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Sous le bitume, les pavés !

Nous nous sommes penché sur la note de politique générale de la ministre de l’Intérieur, dont certains points devraient inquiéter les participants aux mouvements sociaux. Les outils de répression semblent encore devoir s’affiner, tant par leurs cadres législatifs que par le recours toujours accentué aux nouvelles technologies.

Image hélas classique aujourd’hui lors des mouvements sociaux : des manifestants sont encerclés par la police, parfois avant d’avoir pu démarrer, pour ensuite être identifiés et/ou emmenés au commissariat.
Image hélas classique aujourd’hui lors des mouvements sociaux : des manifestants sont encerclés par la police, parfois avant d’avoir pu démarrer, pour ensuite être identifiés et/ou emmenés au commissariat.

Au cœur d’une pandémie planétaire où tout semble colonisé par cet unique sujet, nous en oublierions presque qu’un gouvernement de plein exercice est finalement advenu en octobre 2020, 493 jours après les élections législatives. Corollairement, des programmes politiques ont été publiés, dont quelques données ont retenu notre attention. Tout participant actif ou observateur des mouvements sociaux le sait pertinemment par l’expérience : depuis un quart de siècle, les droits d’expression et de manifestation sont de plus en plus semés d’embûches. Dans le chef des autorités policières et politiques, tout semble être fait pour dissuader les habitants de ce pays de jouir pleinement de ces droits.

Lorsqu’il n’est plus question de protester, que reste-t-il de la démocratie ?

Citons pêle-mêle – parmi les actions de l’ombre – l’infiltration des groupes et collectifs participants aux mouvements sociaux, les méthodes dites particulières de recherche, utilisées parfois de manière illégales et réglementées a posteriori, ou encore le fichage des participants aux manifestations. Parmi les faits observables, nous trouvons les techniques de « nasse », consistant à encercler les manifestants pour les empêcher d’avancer et les arrêter massivement, y compris parfois avec de simples passants. Nous trouvons également les arrestations préalables à l’action : des individus se font arrêter avant d’arriver sur les lieux d’une manifestation, à la sortie d’un bâtiment ou dans le métro, sans avoir rien fait d’autre que marcher dans la ville… Bien entendu, le symptôme le plus saillant du climat répressif réside dans les violences policières, en rue ou dans les cellules, dont l’effet de traumatisme évident est propice à décourager la participation à des mobilisations futures. En ajoutant l’interdiction de toute manifestation en période de pandémie, en raison de « gestes barrière » et de distance à respecter entre individus, le tableau contemporain est complet. Lorsqu’il n’est plus question de protester, que reste-t-il de la démocratie ? Les derniers mois et années ont également amené à la connaissance du public plusieurs décès dans des commissariats, pour lesquels l’impunité à répétition a notamment pour effet le déclenchement d’émeutes, elles-mêmes réprimées… dans la violence. En outre, tout cela représente l’unique partie émergée, connue, de ce scandale permanent des actes de violences de la police.

Dans le passé, des périodes de mouvement social ont été rythmées par des slogans tels que le célèbre « Sous les pavés, la plage ! ». Par l’image des pavés entassés, laissant la place au sable sur lequel ils étaient posés, cette efficace métaphore résumait le désir de liberté déclencheur des mouvements sociaux. De nos jours, tout le monde a un jour aperçu ces portions de bitume cassé, laissant apercevoir dessous quelques bons vieux pavés de pierre de nos villes, devenus inaccessibles. Couverts de bitume, les pavés et la plage sont dès lors remisés au rang de vieux souvenirs… Et nous voilà devant une efficace métaphore du niveau contemporain d’accessibilité de nos libertés.

