, qui n’a apporté que des problèmes alors qu’elle était organisée d’une façon très performante au niveau fédéral, est un autre exemple de ce qu’il ne faut pas faire.

Enfin, une quatrième motivation de notre engagement en faveur de l’unité de la Belgique est culturelle. Nous pensons qu’un pays multilingue a des atouts. Cela permet de développer des échanges entre des cultures différentes, ce qui est un point positif notamment pour développer un projet politique internationaliste. Si on n’est pas capables de s’entendre aujourd’hui entre francophones, néerlandophones et germanophones, on ne le sera pas non plus demain avec les Allemands, les Français, les Scandinaves, les Espagnols, les Italiens, etc. au sein de l’Union européenne. Les travailleurs vont devoir établir des alliances au-delà des différences linguistiques qui les séparent. En Belgique nous devrions considérer notre dimension multilingue comme une chance plutôt que comme un problème.

Est-ce la régionalisation qui a rendu le pays compliqué ou est-ce la divergence des opinions publiques au nord et au sud ? S’il y a une majorité ou une quasi majorité qui sort des urnes en Flandre pour les deux formations indépendantistes, qui oscillent entre l’extrême droite et la droite extrême, la situation serait de toutes façons difficile à gérer au niveau fédéral…

La première chose que l’on veut faire, c’est nous engager pour éviter de se trouver face à cette situation. Il y a des choses qui bougent en Flandre. La N-VA perd des plumes. Le débat sur la refédéralisation n’est plus tabou. Ce sont des éléments nouveaux. Aujourd’hui il y a deux écueils à éviter : l’un serait de nier le danger séparatiste, de faire comme s’il n’existait pas et d’adopter une attitude attentiste, l’autre serait de considérer que les jeux sont déjà faits, que le résultat des élections est déjà joué, etc.

Vous indiquiez que le PTB voulait assumer un rôle de force de proposition au niveau institutionnel. De quoi s’agit-il ?

Nous voulons contribuer à mettre sur la table la refédéralisation d’une série de compétences. Il ne s’agit pas de tout refédéraliser, mais de sortir du fédéralisme de concurrence actuel. Il faut repositionner l’État fédéral comme une organisation hiérarchiquement supérieure aux régions, qui agit au-dessus de celles-ci dans des questions clés et pas à côté. Sur des matières comme la santé, il faut mettre fin à une régionalisation qui génère un gaspillage d’énergie, à des choses incohérentes ou qui n’atteignent pas les objectifs. Nous sommes ainsi en faveur de la refédéralisation de la Santé. On défend également la refédéralisation des politiques liées au climat : l’énergie, la mobilité, la gestion des rivières, etc. Nous plaidons également pour une politique nationale en termes de grands investissements économiques, pour renforcer le caractère fédéral de la Sécurité sociale, de l’organisation de l’assurance chômage et de celle du marché de l’emploi. Aujourd’hui dans toutes les crises (climatique, économique, sanitaire…), on voit qu’on a besoin, dans un pays aussi petit que la Belgique, d’une approche nationale. A cet égard, un fédéralisme d’unité, du type de celui de l’Allemagne, qui reconnaît le rôle d’arbitre et la capacité d’orientation de la structure fédérale, nous apparaît plus favorable. Ça permet une différentiation des politiques régionales sur un certain nombre de matières, tout en préservant le fait que d’autres choses sont décidées par et pour l’ensemble du pays.

Nous souhaitons également l’instauration d’une circonscription électorale fédérale unique, qui fasse en sorte que chaque ministre fédéral ait effectivement des comptes à rendre à l’ensemble de la population. Aujourd’hui, si le ministre fédéral de la Santé, M. Vandenbroucke (Vooruit), adopte des mesures qui ne sont pas acceptées par la population en Wallonie, celle-ci ne pourra lui infliger aucune sanction électorale. Et inversement. Ce n’est pas normal, cela n’existe pas dans d’autres pays fédéraux.

Enfin, nous voulons promouvoir le bilinguisme pour favoriser la communication entre tous. Il suffit d’aller au Luxembourg, ou quasi toute la population parle trois langues pour constater que c’est possible. Après six réformes de l’État qui ont été dans le même sens de la régionalisation, nous pensons qu’il est temps d’engager des réformes pour renforcer l’unité du pays.

Comment voyez-vous le positionnement des acteurs sociaux et politiques par rapport à ce débat et à votre campagne  « We are one »? Et notamment celui du Secrétaire général de la FGTB wallonne, qui s’est dit heurté par les positions « anti-régionalistes » qu’elle véhiculerait ?

