Solidarité

Un statut précaire, légitimé par le tribunal du Travail

Les travailleurs engagés par le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles pour rédiger les comptes rendus des séances ont été, en 2015, licenciés d’un coup sec, sans aucune indemnité. Une procédure au tribunal du Travail vient d’aboutir en appel, défavorable aux travailleurs.

tribunal travail
tribunal du travail

Dans le cadre de notre série de récits de vie sur le monde du travail (1), nous avons en 2018 publié une rencontre avec deux rédactrices de comptes rendus, un travail réalisé au sein de nos enceintes parlementaires. Dans ce témoignage, en détail, elles nous exposent l’organisation d’un travail relativement méconnu, dont l’aboutissement est la mise à disposition du public – dans un temps très rapide – du contenu des séances de débats parlementaires, tenus tant lors des plénières que lors des Commissions aux compétences spécifiques. Évoluant plus précisément au sein du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles – qu’elles nommaient encore de son nom légal de parlement de la Communauté française (PCF) -, elles nous ont également relaté les démarches et mobilisations du groupe de travailleuses et travailleurs, menées suite à un licenciement plus que brutal.

Rappelons - si besoin est - que dans ces institutions sont produites, notamment, les matières dont le but est de réglementer les droits des travailleurs

La précarité au parlement

Comme nous l’avons décrit à l’époque, les conditions de travail au parlement semblent pour le moins indignes d’une telle institution publique. « L’organisation du travail est relativement semblable dans les enceintes parlementaires des différents niveaux de pouvoir en Belgique. Cependant, des différences existent dans les statuts des travailleurs et, nous le verrons, leur situation précaire n’assure pour certains aucune certitude de revenus. Nous ne sommes pourtant pas face à une entreprise privée, grattant partout pour réduire ses coûts, mais au sein de la quintessence du service public : les lieux où sont élaborées, discutées et votées les lois. Rappelons – si besoin est – que dans ces institutions sont produites, notamment, les matières dont le but est de réglementer les droits des travailleurs. Il serait normal que la quintessence assure un rôle d’exemplarité… Il n’en est rien ». (2) Nos deux travailleuses nous ont permis une plongée très précise dans ce travail quotidien représentant, comme nous l’avions défini, un « travail intellectuel… à la chaîne » au rythme soutenu, voire souvent éreintant, couronné de surcroît par des revenus souvent insuffisants. Aucune certitude d’être convoquée pour des sessions, avec comme conséquence un mois se terminant pour certaines travailleuses (3) avec… trois cents euros de revenus ! Dans ces conditions, même avec des compléments d’allocation de chômage, boucler le mois s’avère plutôt impossible. (4)

Au moment d’être renvoyées sans discussion, elles assistent à un déroulé d’événements d’une violence extrême

Un jour de 2015, un renvoi collectif de l’équipe est annoncé, d’un coup sec, sans aucune indemnité ni respect du droit du travail. « Dans le but de réaliser des économies, le nouveau greffier du PCF – poste le plus élevé dans l’administration du parlement -, en fonction depuis deux ans, a trouvé judicieux de supprimer le service du compte rendu, clac, d’un coup. (…) Bien entendu, virer tout le monde au PCF n’était possible qu’en raison d’un service uniquement composé de pigistes, parfois depuis des décennies. La directrice, par exemple, assurait déjà les comptes rendus du Conseil de la Communauté française, ancêtre du PCF ». Au moment d’être renvoyées sans discussion, elles assistent à un déroulé d’événements d’une violence extrême. Un article de presse de l’époque relaie la parole des travailleuses et expose que, malgré le renvoi brutal sans respect des dispositions du droit du travail, tout indique pourtant leur situation de travailleuses salariées : le travail se fait au sein du parlement, avec du matériel fourni par celui-ci, et sous les ordres de ses responsables. Par ailleurs, des versements se font officiellement, dans les règles, à l’Office national de Sécurité sociale (ONSS), tant au niveau des cotisations patronales payées par l’institution, qu’au niveau de la part « employée », prélevée sur le salaire brut de chaque rédactrice. Cette situation durait pourtant depuis des années et même, pour certaines, des décennies.