Les quatre saisons de la répression

Les couleurs des partis au pouvoir en Belgique (rouge, vert, bleu, orange) ont fait penser à certains aux Quatre Saisons, titre d’une œuvre célèbre du compositeur Antonio Vivaldi. L’idée aboutira à une dénomination poétique – la coalition Vivaldi – pour désigner le gouvernement de plein exercice actuel, accouché dans la douleur après avoir… tout essayé. Il entre en action le premier octobre 2020, constitué des familles socialistes (PS et SP.A, devenu depuis Vooruit), écologistes (Ecolo et Groen) et libérales (MR et Open-VLD), auxquelles il faut ajouter les sociaux-chrétiens flamands du CD&V, parti dont est issue la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden. Comme lors de toute mise sur pied d’un gouvernement de plein exercice, ces sept partis ont négocié un accord, dont va découler un programme de gouvernement, mais aussi la note de politique générale du ministère de l’Intérieur – datée du 5 novembre – dont nous allons présenter ici quelques passages interpellants.

Focalisé à outrance sur la gestion de la pandémie et de ses conséquences, nous constatons que ce gouvernement semble avoir dégagé du temps pour envisager de nouvelles embûches sur la route des mouvements sociaux. Un sous-titre dans la note attire l’attention : « La gestion du New Way of Protesting ». (1) Ce nouveau chantier est annoncé pour un étalement sur plusieurs années. « En 2021, ce projet sera concrétisé par : 1) la mise au point d’une procédure permettant une collecte fiable et exhaustive des informations utiles pour les événements marquants aux fins de disposer d’une meilleure image de ceux-ci ; 2) la création d’un observatoire des mouvements sociaux au sein de la DGA (Direction générale de la police administrative) : ce projet débutera par un travail de conception et de mise en place progressive de ce nouveau dispositif (définition des objectifs et missions, détermination des phases de développement de l’observatoire, des moyens nécessaires et des collaborations à développer…) ; 3) la création d’un groupe de travail chargé de développer une nouvelle approche policière pour la préparation et la gestion du New Way of Protesting dans le respect de la philosophie d’une gestion négociée de l’espace public (évolution de la collecte des éléments d’informations essentiels, des techniques et tactiques policières, de la communication…) ». (2)

Se mobiliser dans la spontanéité et sans chef identifié, voilà donc un élément déstabilisant pour le futur de la Vivaldi…

Dans son exposé d’orientation politique du lendemain, le 6 novembre, la ministre de l’Intérieur précise ses priorités dans le point 5, intitulé « Une organisation renforcée » et consacré à la fonction de police. Nous y trouvons le passage 5.7 intitulé, lui, « Gestion efficace de l’espace public », au sein duquel nous comprenons ce que le « New way of protesting » signifie. « Le modèle existant de la gestion négociée de l’espace public (GNEP) débute par une concertation préalable entre les différents partenaires. La police doit cependant faire face à des difficultés sur ce plan, en raison de nouveaux mouvements sociaux présentant la particularité de ne pas avoir de leader ou interlocuteur (par exemple, les Gilets jaunes). » (3) Pas bon, ça, dirait-on… Se mobiliser dans la spontanéité et sans chef identifié – qualifié de partenaire ! -, suite au ras-le-bol d’une vie devenue ingérable et pénible à force de précarité, voilà donc un élément déstabilisant pour le futur de la Vivaldi… Le peuple en action, conscient et revendiquant des droits, cela semble faire partie des hantises de ce gouvernement bigarré.

Dès lors, de nouveaux outils s’imposent, à ajouter au panel répressif… « Dans cette perspective, il convient de faire évoluer différemment l’image des événements, et ce, par le biais d’une double approche. Il s’agit, d’une part, de disposer d’une vue quantitative et qualitative sur les événements pertinents du passé, ainsi que sur leur gestion. D’autre part, une démarche prévisionnelle s’impose. La complexification de l’évolution du champ de la conflictualité sociale (nouveaux mouvements sociaux) ainsi que, plus largement, du champ sociétal (évolution du travail, des corps intermédiaires, du champ politique…), requiert de développer une forme de veille des mouvements sociaux (suivi de leur composition, de la nature des revendications, des répertoires d’action…). » La surveillance, déjà importante aujourd’hui, semble donc dans la suite de la législature devoir s’accentuer à une très large échelle. « Outre la collecte d’informations judiciaires, il importe également de miser activement sur la collecte d’informations administratives. Pour pouvoir mener à bien cette activité de façon légale, il conviendra de développer une vision claire et un cadre réglementaire en la matière. »

