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La Wallonie se dote d’un plan anti-discriminations

Le 10 décembre 2020, le gouvernement wallon annonçait la très prochaine adoption d’un plan anti-discriminations au logement, quatre jours seulement après la publication des résultats de l’étude menée dans quatre villes de la Région par l’équipe de Pieter-Paul Verhaeghen.

Un avant-projet de décret, modifiant le code wallon du logement de 2018, va permettre de s’attaquer aux pratiques illégales de discrimination
Un avant-projet de décret, modifiant le code wallon du logement de 2018, va permettre de s’attaquer aux pratiques illégales de discrimination

L’étude menée démontrait un niveau de sélection xénophobe sur le marché locatif de la Région des plus « alarmants », selon les propres termes du ministre Christophe Collignon (PS). Celui-ci s’est donc engagé à proposer dans les premières semaines de 2021 un avant-projet de décret, modifiant le code wallon du logement de 2018, selon un « plan transversal », qui, outre un inventaire de mesures spécifiques, devrait « transparaître » dans chaque mesure en matière de logement.

« Clients mystères », sanctions et sensibilisation

Parmi les dispositions phares, il est question à la fois de « clients mystères », autrement dit de tests en doubles fausses candidatures (voire avec des candidats effectifs préparés en ce sens), organisés par un service ad hoc de la Région, mais aussi de l’enregistrement de plaintes déposées spontanément par de vrais candidats, confrontés à des comportements discriminatoires.

Des sanctions sont prévues pour les contrevenants, sous la forme d’amendes voire de poursuites pénales

Des sanctions sont prévues pour les contrevenants, sous la forme d’amendes mais aussi, le cas échéant, de poursuites pénales. Toutefois, des protections sont prévues pour les propriétaires bailleurs et pour les agents immobiliers : lors de ces contacts, on ne pourra pas « provoquer » l’infraction, autrement dit « pousser à la faute » les interlocuteurs, en tentant de les piéger par des questions orientées, en vue de leur faire tenir des propos racistes et/ou de demander illicitement des pièces justificatives, du type contrat de travail à durée indéterminée, fiches de paie, extraits de compte avec preuves de paiements réguliers de loyers dans leur précédent logement, etc. Et, bien entendu, des recours sont prévus pour les personnes qui s’estimeraient accusées à tort.

Parallèlement, une sensibilisation à destination du grand public est prévue, entre autres par la diffusion d’une brochure qui servira de guide pratique, à destination des bailleurs, locataires ou professionnels de l’immobilier. Un outil qui répondra « aux différentes questions qui peuvent se poser face à un acte de discrimination et fournir des clés permettant d’y répondre adéquatement ». Des capsules vidéos abordant diverses thématiques spécifiques sur le sujet sont également prévues, dont les premières devraient être diffusées en 2021. Et, complémentairement, « des modules de formation pourront être spécifiquement consacrés à la problématique de la discrimination. Ceux-ci s’adresseront notamment aux intervenants sociaux et autres agents des communes, des centres d’action sociale (CPAS), des agences immobilières sociales (AIS), des sociétés de logement de service public (SLSP) ou du Fonds du logement de Wallonie (FLW) ».
Enfin, le ministre Collignon insiste sur le fait que ce panel de mesures spécifiques au logement ne vise pas seulement à lutter contre la discrimination « ethnique », mais plus largement contre toutes les formes d’infraction aux « critères protégés », à savoir la fortune, le handicap, la conviction religieuse ou philosophique (mais aussi politique ou syndicale), l’orientation sexuelle, la langue, l’état civil… repris dans le décret wallon du 6 novembre 2008. Une initiative remarquable, donc, et un exemple à suivre en Région bruxelloise (1), où, aujourd’hui, c’est une même secrétaire d’Etat qui a en charge à la fois la compétence du Logement et de l’Egalité des Chances.

Une recherche aux résultats sinistrement éloquents

Si les chercheurs de la VUB soulignent que leur étude a été menée en toute indépendance par rapport aux autorités locales ou régionales de Wallonie, il va de soi que ses résultats ont été prioritairement communiqués au parlement et au gouvernement wallons, lesquels avaient d’ailleurs anticipativement indiqué leur intention d’en tenir compte pour impulser une politique volontariste, en vue de combattre la discrimination dans l’accès au logement. Et il y a en effet matière à s’en inspirer, hélas ! Au terme de leur enquête, sur base de 1.109 tests menés dans quatre des principales villes wallonnes, en comparant le taux d’invitations reçues – ou non – par des paires de faux candidats aux noms respectivement belges ou arabes, c’est une même conclusion qui saute aux yeux (tout comme pour leur recherche sur les effets du Covid sur la discrimination ethnique, lire ici et ici) : nos concitoyens d’origine maghrébine sont massivement victimes de discrimination, avec un taux global net (pondéré) de 28 %. Ou, pour le dire autrement : seuls 17 % des candidats d’origine maghrébine sont invités à une visite des logements à louer, tandis que 25 % de candidats belges dits « de souche » le sont.