Récit de vie des rédactrices de compte rendu

Pour les détails précis de cette affaire scandaleuse, le lecteur pourra se reporter à notre numéro 97, paru en septembre 2018. Après une brève présentation de leur métier et de l’affaire (Rédactrice de compte rendu : la précarité au Parlement, pp. 60-61), deux anciennes rédactrices du service des comptes rendus y exposent la nature de leur travail au sein de l’institution publique (Un travail intellectuel… à la chaîne, pp. 62-65) et le licenciement et la mobilisation des travailleurs qui a suivi, jusqu’à l’action en justice. (Pressées comme des citrons, jetées comme des kleenex, pp. 66-70)

Faire reconnaître ses droits en justice

Les travailleuses se sont mobilisées, notamment en allant interpeller les parlementaires. Peu de réponses sont parvenues, celles et ceux qui réagissaient tombaient littéralement des nues, ils n’avaient semble-t-il aucune connaissance des conditions de travail de ces personnes, côtoyées au quotidien. Quelques-uns annoncent les soutenir puis… plus rien. L’administration, elle, multiplie les mesures dilatoires, les manipulations dans les types de contrats et leurs déclarations officielles et, surtout, font montre d’un total mépris envers ses travailleuses. La sentence est maintenue : les travailleuses sont virées, sans indemnités et sans délai pour envisager leur futur. Suite aux manipulations, a posteriori, dans les déclarations des contrats de travail faites par l’administration, certaines travailleuses connaissent carrément de gros ennuis avec l’Office national de l’emploi, ce dernier considérant alors leurs déclarations passées comme frauduleuses. (5)

Des élus annoncent les soutenir puis… plus rien

Une procédure est alors introduite au tribunal du Travail, avec pour but de faire reconnaître une situation de salariées, arguant que les services fournis l’étaient « en vertu d’un contrat de travail », dans un lien de subordination, sur un lieu de travail. L’action vise à réclamer à l’employeur une indemnité de préavis, une indemnité pour abus du droit de licencier, ainsi qu’une réparation du préjudice moral et l’indemnité de procédure. Au moment de publier ces témoignages, en 2018, le jugement vient de tomber en première instance : le tribunal y balaie toutes ces revendications, en considérant qu’ « il ressort du dossier que la partie demanderesse ne disposait pas d’un statut ou d’une présomption de statut. » Le tribunal déclare l’action recevable mais non fondée. En conséquence, la partie demanderesse est déboutée et condamnée à payer les indemnités de procédure, s’élevant à 2.400 euros.

Ce jugement n’annulait en rien la légitime revendication de pouvoir, en travaillant au sein d’une institution parlementaire, bénéficier d’un véritable statut

Nos travailleuses, bien entendu, sont furieuses. L’une d’elle réagissait dans nos pages : « Voici le jugement inique du procès contre le parlement de la communauté française. Il a été adressé à l’un des deux chefs du service du compte rendu, l’autre n’ayant pas porté plainte. Il a eu un échange avec un professeur universitaire de droit social, pour qui le jugement est peu convaincant. L’absence de contrat de travail, contraire à la loi, n’implique pas pour autant que les membres de l’équipe du compte rendu étaient indépendants. Il existe de nombreux indices de subordination, notamment l’obligation de présence certains jours à certaines heures précises. » Bien entendu, ce jugement n’annulait en rien la légitime revendication de pouvoir, en travaillant au sein d’une institution parlementaire, bénéficier d’un véritable statut, assorti des avantages et de la protection contractuelle prévus par le droit du travail.

Un appel de ce jugement est introduit par l’ancien chef de service, poursuivant ce combat au nom de l’ancien collectif de travail. Il a perdu en première instance, il a également perdu en appel. Le plaignant se retrouve à présent avec 6.000 euros de frais à assumer. Ci-dessous, vous trouverez le communiqué diffusé par le plaignant, accompagné d’un appel à la solidarité financière. N’hésitez pas à relayer largement cet appel à solidarité.

Licenciement sans indemnités légales

Appel à la solidarité pour aider à payer les frais d’un procès 

Soutenez les virés du parlement de la Communauté française !

Tant lors d’un premier jugement qu’en appel, le tribunal du Travail a considéré que le parlement de la Communauté française de Belgique avait le droit de licencier sec ses travailleurs du compte rendu sans aucune indemnité de licenciement.

Le tribunal a donné raison au parlement sur le fait qu’une partie de son personnel n’était pas vraiment des salariés mais des tâcherons style UBER. Nous avons perdu. Le parlement de la Communauté française a gagné, il pourra donc continuer à agir comme UBER pour la fabrication des comptes rendus de ses séances pour lequel il a depuis des années pris l’habitude d’engager du personnel à la journée et bien sûr sans jamais imaginer qu’il devait leur accorder un vrai statut de fonctionnaire. Comme si travailler à rendre public dans un texte clair et largement accessible les débats qui ont lieu au parlement n’était pas un objectif démocratique fondamental qui nécessitait un statut correct de travail pour ceux qui rédigent, vérifient et publient les comptes rendus.