Aujourd’hui le droit d’expression des Belges se déroule quasi systématiquement dans le bruit assourdissant d’un ou plusieurs hélicoptères.
Aujourd’hui le droit d’expression des Belges se déroule quasi systématiquement dans le bruit assourdissant d’un ou plusieurs hélicoptères.

A ce stade, il n’est pas inutile de rappeler un précédent relativement récent : le 22 mai 2003 est entrée en vigueur la loi sur les « Méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquêtes ». Ce texte a par exemple entériné l’ « enquête proactive », qui était déjà utilisée sur le terrain, c’est à dire « la recherche, la collecte, l’enregistrement et le traitement de données et d’informations sur la base d’une suspicion raisonnable que des faits punissables vont être commis ou ont été commis mais ne sont pas encore connus, et qui sont ou seraient commis dans le cadre d’une organisation criminelle, telle que définie par la loi. » (4) Avec cette loi on assistait, entre autres faits marquants, au développement d’un délit d’appartenance, permettant de poursuivre un individu même s’il n’a lui-même participé qu’à des activités légales au sein d’une organisation. Impensable dans une conception démocratique des affaires publiques. En outre, dans ce processus, plutôt qu’avoir un pouvoir législatif qui légifère, nous observons une police agissant à sa guise et qui, par l’entremise du ministère de l’Intérieur et du pouvoir exécutif, fait légaliser ses pratiques a posteriori.

À chaque évolution liberticide de ce type des juristes se mobilisent, notamment pour sensibiliser sur le risque de créer des « précédents » qui, une fois banalisés par le temps, seraient reproductibles par le pouvoir en place. Aujourd’hui, le discours de la Vivaldi annonçant une nécessaire « démarche prévisionnelle », couplée à un programme très précis et la nécessité de « développer un cadre réglementaire en la matière » afin de « pouvoir mener à bien cette activité de façon légale », semblent mener vers le risque d’un processus similaire. Faut-il voir dans la prose nouvelle de l’Intérieur le fait que la police récolte déjà beaucoup d’informations sur une série de mouvements sociaux, sans aucun contrôle d’un juge, ni enquête et cadre légal précis, et qu’il va falloir justement prévoir la base légale manquante ? Ceci est d’autant plus inquiétant que la police dispose déjà de beaucoup de pouvoir pour traiter des données personnelles, notamment sensibles (politiques, ethniques, syndicales, etc.). C’est établi par les organes officiels de contrôle de la police : le fichage est parfois abusif et des personnes sont fichées trop longtemps. (5)

Durant cette législature, il va nous falloir rester vigilants sur les actes des sept partis au gouvernement, afin de vérifier si un nouveau dévoiement du système de séparation des pouvoirs n’est pas au programme.

La « base d’acceptation » de la 5G passe d’abord par les « experts »

Même si le débat est peu présent, une partie de la population est vivement opposée à la 5G, une autre partie n’y voyant en fait aucun intérêt… En Belgique, nous ne savons pas dans quelle proportion, mais un indice existe chez notre voisin français, apparu dans la Convention citoyenne pour le climat. Composée de 150 membres, sélectionnés pour obtenir un échantillon représentatif de la population française, elle a voté à 98 % pour « instaurer un moratoire sur la mise en place de la 5G en attendant les résultats de l’évaluation » (1), notamment de ses effets sur la santé et le climat. Face à cette revendication populaire, le président s’est empressé de renier ses engagements de respecter en intégralité les conclusions de la Convention. Il a annoncé que « La France va prendre le tournant de la 5G parce que c’est le tournant de l’innovation. » Au passage, il a insulté les opposants, en les présentant notamment comme adeptes du retour à la lampe à huile, « ‘Je ne crois pas que le modèle Amish (une communauté religieuse vivant aux Etats-Unis et hostile à la technologie, ndlr) permette de régler les défis de l’écologie contemporaine’, a lancé Emmanuel Macron devant une centaine d’entrepreneurs et entrepreneuses de la ‘French Tech’ ». (2) Désirer, à une écrasante majorité, vivre dans un environnement sain et en bonne santé serait donc une préoccupation qualifiée de rétrograde.