Nos concitoyens d’origine maghrébine sont massivement victimes de discrimination

Une discrimination qui est toutefois beaucoup plus le fait des propriétaires privés, lesquels la pratiquent dans 43 % des cas, pour 20 % de la part des agents immobiliers. Qui plus est, celle-ci est aussi très inégalement répartie entre les quatre villes étudiées : la « palme » revient à Mons, avec un effarant taux de discrimination global net de 64 % (73 % de la part des bailleurs privés, pour 57 % de la part des agents immobiliers). Laquelle est suivie, loin derrière, par Namur avec 39 % (45 % chez les propriétaires privés et 37% chez les agents immobiliers), puis par Charleroi avec un score nettement meilleur de 15 % (47 % pour les propriétaires privés, mais un taux de discrimination des agents immobiliers réduit à 5%). Et enfin par Liège qui ne comptabilise qu’un très modeste et rassurant 8 % de discrimination globale (avec 19 % chez les propriétaires privés et un remarquable taux nul de discrimination par les agents immobiliers).

Le racisme « ordinaire » souvent plus « performant » en Wallonie

Deux enseignements majeurs ressortent donc immédiatement de ce rapide survol des résultats. D’abord, une confirmation de ce que les antiracistes et antifascistes francophones disent depuis trois décennies : contrairement à une idée reçue très répandue, le racisme massif est loin d’être une spécificité flamande (ou bruxelloise), il est tout aussi présent, sinon plus, en Wallonie. La seule, mais déterminante, différence est que, ici comme dans la capitale (2), celui-ci ne trouve pas (ou plus, à Bruxelles) une « offre » politique attractive et un relais crédible sur le plan électoral. Pour paraphraser une célèbre formule, du côté francophone du pays, jusqu’ici, nous avons la grande chance d’avoir l’extrême droite la plus bête du monde…

Ce qui explique la relative « invisibilisation » de ce phénomène au sud et au centre du pays, alors qu’en Flandre, le Vlaams Blok, devenu Belang, et, deux décennies plus tard, la N-VA, ont très vite permis à ces idées et ce discours de s’imposer à l’agenda politique et médiatique. Mais si, par malheur, un jour, un parti doté d’un vraie organisation, d’un minimum de sens tactique et stratégique, et d’un leadership charismatique, devait voir le jour en Wallonie, il pourrait très rapidement recueillir des scores comparables et devenir une menace tout aussi redoutable. Ce contre quoi nous ne sommes en rien « immunisés ».

… et parfois, moins dans les milieux populaires

Ensuite, si Mons, chef lieu du Borinage, ex-bassin minier avec une très importante communauté italienne d’origine immigrée, se taille la part du lion, il est suivi (certes avec un pourcentage quasi réduit de moitié) par Namur, ville essentiellement bourgeoise, même si la misère est loin d’y être absente dans ses quartiers et faubourgs populaires. Et par contre, Charleroi et Liège, comptant également de nombreux habitants d’origine immigrée, reflet d’un passé industriel et ouvrier glorieux, mais ayant, comme à Mons, connu un déclin économique et social sévère depuis la crise des années septante, se tirent pourtant beaucoup mieux, voire très bien, de ce « hit parade » de la discrimination ethnique.

Une analyse à approfondir

Un second démenti, donc, d’un autre préjugé tenace qui voudrait que c’est dans les milieux populaires que le racisme est le plus développé : à en juger par la répartition entre les quatre villes où l’étude a été menée, d’autres paramètres, encore à identifier, doivent expliquer ce « palmarès » raciste très contrasté. Une fois encore, cela plaide pour élargir et affiner la recherche dans ce domaine – une des premières recommandations que les auteurs adressent d’ailleurs aux autorités (et à leur collègues), notamment pour diversifier les zones étudiées, en choisissant d’autres villes mais aussi des régions plus rurales. Par ailleurs, les chercheurs relèvent spontanément et avec une grande honnêteté intellectuelle d’autres faiblesses de leur étude. Tout d’abord, celles qu’ils ont menées antérieurement en Flandre et à Bruxelles ont en effet montré qu’il existe aussi une discrimination envers d’autres groupes « ethniques » : Turcs, Africains subsahariens, Européens du Sud et de l’Est … Une diversité qui vaudrait la peine qu’on reproduise le même type de tests par rapport à ces catégories de victimes du racisme au sein du marché locatif.

Une étude qui devrait être élargie aux autres formes de discrimination

Deuxièmement, le fait qu’ici, ils ont dû se centrer uniquement sur la dimension xénophobe du problème, et n’ont pas pu se pencher sur les autres formes de discrimination. Avant tout en termes de genre, une lacune qu’ils regrettent explicitement, mais aussi par rapport aux autres « critères protégés » par les législations et réglementations anti-discrimination : les convictions philosophiques, politiques et religieuses, l’orientation sexuelle… et les sources et le montant des revenus, un désavantage pénalisant lourdement les chômeurs, les allocataires sociaux et les autres catégories précarisées sur le plan économique dans la « compétition » pour jouir d’un toit (lire l’encadré).