6.000 euros sont aujourd’hui nécessaires pour payer les frais d’avocats et de justice de ce dossier de défense des travailleurs précaires dans le monde méconnu de l’administration des parlements belges. La solidarité c’est contribuer aux frais mais aussi protester auprès du président du parlement de la Communauté française contre l’attitude du parlement.

Voici un résumé de l’affaire et des jugements. En février 2015, le parlement de la Communauté française Wallonie-Bruxelles licenciait sauvagement, sans indemnité de licenciement les trente-cinq membres de son service du compte rendu, alors que ces personnes travaillaient parfois depuis trente ans pour le parlement avec un statut imprécis et avaient été enregistrés comme travailleurs salariés depuis treize ans à l’ONSS ! Tous et toutes (des directeurs du service aux dactylos) étaient des travailleurs précaires, travaillant à la tâche sans véritable contrat formalisé. À la recherche d’une coupe budgétaire, ils furent licenciés du jour au lendemain, sans motif. Pour réduire encore les frais, le parlement les licencia en prétendant que depuis treize ans son administration s’était trompée en versant des cotisations sociales à l’ONSS. Un parlement qui se « trompe » pendant treize ans, prend prétexte de sa propre erreur pour ne pas payer les indemnités de licenciement. Exit les indemnités de licenciement ! Scandale n°1.

À ce scandale s’ajoute une campagne de diffamation contre le personnel : pour le parlement, depuis trente ans, ces personnes (ces travailleurs) auraient non pas travaillé mais profité de l’argent du parlement. Mais d’où viennent donc les milliers de pages de comptes rendus publiées et qui n’ont jamais fait l’objet de la moindre remarque sur leur fidélité et leur qualité ? Scandale n°2.

Après une longue procédure devant le tribunal du Travail de Bruxelles et la cour du Travail, le directeur du service – le seul a avoir pu soutenir le coût de la procédure judiciaire jusqu’au bout (premier jugement et appel contre celui-ci) – est débouté de sa demande d’indemnités, parce qu’il n’aurait pas démontré qu’il était un travailleur subordonné à l’administration. Un jugement inique qui ne tient aucun compte des éléments nombreux présentés à l’appui de sa requête. Jamais pareil jugement n’aurait été prononcé si l’institution à juger n’avait été un parlement qui semble trouver normal de se situer au-dessus des lois sociales. Scandale n°3.

Le directeur est en outre condamné à payer les dépens et les frais d’avocat de la partie adverse : 6.000 euros. Une demande d’abandonner cette peine supplémentaire a été adressée à la présidence du parlement mais elle n’a pas été entendue et n’a reçu aucun accusé de réception.

Le pot de fer (le parlement) tient à punir le pot de terre pour son audace (défier un parlement, non mais !)

Un versement, de solidarité pourra aider à assumer ces frais de justice, au compte :
BE26 0010 2079 2129
(au nom de Jean-Claude Deroubaix)
Spécifier en communication : « financement participatif du CRU ».

(1) La rubrique « Récit de vie » désire pénétrer les réalités du travail, de plus en plus polymorphes dans notre société, mais aussi de plus en plus précaires. Par des rencontres / dialogues, nous voulons découvrir les réalités présentes derrière les apparences, en exemplifiant chaque situation professionnelle avec un témoin privilégié. Outre ce récit de vie des rédactrices de comptes rendus, le lecteur intéressé pourra lire : Ubérisation : au tour du vélo ! et L’exploitation dans la bonne humeur !, n°93 en avril 2017 ; Quelle considération pour les soins infirmiers ? et Les soins palliatifs, entre passion et difficulté  n°94 en septembre 2017 ; Des contrats subventionnés par le Forem… chez Mc Donald’s et Malbouffe et précarité : formez-vous grâce au Forem, n°99 en mai 2019  et Travailler à la SNCB : une mission au service du public et Accompagnateur de train : rouage d’une entreprise publique en démantèlement, n°103 en octobre 2020. www.ensemble.be

(2) Article d’introduction de la rencontre : « Rédactrice de compte rendu : la précarité au parlement », Ensemble ! n°97, pages 60-61.

(3) Nos deux témoins étant des femmes, nous gardons ici l’intitulé du métier au féminin.

(4) Pour plus de détails, se reporter à la première partie de la rencontre, « Un travail intellectuel… à la chaîne », Ensemble ! n°97, pages 62-65.

(5) Pour un récit complet des événements, lire « Pressées comme des citrons, jetées comme des kleenex », Ensemble ! n°97, pages 66-70.

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