En Belgique, où en sommes-nous ? Les mots utilisés sont importants, toujours, surtout lorsqu’ils se transforment en actes. Comment se concrétise la création de la « base d’acceptation nécessaire pour la 5G », évoquée noir sur blanc par la ministre de l’Intérieur Annelies Verlinden ? (Lire « Sous le bitume, les pavés ! », ci-contre) De sérieux indices ont été livrés par le journal Le Soir le 11 mars 2021. Sa Une annonce la sortie du rapport des experts sur le déploiement de la 5G en Wallonie et, en pages intérieures, le chapeau de l’article nous présente l’ambiance de feu animant le groupe. « La 5G : un Graal pour certains, un démon pour d’autres. Pour y voir plus clair, le gouvernement wallon a demandé l’avis d’experts. Qui se sont étripés en mettant tous les enjeux en lumière ».

Le contenu de l’article confirme la volonté de certains desdits experts de ne pas se transformer en agents de « création de la base d’acceptation nécessaire ». Ils sont très clairs sur le sujet : « Historien des sciences à l’ULB, Grégoire Wallenborn déplore que ‘les recommandations ont commencé à être rédigées tandis que nous ne savions pas exactement ce que contiendrait le rapport, alors qu’en toute logique elles auraient dû être issues du rapport’ ». Cela ressemble furieusement à la mise en place d’un comité de pure forme, le but à atteindre étant fixé à l’avance. Cet historien n’est pas seul, un expert en droit du travail à l’université de Namur, Jeremy Grosman, ajoute qu’on lui a « refusé d’introduire une note minoritaire dans la partie socio-économique, radicalement favorable à un déploiement rapide de la 5G. ‘Ma mission d’expertise a été entravée de façon systématique’, lâche-t- il. » Ces personnes ont en outre été discréditées, notamment par Olivier de Wasseige, le représentant des patrons wallons. Outre les enjeux sécuritaires, les enjeux commerciaux de la 5G sont bien entendu également importants. Marie-Christine Dewolf, experte en santé et environnement à la province du Hainaut, elle, « s’étonne de la présence de ce dernier au sein d’un groupe ‘dit indépendant’ en l’absence de représentants de l’Union des villes et des communes et de la société civile. » (3)

Pour imposer la 5G, en France on insulte et on renie ses engagements, en Belgique on organise de faux débats et on instrumentalise des comités d’experts.

(1) Plus d’infos sur cette convention et ses recommandations sur : www.conventioncitoyennepourleclimat.fr

(2) « Opposants à la 5G : Macron évoque un ‘modèle Amish’, Twitter lui répond », Océane Segura, Les Inrockuptibles, 15 septembre 2020.

(3) « La 5G en Wallonie : un ‘oui’, beaucoup de ‘mais’… »…, Michel de Muelenaere, Le Soir, 11 mars 2021.

Les plus jeunes peuvent-ils seulement imaginer - conceptualiser - l’appropriation par un individu de son indépendance sans jamais être filmé durant la journée ?