La discrimination socio-économique au logement : la règle du jeu... capitaliste

Aussi peu sympathique que ce soit, le fait que, dans le choix de leurs locataires, les propriétaires prennent en compte comme critère la situation économique et sociale de ces derniers : statut « professionnel » et niveau de revenus (ce que, en droit, on appelle, dans une formule délectablement surannée, «l’ état de fortune »)… nous semble hélas assez logique, du point de vue de leur « intérêt bien compris ». Car, restons honnêtes et lucides : a fortiori en période de crise, c’est un réflexe assez « naturel » de leur part que de s’assurer, autant que possible, que celles et ceux qui occuperont leur bien seront en mesure de payer leur loyer régulièrement. Et donc, d’écarter les candidat-e-s qui semblent manifestement ne pas disposer d’un revenu suffisant par rapport au montant de celui-ci.

En ce sens, l’argument « massue » du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires (1), mettant toujours en avant le sort des petits proprios dépendant de la perception d’un loyer pour boucler leur budget mensuel, n’est pas entièrement dénué de fondement. Et cela, même si ses porte-parole en usent et en abusent, alors que, en réalité, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt : la plupart des bailleurs privés étant au contraire des « multi-bailleurs », autrement dit de véritables professionnels de la location de logements, dont ils vivent très largement, voire exclusivement (d’autant que cette source de revenus n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu). Et ne parlons même pas des spéculateurs immobiliers.

La rançon d’une politique libérale et inégalitaire
Il n’empêche que, dans un pays comme le nôtre qui, depuis toujours, pour des raisons politiques ouvertement libérales, a privilégié « l’accès à la propriété », y compris dans les milieux modestes plutôt que de développer un parc de logements publics à prix accessible, et qui de plus, à de rares exceptions près (2), refuse avec obstination de réguler le marché locatif… il existe bel et bien toute une frange de la classe moyenne inférieure, dont beaucoup d’indépendants, ou même des couches populaires, constituée de petits et moyens propriétaires, parmi lesquels de nombreux immigrés ou enfants d’immigrés… qui mettent en location un logement pour arrondir leurs fins de mois. Et plus particulièrement, pour compenser une pension bien trop réduite, qui ne permet pas d’assurer leur subsistance. Aussi, que ceux-ci veuillent mettre le maximum de « chances » de leur côté pour tenter de garantir que ce revenu complémentaire indispensable leur parvienne mensuellement et sans accrocs, est assez légitime. Pour nous, c’est là que réside le vrai problème – et le vrai scandale. A savoir que de plus en plus de nos concitoyens ne soient pas (ou plus) en mesure de jouir d’un niveau de vie décent sur base de leurs seuls revenus du travail. Lesquels, suite aux incessantes politiques d’austérité, ont connu une sévère chute depuis quatre décennies – y compris les pensions, qui en Belgique sont parmi les plus basses d’Europe. (3)

Dans un tel contexte, que ceux qui le peuvent (ou qui l’ont pu, à une époque un peu moins défavorable) optent pour ce substitut et expédient, et se muent en bailleurs pour rester à flot, peut difficilement leur être reproché. Quel autre choix leur est-il laissé ? D’autant qu’avec la crise financière de 2007-2008, la spéculation boursière a plus que jamais montré quel piège mortel elle pouvait receler.

(1) Lire Ensemble ! n°102 p. 20
(2) Notamment, la révision de 1988 qui a instauré un blocage des loyers, lesquels ne peuvent plus depuis lors augmenter qu’à la date anniversaire du bail, et selon un indice fixé par la loi.
(3) Voir à ce propos « En jeu : revenus du travail et pensions », dans le numéro de septembre 2020 de POLITIQUE .

Enfin, sur le plan méthodologique, Pieter-Paul Verhaghe et ses collaborateurs reconnaissent une autre inévitable lacune de leur travail : le fait que, basé sur des échanges de mails et non sur des candidats « en chair et en os », il ne porte dès lors que sur la première étape du processus locatif : la demande d’invitation à une visite du bien proposé, mais ne dit rien des autres phases. Et, singulièrement des suites, positives ou non, données à une éventuelle visite du lieu. En fin de compte, on bute là sur l’éternel problème du « libre choix » du propriétaire (comme du patron, pour le recrutement des travailleurs…). Lequel, s’il veut malgré tout exclure un candidat sur base des fameux critères protégés, à moins d’être un raciste (et/ou sexiste, homophobe…) particulièrement primaire et obtus, avouera rarement les motivations prohibées et punissables par la loi qui le poussent à choisir tel-le ou tel-le candidat-e… ou plus exactement, à exclure tel-le ou tel-le autre. Il lui sera toujours loisible d’invoquer d’autres « bonnes » raisons, y compris pour masquer ses véritables motifs et préjugés discriminatoires.

(1) Voir l’étude consacrée par l’équipe de Pieter-Paul Verhaeghe à la même problématique en Région bruxelloise.

(2) A Bruxelles, en tout cas durant plus de 15 ans : le Vlaams Belang y étant passé au Parlement Régional bruxellois de principal parti flamand en 1999, avec 36 % des sièges flamands (4 sur 11) et 35 % en 2004 (6 sur 17), au statut de lanterne rouge : 1 % (1 sur 17) lors des élections de 2014 et 2019.

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