« Pour l’extrême droite flamande, la voie vers le fascisme passe par la scission. »

La remarque que j’ai le plus reçue depuis le lancement de cette campagne est : « enfin des gens qui font entendre des positions qui vont dans un autre sens ». Beaucoup de personnes se réjouissent, notamment en Flandre, qu’on ne se contente pas de hausser les épaules ou de se résigner face aux forces séparatistes, mais qu’on force l’ouverture d’un débat. A l’intérieur de différentes organisations, et même d’autres partis, des gens expriment leur satisfaction par rapport à l’ouverture d’un véritable débat. Les retours sont en particuliers positifs dans les milieux sportifs, culturels et associatifs. Beaucoup nous disent se sentir « Belges », être reconnus comme tels quand ils vont à l’étranger et l’assumer. Au niveau des milieux mutuellistes et syndicaux, nous recevons beaucoup de réactions positives par rapport au fait que nous mettons en avant la défense de la Sécurité sociale, ainsi que par rapport à notre volonté de faire barrage à l’action du Vlaams Belang et de la N-VA. Dans l’ensemble du pays, nous sentons une vive préoccupation par rapport à la possible arrivée au pouvoir de l’extrême droite en 2024 : car soyons clairs, pour eux la voie vers le fascisme passe par la scission. Beaucoup ne veulent pas d’une Flandre qui serait dirigée comme la Hongrie de Victor Orban, ou pire encore que celui-ci.

« J’ai noté que notre campagne suscitait le débat à la FGTB wallonne ».

Pour ce qui est de la FGTB wallonne, j’ai noté que notre campagne y suscitait le débat. Je pense qu’il y a eu un gros malentendu dû à la façon dont le journal Le Soir a retranscrit une interview que je lui avais donnée. Dans celle-ci j’avais clairement indiqué, d’une part que mon livre a été écrit contre le nationalisme, et d’abord contre le nationalisme flamand, qui est le moteur du projet de scission de la Belgique, d’autre part que nous critiquons le régionalisme libéral ou social-libéral, incarné entre autres par M. Crucke (MR) et M. Dermagne (PS), qui pousse à développer en Wallonie une politique libérale propre de développement économique. Reprise dans le « Plan Marshall » wallon, c’est une politique de cadeaux aux entreprises, justifiée par le fait que ce serait « nos entreprises ». Tout ça n’a rien de gauche. C’est pour moi, et il y a eu une confusion malencontreuse sur ce point, un débat bien différent de celui qui existe au sein du mouvement syndical sur le régionalisme tel que le concevait André Renard (3). Cette question-là n’est pas du tout abordée dans le livre que j’ai publié, il n’y a même pas un seul mot à ce sujet. Ce que j’ai déclaré au Soir à cet égard, c’est que je pense qu’André Renard se retournerait dans sa tombe s’il voyait ce que le régionalisme est devenu en Belgique et en Wallonie aujourd’hui, tel qu’il est appliqué par le PS et le MR. Ce régionalisme wallon-là, n’a absolument aucun rapport avec les « réformes de structures anti-capitalistes » prônées par Renard ni avec une quelconque politique de gauche.

Notre campagne actuelle n’a donc rien à voir avec le débat syndical sur les positions d’André Renard. Pour nous, le débat n’est pas là. L’enjeu ce n’est pas « un peu plus ou un peu moins de régionalisme », c’est de savoir s’il va y avoir une négociation avec des forces comme la N-VA qui ne pourraient que mener à la scission de la Sécurité sociale et du pays. On ne peut pas négocier avec la N-VA et prétendre, comme l’a fait le PS, vouloir maintenir le caractère fédéral de la Sécurité sociale. « Jamais de négociation avec la N-VA » devrait être une position de principe partagée par tous les partis qui se disent un tant soit peu de gauche en Belgique, qu’il s’agisse du PS ou de Vooruit, d’Ecolo ou de Groen. Les positions de la N-VA sont publiques, fermes et constantes sur ce point : tous les compromis qu’ils sont prêts à faire seront des avancées vers la scission. La N-VA n’est pas l’ancien CVP, ni la Volksunie et on n’en est plus à la troisième ou à la quatrième réforme de l’État. L’agenda des forces séparatistes est d’engranger après 2024 un saut qualitatif en matière de réforme de l’État. C’est là que se situent actuellement les enjeux et c’est là que nous plaçons le débat à travers notre campagne « We are One », pas sur l’héritage syndical d’André Renard.

(1) David Pestieau, We are one – Manifeste pour l’Unité de la Belgique, 2021.

(2) in L’Echo, 21 septembre 2021.

(3) André Renard (1911-1962) était un syndicaliste FGTB liégeois, résistant durant la Seconde guerre mondiale. Il défendait une ligne de gauche et régionaliste. Peu avant de mourir prématurément, il quitte ses responsabilités syndicales en 1961 pour créer le Mouvement populaire wallon.

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