Police technologique

Les technologies de surveillance modifient radicalement notre société et notre vécu au sein de celle-ci, semble-t-il sans aucun retour en arrière envisagé… Les personnes assez âgées pour avoir vécu la Belgique des années quatre-vingt se souviennent peut-être des sensations vécues dans un monde sans caméras de surveillance. Lors de leur installation dans l’espace public, elles ont à raison suscité des oppositions, notamment en matière de non-respect flagrant de la vie privée. Aujourd’hui, combien de Belges s’en soucient ? Les plus jeunes peuvent-ils seulement imaginer – conceptualiser – l’appropriation par un individu de son indépendance sans jamais être filmé durant la journée ? Est-il possible d’encore avoir du recul sur ces changements radicaux apportés au vécu de l’espace public, du rapport aux autres, de l’anonymat, des sentiments intimes de liberté individuelle… ? Bref, pouvons-nous encore penser la légèreté d’avancer droit devant, un pas après l’autre, en ayant le champ réellement libre ?

Aujourd’hui, le droit d’expression des belges se déroule quasi systématiquement dans le bruit assourdissant d’un ou plusieurs hélicoptères

Dans le même ordre d’idée, il n’y a pas si longtemps tout le monde était logiquement scandalisé par l’apparition d’hélicoptères de la police au-dessus des manifestations. Du jour au lendemain, ils nous ont fait quitter le champ du vécu démocratique de l’espace public, pour nous faire basculer au sein d’images habituellement liées aux fictions totalitaires de nos grands écrans. Aujourd’hui pourtant, c’est banalisé, le droit d’expression des Belges se déroule quasi systématiquement dans le bruit assourdissant d’un ou plusieurs hélicoptères.

S’ils filment très précisément les participants à une manifestation, ils restent cependant fort haut dans le ciel… Or, rien de tel qu’une bonne police de proximité, dont la Vivaldi semble vouloir promouvoir l’existence par la voix de sa ministre de l’Intérieur : « Je continuerai, en collaboration avec mon confrère de la Mobilité, l’élaboration d’une vision globale sur l’utilisation de drones par la Police fédérale au profit de la Police intégrée. L’expérience acquise avec les drones a en effet montré qu’ils peuvent également apporter une plus-value au travail policier lors de la collecte d’information dans le cadre du crowd management (Gestion des foules, ndlr), lors de manifestations de masse, de l’établissement d’une image lors d’actions de grande envergure ou de situations d’urgence, ainsi que pour recueillir des éléments de preuve. » (6) Nous les avons vu ces derniers temps, avons été filmés par eux, avons entendu leurs messages menaçants… Il semble donc que ces engins risquent de prochainement s’imposer plus encore dans notre quotidien.

Aussi, plutôt que de se remplacer successivement, l’expérience nous montre que les moyens de surveillance ont tendance à s’accumuler couche sur couche. La probabilité est donc grande, sous la Vivaldi, de manifester sous des engins volants multiples, proches de nous ou plus éloignés dans le ciel.

« L’expérience acquise avec les drones a en effet montré qu’ils peuvent également apporter une plus-value au travail policier lors de la collecte d’information dans le cadre du crowd management, lors de manifestations de masse. » (Annelies Verlinden, ministre de l'Intérieur) Photo : Devon & Cornwall Police
« L’expérience acquise avec les drones a en effet montré qu’ils peuvent également apporter une plus-value au travail policier lors de la collecte d’information dans le cadre du crowd management, lors de manifestations de masse. » (Annelies Verlinden, ministre de l'Intérieur) Photo : Devon & Cornwall Police

« Créer la base d'acceptation nécessaire pour la 5G »

Dans la section 5.1. « Injection budgétaire police », nous pouvons lire : « Nous mettrons des enveloppes ponctuelles à disposition afin de poursuivre le processus de digitalisation, comme la mise en œuvre d’I-Police et les coûts supplémentaires liés à la mise en service du réseau 5G ». (7) L’installation de la 5G semble ici totalement acquise, même si des processus de consultation citoyenne sont prévus en cours de législature. Ce sont des mois après ces mots de la ministre que les processus se sont déployés en Wallonie et à Bruxelles… Est-ce à dire que la participation citoyenne représente une coquille vide ?

Il ne s’agit même pas de faire semblant de débattre avec la population de ces changements sociétaux majeurs, mais bien de « créer » la base d’acceptation « nécessaire » pour la 5G

Sans doute, car nous ne sommes pas à la fin de nos surprises, au point 5.6 « Renforcement du Centre de crise national », nous trouvons le segment nommé « Analyse d’impact de la 5G sur les fonctions vitales ». « Le NCCN (Nationaal crisiscentrum, Centre de crise national, ndlr) continuera à coordonner les travaux de ce dossier commun en 2021 et créera la base d’acceptation nécessaire pour la 5G, en tenant compte notamment des aspects de sécurité ». (8) C’est beau comme un roman d’anticipation totalitaire. La politique du fait accompli est plutôt la règle au sujet des nouvelles technologies, mais le cynisme est ici officiellement inscrit noir sur blanc dans un exposé ministériel. Si certains en doutaient encore, il ne s’agit même pas de faire semblant de débattre avec la population de ces changements sociétaux majeurs, mais bien de « créer » la base d’acceptation « nécessaire ».

Pourquoi trouve-t-on cette information sur la « cinquième génération de téléphonie mobile » dans un document de la ministre de l’Intérieur décrivant l’évolution du rôle de la police ? Tournons-nous vers la Chine pour connaître le type d’utilisation policière imaginable pour la 5G. « Les Chinois ne peuvent plus faire un pas de travers. Plusieurs villes du pays utilisent la reconnaissance faciale pour surveiller les piétons indisciplinés. Une fois repérés, les fautifs sont soumis à l’opprobre public. Leurs photos et informations personnelles sont affichées sur des écrans installés aux carrefours. » (9) Comme souvent avec les nouvelles technologies, nous nous pinçons : sommes-nous vraiment dans une description de la réalité ? Même si, actuellement, l’intention n’est sans doute pas d’utiliser cette fonction précise en Belgique, installer le système permettra en tout cas de l’envisager, elle ou d’autres du même acabit.

Les multiples utilisations de la 5G ne concernent pas uniquement la honte à infliger aux piétons : pourquoi nos États sont-ils prêts à tout pour nous l’imposer ? Comme nous le signale un cabinet privé de « conseil en management », sous le slogan « Design. Reshape. Reboot. », un « Autre avantage majeur de la 5G est que cette dernière va permettre de connecter en réseau un nombre d’objets beaucoup plus important que ses prédécesseurs (2/3/4G). Aussi, nous pourrions imaginer une mise en réseau des différents outils de surveillance déployés sur un même site (caméras, drones, détecteurs de mouvement,…etc.) mais à une échelle bien plus importante. Ce déploiement en réseau permettrait ainsi d’effectuer un contrôle optimal du lieu ou du bâtiment surveillé, en offrant une vision à la fois extrêmement précise et en temps réel. Une telle visualisation à 360° pourrait encore une fois renforcer la capacité des équipes de sécurité à détecter un problème et à intervenir rapidement. » (10)

Les responsables politiques vont-ils un jour nous parler vrai, expliquer et détailler ouvertement leur vif intérêt pour ces nouvelles technologies et la nécessité dans leur chef de l’imposer aux populations ?

En matière répressive, d’autres utilisations ont lieu – en Chine toujours – avec des lunettes connectées, comprenant dans la monture une micro-caméra pratiquant la reconnaissance faciale. (11) L’objet, banalement posé sur le nez, scanne et analyse les visages des passants. Vous marchez dans la rue, un policier vous regarde et, en temps réel, les rayonnements électromagnétiques de la 5G présents dans l’air permettent de vous scanner… Bip, vous êtes reconnu ! Si nous repensons à nos manifestants arrêtés en masse ces dernières années – avec parfois de simples passants – sans avoir commis aucun délit ni même parfois avoir pu arriver sur le lieu de la manifestation, et si nous repensons au large fichage opéré par la police, nous pouvons aisément imaginer les usages possibles de ces nouveautés technologiques. Lorsqu’un système existe, accompagné de gros investissements financiers, il est là pour être utilisé… Quitte, nous l’avons vu, à être légalisé a posteriori.

Les responsables politiques vont-ils un jour nous parler vrai, expliquer et détailler ouvertement leur vif intérêt pour ces nouvelles technologies et la nécessité dans leur chef de l’imposer aux populations ? Pour l’heure, au sujet des explications franches, nous pouvons nous tourner vers notre voisin direct : les Pays-Bas. L’an dernier la secrétaire d’État néerlandaise aux Affaires économiques et au Climat, Mona Keijzer, plaidait publiquement pour l’installation de la 5G dans son pays. Elle s’exprimait en ces termes : « Je pense qu’il est bon de commencer par la question : ‘pourquoi sommes nous ici aujourd’hui ? Quelle est l’importance de la 5G ?’ » Parmi les nouvelles possibilités que la technologie 5G va offrir, elle cite « Le contrôle des foules. Nous sommes de plus en plus nombreux, il est donc important que lors des grands événements on puisse répondre aux incidents de façon rapide et adéquate. Alors, Président, ce n’est pas quelque chose pour s’amuser. Parfois si. Quand il s’agit de diffuser de bons films, par exemple. Mais c’est aussi quelque chose qui offre de nouvelles opportunités qui seront bénéfiques pour notre société, et c’est aussi un sujet que d’autres pays développent également très sérieusement. » (12)

Pour convaincre les Belges de ne pas s’y opposer, les informations et la publicité sur la 5G invoquent généralement les vitesses de téléchargement ou d’autres possibilités ludiques, voire tous les gadgets liés à l’expansion des objets connectés… Face aux utilisations décrites ici, nous comprenons l’écran de fumée favorisé par ces exemples, et la stratégie à l’œuvre pour « créer la base d’acceptation nécessaire » tout en occultant les enjeux liberticides et sécuritaires. Pour les populations et les mouvements sociaux, l’enjeu démocratique est fondamental.

Une fois la crise du Covid derrière nous, ses conséquences économiques vont pleinement se révéler, avec leurs répercussions sociales dramatiques, des fermetures d’entreprises et de lieux culturels, des vagues de licenciements, l’accentuation de la précarité, etc… La révolte sociale serait tout à fait légitime, elle hante les cauchemars du pouvoir. Le gouvernement Vivaldi semble s’y préparer, de nouvelles couches de bitume sont au programme, pour parachever la chape posée sur nos droits politiques et nos libertés fondamentales.

(1) Au passage, on peut se demander selon quelle logique trois mots de celui-ci sont en français et quatre autres en anglais, dans une note officielle d’un ministère belge.

(2) Note de politique générale Intérieur, Chambre des représentants de Belgique, 5 novembre 2020, page 10.

(3) Exposé d’orientation politique de la ministre de l’Intérieur, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, Chambre des représentants de Belgique, 6 novembre 2020, pages 28 à 30.

(4) Article 28 Bis § 2 du Code d’instruction criminelle.

(5) Depuis le début de l’année, la Belgique est pointée pour sa gestion problématique des données administratives de ses habitants, et le fonctionnement inopérant de l’Autorité de protection des données (APD). La gestion des données personnelles par les autorités policières semble poser également problème, lire à ce sujet le point « II. Les activités dans le cadre de dossiers axés sur la protection des données », du rapport 2016-2019 de l’Organe de contrôle de l’information policière.
www.organedecontrole.be

(6) Exposé d’orientation politique de la ministre de l’Intérieur, page 29.

(7) Idem, page 25.

(8) Idem, page 28.

(9) « En Chine, la reconnaissance faciale pour sanctionner les piétons indisciplinés », Florian Delafoi, Le Temps, 23 juin 2017.

(11) « En Chine, des lunettes connectées au service de la police », Théo Blain, Libération, 9 février 2018.

(12) La vidéo est disponible sur internet, en tapant son titre « 5G word ingezet voor Crowd Control ».

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